Peut-être l’avez-vous remarqué mais j’ai beau être rentrée depuis bientôt deux semaines, j’ai finalement très peu illustré ces textes quotidiens par des images réalisées depuis. Pourtant, lors de mes sorties, qui, elles, se sont espacées – par deux fois, je n’ai pas ressenti le besoin de sortir pendant 2 jours de suite –, j’ai bien mon appareil photo en bandoulière, prête à déclencher le cas échéant. Je ne le fais que très rarement. Car, comme je l’ai écrit la semaine dernière, c’est le côté oppressant et contre nature de la ville que je continue à voir depuis mon retour. Et c’est ce qui finit par entrer dans ma boîte – encore que, finalement, je me suis aussi rapidement épargné ce genre d’images : des photos de chantiers d’immenses bâtiments aux façades éventrées laissant voir leurs entrailles climatiques, électriques, aqueuses en cours de greffe, des tubes, du métal, du béton et du verre partout, comme des corps malades et encore inertes, raccordées à une vie artificielle, alors qu’en Ile-de-France, il y avait, fin 2018, déjà 3,2 millions de mètres carrés de bureaux vides (1). Certes, depuis quelques années, face à cette ineptie, les programmes de transformation d’une partie de ces espaces vacants en logement se multiplient, mais le plus simple ne serait-il pas de s’interroger en amont sur la pertinence de lancer de tels chantiers ? Par conséquent, je ne veux pas utiliser ces photos. Ceci dit, peut-être serait-ce l’occasion de le faire aujourd’hui. Nous verrons à la fin de l’étape d’écriture, c’est en général à ce moment là que je réfléchis à la photo que je vais utiliser.
Dans la continuité de cette remarque, quand je lis que les plages sont toujours fermées et le seront peut-être jusqu’à cet été – on peut pourtant se sentir très très seul sur les immenses plages atlantiques –, que les chemins, sentiers, forêts, parcs, lacs, rivières le sont aussi, que des drones et des hélicoptères sont mobilisés pour traquer, en collaboration avec des motards au sol, les randonneurs en montagne – entre 816 et 1690 € de l’heure de vol d’un hélicoptère selon le Sénat soit a minima entre 6 et 13 contraventions par heure si l’on part du principe, faux, que là se limitent les coûts (2) –, j’ai l’impression que c’est la Nature elle-même qui est visée. La Nature, qui n’est pas unique loin s’en faut, dans ce qu’elle offre de liberté, de bien-être, de joie, de respiration, de fuite aussi, où l’on se promène, médite, se repose, contemple, se détend, se ressource, observe, ressens, se reconnecte à plus grand que soi, au sacré, se réfugie, aime, s’éveille, s’initie…
« Aucun homme n’a jamais imaginé à quel point le dialogue avec la nature environnante affectait sa santé ou ses maux » écrivait Henry David Thoreau (le revoilà !). Ces derniers mois, combien de livres, d’expositions, de conférences, sur les bienfaits de la Nature en général, des arbres en particulier ? Combien de recherches, sérieuses, se concluant par le fait que notre santé est intimement liée à notre rapport à la Nature, que ses bienfaits augmentent avec le temps passé à l’extérieur (à partir de 2h par semaine serait un minimum a priori) ? « Un rapport privilégié avec la Nature non seulement initie à une autre « façon » de la voir (Gould, 2001), mais surtout constitue une rencontre avec soi-même (Ormiston, 2003), un retour sur soi bénéfique. Il permet dans certains cas une véritable transformation de soi » écrivaient en 2011 les sociologues Stéphanie Chanvallon et Stéphane Héas (3). L’accès à la Nature, « responsable » bien sûr – c’est le nouveau mot à la mode –, alors que nous traversons une situation d’enfermement non naturelle, ne serait-ce pas un moyen de nous aider à mieux la vivre ? Sous prétexte qu’un éventuel accident mobiliserait des moyens logistiques plus utiles à la lutte contre le coronavirus, l’Etat percevrait donc cette Nature – pas plus dangereuse qu’une casserole d’eau bouillante renversée sur le visage ou qu’une malencontreuse rencontre avec un camion sur un passage piéton – vers laquelle nous tendons instinctivement, comme une menace. Pourquoi ? Est-ce « juste » de l’infantilisation, car les Français ne savent pas se tenir ? Y a-t-il une volonté calculée de ne laisser aucun répit aux citoyens en leur interdisant ces évasions salutaires ?
Je m’étais pourtant encouragée à essayer de ne pas chercher à comprendre ce qui, de mon point de vue, n’avait pas de sens… Mais pas de m’interroger, donc tout va bien ! Je cherche cependant des références historiques et solides allant dans le sens de l’hypothèse que cette conjonction d’interdictions me fait formuler, à savoir cette perception négative et quasi subversive de la Nature par l’Etat de droit. La Nature, par opposition – simpliste et rapide – à la ville, dans les fictions, c’est l’endroit où se réfugient les groupes de résistants, les rebelles qui veulent échapper au pouvoir autoritaire et dictatorial en place, à un système sans valeur à leurs yeux, d’où ils renaissent ou organisent la riposte. Des exemples de genres très variés ? Fahrenheit 451,Les fils de l’homme, The Lobster, Robin des bois, Captain Fantastic… En quête d’une référence sur Minority Report, l’adaptation faite par Spielberg d’une nouvelle de Philip K Dick, je relis des passages de mon mémoire rédigé il y a 15 ans sur la représentation des manipulations génétiques et du clonage dans le cinéma américain de 1986 à 2005, et la façon dont ils questionnent l’humanité. Un prétexte, presque, pour me pencher sur un tas de sujets satellites comme le profil des sociétés dans lesquelles ces histoires émergeaient, la montée des inégalités sociales, les rapports homme-femme, les relations entre science et religion, la virtualisation des rapports humains au service d’une manipulation collective, la désexualisation purificatrice et prophylactique de la société… et il me semble que je parcours un livre d’Histoire, tant tout ce que j’y décris – sur la base de mon corpus de films de l’époque donc – s’est vérifié depuis… Je connais la force et la puissance de l’anticipation mais c’est toujours surprenant de constater à quel point l’humanité semble suivre un scénario déjà écrit depuis longtemps.
Ah voilà une piste intéressante (merci Coralie !). Dans l’essai « Fugitif, où cours-tu ? », l’anthropologue Dénètem Touam Bona écrivait en effet : « la forêt est un espace strié de toutes parts, mais ses stries sont celles du zèbre, celles d’une tenue de camouflage. Longtemps, les forêts européennes abriteront proscrits, brigands, outlaws (figure de Robin Hood), bandes et minorités en rupture de ban, de sorte qu’en Occident la lutte contre les illégalismes et jacqueries populaires prendra souvent la forme d’une déforestation » (4). En est-on toujours à raser les forêts pour y voir plus clair et traquer les hors-la-loi, comme tendrait à nous le faire penser la manière dont les pouvoirs publics appréhendent les ZAD ? La réponse est-elle dans la question ?
J’ai dû adapter mon titre pour coller à mon actualité géographique… Pour être tout à fait exacte, il faudra d’ailleurs que je modifie les 28 précédents en spécifiant « en Nouvelle Zélande » avant « confinement ». Je ne sais combien de personnes dans le monde auront eu la chance de le vivre dans deux pays différents et si différents l’un de l’autre à tous points de vue, mais voilà qui me fait sentir un peu spéciale aujourd’hui.
Dans quelques années, au coin du feu de ma maison en bois nichée au cœur de la forêt, je pourrai raconter aux oiseaux de passage que j’ai traversé Le Grand Confinement d’abord en Nouvelle Zélande, où le virus a été éliminé en un bon mois, pour le finir en France, où il a circulé des années durant, avec et sans masque… The Great Lockdown, voici donc le nom qui a été choisi pour qualifier cette période particulière, qui signe, selon l’historien Jérôme Baschet, le vrai début du 21esiècle (1), au même titre que la 1reguerre mondiale avait, a posteriori, lancé le 20esiècle. Si je comprends bien la logique, un nouveau siècle doit commencer par une catastrophe planétaire. Voilà qui est encourageant ! Notons qu’entre ces deux événements majeurs, les 100 années sont presque respectées. Est-ce à dire que les bouleversements à l’échelle mondiale surviennent à une fréquence régulière ? Et si oui, qu’ils sont donc prévisibles ?
Etrangement, « Le Grand Confinement », expression inventée par le FMI pour faire écho à La Grande Dépression des années 1930 et à La Grande Récession post-crise financière de 2008, ne renvoie pas à la situation sanitaire mondiale mais à la crise économique sans précédent qui découle de cette pandémie de coronavirus. C’est une façon très anglée, très partielle et, en même temps, très révélatrice de notre époque et de « nos » priorités d’aborder cette situation touchant des milliards de personnes, et dont les conséquences sont loin de n’être qu’économiques.
Toutefois, mon premier réflexe en apprenant l’existence de cette dénomination a plutôt été de penser, à nouveau, aux films d’anticipation. En particulier aux dystopies que j’affectionne depuis de nombreuses années pour leurs vertus visionnaire et pédagogique. Ces films nous plongent dans le chaos dès leurs premières minutes, mettent en scène des mondes totalitaires et sclérosés dans lesquels toute personne sensée ne voudrait pas mettre ne serait-ce que le petit orteil gauche. Figure récurrente de ces fictions dont il fait régulièrement l’introduction, un montage vidéo d’images d’archives – sans doute en partie réelles – montrant, comment, progressivement, la situation – économique, sociale, politique, sanitaire, écologique dans tel pays, sur tel continent, dans le monde entier même si ça ne se dit pas selon l’une de mes anciennes prof de français de lycée – a irréversiblement dégénéré, devenant, au bout d’un temps plus ou moins long, totalement incontrôlable. Un magma d’images saccadées, de déchaînement de haine, de montée des inégalités… devant expliquer, si ce n’est justifier, a posteriori – car au présent, on ne voit pas ou on ne veut pas voir, on ne connecte pas les faits entre eux ou si, mais sans y croire –, l’origine du chaos liminaire présenté, dès lors, comme un état de fait.
Il me semble que nous pourrions, dès aujourd’hui et sur la base d’images glanées ça et là dans le monde au cours de ces quatre derniers mois, produire de tels montages, qui, dans ces univers fictionnels, sont rarement suivis d’une embellie. De fait, parfois, nourrie par cette mythologie-là – qui ne l’est que faussement –, je m’imagine que ce que nous vivons actuellement n’est en fait que le premier épisode d’une série que nous avons déjà vue mille fois. Le deuxième épisode ne se profile déjà t-il pas à l’horizon ? Il a même un nom : « La deuxième vague ».
En attendant, je découvre la subtilité des règles du confinement à la française, et dans le même temps, saisis mieux le désarroi évoqué par certains ces dernières semaines, en comprenant, par exemple, que mes promenades quotidiennes – mon « activité physique » – ne sont autorisées que dans un rayon d’un kilomètre au départ de mon domicile et pendant 1h, mais que, paradoxalement ou bizarrement, je peux aller faire des courses – alimentaires, j’ai bien compris ; de toute façon, en temps normal, je n’achète presque rien d’autre – bien au-delà de ce territoire restreint et sur une durée pouvant dépasser l’heure… Que je peux même cocher ces deux cases sur une même dérogation tout en étant en règle. Tout d’un coup, j’ai l’impression que le monde s’ouvre un peu plus. Et aussi que tout cela n’est pas très logique ni cohérent, mais ça, c’est encore autre chose, et je crois en avoir fait le deuil temporairement suite à notre expérience néo-zélandaise – où, pour le coup, le pragmatisme primait – et à ce qu’elle nous a permis d’apprendre en vivant cet événement depuis un autre point de vue… Anyway, il ne me reste plus qu’à trouver une poissonnerie à 5 kilomètres !
(1) https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/04/02/jerome-baschet-le-xxie-siecle-a-commence-en-2020-avec-l-entree-en-scene-du-covid-19_6035303_3232.html
15 nouveaux cas hier dont 11 dans des clusters surveillés de près. Le plus important, de 92 personnes, est lié à un mariage organisé dans la ville la plus au sud de l’Ile du Sud. Autant dire, au bout du monde. C’est d’ailleurs pour cette raison que nous sommes allées à Slope Point en mars, officiellement le point le plus méridional du pays, à quelques kilomètres de Bluff, la ville en question. Je suis en effet du genre à aller jusqu’à la bouée…
Nous avions d’ailleurs cheminé jusqu’à Cap Reinga, le point le plus au nord de l’Ile du Nord en janvier. Un endroit mythique, mystique, magique très important dans la culture Māori pour laquelle ce cap, d’où l’on peut être le témoin privilégié de la rencontre entre les eaux du Pacifique et celles de la Mer de Tasman, est le lieu de passage des âmes des morts pour rejoindre l’au-delà : Hawaiki, l’île légendaire où les peuples Polynésiens vivaient avant leurs grandes migrations vers l’est, et dont on ne sait précisément où elle se trouve. Il y a, sur une pointe rocheuse du cap, un Pohutukawa de 800 ans – arbre, sacré pour les Māoris, originaire de Nouvelle Zélande dont la floraison avec de splendides petites fleurs rouges est attendue chaque été austral comme sakura au Japon. Il se dit que les âmes des Māoris se glissent dans l’eau à travers ses racines…
A Bluff, plus classiquement, le virus a transité par un invité, venant de l’étranger. Les mariés s’en souviendront sûrement très longtemps. Je doute cependant qu’ils qualifient cette fête de « plus beau jour de leur vie ». En tout cas, pas avant quelques années.
A une semaine de la fin possible du confinement ici en Nouvelle Zélande, 15 nouveaux cas, est-ce suffisamment bas ou pas pour diminuer le niveau d’alerte ? Le flux de questions – souvent les mêmes – ne s’arrête pas, même si nous savons pertinemment que les réponses ne sont pas encore disponibles. Pourtant, il y a toujours des gens – notamment sur les réseaux sociaux – qui pensent en savoir plus que d’autres. Voilà qui nourrit potentiellement des angoisses inutiles chez les personnes bousculées et fragilisées par la situation.
Quoi qu’il en soit, le gouvernement, dont l’objectif affiché est de débarrasser le territoire du covid-19, répète chaque jour qu’il ne prendra aucun risque. Dans ce souci de transparence et d’accompagnement, adopté depuis début mars avec une certaine réussite, voire même une réussite certaine, il a détaillé aujourd’hui ce à quoi ressembleraient les niveaux 3, 2, 1 d’alerte par lesquels le pays passera forcément avant de lever toutes les restrictions. Il n’a pas annoncé quand, ni combien de temps. Il faudra attendre lundi, selon l’évolution de la situation cette fin de semaine, pour savoir si le pays passera, le 22 avril, en niveau 3 ou pas, et si oui, pour combien de temps.
Dans le fond, le niveau 3, que nous espérons tous, demeure assez restrictif : les lieux collectifs (musées, bibliothèques, cinémas, salles de spectacles…) resteront fermés ; les bars, les restaurants et la plupart des magasins aussi, mais la livraison, la vente à emporter et les systèmes de « click and collect » (dont je ne trouve pas de traduction en français) seront possibles ; le télétravail reste conseillé ; les écoles rouvriront partiellement, et sur la base du volontariat, pour les élèves dès le grade 10 (des collégiens de 13-14 ans) ; nous devrons rester dans notre bubble, celle-ci pouvant être très légèrement étendue ; nous ne pourrons pas nous éclipser hors de la région où nous nous trouvons actuellement mais il sera à nouveau autorisé de nager, de surfer, de pêcher ; et enfin, les mariages – sans repas ni réceptions – et les funérailles seront autorisés sans pouvoir réunir plus de 10 personnes pour autant…
Patience, patience donc. Face à ce magma d’incertitudes, un texte que j’avais écrit il y a quelques mois, dans la foulée de mon long séjour à Taïwan, me revient à l’esprit. Je le retranscris ici, car ce qui se produit aujourd’hui dans le monde devrait rendre obsolète la fin de cette litanie (pour les questions liminaires, c’est toujours d’actualité !) et je crois que je m’en réjouis d’avance…
Comment être sûrs que nous existons vraiment ? Comment savoir que le monde qui nous entoure et dans lequel nous évoluons est réel ? Que la vie n’est pas qu’une monumentale performance ? Et que nous ne sommes pas que de simples personnages interprétant chacun nos rôles sans en avoir conscience et bien évidemment, sans en être les maîtres ? Questions récurrentes, sans réponse apparente et en tout cas, sans réponse supportable, qui vient, qui part, au gré des humeurs et des circonstances aggravantes. Par circonstances aggravantes, j’entends par exemple une extraction de son quotidien, de ses habitudes, de son train de vie, et le retour qui s’en suit plusieurs mois après. J’écris en connaissance de cause après 8 mois passés en Asie du sud-est, principalement Taïwan. Un autre monde assurément. Et si partir est un voyage en soi, revenir en est évidemment un autre.
Non qu’il soit particulièrement difficile de rentrer – même si objectivement, cela peut l’être pour de multiples raisons – simplement, ce retour aux conditions initiales, comme le mobile finalement stoppé par la résistance de l’air dans sa course faussement libératrice, est à chaque fois déconcertant. Déconcertant parce que tous les automatismes mis de côté pendant tous ces mois se réactivent instantanément ; déconcertant parce que rien, à l’échelle macroscopique bien sûr, ne semble avoir changé ; déconcertant parce que l’on re-rentre dans sa vie comme dans une bonne paire de charentaise au creux de l’hiver ; déconcertant parce que le corps se souvient parfaitement de la route à suivre et des obstacles à éviter pour atteindre telle destination ; déconcertant parce que tout le monde autour semble poursuivre exactement la même conversation que celle initiée il y a 8 mois ; déconcertant parce que tout cela semble tellement orchestré, tellement bien huilé que cela ne peut être le fruit du libre arbitre. Et de déconcertant, ce retour devient angoissant. Et voilà que l’on se dit alors, c’est vrai, je n’existe pas, rien de tout cela n’existe vraiment. Tout cela est faux. Pourtant, j’y ai cru. Tel un artefact sur un électrocardiogramme normal, le voyage au long cours est une discontinuité dans un parcours. Un électrochoc avec ses mini-révolutions intérieures, dont on perçoit avec effroi à la fois la puissance potentielle et l’incroyable fragilité car le pire ennemi du changement, on ne le sait que trop bien, c’est la force et le confort de l’habitude… Comment les faire vivre alors dans un milieu qui ne les appelle pas, telle est la question ?
Cela partait pourtant d’une bonne intention : mettre un peu de nature et de verdure dans cet univers ultra urbain où la terre est devenue invisible et où le macadam qui la recouvre l’empêche de respirer et l’étouffe. Mais il faut croire que la maîtriser, la canaliser, la dresser – la nature – pour ne pas lui laisser le champ libre est plus fort que tout. Sinon, pourquoi cette coupe géométrique totalement anti-naturelle voire absurde ?
Après la PPF (aka, la photo pa(s/r)faite), voici la PPR, c’est-à-dire, la photo presque réussie… Cette double casquette lui confère une place particulière. La partie « réussie » pousse en effet à la conserver, tandis que la partie « presque » incite à ne pas réellement l’utiliser. A quoi sert-elle donc ? Pirouette, cacahuète, deuxième chance pour celle-ci, à l’américaine, je la transforme ici-même en exercice de style, ce qui me permet de l’exploiter tout en reconnaissant ses limites.
A l’origine, je suis là pour l’arbre, enfin, les deux arbres plutôt, ce que l’on ne voit pas tout de suite si l’on se concentre en premier lieu sur le feuillage qui semble ne faire qu’un tout. Seulement, voilà qu’en visant, je sens entrer ce couple de cyclistes dans mon champ visuel. C’est très furtif. La répétition des motifs m’attire spontanément et je déclenche rapidement car je sais qu’ils vont bientôt sortir du cadre naturellement désaturé. Résultat : ma photo n’est pas droite. Si si, elle penche un peu regardez. Or, sans être une psychorigide de l’horizon, je suis relativement attachée au niveau. Je pourrais redresser l’image et vous n’y verriez que du feu (curieuse expression que celle-ci par ailleurs, tant il me semble difficile de passer à côté d’un feu). Mais malheureusement, mon cadrage serré ne laisse pas trop l’opportunité de rétablir l’équilibre de cette scène sauf à crever des pneus ou a raboter les cimes, ce qui serait totalement contreproductif pour mon karma. Seule option : l’accepter telle qu’elle est, avec ses qualités et ses défauts…
On croit toujours qu’une grosse fera mieux le job. Que plus elle est longue, large voire épaisse, plus on sera satisfait. Bien. Au chaud. C’est effectivement ce que je pensais lorsque je suis entrée dans cette échoppe de Hoï An – au Vietnam, soit à 18 444 km à vol d’oiseau de la ville de Coquimbo, au Chili, où j’ai pris cette photo, ce qui ne l’empêche pas d’être pertinente compte tenu de ce qui va suivre, vous allez voir – vendant (l’échoppe) des écharpes que personne, évidemment, ne porterait là-bas pour la simple et bonne raison que la température moyenne annuelle dépasse les 20°C. Je le sais, une moyenne ne veut rien dire, mais croyez-moi, les écharpes vendues à ces latitudes sont pour les touristes (que je suis donc), ce qui leur permet, de retour au bercail, de répondre fièrement à un : « Elle est super belle ton écharpe ! » : « Merci 🙂 ! Elle vient d’Hoï An, au Vietnam ! ». Bla bla bla.
Bref. Il n’est jamais facile de choisir une écharpe, surtout quand il y en a des dizaines et des dizaines différentes face à vous. Cette lapalissade vaut pour tout – remplacez « écharpe » par « yaourt », « voiture », « téléphone », « basket »… – et illustre un mal de notre civilisation occidentale trop gâtée : la difficulté croissante à faire des choix, générant cette sensation extrêmement désagréable d’être « prisonnier » d’une trop grande liberté faisant de nous des insatisfaits chroniques inaptes à gérer le trop de possibilités qui s’offrent à nous. Car chacun le sait, choisir, c’est renoncer au reste, ce dont nous n’avons clairement pas envie, car, dans notre infinie sagesse et humilité, nous avons juste envie de tout ! Si vous avez 19m34s devant vous (une autre lapalissade sauf si vous voyagez dans le temps), je vous invite à écouter un psy en short en parler.
Donc, mon écharpe, je l’ai d’abord choisie pour ses couleurs, vives, très vives, des couleurs primaires diraient certains. Une gamme chromatique me garantissant, de retour au fameux bercail, une pluie de perspicaces commentaires : « Dis donc, c’est bariolé ! », « On doit te voir de loin, c’est pratique », « Oula, ça flashe », « J’oserais pas »… Je l’ai choisie aussi pour ses dimensions – 30 cm de large, 120 cm de long, une maille épaisse – lançant intérieurement à l’Hiver : « tu peux bien débarquer, je suis parée ! ». Ah ah ah ! Et c’est là où je souhaite en venir depuis le début mais je ne sais pas faire court : quand l’hiver fut venu, il en fut évidemment tout autrement. Cela vaut pour aujourd’hui aussi, au figuré. J’ai beau faire deux voire trois tours de cou avec mon anaconda coloré en laine, certes sans grande attention, il y a toujours un moment où je sens un léger courant d’air s’infiltrer, réussissant bon an mal an, mais globalement assez facilement, à se faufiler entre les mailles en points de riz pour atteindre les 2,5 cm2 de chair que mes tours et détours n’ont malencontreusement pas couvert. Et là, voyez-vous, c’est un peu comme ce rouleau de papier toilette que vous faites tourner comme un hamster dans l’espoir d’en attraper le bout, vous n’arrivez jamais à remettre votre écharpe correctement. A l’issue de la 3e tentative infructueuse, exposant chaque fois à l’air frais de nouvelles parcelles de votre petit cou fragile, totalement désespéré et passablement énervé (car vous avez beau avoir vécu cette scène plusieurs fois, l’information ne rentre pas !), vous vous résignez à faire ce que vous vouliez éviter à tout prix : retirer votre veste, manteau, parka, imper, duffle coat, blouson, bomber, Canadienne, ciré, caban, redingote, cache-poussière, paludamentum, raglan, pardessus ou houppelande pour vous envelopper convenablement, donc efficacement… Moralité : avoir le bon outil, c’est bien, savoir l’utiliser, c’est mieux. Quant à être bien entouré, c’est vital ! Voilà, c’est tout !
Je dois avouer un tropisme fort partiellement inexpliqué pour les villes fantômes, témoins évanescents d’une vie révolue, souvent menée dans des conditions extrêmement difficiles tout en étant chargée d’un fol espoir, celui d’une certaine richesse, promesse d’une existence plus douce.
Cette fascination m’a conduite à Port Jeanne-d’Arc à Kerguelen, Bodie en Californie, Kolmanskop en Namibie, et récemment à Humberstone au Chili, dans l’aride désert d’Atacama. Humberstone a été la plus grande mine d’extraction de salpêtre au monde, sortie de la poussière en 1872 pour s’éteindre définitivement au mitan du 20e siècle et entrer au patrimoine mondial de l’Unesco en 2005.
Ces cités abandonnées au temps qui passe posent souvent la délicate question de leur conservation à l’heure où elles se dégradent naturellement et deviennent aussi une destination touristique presque comme une autre. Question à laquelle je ne cherche pas à répondre mais dont je me fais l’écho, à ma manière, avec la série Humberstone – KNO3 – E252.
KNO3, ou nitrate de potassium, est en effet le nom chimique du salpêtre. Incolore et inodore, utilisé pour envoyer les fusées dans l’espace ou, plus terre à terre, dans les pâtes dentaires, il est aussi bien connu de l’industrie agroalimentaire qui l’exploite comme additif, le controversé E252. Celui-là même qui donne sa couleur rose à la charcuterie et permet de la conserver plus longtemps. De là à appliquer littéralement cette recette à l’envoûtante Humberstone, il n’y a qu’un pas chromatique que je me permets allègrement de franchir…
Pour découvrir toutes les photos de cette série, c’est ici, sur mon espace Hans Lucas.
En attendant que je reprenne du service sur le site d’une manière ou d’une autre, vous pouvez me suivre sur ma page Facebook ou sur mon espace Instagram où je continue à poster des photos individuelles.
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Share on FacebookC’est souvent écrit en lettres capitales sur les murs carrelés encadrant les piscines. Parfois, il y a aussi « Ne pas sauter ! » Dans les deux cas, une frustration pour les enfants qui y vont pour s’amuser, ce qui inclut courir, sauter, crier, éclabousser, bousculer, plonger, chahuter et crier encore… Du coup, sur les bords des […]
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