Photo-graphies et un peu plus…

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Je m’étais dit que le jour du déconfinement, j’irais dans un parc ou mieux, au bois, pour aller revoir les arbres. Ils me manquent terriblement. Mais ce matin, en ouvrant la fenêtre, l’odeur nauséabonde – mélange étrange de brûlé et de soufre – à l’origine toujours non identifiée qui m’avait déjà poussée à la fermer hier était toujours dans l’atmosphère. Ce n’est pas vraiment accompagnée de ces effluves que j’imaginais ma première sortie hors du kilomètre. Et si elles n’avaient pas été suffisantes pour me décourager, les fortes rafales de vent balayant tout sur leur passage, faisant vibrer les immeubles et s’affoler les platanes, allaient s’en charger. De fait, je ne suis pas allée au Bois. Peut-être demain.

Toutefois, une urgence « timbre » est venue s’immiscer dans mon début d’après-midi, même si l’usage du mot « urgence » peut sembler saugrenu par les temps qui courent. Avez-vous remarqué que les temps ne marchent jamais, ni ne traînent ? N’est-ce pas la preuve irréfutable que le temps, par nature, passe vite ? Et dans le même esprit, avez-vous tenté d’aller à La Poste ces derniers temps ? La file d’attente de la mienne était si longue que j’ai changé de ville pour aller voir si l’herbe était plus verte ailleurs. Elle ne l’était pas. Mais j’ai trouvé mon bonheur dans un bar tabac vide et la lettre est partie. Qu’elle arrive est un autre débat.

Sur le trajet, je suis tombée nez à nez avec cette signalétique nouvelle génération. Le pochoir, c’est le futur ! En tout cas, celui du monde d’après. Je l’aime bien celui-là. « Zone d’attente ». Grâce à la subtilité de la langue française, cette zone d’attente a au moins deux significations. Elle désigne un espace, un lieu, où ceux qui souhaitent entrer quelque part sont invités à patienter, provisoirement. Remarquez qu’il ne s’agit pas d’une salle d’attente, qui signifierait que nous sommes déjà à l’intérieur. Non, la zone d’attente précède l’éventuelle salle d’attente. Elle est à l’extérieur. C’est cela que nous sommes sensés comprendre ici.

Mais la zone d’attente, comme dans son registre la zone de confort, pourrait aussi désigner cet état psychologique dans lequel nous sommes actuellement : dans l’attente de voir se dérouler la suite, une suite à propos de laquelle nous avons beaucoup d’espoir, beaucoup d’attentes en somme – de la part des autres mais aussi de nous-mêmes, nous qui nous sommes peut-être promis de changer certaines choses dans nos vies.

C’est cela que je comprends, personnellement, en tombant sur ce tag autorisé, que nous sommes au cœur de la zone d’attente. La zone d’attente, cette abstraction spatio-temporelle où patience et impatience doivent cohabiter. Essayons de ne pas nous décevoir…

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Cette nuit, la Nouvelle Zélande a changé d’heure. Elle est passée à l’heure d’hiver, puisque c’est vers lui qu’elle va. La semaine dernière, la France a aussi changé d’heure. Elle est passée à l’heure d’été, puisque c’est vers lui qu’elle se dirige. Il y 8 jours, il y avait ainsi 12h de décalage horaire entre nous, la Nouvelle Zélande étant le premier pays au monde à passer au jour d’après. Nous nous en souvenons vaguement les 31 décembre de chaque année lorsque les lucarnes anciennement cathodiques diffusent, à l’heure du déjeuner, des images du feu d’artifice tiré – même quand le pays brûle – au dessus de l’iconique Opéra de Sydney, où la nuit a déjà chassé le jour (en Australie oui, mais temporellement parlant, la NZ est devant). Nous lâchons éventuellement un « C’est étrange, quand même, de se dire que c’est déjà demain là-bas ! » et retournons à notre présent.

Le matin pour le soir et inversement, la tête à l’envers, des rythmes de vie diamétralement opposés, au final, 12, c’était un chiffre assez pratique. Mais tout de même un peu abstrait. Une abstraction particulièrement palpable lors des échanges, parfois simultanés mais individuels, avec des passagers d’un autre temps, forcément passé. En France métropolitaine beaucoup, en Ecosse, en Côte d’Ivoire, en Turquie, à Taïwan, au Japon, au Pérou… La Nouvelle Zélande a, par exemple, 17h d’avance sur le Pérou alors que, lorsque l’on plante ses pieds dans le sable d’une plage de la côte Est néo-zélandaise et que l’on projette son regard vers l’horizon, c’est la grande terre d’après. Oui, certes, l’océan Pacifique n’est pas vraiment une mare et s’y déploie un univers dont nous n’avons, la plupart du temps, pas du tout conscience mais vous voyez…

Zut, la digression arrive (pardon d’avance !) : la mention de l’océan Pacifique me fait faire un bond dans le temps, petit, 16 jours seulement, quand nous avons croisé cette française à Picton à qui la traversée en bateau jusqu’à Wellington a failli être refusée alors même qu’elle avait trouvé un vol retour pour la Polynésie où elle vivait (je l’avais mentionnée dans mon carnet alors de non confinement jour 4). En discutant avec elle, j’ai appris que la Polynésie comptait 118 îles réparties sur 5 archipels. Cela m’a fait le même effet lorsqu’en débarquant à l’aéroport de Yellowknife il y a quelques années, dans les Territoires du Nord Ouest canadien, croyant naïvement que j’étais au bout du monde, j’ai réalisé qu’un autre monde totalement insoupçonné et insoupçonnable se déployait encore plus au Nord, portant des noms étrangement musicaux et poétiques – Kugluktuk, Inuvik, Tuktoyatuk, Tsiigehtchic… – à la croisée des chemins sonores entre le tube de Véronique et Davina, les pulsations d’un métronome réglé sur vivace et le cliquetis de baguettes sur un bol en céramique. J’ai pensé que nous ne regardions que ce que nous connaissions déjà et que nous avions tendance à penser que ce que nous ne voyions pas n’existait pas. C’est une des raisons pour lesquelles je voyage autant : pour élargir mon horizon et faire exister l’existant à mes yeux, et au-delà. Cela me renvoie – désolée, j’ai repris l’escalier – à cette infographie commune de l’iceberg, dont la partie invisible est bien plus grande que la partie visible sur laquelle elle repose pourtant. Il me semble que nous oublions souvent un troisième élément dans cette image : ce qu’il y a autour de l’iceberg, au dessus, en dessous et qui pourrait être infini… Si je dessinais un iceberg, j’écrirais « ce que nous savons » sur la partie émergée, « ce que nous ne savons pas » sur la partie immergée et « ce que nous ne savons pas que nous ne savons pas » tout autour et au-delà donc…

Bref, retour au présent, au réel, enfin, à une réalité parmi d’autres : pendant une semaine, celle qui vient de s’écouler donc, il n’y avait plus que 11h entre les deux pays. Et depuis aujourd’hui, c’est 10. Comme ça, en 8 jours, en deux soubresauts artificiels d’horloge, chacun a fait un pas vers l’autre. Nous n’irons pas plus loin dans les retrouvailles temporelles. Le changement d’heure doublé du décalage horaire ne m’a jamais autant paru arbitraire et sans fondement. Accentuant encore plus cette pensée fugitive mais récurrente que le temps n’existe pas. Enfin, pas vraiment. J’ai longtemps cru que le physicien Richard Feynman était l’auteur de cette phrase que je me suis souvent répété – « Le temps, c’est ce qui se passe quand rien ne se passe » – mais elle est a priori de Jean Giono. J’aime bien cette idée, que, quoi que nous fassions, que nous nous affolions ou que nous nous affalions, pour le temps, objectivement, c’est du pareil au même… Il s’écoule, imperturbable, imperméable aux douceurs comme aux coups, même s’il en réserve à tous ceux qui le vivent. Et voilà que je découvre aujourd’hui cette pensée d’Aristote : « Puisque le passé n’est plus, puisque l’avenir n’est pas encore, puisque le présent lui-même a déjà fini d’être avant même qu’il a commencé d’exister, comment pourrait-il y avoir une réalité du temps ? ».

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Bad girl

Je suis fascinée par la capacité des jeunes d’aujourd’hui à se mettre aussi facilement et efficacement en scène usant de codes que je qualifierais d’adulte sans trop savoir si ma remarque est rétrograde ou pas. Ok, elle l’est, un peu… Ces deux-là, en rouge et noir, sont complètement dans leur bulle. Et, dans ce monde à part, elles sont totalement hermétiques au ballet qui s’affaire autour d’elles et en particulier aux regards masculins qui se posent puis s’accrochent à elles, de bas en haut, de haut en bas, alors même que celles qui les accompagnent parfois leur lancent, à leur tour, à eux, et malgré leur T-shirt Bad Girl au singulier, un autre type de regard : « Ne fais pas semblant, je t’ai vu, c’est amusant, c’est tellement cliché. » (un autre type de cliché que celui d’hier) Et lui, « Je vois bien qu’elle me regarde. Fais comme si de rien était, ça va passer… » Evidemment, je ne suis pas dans leurs têtes. Ceci étant dit, c’est fou comme une simple image peut parfois être un concentré de la nature humaine.

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Vagamonder

Premier néophotologisme commençant par un V a priori, mais il faudrait que je m’en assure. Et celui-ci me concerne directement – mais pas exclusivement ! – puisque vagamonder consiste tout simplement à vagabonder à la surface du monde par tous les moyens possibles et sans autre but que de se nourrir et de s’émerveiller de l’altérité, qu’elle soit philosophique, géographique, ethnologique ou anthropologique. Ainsi, je vagamonde avec un bonheur sans cesse renouvelé qui appelle au départ constant.

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Trois cent mille kilomètres par seconde

La nature n’est pas bien faite… Enfin, si, la nature est bien faite, mais quand même, pourquoi a-t-il fallu que la vitesse de la lumière – 299 792 458 m/s plus précisément – soit à ce point supérieure à celle du son – seulement 340 m/s à 15°c et au niveau de la mer ? La lumière, elle, se moque de la température et de l’altitude puisqu’elle est capable de se déplacer dans le vide quand bien même elle ralentit un chouia lorsqu’elle a à se propager dans l’air. Et d’ailleurs, même si nous vivions sous l’eau où le son se déplace plus de 4 fois plus vite que dans l’air, le ratio serait encore largement en sa défaveur. Bref, le son ne fait pas le poids devant la lumière.

Et si dans nos petites vies quotidiennes d’êtres humains vivant sur Terre à une vitesse normale – quel que soit notre perception personnelle du temps qui passe -, nous ne nous en rendons généralement pas compte, il est une situation extra-ordinaire, lumineuse et tonitruante à la fois qui nous place face à cette terrible injustice : l’orage ! Un orage avec éclairs et tonnerres donc, sinon, c’est un peu comme des profiteroles sans amandes effilées grillées à la poêle jetées nonchalamment sur le chocolat fondant, il manque quelque chose d’essentiel pour que l’ensemble soit parfait ! Je fais donc partie de ces personnes que l’orage fascine. C’est simple, j’ai des étincelles dans les yeux, j’applaudis après des coups de tonnerre si assourdissants qu’ils donnent l’impression que la planète se fend en deux, je crie littéralement de joie et d’émerveillement lorsque de multiples éclairs viennent fendre le ciel et éclairer le monde de leur surpuissante lumière !

Evidemment, je cherche à prendre des photos et c’est à ce moment précis, après plusieurs essais infructueux – « pourquoi as-tu photographié l’immeuble d’en face ? » – que j’aimerais que le tonnerre soit celui qui annonce l’éclair et non l’inverse… Cela donnerait au moins un indice quant à leur survenue, alors que dans cette configuration décidée par les lois universelles de la physique – et qui ont tout de même fait du bon travail jusqu’à présent : nous existons… encore que je ne sois pas sûre que nous n’aurions pas existé si la vitesse du son avait été supérieure à celle de la lumière -, impossible de savoir d’où va partir le prochain éclair. Et évidemment, à cette vitesse, inutile de chercher à le rattraper ! Cela relève du coup de chance. Il ne reste alors plus qu’une chose à faire : se poser quelque part, lever la tête, scruter le ciel, attendre, vibrer, tressaillir, admirer et avoir le coup de foudre !

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Esprit critique

– J’ai repéré un coin en contrebas. Je vais y faire quelques photos, j’en ai pour 10-15 minutes. 20 maximum… Tu viens ?

– Non, non, vas-y, je préfère rester lire dans la voiture.

Du temps passe… Beaucoup de temps… Trop de temps…

Moralité : ne jamais croire un photographe annonçant qu’il n’en a pas pour longtemps ! Car par définition, le photographe, on sait quand il part, mais impossible de savoir quand il reviendra !

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Trouble de la personnalité

Même les objets ressentent parfois un décalage entre ce qu’ils sont, ce que les autres croient qu’ils sont, ce qu’ils pensent être et ce qu’ils aimeraient être… Si la tâche n’est pas facile, certains réussissent malgré tout à se rapprocher de cet ultime objectif. J’en veux pour preuve ce panneau de signalisation qui s’est toujours rêvé gardien du temps et qui réussit, dans certaines circonstances angulaires, à se faire passer pour une horloge moderne ! Peu importe qu’elle soit figée à 10h23 ad vitam aeternam, l’essentiel, c’est d’y croire ! Alors, les autres suivront.

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Voir ou dormir...

C’est un peu comme cette phrase que l’on relit indéfiniment sans réussir à la finir car le sommeil nous prend de court en chemin et nous empêche d’aller au bout, ce qui reste le meilleur moyen de passer à la phrase suivante et, à terme, de terminer un livre. Si s’endormir sur une phrase voire un passage peut être frustrant, cela n’est pas dramatique pour autant : le lendemain, à la même heure et même à toute autre heure de la journée, il suffira de revenir à la même page et à la même ligne pour se retrouver là où l’on s’était arrêté la veille et poursuivre la lecture. Ne pas avoir achevé ladite phrase la première fois ne l’aura pas faite disparaître (ce qui pourrait être un concept en soi) !

En revanche, fermer l’oeil trois secondes à l’occasion, par exemple, d’un voyage en train et voilà que ce que vous n’avez pas vu pendant ce court laps de temps est derrière vous à jamais. Vous auriez beau refaire le même trajet le lendemain à la même heure, tout serait différent. Vous le savez pertinemment, d’où ce duel d’un nouveau genre qui s’installe en vous : voir – et découvrir de nouveaux paysages, parfois somptueux, même si ce n’est pas nécessaire, en attendant d’arriver – versus dormir – ce que réclame votre corps, donc se reposer, pour être au mieux en arrivant, et faire l’impasse sur le paysage qui défile. Vos yeux clignotent, s’ouvrent péniblement, admirent ce qui vit de l’autre côté de la vitre, se ferment de fatigue, vous résistez, ils s’ouvrent à nouveau, c’est toujours aussi beau, vous vous extasiez… ponctuellement… le marchand de sable est déjà de retour… vous lui cédez encore un peu de terrain, mais déjà, les yeux fermés, vous repensez à ces montagnes au pied desquelles vous progressez, vous revoyez ces forêts que vous traversez, vous sentez ce désert que vous fendez ou encore ces villages tout droit sortis d’un western que vous chevauchez, et vos yeux s’ouvrent à nouveau… Hors de question d’en louper un kilomètre ! C’est pour cela que vous avez choisi la lenteur, pour vivre le déplacement, la traversée, pour vivre le chemin et percevoir les transformations… La route, quand bien même elle s’emprunte sur des rails, c’est le début du voyage !

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Il court toujours

Ils marchaient côte à côte à discuter de choses et d’autres. Leurs ombres dansaient joliment sur les murs, fusionnant quelques secondes avant de se dissocier pour mieux se retrouver encore quelques instants plus tard. Ils étaient beaux. Et puis, la route a traversé leur chemin et ils se sont arrêtés. Là, le temps de l’appel, ils se sont rapprochés plus encore et elle lui a pris la main. Comme elle le fait depuis toujours. Ma glace a fondu instantanément. Je l’ai regardée. J’ai souri.

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Cachez ce sein...

Force est de constater qu’il nous est impossible de ne pas les toucher… Nous ne nous en rendons évidemment pas compte sur le moment mais les effleurements inlassablement répétés par des mains baladeuses toutes différentes les unes des autres finissent par laisser des traces indélébiles sur les sculptures composant cette énième fontaine de Neptune (ce qui n’est pas péjoratif), et, d’une certaine manière, par nous trahir même si ce « nous » est indéfini et collectif.

Le plus amusant est bien sûr de repérer les sites les plus courtisés. Et si l’on peut aisément comprendre – comme le suggère la photographie de cette dame se faisant prendre en photo devant une déesse nonchalante et réchauffée – que les genoux et la main gauche sont manifestement des endroits sur lesquels les gens s’appuient en de telles circonstances, difficile d’imaginer que le sein gauche serve à ce point de béquille… Non, pour ce dernier, la motivation est vraisemblablement différente, un peu plus grivoise assurément, même si l’on ne saurait se satisfaire d’une surface aussi froide.

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