Photo-graphies et un peu plus…

Nébulaire du temps

Nombreux sont les sujets ici développés nés d’une conversation. C’était le cas de Les lambda là, le duo d’avant hier. C’est également le cas de celui-ci, encore embryonnaire, consacré au cloud evangelist. Je vois que vous faites la même tête que moi quand j’ai entendu l’expression pour la première fois. Pour tuer dans l’œuf toute interprétation poétique qui pourrait vous avoir traversé l’esprit – quelle étrange expression soit dit en passant -, non, le cloud evangelist n’est pas un devin des causes nuageuses qui clamerait dans sa tournée générale sur la croûte terrestre :

– Oyez, oyez, bonnes gens ! Altocumulus, nimbostratus et stratocumulus en approche ! N’ayez pas peur, accueillez-les généreusement, ils vous ouvriront des portes insoupçonnées !

Non, ici, en 2015, le cloud fait directement écho au cloud 3.0, c’est-à-dire à cet univers parallèle, informe voire nébuleux, et surtout totalement virtuel « dans » lequel vous êtes invité à stocker vos photos, vos vidéos, vos musiques, vos documents mais aussi vos plans de maison, vos équations mathématiques, vos recettes de cuisine, vos pensées secrètes, vos numéros de compte, vos mensurations, votre vie, le tout se retrouvant « en ligne » et accessible où que vous soyez sur la planète Terre (si tant est que vous soyez connecté) et depuis n’importe quel appareil. C’est le côté hautement « pratique » de cette forme éthérée – valeur actuelle dont j’ai déjà évoqué la face B en ces pages – auquel sont sensibles les nomades multi-connectés que nous sommes devenus sans réellement nous en rendre compte…

Mais revenons à nous moutons numériques… Si, historiquement, l’évangélisation a pour finalité de convertir au christianisme des populations qui ne le connaissent pas et de leur annoncer la « bonne nouvelle » (l’évangile donc) – aujourd’hui, un post sur Twitter ou Facebook règlerait l’affaire -, dans le même esprit, le cloud evangelist, un nouveau métier dans l’air du temps, prêche la bonne parole numérique en usant des mêmes méthodes que ses ancêtres pour convaincre ses auditeurs de migrer vers le cloud. Alleluia !

Le problème avec les nuages, aussi inoffensifs soient-ils, est que, parfois, ils laissent s’échapper quelques gouttes de pluie. Des fuites si vous préférez. De données personnelles bien sûr. La monnaie du moment. De fâcheux piratages qui font couler beaucoup d’encre numérique et illustrent parfaitement à quel point la vie privée, au même titre que les objets qui la contiennent, est elle-même touchée, non par la grâce, mais bien par l’obsolescence programmée… Et, pour s’en convaincre un peu plus, il suffit de filer dans l’une des salles de cinéma projetant encore le documentaire de Laura Poitras, Citizen Four, relatant avec brio et suspense – ce qui est un véritable tour de force puisque nous connaissons l’issue de l’affaire – la semaine précédant la divulgation par le lanceur d’alerte Edward Snowden (le 4e citoyen en question) de documents prouvant les méthodes orwelliennes de surveillance planétaire de chacun d’entre nous. 114 minutes déconcertantes qui aident à saisir que ce que le cloud evangelist risque de bientôt annoncer, c’est plutôt l’apocalypse ! Ce qui n’est pas, à proprement parler, une bonne nouvelle…

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Follow the flow 1

Flash-back !

– J’ai entendu parler de toi et de ta bande de p’tits copains ! Vous faites pas mal de bruit déjà, mais ça pourrait aller plus loin !

– Qu’est-ce que vous voulez dire, par là ?*

Je veux simplement dire que je ne suis pas arrivée, comme ça, là, par hasard, face à cette boule d’étourneaux tournoyant dans un ciel prêt à se coucher, comme eux d’ailleurs. Tout a commencé trois quart d’heures auparavant, grosso modo. Peut-être un peu moins, peut-être un peu plus. Je longeais les rives de l’Arno à Pise quand tout à coup, ils sont apparus au dessus de la ville. Des centaines de petits points noirs provenant d’un peu partout, comme si le directeur avait sonné la fin de la récréation et rappelait ses ouailles au bercail.

Follow the flow 2

Je pense instantanément « murmuration ». Dans le même temps, un large sourire vient zébrer mon visage. Je ne le vois pas évidemment, mais je le sens, sur mes joues, sur mes yeux, partout. Des murmurations, je n’en ai vu que des bouts en roulant sans pouvoir m’arrêter, ou en vidéo, en entier, sur Vimeo, YouTube ou DailyMotion. Et malgré tout, j’en frissonnais systématiquement. Cela me fait le même effet avec les bancs de poissons, sous l’eau donc.

Ces étourneaux, ou ces poissons, sont-ils conscients de la beauté fascinante et absolument envoûtante de la subtile chorégraphie qu’ils nous offrent (au-delà de toutes les questions pratiques que nous pouvons nous poser et qui gâchent un peu la magie : comment communiquent-ils, comment font-ils pour ne pas se heurter, qui décident de la forme à adopter… ?) ? Bref. Face à ce début de murmuration, je n’ai qu’une unique option : la suivre !

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Oui, la suivre. Vous n’auriez pas fait pareil ? Bon, lorsqu’une murmuration se produit en plein champ ou au dessus d’un lac, il n’y a qu’à se planter au milieu et admirer… En ville, avec des ponts à traverser (le ballet a commencé sur l’autre rive), des rues étroites et un champ de vision réduit, des angles droits, des feux rouges et de la circulation, la traque pacifique s’avère un peu plus complexe, d’autant qu’un oiseau vole plus vite qu’un humain ne marche… Me voilà donc les yeux rivés au ciel déambulant ou plutôt courant dans les rues de Pise en veillant à ne pas trébucher sur un pavé quelconque ni à perdre de vue l’escadron qui, manifestement, file vers un endroit très précis et qui, au fur et à mesure qu’il s’en approche, est rejoint par des retardataires…

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Dernier virage, je sens que j’arrive au point de rassemblement. En pleine ville. La lumière diminue vite (sous-texte : pardonnez les réglages approximatifs de l’appareil : difficile d’être totalement opérationnelle dans de telles circonstances !). Je sais maintenant que je suis au milieu du champ, ou du lac, et que je n’ai plus qu’à admirer…

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Le ciel est totalement tacheté par ces milliers d’oiseaux dont le vol est de moins en moins anarchique. Ils ont beau être assez hauts, j’entends le bruissement de leurs ailes démultipliées lorsqu’ils passent au dessus de ma tête, ou virent subitement de bord comme si une, ou plutôt des milliers, de mouches les avaient piqués. Je les vois se mettre en boule dense, prendre des formes étranges – un poisson, vraiment ? -, fusionner par petits groupes pour mieux se séparer quelques instants plus tard ou constituer de gros amas nuageux… En boucle pendant plusieurs minutes.

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Et puis, à les observer faire des ronds dans le ciel dans un sens puis dans l’autre, à monter puis descendre comme s’ils enchaînaient des tours du pire manège de montagne russe qui soit – invisible je précise -, je comprends. Je comprends que ce qu’ils convoitent, en bons troubadours du ciel, n’est autre qu’un toit. En l’occurrence un arbre. Ou deux. Ou trois. En tout cas, des branches sur lesquelles se poser pour la nuit…

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Et aussi rapidement qu’ils sont apparus, ils disparaissent dans leur nid géant qui les gobe en frétillant et en gonflant le torse. Bientôt, un silence léger enveloppe l’atmosphère, à peine rompu par quelques soubresauts de l’arbre. J’attends que toutes les traces de cet extraordinaire spectacle disparaissent pour m’éclipser définitivement et continuer à rêver en murmurant à l’air qui m’entoure que je suis une sacrée chanceuse…

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La lambda là

Ces deux-là ne le sont assurément pas… Tout est en fait parti d’une conversation avec un chercheur en mathématiques québécois, ou plutôt un chercheur québécois en mathématiques. Il s’amuse d’une expression que je viens d’utiliser dans une phrase banale et que je crois naïvement universelle, tout du moins, partagée dans toute la Francophonie, cette entité aux frontières mouvantes où l’on s’exprime majoritairement en français. « Vous me faites rire, vous les français, avec cette expression ! On ne l’utilise pas du tout icitte. »

En l’occurrence, j’ai fait surgir une « personne lambda » dans la discussion dont j’ai oublié le contenu. Quand on y réfléchit un peu – ce qui est rarement le cas avec les expressions que nous avons totalement intégrées au fil des années et que nous employons sans plus nous interroger sur leur origine –, il est vrai que cela sonne étrangement. Une personne lambda. Une personne en forme de lettre, grecque qui plus est…

Vous me direz, ce n’est pas la seule de cet alphabet antique à être passée dans le langage courant. Je vous laisse sonder votre esprit une microseconde. Hop, c’est fini ! Il y a « l’alpha et l’oméga », qui en sont respectivement les première et dernière lettre. Et qui, logiquement, sont associées aux notions de commencement et de fin de quelque chose. Cette brève explication combinée à votre maîtrise de ladite « personne lambda » devrait vous donner un indice quant à la place de cette lettre dans sa famille… Plutôt moyenne. Quelconque. Sans réelle envergure ni signe distinctif. A peu près au milieu. Normale quoi ! Ce qu’est, par extension, une personne lambda, que rien, ni physiquement ni psychiquement, ne distingue particulièrement des autres, de la masse, un monsieur ou madame Toutlemonde comme on dit aussi. Que l’on invoque pour parler du citoyen moyen, ni plus ni moins, juste « de base ». Evidemment, la normalité est une notion relative, subjective autant que culturelle.

Cela nous ramène à ma toute première phrase, toute, toute, que je complète tout de suite : « ces deux-là ne le sont assurément pas, des personnes lambda ! ». A mes yeux d’occidentale, lambda dois-je le préciser ?, la rencontre visuelle avec ces demoiselles habillées en …, en …, en quoi d’ailleurs ?, sans qu’elles aillent pour autant à un bal costumé ou une soirée à thème, est assurément surréaliste. Dans les faits, il me suffit d’élargir un peu mon champ visuel pour en croiser d’autres, et même beaucoup d’autres, et, par conséquent, réaliser que porter des habits d’écolière, de soubrette ou d’infirmière, que se déguiser en personnage de manga – et pratiquer donc le cosplay, « costumade » pour nos cousins québécois – n’est pas si original que cela. Et que c’est même plutôt banal au Japon ! Moralité, le lambda de l’un n’est pas forcément le lambda de l’autre.

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Bienvenue à Gattaca

Je viens de mettre en forme, et du coup, en ligne, un court essai que j’ai rédigé il y a quelques années sur le film Bienvenue à Gattaca, d’Andrew Niccol. Film analysé, pour l’occasion, à travers le prisme de la mélancolie, omniprésente…

Ce film de 1997 me semble d’une actualité brûlante alors même qu’une équipe de chercheurs chinois a annoncé avoir réussi à modifier le génome directement dans l’embryon…

Précision : je fais très précisément référence à certaines scènes du fim, aussi est-il plus facile, a priori, d’entrer dans le texte en l’ayant vu…

 

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Etats d'âme 9

Extrait d’Etats d’âme sur le macadam, ensemble de textes griffonnés à l’aube du 21e siècle sur mes inséparables petits carnets…

*

Un garçon se contorsionne devant le rétroviseur extérieur gauche d’une voiture : vérification de la propreté de ses dents ! Cette dame à vélo parle toute seule. Non, sa petite fille siège derrière. La bicyclette avance lentement, en titubant. Cette autre dame, à vélo également, grille le feu rouge. Un garçon, tout de noir vêtu, traverse la rue. Un adepte de soirées gothiques ? Deux policiers pressent un pauvre gars en pleine livraison car son camion bloque la circulation. Une dame court avec une petite fille sur le pont Sully-Morland, comme pour aller plus vite que les voitures. Ce garçon, dans sa salle de cours aux parois vitrées donnant sur la rue, regarde sur la copie de son voisin d’en face. Dehors, un autre garçon joue les Roméo. Sa Juliette est dans la même salle que le mateur. Il grimpe sur un muret pour se hisser à hauteur du sol du premier étage. Rires de la jeune femme. Une Express force le passage devant l’hésitation des autres automobiles engagées dans la rue. La vie grouille. Ces gens savent-ils où ils vont ? Quoi qu’il en soit, ils existent, ils bougent, ils parlent, ils sont là. Dans ce monde. Empli d’enfants, de vieux, de femmes et d’hommes – comme si enfants et personnes âgées étaient des êtres asexués ! Ils sont beaux, tous ces gens. Ils vivent. A des terrasses de café, dans des boutiques, derrière un comptoir, dans leur chambre, à l’école, dans la rue, sur un rond point… partout, ils sont là. N’ayant aucune conscience des autres, de ces personnes qui passent devant eux, sans dire un mot. S’arrêter, discuter… Des rêves ! Nous sommes toujours dans un fauteuil, plus ou moins confortable, à regarder ce qui passe à la télé. Comme avec le petit écran, la distance est respectée. La vie se déroule devant nous, passivement, activement, lascivement. Elle est là, rayonnante, grisante, monotone, déplorable. Qui sait ? Nous ne faisons que passer. Passer pour mieux trépasser. A trois reprises. Où est l’ironie ? Pas d’ironie mais un peu d’acier. Pourquoi faut-il avoir conscience de l’existence de son futur ? Ne serait-ce pas beaucoup plus simple si tel n’était pas le cas ? L’action serait alors libre et libérée de toute projection. Est-ce le propre de la pensée que de planifier, pour que l’avenir soit sécurisant ? N’est-ce pas plutôt un piège, un ravageur de spontanéité ? Tout cela doit bien avoir une utilité… Tentative de persuasion interne. Ah ! Et si ce n’était pas le cas ? Désastre ! Que faire alors ? Parfois, il n’est pas bon d’être confronté à ses idées. Parfois, il n’est pas bon d’avoir, ou de prendre, le temps de le faire. Déambulations panâmisiennes. Double tranchant. Le cri de Maria Callas retentit, la Mamma Morta d’André Chénier. Poignant. La lumière s’assombrit. Allez, vite. Que l’heure passe. Courir, pour aller plus vite que l’esprit…

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Alors ?

– Oui, alors, t’en as pensé quoi ?

Ce n’est encore qu’un murmure mais vous avez bel et bien entendu la question. Et pour cause, elle est systématique. Quasi un réflexe. Comme lorsque votre médecin vous donne un petit coup sur le genou avec son marteau ! Idéalement, celui-ci se relève instantanément sans que vous y soyez réellement pour quoi que ce soit, ce qui ne manque pas de ravir votre docteur, et vous, accessoirement. Encore dans la pénombre, à peine relevé de votre fauteuil moelleux rouge vermillon, vous voyez donc deux yeux inquisiteurs tournés vers vous, en attente d’une réponse, de votre réponse à ladite question, idéalement de votre analyse personnelle (pas celle de votre critique préféré), de votre propre interprétation des faits (avez-vous vraiment compris cette fin somme toute assez sibylline ?), de votre ressenti (finalement, avez-vous aimé ?)… En fait, de tout ce que vous pourriez dire sur ce film qui vient tout juste de s’achever et dont le générique défile encore alors que la moitié des spectateurs est déjà passée à autre chose.

Certes, nous sommes à l’époque de l’immédiateté et cette injonction a la fâcheuse tendance à déteindre sur tout… Mais, pour filer la métaphore culinaire, si, sur le moment – celui de la dégustation -, chacun est en mesure de savoir en son for intérieur s’il aime ou pas un mets, s’il vit une expérience sensorielle extraordinaire ou pas, l’étape de la digestion n’en est pas moins cruciale pour statuer définitivement… Et la digestion, par principe stomacal notamment, prend un certain temps ! Il serait salutaire, il me semble, de s’imposer ce type de moratoire au cinéma – très concrètement, un silence post-représentation -, d’abord pour adoucir la transition entre l’univers fictionnel dans lequel on a été plongés pendant plusieurs dizaines de minutes et le monde réel dans lequel on vit tant bien que mal ; puis pour remettre les compteurs émotionnels à l’équilibre ; enfin, pour se donner le temps de la réflexion, de la pensée, ce qui inclut le fait de s’autoriser à ne rien en penser sans pour autant se sentir ignare !

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Et si...

Et il s’agissait vraiment d’un vaisseau spatial replié sur lui-même période origami en mission d’observation sur Terre, j’aimerais également emporter un souvenir de lui avant qu’il ne reparte dans sa très lointaine galaxie raconter à ses pairs que des milliers d’humains lui ont bizarrement tourné autour, toujours dans la même configuration sans qu’il ne comprenne réellement pourquoi : un lui faisait face à une distance variable, portant une petite boite noire devant le visage ou sur l’oeil, et souvent dans des postures étranges, un autre (voire des autres), toujours plus proche(s) de lui, lui montrai(en)t son (leur) dos et regardai(en)t systématiquement dans la direction de la personne à la boîte, qui, parfois, projetait aussi des éclairs… La scène s’achevait dès lors que cette dernière lançait à ses congénères : « c’est bon, je l’ai ! ». C’est-à-dire au bout de quelques secondes pour les plus rapides, quelques minutes au pire. A ce signal, tout le monde s’éparpillait et s’éloignait en lui jetant à peine un regard, comme si l’essentiel était d’être dans la petite boîte…

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Vroum vroum

Question bête et un rien moqueuse, mais la perche était largement tendue : ces parents, que j’ai vu se croiser à un carrefour, s’échangent-ils aussi, comme les motards aux feux rouges à propos de leur fidèle destrier, de précieuses informations sur leurs modèles respectifs sans se connaître pour autant : taille, âge, options je-commence-à-marcher, je-suis-encore-trop-petit-pour-intéresser-les-autres (celui à gauche par exemple, abandonné dans son coin sous son bonnet et sa couverture d’appoint), mes-dents-poussent ou encore je-dis-quelques-mots-et-d’ailleurs-j’en-profite-pour-te-signaler-que-j’en-ai-marre-que-tu-me-pinces-les-joues-et-que-tu-t’extasies-devant-moi-un-peu-de-tenue-tout-de-même (celle à droite par exemple dont on devine le regard dubitatif) ?

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Chromie matinale

La plupart du temps, je n’aime pas les vitres teintées, a fortiori les filtres, tout simplement parce qu’elles transforment les couleurs d’un réel que je suis potentiellement en train de découvrir. Or, je préfère faire sa connaissance sans artifice. Sans édulcorant. C’est une remarque générale qui dépasse les seules frontières des paysages. Pour autant, ballotée à l’arrière d’un mini-bus à une heure où la majorité des gens entrent dans leur phase de sommeil paradoxal et échafaudent les rêves avec lesquels ils se réveilleront et dont ils essaieront de se souvenir pour le partager au moins une fois, je n’ai pas résisté à capturer cette sortie solaire aux couleurs et aux contrastes rehaussés par un parebrise fumé, justement.

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NYD

C’est difficile à croire mais certaines personnes, alors même que c’était leur rêve depuis des années, « depuis toujours » diront-elles, éprouvent un sentiment proche de la déception lorsqu’elles arrivent enfin à New York, qu’elles longent les boutiques chic de la 5e avenue, se perdent dans les contre-allées de Central Park, naviguent autour de la Statue de la Liberté, montent sans effort au sommet de l’Empire State Building, convergent vers les lumières de Times Square, traquent les canards laqués à Chinatown, se tordent le cou en admirant les buildings de Manhattan, filent enchaîner les manèges de Coney Island, parcourent le Brooklyn Bridge dans un sens puis dans l’autre…

En cause, un étrange sentiment de « déjà-vu » alors même qu’elles n’ont jamais mis les pieds à New York de leur vie et que toute hypothèse de mémoire immédiate peut être raisonnablement écartée. Mais il suffit finalement d’aller au cinéma ou de regarder les séries télévisées pour se rendre à New York des dizaines voire des centaines de fois, pour apprendre à (re)connaître ses différents quartiers dans les moindres recoins (pour mieux s’y repérer), à voir comment vivent ses habitants (pour mieux s’intégrer), à repérer leurs adresses cachées (pour mieux s’infiltrer)…

La ciné/télé-génie incroyable et magnétique de la Grande Pomme – la liste Wikipédia des films qui y ont été tournés, non exhaustive, compte 200 pages ! – la banalise, la démythifie, la désacralise de façon assez violente. Surtout, elle peut annihiler tout imaginaire, tout effet de surprise, alors que c’est sur ce dernier – ne pas savoir ce qu’il y aura au coin de la rue, découvrir les moeurs locales sur le terrain en observant les gens vivre, dénicher des petites adresses au hasard de balades non balisées… – que repose, à mon sens, une grande partie du charme, de l’intérêt que nous pouvons trouver à un lieu, ville ou pas, et bien sûr de l’émerveillement qu’il peut susciter. Or, chargés de tous ces paysages mentaux que nous nous sommes construits au fil des visionnages, ce que nous sommes tentés de rechercher, quand nous sommes à New York, n’est pas tant la ville elle-même, son authenticité, sa singularité, que sa propre image, celle véhiculée par les écrans et qui appartient à tout le monde donc à personne, jusqu’à risquer, finalement, de ne jamais s’extraire de la fiction fantasmatique originelle qui nous y a conduits…

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