Photo-graphies et un peu plus…

Des poètes en pagaïe

« Un poète doit laisser des traces de son passage, non des preuves. Seules les traces font rêver. » En découvrant ces mots de René Char extraits de son recueil de poèmes « La parole en archipel », je pense immédiatement à cette photographie prise cet été après une petite journée à arpenter – avec des dizaines d’autres personnes – les dunes de Tottori au Japon, celles-là même qu’avaient sublimé Shoji Ueda en son temps. Je revois ces traces globalement droites striant cette masse sableuse, me faisant dire que ceux qui les ont faites étaient en phase descendante plutôt que montante, et je réalise que, faute de repère contextuel, un arbre, un être humain, une voiture, il est presque impossible d’en deviner la taille réelle. 10 mètres, 50 mètres, 100 mètres, plus encore ? Et je me dis, qu’en fait, il pourrait tout aussi bien s’agir de traces de scarabées… qui n’en seraient pas moins des poètes pour autant, nous rappelant à l’envi que leur absence porte les stigmates de leur présence.

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Vous savez ce qui me plaît le plus ici ? Ce n’est pas tant que ces adultes oublient qu’ils le sont, ainsi que toutes les conventions connexes associées à cet état parfois trop sérieux, et décident, de fait, de dévaler cette dune haute d’une cinquantaine de mètres en courant, accueillant ainsi grains de sable et chutes éventuelles à bras ouverts. Non, c’est qu’ils s’y attèlent aussi joyeusement sachant qu’arrivés en bas, au niveau de la mer du Japon, ils devront la remonter. Et ce retour sera autrement plus long et difficile que cet aller…

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La flèche du temps

En les voyant, je pense à ceux qu’ils sont aujourd’hui – un bébé apprenant à se tenir seul sur ses deux jambes, un jeune père fier et attentif – et ceux qu’ils seront demain – un jeune adulte fort et vertueux, un vieillard fatigué et heureux. Et je me dis que leurs ombres ont déjà compris tout ce qui allait se passer dans les années à venir…

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Etat d'esprit

Il paraît que les gens peuvent être classés en trois catégories. Je déteste les cases. Mais passons. Dans cette tentative totalement décomplexée de simplification de la complexité de l’être humain, il y aurait donc les optimistes, les pessimistes et les fatalistes. Connaissez-vous l’oculométrie (eye tracking en anglais) ? C’est un petit appareil qui permet de suivre votre regard avec une très grande précision et d’en tirer les conclusions qui s’imposent. Je vous laisse quelques minutes pour vous mettre dans la peau d’un ingénieur en instrumentalisation, instrumentation pardon !

En tant que tel, vous avez sollicité un panel d’observateurs neutres (donc vous les connaissez tous) à qui vous souhaitez soumettre l’image ci-dessus pour challenger les hypothèses des chercheurs pour (ou avec, c’est selon) lesquels vous travaillez. En l’occurrence, que les optimistes liront l’image du coin bas gauche au coin haut droite, en suivant globalement la pente la plus forte car ils n’ont peur de rien et qu’ils se projettent déjà sur le spectacle magnifique qui les attend en arrivant au sommet de cette incroyable dune se jetant dans l’océan Atlantique plus vite qu’il y a 50 ans. Pour les pessimistes, il y a une double hypothèse – l’expérience permettra justement de les départager plus finement : d’une part, leur regard pourrait partir d’en haut pour être inéluctablement attiré vers les ténèbres en bas à gauche car ainsi va la vie dans l’esprit du pessimiste ; d’autre part, leur regard pourrait aussi partir du coin bas gauche, mais, contrairement aux optimistes, ils pourraient vouloir suivre une pente plus douce pour ménager leurs efforts et ainsi suivre la trace la plus basse. Malheureusement, ils s’épuiseraient en route – se ménager prend toujours plus de temps que se donner un coup de fouet -, jusqu’à se perdre en forêt. Ce qui ne ferait d’ailleurs qu’alimenter leur pessimisme… Quant aux fatalistes, ils feraient des allers retours visuels entre le bas et le haut, estimant que, dans tous les cas, s’il faut monter, c’est qu’il faut descendre ! Et inversement. Car c’est écrit, c’est le destin – ou une règle élémentaire de géométrie… mais tout est une question de point de vue finalement !

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La caverne inespérée

Souvent, on grimpe aux arbres. Ou aux branches. Ou tout du moins, on essaye. Mais il n’arrive que très rarement que l’on puisse entrer dedans…

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L'imprécis

Ne trouvez-vous pas que le désert porte bien mal son nom ? Car le désert, celui-là – avec ses reliefs amovibles, ses ondulations charmeuses, ses dunes enchantées, ses crêtes volatiles, sa houle sèche, ses empreintes chargées, sa végétation héroïque – est tout sauf désert. Il est simplement plein d’une vie différente.

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Le rituel

Longer la plage dans un sens, puis, arrivés au ponton, là où l’on ne peut plus avancer, marquer un bref temps d’arrêt, se retourner, et l’arpenter dans l’autre sens, avec la même concentration, la même tête baissée, jetant parfois des regards absents d’un côté vers la ville, de l’autre vers l’horizon, jusqu’à ce que la digue ne bloque le passage et n’oblige soit à l’enjamber pour poursuivre – mais ce serait comme sortir du cadre – soit à faire demi-tour à nouveau – et ce serait bien plus simple. Une promenade sur la plage s’apparente parfois aux longueurs enchaînées mécaniquement dans une piscine de laquelle on ressort groggy mais rasséréné.

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L'improbable rencontre

Je me souviendrai toute ma vie de cette plage. Elle correspond en effet à ce que l’on qualifie communément de « paradis sur Terre ». Certes, la notion conserve encore tout son mystère (et a d’ailleurs déjà fait l’objet d’un questionnement dans ces pages), mais vous conviendrez aisément que cette vue est plutôt plaisante. Se baigner dans ses eaux turquoises et mouvementées est par ailleurs interdit. Manifestement, le panneau, planté juste à l’entrée de la plage, n’a absolument aucune autorité sur les visiteurs, incapables de résister à l’appel – qui le pourrait ? – des déferlantes du mal nommé Pacifique. Ce n’est toutefois pas pour ces deux raisons que cette plage restera à jamais gravée dans ma mémoire.

En descendant vers l’eau, dans un état de quasi hypnose, mes pas ont croisé ceux d’un couple qui en sortait. Nos regards ont rapidement suivi. Retour au monde réel en un clin d’oeil quand bien même ce qui suit est totalement irréel. Large sourire de part et d’autre. J’ai fait la connaissance de ce couple – des français en vadrouille – la semaine précédente, sur une autre île de l’archipel hawaïen. Certes, nous savions les uns et les autres que nous serions à nouveau sur le même bout de terre pendant 2-3 jours mais nous n’avions pas, comme cela se fait parfois entre voyageurs, convenu de nous y retrouver.

La probabilité de se revoir était donc relativement faible. Laissez-moi vous énumérer toutes les conditions qu’il a fallu réunir – par qui, je ne sais pas – pour que cela se produise : être sur la même île au même moment ; avoir décidé de se rendre sur cette plage, assez isolée, de Kauaï, sans s’être concertés ; se trouver sur cette plage isolée de Kauaï à la même heure ; se trouver sur la même portion de cette plage isolée de Kauaï somme toute assez longue ; se croiser sur cette portion de plage isolée de Kauaï somme toute assez longue, c’est-à-dire s’éloigner de l’océan pour les uns et s’en approcher pour les autres en suivant des trajectoires strictement identiques ; lever la tête à ce moment-là. Se reconnaître. Et s’extasier des hasards de la vie.

L’histoire ne s’arrête pas là. Le lendemain, le même trek est au programme de la journée. Mais à nouveau, ce n’est qu’une information partagée. Pas une invitation à le faire ensemble. Les horaires ne sont pas compatibles. Et pourtant, en fin d’après-midi, nous nous recroisons à nouveau, sur le bord de la route, après nos marches respectives. Nous avons alors estimé, après une fulgurante concertation, que le maître des conditions convergentes nous envoyait un signe. Auquel nous avons répondu en nous donnant rendez-vous, le soir même, pour un verre de l’amitié. Figurez-vous qu’en discutant de tout et de rien, et surtout de ce qui nous avait conduits ici, là, maintenant, nous avons réalisé que nous avions une connaissance commune : lui avait fait un stage avec le meilleur ami du fils de mes parents – mon frère oui – que, bien sûr, je connaissais. Si la rencontre sur la plage était déjà exceptionnelle, imaginez un peu ce que nous avons ressenti en mettant au jour cette connexion ! Ce jour-là, j’ai temporairement cru au destin ! Car, enfin, quelle est réellement la probabilité de rencontrer, par deux fois, quelqu’un que l’on ne connaît pas – et que l’on connaît sans le connaître à l’issue de la première fois – qui connaît quelqu’un que l’on connaît, le tout, à l’autre bout du monde ? Apparemment, elle n’est pas nulle ! Et c’est tout simplement époustouflant !

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Voeux 2016

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Conformément à cette vérité iconographique selon laquelle 1 + 1 = 3, la juxtaposition de ces quatre photographies prises en quatre lieux très éloignés les uns des autres – Berlin en Allemagne, Thuan An au Vietnam, Doha au Qatar et Quinault aux Etats-Unis – pourrait suggérer que je cherche à faire passer un message. Je vous laisserai pourtant seuls maîtres de vos propres associations d’idées pour me concentrer sur chaque image indépendamment des autres. Ce qui ne les empêche pas d’être toutes unies par une même réflexion, ou pensée, ou impression : celle, partagée, qu’il peut être difficile de faire de l’humour, ou tout simplement d’être léger, sur certains sujets dans le monde actuel, la capacité de distanciation de certains s’étant réduite comme peau de chagrin ces derniers temps. Ou encore celle que certaines images renvoient inévitablement à des événements passés dans l’inconscient collectif alors qu’elles ne s’en font absolument pas l’écho, notamment car elles ont été prises avant qu’ils ne se produisent.

« Le clou du spectacle ». C’est le titre que je serais tentée de donner à la première photographie prise au coeur de l’Eglise du Souvenir, reconstruite sur les ruines de l’ancienne, et devenue symbole de paix et de réconciliation post 2e guerre mondiale. Limite, limite, me soufflent certains.

Direction le cimetière de Thuan An coincé sur une langue de terre donnant sur la Mer de Chine, où les sépultures, posées de façon chaotique sur des dunes mouvantes, se fissurent, s’éventrent voire se font engloutir comme si elles étaient prises dans des sables mouvants. En errant entre les tombes, je découvre des bouts d’un mannequin en résine, démembré, d’abord une tête, et un peu plus loin, une jambe, et puis encore un peu plus loin, des bras, une poitrine. Et puis tout le reste dans un coin. Je recompose le corps en trois-quatre images dans ce lieu de culte où les corps se décomposent, mais différemment. Aujourd’hui, impossible de les regarder avec la neutralité voire l’amusement qui étaient miens en déclenchant : ce faux corps déchiqueté et immaculé me renvoie désormais, et certainement pour longtemps, au tragique vendredi 13 novembre.

« Pyjama party ». C’est le titre que je serais tentée de donner à cette procession blanche en dish-dash et keffieh déambulant sur le tarmac de l’aéroport de Doha le pas alerte et le coeur léger.

Et enfin, la bannière étoilée. Quiconque a déjà eu l’occasion de voyager aux Etats-Unis – à défaut, de visionner des films ou des séries américaines – sait à quel point elle est omniprésente – en toutes tailles et dans les moindres recoins du pays – et les Américains lui vouent un culte sans borne, que nous jugerions, nous Français peu friands de cette forme d’exhibition patriotique, excessif voire ringard. Oui, mais là encore, c’était avant… Car depuis quelques semaines, le drapeau tricolore, avec lequel la majorité des hexagonaux gardait une certaine distance de sécurité, n’a jamais été aussi présent – de mémoire de vivante – aux fenêtres, sur les murs (les vrais, en brique, les faux en 0 et 1), dans la rue, sur les bâtiments et partout… Un hommage, un symbole de rassemblement et d’unité certes, mais aujourd’hui, difficile de ne pas se demander, parmi ceux flottant encore au vent, combien sont ceux liés à un sentiment nationaliste et sclérosant légitimé par les dernières élections, plutôt que patriotique et ouvert sur les autres…

Ces quatre exemples me montrent à quel point l’interprétation que l’on peut faire d’une photographie est fluctuante, fugace, temporaire et varie en fonction des éléments contextuels survenus entre le temps de la prise de vue et celui du commentaire, qui, de fait, doit lui-même être idéalement daté. Ils me confirment aussi que, dans ce monde terriblement sérieux, il m’est primordial de cultiver et de partager, sans manquer de respect à qui que ce soit pour autant, ce décalage et cette dérision face aux choses de la vie, étranges ou pas…

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