Question récurrente en ville lorsque l’objectif est de mettre en exergue la géométrie d’un espace et de jouer avec les lignes et les formes : avec ou sans personnes dans l’image ? Sans, n’est-ce pas un peu trop froid ? Et avec, un peu gênant ? Telles de petites figurines figées dans leur mouvement et collées sur une maquette d’architecte, ce trio de mère-filles arrivé sans prévenir dans l’angle droit du cadre, venant habillement l’habiller et humaniser la composition me pousse à répondre à cette question par un assuré « avec évidemment ! ».
Sourire volontairement à un(e) inconnu(e) arrive parfois, en dehors de tout contexte de séduction. Je précise « volontairement » car parfois, perdus dans nos pensées, nous nous mettons à sourire sans nous en rendre compte, ce qui peut être source de malentendu pour toute personne croisée à ce moment précis. Cette dernière peut en effet prendre la marque de sympathie pour elle, et, selon son humeur, y répondre de la même manière en pensant – « ils sont sympas dans cette ville ! » – ou l’ignorer en se disant – « mais pourquoi est-ce qu’il me sourit ? c’est à moi qu’il sourit ? j’ai un bout de salade coincé entre les dents ? ». Dans ce cas, il s’agit d’un sourire involontaire dont le porteur est bien incapable de mesurer les conséquences.
Revenons au sourire volontaire que l’on peut interpréter comme un témoignage de soudaine et éphémère complicité. Les circonstances dans lesquels il peut survenir sont très particulières. Par exemple, lorsque deux personnes, chacune de leur côté, viennent d’assister à un spectacle naturel à couper le souffle – au hasard, un intense arc-en-ciel sur une ville éclairée par la lumière dorée rasante d’un soleil faisant sa révérence, le tout sur un fond d’atmosphère électrique, alors que, de l’autre côté, un grain saisit l’horizon lumineux -, et que, une fois le rideau baissé, repues de bonheur et de satisfaction, elles reprennent leur route, redescendant progressivement sur Terre, et se croisent. A cet instant précis, les yeux encore pétillants et le cœur tambourinant, elles sont incapables de ne pas s’échanger d’abord un regard, puis un sourire. Ce sourire béat de celui qui a conscience de sa chance et qui murmure : « C’était magique, n’est-ce-pas ? » « Oui ! » répond l’autre dans sa tête comme si l’une pouvait entendre… Comme le miel sur les doigts, ce sourire reste accroché au visage pendant plusieurs minutes encore, alors que vous êtes déjà loin de la scène. Et c’est alors que vous remarquez qu’une personne arrivant en face de vous, vous regarde étrangement. En fait, elle vous sourit… Mais pourquoi donc ?
Je commence par lui envoyer un mail avec une série de questions. La séance a été si rapide que je n’ai pas vraiment eu le temps de l’interroger correctement, c’est-à-dire, en retenant tout ce qu’il me disait… Il me répond qu’il a présenté son dernier livre récemment dans une grande librairie et qu’il y a parlé « poïétique ». Un nouveau mot… Sa définition ? « La poïétique est l’étude des processus de création et du rapport de l’auteur à l’oeuvre. » Cela tombe bien, tourner autour de l’artiste à l’oeuvre pour tenter de saisir un peu du mystère de la création, c’est un peu ce que je suis venue faire en débarquant, avec plus d’une heure de retard, dans son atelier de Brooklyn à New York le 2 janvier dernier. Il ? Gilles Rieu. Peintre à l’accent chantant et au rythme entraînant. De Toulouse donc. (…)
Après Otages de la nuit, Le tour du Cartier, et La chute du mythe de Times Square, voici une nouvelle histoire photographique en 24 tableaux, fruit de ma récente rencontre avec l’artiste Gilles Rieu : Autour de Gilles !
Les petites filles ne sont manifestement plus ce qu’elles étaient. Enfin, c’est la conclusion, certes sûrement un peu hâtive, qui vient d’emblée à l’esprit en étudiant ces deux spécimens version 2011. Hautes comme trois pommes toutes les deux, sans avoir aucun lien de parenté avec Tom Sawyer. La première déambulant dans la rue en talons, jupe à froufrou, petite veste cintrée, et se passant nonchalamment la main dans les cheveux. La seconde prenant naturellement quelques photos avec l’appareil numérique de maman : la petite famille assise sur le sable, les gens s’amusant sur la plage, les bateaux à l’horizon… Un trio de photos exécuté promptement, juste le temps de pivoter dans les trois directions visées, et l’appareil est rangé soigneusement dans sa pochette. Une rapidité qui n’empêche pas l’apprentie photographe, qui connaît vraisemblablement ses classiques, de cadrer ses images, à bout de bras, car c’est ainsi que l’on prend des photos désormais. A distance. Heureusement, tous nos repères n’ont pas encore vacillé sous le poids de la modernité et de la tentation de certains parents à faire pousser des mini-eux plutôt que des enfants. Ainsi, certaines valeurs sûres (au grand désespoir de quelques uns) persistent-elles, résistant aux sirènes des nouvelles technologies et aux envies de grandir trop vite : le rose ! Quand les petites filles ne porteront plus de rose, alors, il faudra commencer à s’interroger sur l’équilibre du monde…
– Redresse-toi un peu, je ne te vois pas bien !
La jeune femme s’exécute et se met sur la pointe des pieds. C’est mieux. Elle prend aussi la liberté de poser sa main sur le visage de l’homme. Pierre. Il s’appelle Pierre. Avec les autres, ils attendent l’interurbain. Cela fait longtemps qu’ils attendent. 33 ans précisément. Juste le temps de se fossiliser. Et de se murer dans un silence de plomb. Non, d’aluminium.
Au début, les automobilistes les regardaient lorsqu’ils arrivaient au feu. Aujourd’hui, ce ne sont plus les sculptures qu’ils observent, mais les innombrables touristes qui ne peuvent s’empêcher de se mettre en scène avec ces personnages à la docilité légendaire. C’est une étrange manie d’ailleurs qu’a l’homo touristicus de s’infiltrer ainsi dans l’art urbain. Car, si, généralement, il se contente d’une immortalisation numérique devant ladite sculpture (« j’y étais »), il semblerait que dès lors que celle-ci soit une représentation de ses congénères (des êtres humains donc), il ressente le besoin irrépressible de se joindre à eux. De s’intégrer à la communauté. De les imiter. Quoiqu’ils fassent. Au risque de paraître ridicule. Mais, comme on le dit pour se rassurer, le ridicule ne tue pas… En voilà un autre ! Au pied de La Foule illuminée qui, le bienheureux ne le sait sûrement pas, représente la dégradation et la fragilité de l’espèce humaine…
Vous êtes là. Il fait chaud. Une chaleur inhabituelle même si annoncée. 48°C peut-être. La clim’ est éteinte, les fenêtres sont ouvertes. Juste un conseil, presque un ordre en fait, comme ça, donné à l’entrée de la Vallée. Vallée de la mort, c’est son nom. Tout est dit, ou presque, dans ce nom. Il faut la traverser. Il faut traverser ce no man’s land. Il faut traverser ce vide qui n’en est pas un. Vous roulez, vous n’en pouvez plus de cette chaleur suffocante, de cet air brûlant qui entre et sort de la voiture sans vous rafraîchir. Vous parlez, vous commentez, vous parlez du rien. De ce rien immense qui s’étend et que vous êtes en train de traverser, l’air de rien. Et puis, vous ralentissez jusqu’à vous arrêter complètement. Vous stoppez le moteur. Sortez de la voiture. Vous vous avancez au milieu de la route. De cette route à sens unique qui semble elle-même déclarer forfait avant la fin. Vous patientez là, quelques secondes, sans rien faire, si ce n’est scruter l’horizon. Et tout d’un coup, vous réalisez. Vous réalisez que vous n’entendez rien. Strictement rien. Pas un craquement de sel, pas un brin de vent, pas un moteur lointain, pas un cri d’oiseau, pas un souffle de vie. Le silence. Le vrai. Celui que, la plupart du temps, vous ne pouvez qu’imaginer, nos vies étant tellement bercées par le bruit. Cela détonne, le silence. Ce silence-là dans cet espace-là. Qui donne à la fois l’impression d’être seul au monde et en même temps, d’être enfin en communion avec lui. Une sensation à la fois réconfortante et inquiétante. Soudain, l’ambiguïté vous bouscule. Vous commencez par bouger un pied. Un mouvement qui fait crisser quelques cailloux sous votre semelle. Vous l’avez entendu. Vous êtes rassuré. Vous vous sentez mieux. Vous n’avez pas encore ouvert la bouche pour parler, mais vous savez déjà que la première chose que vous allez dire, juste avant de remonter dans votre voiture et de faire vrombir le moteur, est : « c’est fou ce silence quand même ! ».
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