Photo-graphies et un peu plus…

La vie des bibliothèques nord-américaines est légèrement différente de celles que j’ai pu aborder en France. J’entends, les prestigieuses, les nationales, les grandes… Je dirais, moins solennelles. Ce qui n’implique pas que chacun n’y respecte pas le périmètre de son voisin. Ceci dit, les bibliothèques nord-américaines sont tellement grandes que le voisin, parfois, c’est un peu comme dans les prairies du Saskatchewan, il faut bien chercher pour les trouver. Un point commun malgré tout, ici comme là-bas et réciproquement, les bibliothèques regorgent de pages noircies. C’est leur raison d’être. Des romans, des revues, des guides, des thèses, des livres d’art, d’informatique, sur la faune, la flore, et même sur les bibliothèques elles-mêmes et l’écosystème qui s’y développe petit à petit comme la vie dans une boîte de Pétri (Julius de son prénom, mais rien à voir avec la chanteuse qui demande à Eve de se lever)…

Parmi ces livres, il y a une catégorie très particulière : celle des livres que l’on « doit avoir lu pour être un homme » sur cette planète où les terres cultivables s’amenuisent chaque jour. Vous savez, ces livres auxquels il est fait régulièrement référence comme s’il s’agissait d’un Martine et qui peuvent mettre mal à l’aise ceux qui ne les ont pas lus et se retrouvent piégés dans une conversation où leur seul espoir est de réussir à faire illusion. Bref, il y a quelques semaines, j’ai décidé que l’Ulysse de James Joyce faisait partie de cette liste d’incontournables, persuadée qu’après l’avoir ingurgité, je me sentirai mieux. Non, je n’ai pas lu Ulysse. La bête m’est arrivée par avion. Colis spécial. Je ne réalisais pas, je pense, l’ampleur de la tâche qui m’attendait en me lançant dans cette aventure livresque. Catégorie F16 chez Folio. Je suis sûre qu’ils l’ont créée exprès pour cette masse ! 1172 pages. Je vous épargne les couvertures. 5 cm d’épaisseur. 622 g (super pour faire quelques exercices musculaires à tout moment de la journée).

La première phrase ? « En majesté, dodu, Buck Mulligan émergea de l’escalier, porteur d’un bol de mousse à raser sur lequel un miroir et un rasoir reposaient en croix. » Prometteur. Et la dernière ? Non, je ne peux pas, elle fait 67 pages, si cette règle que l’on apprend en primaire selon laquelle une phrase commence par une majuscule et se termine par un point est toujours d’actualité. Je n’y suis pas. Loin de là. Car pendant plusieurs jours, cela a plutôt une longue odyssée pour ce livre, bringuebalé dans mon sac partout où j’allais. De temps en temps, je l’en sortais croyant être prête à lire cette première phrase, puis feignais d’avoir autre chose à faire de plus urgent. Et puis, un jour, je me suis lancée. J’ai ouvert et j’ai lu 39 pages d’un coup. Et puis, un autre jour, aujourd’hui en l’occurrence, je suis tombée sur un lien. Celui de la liste selon Esquire des 75 livres qu’un homme doit avoir lu. Chic. Alors, j’ai cliqué sur le lien, et j’ai passé en revue couvertures et titres. C’est en arrivant vers les 10 derniers que mon palpitant s’est mis à battre un peu plus vite et que j’ai eu un pressentiment : Ulysse n’allait pas avoir sa place dans ce best of… Et effectivement, point d’Ulysse à l’horizon. Bon, je fais quoi moi maintenant avec mon 3 en 1 ?

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Qui eût cru qu’un cerveau en deux dimensions allaient devenir le terrain de jeu d’une horde de skaters tous coiffés d’un bonnet ou d’une casquette ? Flashback. Prenez un pot de peinture noire et un autre, orange. Dessinez quelques circonvolutions symétriques au sol selon une route faussement labyrinthique. Puis éloignez-vous. C’est tout. Pas de panneau, pas d’affiche, pas de règles. Rien. Après quelques minutes – ces nouvelles peintures sèchent vraiment très vite -, une personne s’arrête, balayant intensément du regard la zone bigarrée. Se gratte la tête – preuve qu’elle réfléchit – avant de lancer un regard désespéré à un congénère arrivant dans sa direction. Intrigué, l’autre marque le pas à son tour. Tous les deux, côte à côte, scrutent et se grattent la tignasse… pour en conclure que « l’art aujourd’hui, c’est à rien y comprendre », voire « c’est n’importe quoi ! » ou pire « à quoi ça sert ? ».

C’est alors que des jumeaux arrivent dans leur champ visuel accompagnés de leur grand-père et se placent au bord du précipice orange. Sans concertation télépathique, chacun pose alors les pieds dans la masse et se met à courir en suivant les courbes définies par l’artiste en veillant scrupuleusement à ne pas dépasser les limites, comme s’ils faisaient du coloriage. Leur ascendant, appelé sur la table d’opération, leur emboite rapidement, mais un peu maladroitement, le pas, à cause de cette fichue hanche qui lui joue des tours au crépuscule de sa vie… Les voilà tous les trois à faire des allers-retours sur une simple surface peinturlurée prenant autant de plaisir que s’ils faisaient des montagnes russes (une alternative pour les personnes sujettes au vertige peut-être ?). L’artiste a créé un mystère, les enfants lui ont donné un sens…

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« Combien de fois vais-je devoir te répéter de regarder devant toi quand tu marches ! » Enfant, on a tous « vu » cette petite phrase sortir un certain nombre de fois de la bouche de nos parents et nous arriver aux oreilles comme un écho lointain alors que l’on se laissait à regarder ailleurs. Ailleurs, c’est-à-dire pas devant soi donc. Evidemment, cela partait d’une bonne intention :  éviter un choc frontal avec un poteau, provoquant pleurs, bosse et remontrances – « je t’avais prévenu mais tu ne m’écoutes pas ! » – voire un être humain, ce qui est le comble de la mauvaise éducation – « ces jeunes parents ne savent pas tenir leur enfant ! De mon temps… ».

Bref. Parfois, je trouve qu’il n’y a rien de plus triste que de regarder devant soi. Les balayages systématiques du regard, certes potentiellement risqués pour notre intégrité corporelle, sont bien plus riches et mènent parfois à de drôles de rencontres. Ce n’est en effet pas en regardant devant moi que je serais tombée (ah, ah) sur ce squelette faisant la vigie sur un toit à deux doigts d’une ligne électrique… Humour décapant invitant à imaginer la suite : tourner autour du duo câble / corps pour forcer le point de contact virtuel et fatal, entrer en communication très étroite avec notre cerveau pour qu’il envoie quelques impulsions électriques bien calibrées à notre index, recevant ainsi l’ordre d’armer puis de déclencher ! Grillé !

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I start with sending him some questions by email. The meeting was so fast. I did not really have the time to question him correctly, that is to say, to remember all he was telling me… He answers that he has just presented his last book in a major bookstore and spoke about « poïetic ». A new word… Its definition? « Poïetic is the study of the process of creation and the link between the author and his work. » That sounds good: going around the artist at work in order to grasp a bit of the creation’s mystery is one of the reasons why I came, one hour late, in his Brooklyn’s studio, in New York that 2nd of January. He? Gilles Rieu. A painter whose accent has a rousing rhythm. From Toulouse, France. (…)

Around Gilles is the english version of « Autour de Gilles » that francophones can still read there. A new photographic story in 24 panels about my visit to the artist Gilles Rieu! Thanks to Natalie Peart for her help on this translation.

To see other stories: Otages de la nuit, Le tour du Cartier and La chute du mythe de Times Square (in french sorry).

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Vancouver me fait parfois penser à un enfant ou un animal (de compagnie) – non, je ne mets pas les deux au même niveau – qui ferait une bêtise digne de mériter une sévère punition, qui en serait conscient et qui, suffisamment intelligent, saurait aussi, d’une élégante pirouette – une moue adorable, une parole incongrue, un câlin irrésistible – renvoyer toute tentative d’autorité du dit adulte ou maître aux oubliettes.

Mais quelle bêtise a bien pu faire Vancouver ? La ville a volé la pluie des autres, convoqué un gigantesque pow-wow de nuages de tous horizons au dessus de sa tête, et leur a intimé l’ordre de se presser un peu. Alors que certains paradent sous 30°C depuis des mois pour le meilleur (le plein de vitamine D pour des années) et pour le pire (la sécheresse fatale aux agriculteurs) invoquant les faiseurs de pluie les plus reconnus, projetant d’utiliser quelques pétards pour donner une telle frousse aux cumulonimbus qu’ils en fassent pluie-pluie, nous devons supporter les abus de pouvoir de cette ville.

Elle sait que quiconque en foule le sol en tombe littéralement amoureux, que la pluie – un peu trop récurrente – fait douter ses habitants quant à leur capacité à la supporter à long terme, alors, quand, elle nous sert un crachin dès le petit déjeuner ou, des trombes d’eau au dessert agrémenté d’une sauce de grêle pendant deux bonnes heures, elle sait qu’il suffit de quelques rayons de soleil bien sentis pour réconcilier tout le monde et provoquer une amnésie générale.

Evidemment, le tort, en ces circonstances chaleureuses, serait de croire que la chose est acquise. Que c’en est fini de la pluie pour la journée. Et c’est d’ailleurs sur l’un de ces troncs bancs disséminés régulièrement sur les plages que j’ai écrit les mots qui précèdent. Et pourtant, après deux heures de répit, des gros nuages gris sont venus assombrir le ciel, et le doute s’est à nouveau emparé des esprits. Cela a commencé gentiment par de grosses gouttes de pluie entre lesquelles il était possible de passer, et puis, petit à petit, le rythme s’est accéléré, la taille des gouttes s’est réduite et la pluie a mouillé tous ceux qui étaient sortis pour profiter du soleil. Et à nouveau, Vancouver s’en sort à merveille : le spectacle de ces gouttes jouant au tam tam sur la surface de l’eau, de la montagne disparaissant dans le grain, de ces rayons de soleil réussissant à percer et de ces amateurs de paddle surpris par l’assaut aqueux est magnifique… Et la ville, en pleine forme, pousse même le vice jusqu’à tenter quelques notes d’humour : sur le chemin du séchoir, alors que je dégouline de partout, je tombe nez à nez sur une affiche de concert : des places à vendre pour Supertramp !! Et, pour parfaire le tableau, je n’ai plus de batterie et ne peux donc capturer ce qui aurait pu être l’image de fin. Et hop, une « petite » PPF… Allez, Vancouver est vraiment une ville très très agréable à vivre !

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– Dis, tu ne l’avais pas celle-là ?

– Quoi « celle-là » ?

– Et bien, cette ride-là ?

– Où, une ride ?

– Là. Sous l’œil gauche. Bien marquée.

Tout le monde se marre

Il n’y a pourtant rien de drôle à découvrir une nouvelle ride chez quelqu’un. C’est beau, une ride. Et il faut bien que le temps qui passe et ce qui s’est passé pendant qu’il passait laisse sa trace d’une manière ou d’une autre. Comme un miroir déformant de nos vies, autant de stigmates de nos bonheurs, de nos douleurs, de nos tics, de nos frustrations, de nos fous rires, de notre enfermement, de nos éclats, de notre folie, et aussi, au fur et à mesure, de la somme de tout cela. Rides montantes ou descendantes, profondes ou légères, symétriques ou pas, on les interprète en croisant leurs porteurs comme si on était un devin à rebours. En fait, ce qui faire sourire, c’est de réaliser que l’autre vieillit aussi, comme si le temps pouvait nous oublier. « Oups, tiens, je suis passé à côté de celui-là ! Allez, hop, je lui mets tout d’un coup ! Y a pas de raison ! » Effroi au réveil ! Parce que le temps, on le voit plus passer sur les autres que sur soi.

– J’ai compris !

– Tu as compris quoi ?

– J’ai compris d’où venait cette ride.

– D’où ?

– Quand tu fermes l’œil gauche en prenant une photo…

Je la baptise « la ride du photographe », asymétrique donc. Une ride prestigieuse, en fin de compte, qui va continuer à creuser son sillon, et faire rire les voyeurs, pour mieux marquer les leurs…

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Comme il est parfois difficile de savoir si certaines découvertes scientifiques sont réellement des progrès pour l’homme ou pas. L’information circule, il serait « bientôt » possible, via une technique bien particulière, de détecter un cancer grâce à la simple analyse d’une goutte de sang ou d’urine qui renfermerait de l’ADN tumoral… Evidemment, c’est une excellente nouvelle car cela permettrait, notamment, d’initier des traitements de façon plus précoce, d’augmenter les chances de succès des thérapies et donc de sauver de nombreuses vies.

Mais une partie de moi ne peut s’empêcher de penser aux dérives que pourrait engendrer cette petite révolution. Une partie de moi est immédiatement propulsée dans une salle obscure, bercée par une lancinante et répétitive composition de Michael Nyman, et totalement absorbée par des peaux mortes, des cheveux, des cils venant s’échouer avec fracas sur le sol carrelé de la maison du « dégénéré » Vincent Freeman. Bienvenue à Gattaca ou bienvenue dans un monde eugénique, où l’analyse d’une simple goutte de sang donc détermine votre avenir… Fiction, fiction… Pas si sûre quand on sait, par exemple, que plusieurs sociétés proposent déjà des tests ADN, bien sûr controversés et mis en doute, « prédisant » l’espérance de vie de ceux qui s’y prêtent. Et si, dans un futur proche, avant toute embauche ou toute souscription à une assurance, on nous demandait de passer par l’infirmerie pour faire une anodine petite prise de sang ? Question indépendante d’une autre, qui touche à la définition même de l’homme : comment vivre en sachant quand on va mourir ?

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Il y a quelques mois, je ne me serais pas autorisée à mettre cette photo en ligne. Cette remarque est totalement indépendante du fait qu’il y a quelques mois, cette image n’existait pas. En tout cas, les éléments qui la composent. Je précise ma pensée : ces éléments existaient bel et bien, mais en dehors de mon champ de vision. De fait, ils n’existaient pas encore pour moi. Je ne me serais pas autorisée à mettre cette photo en ligne car elle est retouchée. Si, si… Je n’ai malheureusement pas été la témoin privilégiée d’une invasion de lampes échappées d’un vaisseau mère arrimé à une tour en perte de contrôle, invasion à laquelle je ne sais donc pas comment elle m’aurait affectée, et avant cela, comment je l’aurais vécue. Ce n’est pourtant pas la première image que je fais passer par les lames avisées du cloneur-sécateur… Toutefois, je me suis toujours dit que, sur ces pages, ne devraient être présentées que des images « réelles », à défaut, parfois, d’être réalistes. Pas de trucage, pas de manipulation, rien. Une photo, un point c’est tout. Il est des règles que l’on se donne comme ça, un peu à la va-vite, en début de mission, et que l’on finit par traîner comme des boulets au bout de quelques mois… Cela s’appelle tout simplement de l’autocensure. Et l’autocensure, dans quel que domaine que ce soit, est une vraie plaie. Ce qui, en soi, est paradoxal puisque cette plaie-là obstrue tout, une vraie paroi rocheuse qui viendrait s’écraser sur une route étroite, sinueuse et ascendante de montagne. Heureusement, il y a l’escalade.

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