Photo-graphies et un peu plus…

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Ce soir, j’avais envie de me reposer sur un cliché. Ces photographies déjà vues mille fois sur le net, qui se ressemblent toutes plus ou moins, plus plus que moins, et qui ont peut-être même été à l’origine de votre voyage. Cette photo là, j’avais envie de la prendre moi aussi. De fait, en arrivant à Manarola, l’un des cinq villages du parc national des Cinque Terre, enfer estival autant que paradis hivernal (celui que j’avais choisi), j’étais tout de suite partie à sa recherche : la croix au sol indiquant où se mettre pour prendre ledit cliché. Et à vrai dire, la mission n’avait pas été si complexe : un attroupement signalait sa présence d’assez loin.

J’avais juste attendu que le soleil ne se couche, puis dore les falaises et les maisons colorées de ce village escarpé, et qu’un petit bateau sorte du port pour déclencher. D’ailleurs, même cette image-là, on la trouve par dizaines… Peu importe, le cliché, on ne se met pas de pression en le prenant, on n’a même pas à l’imaginer – d’autres l’ont fait avant soi -, on n’a pas non plus à courir bêtement derrière un monsieur sur une plage enveloppée dans la brume en croisant les doigts pour ne pas le perdre de vue ni rater la photographie que l’on vient de prévisualiser où tout est évidemment parfaitement à sa place… Ce n’est pas que l’on n’attende rien d’un cliché non plus, bien au contraire : le cliché est une respiration. Essayez donc de ne pas respirer et vous verrez que vous ne tiendrez pas longtemps…

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Voir ou dormir...

C’est un peu comme cette phrase que l’on relit indéfiniment sans réussir à la finir car le sommeil nous prend de court en chemin et nous empêche d’aller au bout, ce qui reste le meilleur moyen de passer à la phrase suivante et, à terme, de terminer un livre. Si s’endormir sur une phrase voire un passage peut être frustrant, cela n’est pas dramatique pour autant : le lendemain, à la même heure et même à toute autre heure de la journée, il suffira de revenir à la même page et à la même ligne pour se retrouver là où l’on s’était arrêté la veille et poursuivre la lecture. Ne pas avoir achevé ladite phrase la première fois ne l’aura pas faite disparaître (ce qui pourrait être un concept en soi) !

En revanche, fermer l’oeil trois secondes à l’occasion, par exemple, d’un voyage en train et voilà que ce que vous n’avez pas vu pendant ce court laps de temps est derrière vous à jamais. Vous auriez beau refaire le même trajet le lendemain à la même heure, tout serait différent. Vous le savez pertinemment, d’où ce duel d’un nouveau genre qui s’installe en vous : voir – et découvrir de nouveaux paysages, parfois somptueux, même si ce n’est pas nécessaire, en attendant d’arriver – versus dormir – ce que réclame votre corps, donc se reposer, pour être au mieux en arrivant, et faire l’impasse sur le paysage qui défile. Vos yeux clignotent, s’ouvrent péniblement, admirent ce qui vit de l’autre côté de la vitre, se ferment de fatigue, vous résistez, ils s’ouvrent à nouveau, c’est toujours aussi beau, vous vous extasiez… ponctuellement… le marchand de sable est déjà de retour… vous lui cédez encore un peu de terrain, mais déjà, les yeux fermés, vous repensez à ces montagnes au pied desquelles vous progressez, vous revoyez ces forêts que vous traversez, vous sentez ce désert que vous fendez ou encore ces villages tout droit sortis d’un western que vous chevauchez, et vos yeux s’ouvrent à nouveau… Hors de question d’en louper un kilomètre ! C’est pour cela que vous avez choisi la lenteur, pour vivre le déplacement, la traversée, pour vivre le chemin et percevoir les transformations… La route, quand bien même elle s’emprunte sur des rails, c’est le début du voyage !

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Le souffle court

En effet, il s’agit d’un terrain de basket doublé d’un terrain de hand ball, sur lequel on joue certainement au foot également même si la discipline a son propre stade de taille réglementaire un peu plus haut dans le village. Bref, c’est un banal terrain de sport comme il en existe des dizaines de milliers, sûrement même des centaines de milliers dans le monde (statistique totalement inventée mais revue à la hausse en découvrant que la France à elle seule comptait déjà 18 000 clubs de foot…). Sauf que, si le terrain est effectivement classique, le site où il a été construit l’est nettement moins.

Socaire, petit hameau dont le dernier recensement datant de 2002 relevait la présence de 843 âmes, en plein coeur du désert d’Atacama, plus connue pour son église et sa porte en bois de cactus que pour son terrain de sport, est surtout située à 3 500 mètres d’altitude. « ¡3.500 metros sobre el nivel del mar! » s’exclamerait l’alter ego chilien de Doc en s’arrachant les cheveux ! Et oui ! Certes, il y a plus haut (mais pas de beaucoup puisque le stade olympique Hernando Siles à La Paz, la porte à côté, n’est qu’à 137 mètres de haut en plus) et certes bis, on s’acclimate, mais imaginer des gens courir dans tous les sens après un ballon alors que la teneur en oxygène de l’air diminue et que, par réaction, le rythme cardiaque s’emballe, me coupe le souffle par avance ! Bon, évidemment, je n’ai vu personne s’y aventurer et peut-être le terrain n’a-t-il jamais vraiment servi mais son existence (et la blancheur des buts et paniers) suffit à me faire penser que ce n’est simplement pas la bonne heure…

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Certains voyages vous dépaysent complètement parce que tout ce que vous y découvrez, de la nature à la culture, de l’histoire aux légendes, de la musique à la langue, de la cuisine aux coutumes, est absolument nouveau, inédit pour vous et conforme à cette altérité que vous imaginiez a priori et que vous espériez rencontrer. Parfois aussi, certains voyages vous dépaysent complètement parce que tout ce que vous y découvrez est justement aux antipodes de ce que vous pré-voyiez, tout en étant finalement assez proche de ce que vous connaissez déjà sans que cela ne soit une déception pour autant.

Extérieur – Terrasse – Crépuscule – Après un court entracte, le quatuor s’apprête à reprendre son programme mêlant jazz et classique devant les mélomanes du soir. Il n’y a plus de chaises libres quand vous arrivez, un peu en retard, aussi vous posez-vous sur un muret surplombant la scène improvisée, gagnant au passage une vue panoramique sur ce beau village aux maisons de granite accroché à la montagne. Portée par les notes remodelées de « Dream a little dream of me », votre âme s’égare. Vous vous imaginez maintenant être une de ces personnes en contrebas, sur le bord de la route longeant cette courte plage… Oui, exactement, là où il y a ce petit attroupement. Vous portez alors votre regard vers cet horizon, hors champ. La journée s’achève, il va bientôt faire nuit, il y a une légère brume mais vous réussissez malgré tout à discerner un relief montagneux au loin, quelques lumières – une ville sûrement – et même des éoliennes ! Et là, vous réalisez que cette vie qui se déroule à 15 km de là, c’est la Chine. La Chine continentale. C’est même la première fois que vous la voyez d’aussi près. Alors, vous vous retournez, repensez à cette musique que vous venez d’entendre, rejetez un oeil à ce village terriblement méditerranéen et vous vous souvenez alors que vous êtes à Qinbi, sur l’île de Beigan, dans l’archipel de Matsu, à 250 km au nord-ouest de Taiwan… A mille lieues d’où vous pensiez être un instant.

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A distance du monde

C’est seulement après avoir repris mon souffle, d’abord coupé par l’ascension continue puis par la beauté du lieu qu’elle dévoile, que je laisse remonter une vieille antienne à la surface : quelle perception du monde et des autres peuvent – ou veulent – avoir des personnes ayant décidé de vivre – certes ensemble mais en comité restreint – dans des endroits aussi isolés du monde et des autres, et aussi difficilement atteignables ?

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Pour vivre heureux...

Avez-vous complété cette morale en votre for intérieur ? L’avez-vous confrontée à l’impudeur sans pareil dans laquelle peut nous plonger, parfois contre notre nature même, le monde moderne, tout dévolu qu’il est à la communication instantanée, à la diffusion compulsive de l’information, de cette information qui n’informe plus, à la démonstration, au faire-savoir plus qu’au savoir-faire ? Avez-vous remarqué ce chalet sur la colline, derrière ce bois, préservé des spasmes, bien entendu modérés comparés à ceux d’une mégalopole, du village en contre-bas ? Et savez-vous que cette petite phrase, « Pour vivre heureux, vivons caché » – que nous avons, avec les années, les usages et l’amnésie, totalement déconnectée de son contexte originel – est le dernier vers d’un apologue de Jean-Pierre Claris de Florian – Le grillon – rédigé au 18e siècle, bien longtemps après l’invention de l’imprimerie et bien longtemps avant celle du numérique ? Laissez-moi vous la livrer, car, comme on le dit aujourd’hui, malgré son grand âge, elle reste d’une actualité brûlante :

« Un pauvre petit grillon
Caché dans l’herbe fleurie
Regardait un papillon
Voltigeant dans la prairie.
L’insecte ailé brillait des plus vives couleurs ;
L’azur, la pourpre et l’or éclataient sur ses ailes ;
Jeune, beau, petit maître, il court de fleurs en fleurs,
Prenant et quittant les plus belles.
Ah! disait le grillon, que son sort et le mien
Sont différents ! Dame nature
Pour lui fit tout, et pour moi rien.
je n’ai point de talent, encor moins de figure.
Nul ne prend garde à moi, l’on m’ignore ici-bas :
Autant vaudrait n’exister pas.
Comme il parlait, dans la prairie
Arrive une troupe d’enfants :
Aussitôt les voilà courants
Après ce papillon dont ils ont tous envie.
Chapeaux, mouchoirs, bonnets, servent à l’attraper ;
L’insecte vainement cherche à leur échapper,
Il devient bientôt leur conquête.
L’un le saisit par l’aile, un autre par le corps ;
Un troisième survient, et le prend par la tête :
Il ne fallait pas tant d’efforts
Pour déchirer la pauvre bête.
Oh! oh! dit le grillon, je ne suis plus fâché ;
Il en coûte trop cher pour briller dans le monde.
Combien je vais aimer ma retraite profonde !
Pour vivre heureux, vivons caché. »

J’ajouterais simplement que, contrairement à ce que suggère cette fable, même le grillon a du talent. Un talent discrètement enchanteur

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Vous l’avez entendu ? Le train ? Un son assourdissant de ferraille bringuebalante lancée à toute berzingue sur cette ligne La Spezia – Monterosso jouant les passe-muraille avec la montagne. Dites, vous l’avez vu ? Le train ? Sortir du tunnel tout proche pour mieux s’engouffrer dans le suivant. Sans s’arrêter ni même ralentir. Comme si cette gare-là n’existait pas. Comme s’il n’avait jamais été question d’y marquer une pause. 3 secondes. Cela n’a duré que 3 secondes. Trois secondes d’appel d’air qui n’ont presque pas fait ciller les candidats au voyage sur le quai. A peine un léger mouvement de recul au début, par surprise.

Je les ai entendues régulièrement ces trois petites secondes ces jours-là. Depuis les hauteurs. Comme un cri dans la ville. Et dès la toute première fois, j’ai pensé à Dark City d’Alex Proyas. Dès la toute première fois, j’ai donc pensé à Shell Beach. En 3 secondes à peine, je me suis retrouvée dans la peau amnésique de John Murdoch, sur le quai de la gare de cette sombre, mutante et inquiétante cité où chaque nuit, vacille la mémoire des hommes, cherchant désespérément à la quitter pour rejoindre ce paradis perdu dont il serait originaire, sondant les uns et les autres sur le quai pour savoir comment s’y rendre et constatant, amèrement, alors que chacun s’apprête à lui répondre, que finalement personne ne se souvient. Impossible de sortir de la ville que les trains ne font que traverser à toute berzingue, sans jamais s’y arrêter. Comme si Shell Beach n’était qu’un leurre, une vue de l’esprit… pourtant capable de s’imposer dans un esprit réel. A moins que tout cela ne soit également qu’une simulation…

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Générations

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La nuit est claire

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Jauges équilibrées

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