Photo-graphies et un peu plus…

Les égarés

La tâche n’avait pas été facile, mais Damien avait fini par céder aux exhortations répétées de Nora. Après tout, que risquait-il ?  Un soir, elle était rentrée avec ce large sourire qui clamait qu’elle avait une idée derrière la tête. Souvent, c’était de bonnes idées ; aussi son appréhension avait-elle diminué avec le temps. Cette fois-ci, il s’agissait de les inscrire à une journée « mystère » ! C’était plutôt sec comme information, et annoncé ainsi, cela faisait même un peu pub des années 80 ayant mal vieilli. Comme certains films ou albums de musique adorés à l’époque de leur sortie dans lesquels l’on se replonge des années après sans être pourtant capable de les finir tant ils sont trop emprunts d’un passé qui a définitivement disparu et qui, désormais, apparaît ringardisé.

Bref, Virginie, une amie de Nora, venait de lui parler de la journée « mystère » à laquelle elle avait récemment participé et elle en était encore toute abasourdie ! Elle ne rêvait que d’une chose, en refaire une autre ! Sauf que le règlement intérieur l’interdisait. Tout participant devait en effet attendre 8 mois avant de pouvoir s’inscrire à nouveau. Toutefois, cette durée pouvait être réduite s’il parrainait de nouveaux entrants… Ce qu’elle était en train de faire. Nora s’était contentée de lancer des superlatifs et n’avait pas voulu dire de quoi avait été exactement composée cette journée si spéciale, arguant par ailleurs que cela ne servait à rien car chaque journée était différente et élaborée selon les profils de ceux qui allaient en faire partie. L’important était simplement de savoir que c’était ab-so-lu-ment gé-nial. Il n’en avait pas fallu beaucoup plus pour convaincre Nora.

Et ce mardi matin, alors qu’ils étaient réveillés depuis 32 minutes exactement, ils avaient tous deux reçu un texto énigmatique leur annonçant que c’était le grand jour – ils n’avaient qu’une vague idée de la période jusqu’à lors – et leur indiquant un premier lieu de rendez-vous, sachant qu’ils seraient ensuite conduits collectivement à leur destination finale par les organisateurs. Evidemment, tout moyen d’enregistrement était strictement prohibé. Et si Nora avait parfaitement respecté la consigne, Damien, lui, avait glissé un petit téléphone dans sa poche. Malheureusement, il avait été repéré très rapidement et son téléphone lui avait été confisqué… La seule image qu’il avait pu faire et envoyer à Virginie était celle-ci, alors que tous les participants à cette fameuse journée « mystère » – dont on ne voyait ici qu’une partie – avaient été emmenés en forêt et devaient, avant toute chose, se vêtir d’une combinaison d’un blanc immaculé. Elle n’en saurait de fait pas plus… Et ils n’avaient jamais voulu en reparler après.

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Dans la brume électrique

Cette nuit-là, j’ai cru que j’étais dans un rêve. Le mien qui plus est. Etaient réunis en une même unité de lieu une bonne partie des ingrédients qui captent mon regard et font chavirer mon âme à la fois instantanément et mystérieusement. Car on ne sait pas toujours pourquoi certains scènes nous attirent comme des aimants. Pour ma part, il y a donc la brume, les perspectives, la lumière diffuse, la silhouette – essentielle et même primordiale – qui, idéalement, s’éloigne de moi comme si j’assistais au départ de quelqu’un, sans réellement savoir si je connais cette personne ou pas. Cette nuit-là, à Jiufen, dans le nord de Taiwan, j’avais tout cela en même temps. Et j’aurais voulu que la nuit dure toujours…

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J’exposerai une quinzaine de photographies issues de cette série – « Dans la brume électrique » – avec mon collectif Les 4 Saisons, dans le cadre de l’édition 2018 de Photo Doc., la foire de la photographie documentaire, qui se tient du 4 au 6 mai à la Halle des Blancs Manteaux à Paris. Il s’agit d’une expo-vente, au cours de laquelle je proposerai également des livrets sur Hong Kong, sur Hoï An et sur Hiroshima (en plus de celui sur cette série là).

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C'est la jungle !

Combien de temps, à votre avis, a-t-il fallu à la nature, aux lianes, au lierre rampant et pénétrant pour ensevelir littéralement et faire totalement disparaître cette incroyablement grande bâtisse située en plein coeur de ville, à deux pas de sa mairie, et sans l’intervention d’une quelconque apocalypse, fut-elle environnementale ou économique ? Et quel inextricable et indémêlable imbroglio explique qu’elle soit toujours là, debout, résistante, en cet état d’abandon avancé dont on s’étonnerait moins en pleine forêt, alors que l’on construit tout autour ?

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Les boites mystère

La première boite mystère croisée dans ce parc était seule, isolée, au pied d’un arbre. Je l’ai remarquée immédiatement, la trouvant étrange instantanément. Il y en avait deux autres un peu plus loin de part et d’autre d’un chemin de terre. C’est sûrement à ce moment là que j’ai commencé à m’interroger sur leur fonction, me demandant en premier lieu ce qu’elles pouvaient bien cacher. Des caisses en bois, grises, toutes, ou presque, de taille identique, sécurisées, souvent disposées de façon symétrique et en tout cas, très ordonnée… Ma lente progression dans le parc s’accompagnait, virage après virage, allées après allées, de nouvelles rencontres avec ces boites intrigantes disposées dans des configurations différentes à chaque fois. Il m’a fallu un temps fou rempli de mille questions pour arriver à la conclusion que ces caisses n’étaient pas si mystérieuses et qu’elles n’étaient là que pour protéger du froid hivernal glacial les classiques sculptures du jardin, fragiles même si au coeur de pierre… C’est incroyable comme certaines évidences peinent, parfois, à trouver leur chemin vers la conscience quand celle-ci n’y est pas préparé et cherche plutôt la complexité…

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Spectre dansant

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Ne trouvez-vous pas étonnant voire questionnant d’être systématiquement en mesure d’observer ces traces se croisant à l’infini et serpentant anarchiquement dans le sable encore humide de la marée descendante mais de ne jamais voir celles ou ceux qui les créent ?

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En arrivant là, après avoir été secouée quelques jours dans un bateau traînant une mauvaise réputation de bouchon, au sommet de cette colline au bout du bout du monde, peut-être au bord de la Baie de Londres ou de celle de Recques au Nord de l’Ile de la Désolation, Kerguelen pour les intimes, je me suis dit que les extraterrestres existaient, et qu’un jour de grand ennui comme il en survenait souvent dans le vide intersidéral, ils s’étaient posés sur Terre, échouant malencontreusement sur cette île déserte à cause des mauvais calculs d’un pilote stagiaire sans pouvoir s’en échapper avant 72 heures, et vexés, s’étaient mis à casser des pierres et des pierres, plates, dans le sens de la longueur puis à les lancer le plus loin possible de telle sorte que l’installation finale, recouvrant la verte colline initiale, apparaisse à la fois chaotique et organisée, se disant, assez fiers d’eux-mêmes que le jour où les habitants de cette planète tomberaient dessus, ils n’en croiraient pas leurs semelles, échafaudant aussitôt et pour quelques années encore mille théories pour tenter de déflorer cet insondable mystère de la nature…

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Je ne les retrouvais plus, ces photographies. Enfin, pas celles-ci justement, ou alors, en partie seulement. C’était à une autre époque… Celle où l’argentique était roi, avec ses pellicules et ses délais de livraison. Pas de nostalgie dans ces mots. Simplement, je resitue le contexte. Aujourd’hui, avec le numérique, la notion de pellicule, au-delà de l’objet lui-même, de cette petite bobine à film noir avançant au fur et à mesure que l’on déclenche, est devenue totalement obsolète. Encore que nous pourrions la comparer à la carte photo, dont la capacité est bien plus impressionnante ! Aujourd’hui, si l’on veut faire une photo à 125 ISO et la suivante à 400 ISO avant de revenir à 125 voire passer à 800, il suffit d’aller dans le menu et de choisir sa sensibilité… Simple comme bonjour !

Dans le temps, pas si lointain, ce changement était un peu plus complexe… Il fallait rembobiner la pellicule, laisser la languette dépasser un peu pour pouvoir la réutiliser, bien noter à quelle vue on s’était arrêté sur le métal lui-même, puis installer une autre pellicule dans la boîte à images, faire ses photos et éventuellement, revenir à la première bobine. Cette dernière opération n’était pas sans risque : en réinsérant la pellicule partiellement utilisée dans son habitacle, il fallait en effet tenter de la caler comme la première fois, ne pas oublier de mettre le cache sur l’objectif, veiller à bien compter le nombre de vues déjà faites pour éviter les catastrophes, c’est-à-dire les superpositions indésirables, et déclencher éventuellement une ou deux fois supplémentaire pour plus de sécurité. Malgré toutes les précautions prises et les calculs faits, une surprise était toujours possible…

Il était ainsi tout à fait envisageable que le chiffre noté sur la pellicule, vous indiquant d’une part, qu’elle a déjà été impressionnée, et d’autre part, à quelle vue reprendre, s’efface. La petite bobine en question, pleine d’un passé capturé, retrouvait alors en quelque sorte sa virginité et se fondait dans la masse des pellicules non utilisées. A ce stade, vous ne vous doutiez de rien, même si vous aviez en mémoire ces images prises, que, bizarrement, vous ne retrouviez nulle part. Vous aviez bien ce vague souvenir d’avoir changé de pellicule en cours, mais la bête marquée au bic rouge demeurait introuvable. Peut-être perdue. Fâcheux mais envisageable. Comme il était tout à fait envisageable, à nouveau, que votre main, plongée dans le panier à pellicules en attente de rencontres photoniques, finisse par la saisir et la placer dans cette petite boîte noire convoitée… Un geste totalement innocent, presque naïf. Sauf que les images que vous découvriez n’étaient pas celles que vous espériez. Enfin, d’une certaine manière, si, mais pas de cette façon. La voilà, la pellicule perdue. Les voilà, ces images qui se pressaient à votre mémoire, persuadées d’avoir existé sans pour autant être réellement. Ainsi inextricablement liées à d’autres images, elles n’existeront d’ailleurs jamais pour elles-mêmes. Pour autant, le fruit de cette superposition totalement fortuite d’un ici et d’un ailleurs, est d’une beauté confondante voire troublante… On se perd dans deux univers artificiellement collés l’un à l’autre, prenant vie l’un dans l’autre, créant ainsi une espèce de monde chimérique envoûtant. Comme cette rue pavée, qui, au contact de ce jardin africain, se transforme en muret qu’elle n’est pas. Comme cette main délicatement posée sur un rideau qui se mue pourtant en pelleteuse inquiétante. Comme cette ruelle parisienne qui vient fendre en deux cette bâtisse couleur crème. Comme, enfin, cette silhouette solaire qui semble se reposer sur le feuillage d’un grand arbre poussant horizontalement… Ces images-là, et les autres, je n’aurais jamais pu les imaginer. C’est le hasard qui l’a fait pour moi. Et au final, n’est-ce pas lui, le créateur ?

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Cet arbre n’existe plus. Avec ses voisins, ils ont été coupés et remplacés par de frêles arbustes qui ont probablement eu froid cet hiver. Je me demande bien ce qu’il a pu devenir. Si cela n’avait tenu qu’à moi, je l’aurais gardé. Car, malgré les apparences, cet arbre n’est pas le fruit d’un montage numérique… Il était non seulement réel, mais aussi bien vivant ! J’ai tout envisagé : de la colle à bois, une bonne blague des jardiniers de la ville de Paris, les expériences farfelues d’un généticien branché sylviculture chimérique… Pourtant, je ne comprends toujours pas comment cette greffe a pu être possible, permettant à ce spécimen d’arborer chaque printemps de beaux bourgeons et chaque été, d’épaisses feuilles vertes… S’il existait un cirque des arbres, je suis sûre que celui-ci, au charme indéniable, en serait et que les visiteurs se presseraient pour lui murmurer quelques secrets à l’écorce avec l’espoir qu’il leur livre le sien !

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J’ai appris un nouveau mot aujourd’hui : DITO. En majuscule. Pour dire idem et éviter de répéter quelque chose qui vient d’être dit. Sitôt cette définition absorbée et sans que la raison de la connexion à venir se présente spontanément, cela fait TILT. En minuscule, ça marche aussi. Ce « dito » utilisé ici dans un contexte professionnel me ramène des années en arrière, dans une salle obscure, devant le film de Jerry Zucker, Ghost, dont la musique de Maurice Jarre hante encore l’esprit des âmes sensibles…

Ghost qui a donné, à tous ceux qui l’ont vu, une toute autre image de la poterie, nous a fait aimer les lofts new yorkais, interpréter les courants d’air différemment, et voir d’une toute autre manière les personnes s’approchant d’un peu trop près des trains qui passent sans s’arrêter… « Delo », c’est ce que j’entendais dans la bouche d’une Molly larmoyante, comme réponse de Sam à ses « Je t’aime ». Rappelez-vous, tout l’enjeu du film était dans ce fameux « delo ». J’avais bien saisi le sens de ce mot indéfini mais son origine m’échappait. Et pour cause, Sam ne disait pas « delo » mais « ditto » (on double le t en anglais et on minuscule). « Ditto » dit très rapidement, à l’américaine parfois hollywood chewing gum, sonne comme « delo ». D’où l’amalgame. Vérification faite – requête sur ditto + ghost – et le mystère oublié pendant des années est résolu ! Voilà qui dégagera peut-être un peu d’espace dans mon hippocampe bien nourri !

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