Cela m’a fait l’effet d’un puissant flash de lumière blanche, aveuglant et soudain qui, en une fraction de seconde, a fait disparaître ces scènes vaporeuses qui s’enchaînaient naturellement en moi, que j’observais inconsciemment avec bienveillance et dont j’attendais la suite avec une impatience incroyablement réelle : j’allais enfin savoir si c’était vraiment une baleine qui s’était échouée là sur la plage et allaient-ils réussir à la remettre à l’eau ? Mais non, le maître du temps en a décidé autrement : une sonnerie forte et répétitive m’a brutalement extraite de cet univers ouaté qui ne m’avait pas encore livré tous ses mystères. Quelle étrangeté d’ailleurs que le mot réveil commence par « rêve » alors même qu’il les interrompt sans pitié ! J’ai eu beau essayer de m’y replonger, le choc avait été si brutal que tout s’était littéralement évanoui en un clin d’œil ! Je déteste jubjoter* ! D’ailleurs, réveil et rêve devraient se concerter et cohabiter en bonne intelligence pour que le second ne commence jamais s’il y a un risque que le premier se mette à carillonner avant sa fin ! Croyez-vous qu’il existe un endroit, quelque part, en nous ou ailleurs, où les rêves inachevés se terminent ?
* Jubjoter : émerger d’un rêve sans avoir la fin et tenter d’y retourner pour connaître la suite ; in Le Baleinié, dictionnaire des tracas, Christine Murillo et Jean-Claude Leguay
Décidément, la lettre M a du succès côté néophotologisme… Celui-ci est simplissime. Voyez plutôt : la marionnetriste est une marionnettiste qui fait raconter une histoire triste à l’extension qu’elle manipule, et qui, par empathie, ou capillarité, ce qui revient un peu au même, dégage elle-même une certaine tristesse.
Ne trouvez-vous pas que le désert porte bien mal son nom ? Car le désert, celui-là – avec ses reliefs amovibles, ses ondulations charmeuses, ses dunes enchantées, ses crêtes volatiles, sa houle sèche, ses empreintes chargées, sa végétation héroïque – est tout sauf désert. Il est simplement plein d’une vie différente.
Rien de plus banal, en apparence, que des ballons de baudruche… Quel drôle de nom d’ailleurs, quand on y pense, non ? A voix haute, c’est même pire : « bal-lon de bau-dru-che »… A en douter de l’exactitude de l’expression ! La baudruche étant originellement une membrane fine du gros intestin de boeuf ou de mouton, on comprend mieux son extension au ballon en caoutchouc. Mot à la musicalité singulière sur lequel je pourrais également m’étendre, à défaut de me détendre.
Revenons à nos moutons… Un ballon de baudruche donc. La banalité très finement incarnée soit. Belle et festive qui plus est. Ce qui n’est déjà plus si banal. En réalité, contrairement aux apparences donc, un ballon de baudruche, c’est extrêmement sérieux. J’en veux pour preuve la récente étude que leur ont consacré deux chercheurs du CNRS (si, si), qui se sont plus particulièrement penchés – mais de loin tout de même – sur leurs mécanismes d’explosion : il n’y en aurait d’ailleurs que deux, mais je vous laisse lire l’article pour que vous les découvriez par vous même. J’imagine parfaitement les journées d’expérience de ces deux-là : d’abord se faire livrer des centaines de ballons de baudruche, puis les gonfler (on espère, avec une mini-pompe), puis les faire éclater les uns après les autres soit en ne s’arrêtant pas de les gonfler soit en plantant une aiguille à leur surface. Le tout, bien sûr, devant des dizaines d’enfants retranchés dans une salle dotée d’une vitre teintée pensant, à tort, que tous ces ballons leur sont destinés. Ces derniers sont bien évidemment filmés pour les besoins d’une expérience sociologique portant sur l’attente forcée, le phénomène d’anticipation d’une joie et la gestion de la déception face à un objet convoité qui s’envole sous nos yeux chez les moins de 7 ans n’ayant ni frère ni soeur et idéalement monolingues francophones. Je suis d’accord avec vous, quel monde cruel que celui de la recherche ! Au bout de la 247e explosion, leurs collègues, fatigués de sursauter à chaque bang, leur ont aussi demandé d’emménager dans une chambre sourde. Ce qu’ils ont fini par faire (même si c’était quand même bien moins drôle…).
Mais revenons à nos boeufs… Un ballon de baudruche donc. Enfin, juste ceux-là, accrochés à cette maison en adobe hybride. On sent bien qu’ils sont fatigués et qu’ils ne pourront plus exploser dignement. Ce que l’on ne sent absolument pas en revanche, c’est l’effort qu’il a fallu pour les gonfler. Car, et c’est là où je voulais en venir, nous sommes à plus de 4 000 mètres d’altitude… Et à cette hauteur, souffler dans un ballon de baudruche est tout sauf un acte insignifiant…
Avant de commencer, j’appelle un ami : Robert. Il est petit, Robert, mais un peu gros et plutôt lourd quand même. Javel, pas assez loin,longueur, pas assez loinnon plus, nystagmus, il est drôle ce mot, préconiser, trop loin maintenant, peucédan, première fois que je le lis celui-là, c’est quoi ? une plante vivace, peur ! Voilà, peur, c’est le mot que je cherchais. Oulala… Robert consacre une colonne entière à la peur. Les premières lignes en dressent un portrait suffisamment clair que je vous livre : « Phénomène psychologique à caractère affectif marqué, qui accompagne la prise de conscience d’un danger réel ou imaginé, d’une menace ». Viennent les synonymes : affolement, alarme, alerte, angoisse, appréhension, crainte, effroi, épouvante, frayeur, inquiétude, panique, terreur, frousse, trouille… Force est de constater qu’il y a des privilégiés dans la langue française : il est des mots pour lesquels nous disposons de bien moins d’alternatives… Viennent ensuite des citations d’illustres auteurs : « Notre faiblesse principale à nous Français : la peur de s’emballer, la peur d’être dupe, la peur de prendre les choses au sérieux, la peur du ridicule » (Romain Rolland) ou encore « Chez beaucoup de gens l’absence de peur n’est qu’une absence d’imagination » (Théodule Ribot). Théodule Ribot, philosophe, père-fondateur de la psychologie française…
C’est sûrement pour cette raison que la plupart des gens ont peur de se jeter à l’eau au beau milieu de l’océan, tout du moins, là où ils n’ont plus pieds, là où la mer se transforme en une encre noire au fond invisible… Pourtant, à y regarder de plus près, les premières dizaines de centimètres, d’une extrême pureté, sont accueillantes et même très tentantes. Malheureusement, le regard va sonder plus loin, plus en profondeur, et moins il trouve de prise où s’accoster plus il se monte des films, plus il imagine cette obscurité inquiétante remplie de créatures gluantes, vicieuses et carnivores qui s’empresseront d’abord de remonter à la surface pour frôler, puis goûter son propriétaire dès qu’il sera entièrement dans l’eau, hors de portée du bateau, totalement seul au monde, flottant maladroitement dans cette immensité qu’il sera à peine capable de concevoir… Il est vrai que, la plupart du temps, nous – êtres humains – vivons « au bord » et même « sur » quelque chose : le sol. Du sable, du carrelage, du bitume, de la moquette, de l’herbe, de la caillasse, du parquet, du métal, de la terre… Ainsi, nos pieds, alternativement en contact avec ces éléments compacts, nous assurent-ils un rapport au monde emprunt d’une sérénité toute inconsciente. Là, dans l’eau, sans repère, sans prise, sans rebord où les poser, c’est comme faire un saut dans le vide, à la différence près que ce vide-là est plein… Ce qui explique probablement pourquoi ce nageur, certes pourvu d’imagination mais aussi de suite dans les idées, s’est doté d’un masque et d’un tuba afin de voguer là où il n’avait pas pied et ainsi vérifier que ce plein était bien vide malgré tout, pour finalement couper court à toute fantasmagorie, donc peur, et profiter sans crainte de ce retour aux sources…
Il y a titre et titre… Il y a des titres énigmatiques et des titres transparents. Il y a des titres qui nous font comprendre le sens de l’image – qu’il s’agisse d’une photographie, d’un tableau, d’une sculpture, d’une installation, … – et des titres qui nous laissent perplexes – « ah oui, je vois mieux maintenant ! Heureusement que c’est écrit car je n’aurais pas reconnu ! ». Il y a des titres qui nous permettent de dépasser ce que nous voyons, ajoutent une dimension à l’image, et des titres qui ne font que verbaliser ce que l’artiste nous montre déjà. Est-ce volontaire ? Une manière pour l’artiste de pousser le contemplateur à ne se focaliser que sur son œuvre et à faire en sorte qu’il ne soit pas distrait par des mots qui l’emmèneraient ailleurs ? Comment ce dernier choisit-il la nature du titre qu’il va donner à son œuvre ? Est-ce seulement une question d’inspiration ? Et pourquoi existe-t-il des images « Sans titre » ? Est-ce par fainéantise ? – après tout, le mot et l’image sont deux entités bien distinctes – ou, parce qu’elles se passent de commentaire ?
Une journée n’est jamais vraiment finie avant d’être réellement finie, c’est-à-dire, une fois que l’on est bien au chaud sous la couette voire endormi pour une nuit sans sursaut. Hier soir, vers 23h40, je lâche une de mes trivialités préférées dont la maîtrise m’échappe totalement :
– J’ai pas vu la semaine passer, on est déjà vendredi !
– Pas encore ! me rétorque-t-on avec optimisme…
Je pense :
– En même temps, étant donnée l’heure, il ne va plus se passer grand chose maintenant…
Je le pense mais ne dis à voix haute que les premiers mots – « En même temps, étant… » avant de m’autocensurer et de garder la suite pour moi. De crainte, étrange certes, de voir « quelque chose » se produire si j’officialise ma pensée.
Le voyage en métro se passe bien, en compagnie de gens aux petits yeux, pressés de se mettre au lit… Le voyage en métro se passe bien, jusqu’à un certain point. Un point où, alors que la rame entre en station, tout s’arrête. Coupure de courant. Nette. Il est peut-être 00h15, peut-être un peu plus. Et dans l’instant, une ombre se faufile dans l’interstice entre deux wagons, se hisse à hauteur de la porte et entre dans la dernière voiture, sous le regard médusé voire légèrement effrayé des personnes assises dans le sas, pour aller se poser tranquillement sur un siège et se fondre dans la masse comme si tout était normal. Quelques secondes après, le microphone éructe son crachin :
– Le courant a été coupé sur toute la ligne. Il y a une personne sur les voies.
Mais nous sommes un certain nombre – ceux du dernier wagon et une poignée de l’avant-dernier – à savoir que la personne en question n’est déjà plus sur les voies. Cinq minutes passent dans le silence. Puis cinq autres. Les questions intérieures prennent une nouvelle voie…
– C’est normal qu’on s’arrête comme ça ? s’inquiète un type chargé d’un sac à dos et d’une valise.
– Comment ils font pour vérifier qu’il n’y a plus personne sur les voies ? Ont-ils des caméras dans les tunnels ? s’enquiert une jeune femme.
Puis les soupirs se font plus forts même si contenus. Cinq autres minutes passent pendant lesquelles la voix off répète que le courant est arrêté car il y a quelqu’un sur les voies. Oui, mais non ! Il n’y a priori plus rien sur les voies, la personne étant montée dans le train dès le début… Nous attendons donc pour rien et aucun moyen de prévenir le conducteur. La situation est totalement absurde. Je pense bien à écrire la chose sur un papier, pour le montrer à la voiture d’avant etc, mais range mon carnet sûre que tout va rentrer dans l’ordre rapidement maintenant… Quelques minutes passent à nouveau, toujours dans le calme, voire le dépit consécutif à une longue semaine qui a pompé l’énergie de tout le monde. Et puis voilà que cela s’affole dans le wagon mitoyen. Celui où se trouve l’homme. Un voyageur a écrit sur une grande feuille de papier : « La personne est montée dans le train ». J’ai déjà « vu » ça quelque part… Ils nous font de grands signes pour que nous transmettions le message à la voiture 3. Du coup, je ressors mon petit carnet, retranscris la même phrase, traverse le wagon amorphe pour en atteindre le bout. Et colle ma feuille sur la vitre en essayant d’attirer l’attention des passagers de la voiture 3. Une dame me voit, ainsi que mon papier, mais n’a pas l’idée de s’approcher de la porte… Vraiment pas, ce qui me laisse un peu sans voix… Me voyant incrédule, elle se met à parloter à ses voisins, pas bien vifs non plus, qui s’approchent malgré tout… Mon trait est probablement trop clair et peu lisible, même à 40 cm… Ils ne comprennent pas. Une dame vient à mon secours.
– Si certains veulent passer leur nuit là, ça les regarde, mais pas moi !
Nous nous mettons en quête d’un feutre.
– Quelqu’un a-t-il un feutre ?
La question peut en effet paraître bizarre, à cette heure-ci, dans ces circonstances. Mais personne ne fouille dans son sac ! Pour une fois que tout le monde sait ce qu’il a dedans ! En revanche, un monsieur, bien assis sur son strapontin les jambes écartées, dit qu’il suffit de tirer la sonnette d’alarme pour parler au chauffeur. Chose qu’il n’a pas faite et qu’à vrai dire, pour une raison obscure, personne ne fait. Mais, de l’autre côté, le message semble avoir été finalement saisi. Une femme déchire une feuille de papier. Je ne vérifie pas ce qu’elle y inscrit mais j’imagine qu’elle ne va pas communiquer sa recette de la mousse au chocolat à la voiture 2. Je retourne à mon siège en répondant à une interrogation au passage.
– C’était quoi ça ?
– Quoi, le papier ?
– Oui !
J’explique.
– Ah, ok ! dit la dame en jetant un œil au wagon de queue.
Quelques minutes passent encore et un mouvement vague se produit dans la voiture 3. Tous les voyageurs se dirigent vers l’avant. Après 25 -30 bonnes minutes (et pas 1h comme j’ai pu le lire sur un blog) d’immobilisme forcé mais serein (et pas dans le noir et dans l’angoisse comme c’est indiqué sur ce même site) et d’interruption de trafic sur toute la ligne, le métro est évacué par les agents de sécurité. Voiture après voiture, ils font sortir les gens, restés placides du début à la fin, jusqu’au quai qu’avait atteint le wagon de tête. Le téléphone arabe version papier a-t-il fonctionné ? Ou est-on arrivé au bout de la procédure à suivre dans un tel contexte ? Au fur et à mesure que nous remontons les wagons en faisant bien attention au vide, d’autres agents font le chemin inverse. Certains avec des chiens… Allez, une petite dizaine de personnes au bas mot, l’air bien remonté, pour aller cueillir le perturbateur. Difficile d’anticiper une réaction a priori aussi démesurée. Que s’est-il ensuite passé dans cette voiture 5 quand ils en ont ouvert la porte ? Comment ont-ils fait pour savoir qui était le responsable de cette pagaïe de fin de journée ? Comment ont réagi les passagers ? Et l’homme, dont nous n’avions vu que le dos, qu’a-t-il fait ? Autant de questions emportées par le froid en sortant du métro pour une promenade nocturne, histoire de bien finir la journée… Réellement.
En pratique, toutes les photos figurant sur ce site sont en vente. N'hésitez pas à me contacter pour plus de renseignements !
Un tour du Soleil en duos : 6e année en cours
Pour (re)découvrir en un clin d’œil et sur une seule page les micro-histoires photographiques publiées en ces lieux virtuels :
- entre le 22/02/2010 et le 22/02/2011, voici Un tour du Soleil en duos…
La vie de chaussure n’est pas toujours une succession de pas tranquilles… J’oserais dire que tout dépend des pieds qui sont dedans et de la personne à qui ils appartiennent… La chaussure et le pied, c’est un peu comme un vieux couple. D’ailleurs, « avoir trouvé chaussure à son pied » a un véritable sens hors du […]