Photo-graphies et un peu plus…

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Ça y est, j’ai fait mon premier rêve de confinement. Enfin, c’est ainsi que je l’ai interprété. Je ne l’ai pas noté en me réveillant et maintenant que je cherche à m’en souvenir, les détails m’échappent comme du sable sec et chaud glissant entre mes doigts. Pas de problème respiratoire ni d’invasion d’arachnides mais je me souviens parfaitement qu’après avoir rencontré une ancienne camarade de fac – que je n’ai pas vue depuis des années mais avec qui j’ai échangé des mails sur mon voyage en Nouvelle Zélande avant de partir –, je ne retrouvais plus ma voiture – dans la réalité, je n’en ai pas. J’avais beau faire et refaire le tour du quartier où nous étions, aucun indice quant à l’endroit où je l’avais garée ne me revenait à l’esprit. A fortiori, je ne pouvais pas quitter la ville, j’étais coincée, ou retenue, dans son dédale de rues. Un rêve d’empêchement en quelque sorte. J’ai connu des songes plus mystérieux, mais celui-ci a eu le mérite de me faire sourire. Et d’être juste. En effet, cette interdiction de se déplacer librement, au-delà du kilomètre pour encore 11 jours puis, à partir du 11 ou 12 mai, au-delà de 100, est sans doute ce qui, symboliquement, intimement et toutes proportions gardées, préoccupe le plus la fourmigratrice que je suis. Et ce, même si je n’avais pas prévu de repartir à l’autre bout du monde le mois prochain ni même ailleurs – sauf, bien sûr, pour aller voir mes parents chéris et peut-être commencer à explorer des territoires d’accueil. C’est purement psychologique et cela ressemble à s’y méprendre à ce que j’évoquais au 8ejour de mon confinement à Wellington où j’avais eu une très temporaire montée de claustrophobie, alors même que j’étais plus libre de mes mouvements qu’ici finalement. Preuve que, malgré tout, c’est pas si pire, comme disent nos amis québécois. Par ailleurs, les moyens – naturels – de s’affranchir des limites et frontières de son propre corps sont nombreux.

Revenons, pour l’instant, aux rêves que nous connaissons sans doute mieux que les autres états modifiés de conscience. Il paraît que le confinement – engendrant naturellement son lot d’anxiété, de stress, de sentiment d’isolement, de perte de contrôle, de questionnements sur le devenir de notre société et sur soi, passé, présent et futur inclus – est allé s’implanter jusque dans nos rêves. Que les témoignages de rêves ou cauchemars plus étranges, plus intenses, plus nombreux que d’habitude se multiplient ces dernières semaines alors même que nos journées sont moins denses, en tout cas géographiquement et dans nos interactions physiques, matérielles, avec les autres. Quoi de plus logique si l’on admet que les rêves nous aident à traiter ce que nous vivons pendant la journée, en particulier à gérer le stress et les émotions qu’elle peut avoir produits, en plus d’inscrire certains faits dans notre mémoire à long terme. « Nos rêves étranges sont le sommet de l’iceberg psychologique. Qu’on le veuille ou non, nous prenons aujourd’hui part à une gigantesque expérience sur les effets d’un accroissement du stress associé à une réduction drastique des contacts sociaux » annonce ainsi Mary-Ellen Lynall, neuroscientifique et psychiatre de l’université de Cambridge, spécialisée dans les interactions entre le système immunitaire, le cerveau et le comportement (1).

Ceci dit, comme souvent, les scientifiques ne sont pas unanimes sur la fonction des rêves. Ainsi en est-il de l’ethnopsychiatre Toby Nathan qui pense, quant à lui, que le rêve joue un rôle essentiel de « brainstorming installé au cœur de la nuit, qui nous permet de trouver des solutions inattendues, d’inventer, de nous renouveler » (2). Et de poursuivre : « Des expériences ont montré que le rêve ne sert ni à fixer la mémoire, comme on l’a longtemps cru, ni à évacuer les tensions de la journée » mais qu’il « contribuait puissamment à la résolution de problèmes ou d’énigmes posés au rêveur avant son sommeil » (2). Là où certains voient le rêve tourné vers le passé, lui le projette dans l’avenir. En lisant cette définition, je repense à toutes les impasses mathématiques et physiques sur lesquelles je m’endormais, étudiante, qui, comme par miracle, n’en étaient plus au réveil…

Dans un registre plus calendaire, aujourd’hui, c’est le Premier Mai. La Fête du Travail. La Journée internationale des travailleurs. Un rendez-vous citoyen, syndical, collectif et surtout physique que le confinement actuel contraint à une certaine virtualité, alors même que les protestations populaires n’ont jamais été aussi nombreuses – et réprimées – dans le monde avant le début de cette année en 20. Dans mon périmètre de sécurité, à l’occasion de ma séance quotidienne d’activité physique (youhou !), j’ai pu observer la multiplication de banderoles chargées de revendications – des plus locales : « Stop au béton ! Vive les arbres ! », aux plus générales : « De l’argent pour notre hôpital, pas pour le capital », « Merci ! » – accrochées aux balcons ou fenêtres. A chaque fois que je vois les gens s’exprimer par cette voie là, à la fois permanente et non incarnée, je repense aux rues de Berkeley, en Californie, que j’ai côtoyées plusieurs semaines il y a une dizaine d’années.

La ville est connue pour sa prestigieuse université, la deuxième plus ancienne du pays après Harvard, dont le campus à lui seul donne envie d’être étudiant à vie. Génies et autres esprits libres y convergent depuis des décennies – 65 prix Nobel dans ses rangs, des Pulitzer, des Oscars… –, avant de faire rayonner leurs idées dans le reste du monde. Haut lieu historique de la contre-culture américaine, pacifiste – les premières manifestations contre la guerre du Vietnam sont nées dans ses artères –, Berkeley a vu s’épanouir, dans les révolutionnaires années 60, le Free Speech Movement, prônant notamment la liberté d’expression politique des étudiants, et, dans la foulée, a vu fleurir les hippies par milliers.

Auréolée de cette tradition libertaire et de cet esprit contestataire incarnés par la chair en mouvement, même un demi-siècle plus tard, je m’imaginais donc la ville grouillante, palpitante, active sur tous les fronts, revendicative, engagée. J’avoue avoir donc été assez surprise, en errant plusieurs jours d’affilée dans les rues adjacentes au campus, certes assez cossues, de ne croiser quasiment personne. Physiquement j’entends. Point de regroupement ni de manifestation non plus. En revanche, assez rapidement, j’avais relevé la présence de pancartes plantées dans des jardins, d’affiches glissées derrière des stores, de calendriers politiquement étiquetés placardés aux vitres, de dessins fixés aux fenêtres, de banderoles accrochées aux perrons et façades des maisons. Autant d’appels à la paix, au dépôt des armes, au vote Obama, à la tolérance… Absents des rues, les habitants de Berkeley annonçaient malgré tout la couleur. Défiler dans ses paisibles avenues devenait un festival de revendications silencieuses en tous genres.

Le contraste avec la façon dont chacun exprimait ses idées et ses convictions en France m’avait alors sauté aux yeux, et illustrait parfaitement la différence de conception entre ce qui relève des sphères publique et privée de part et d’autre de l’océan, voire d’un monde à l’autre. Car avez-vous souvent vu ce type d’expressions aux fenêtres de vos voisins ? Connaissez-vous leurs idées politiques, leurs combats, leurs engagements ? Là où, là-bas, et sans vouloir faire de généralités, on semble préférer s’exprimer individuellement, solitairement, sans se montrer, ici, on se présente collectivement, solidairement, à visage découvert pour s’exprimer avant de tout ranger et de regagner nos antres, d’où, a priori, rien ne s’échappait… Jusqu’à il y a quelques semaines, mois ou poignées d’années (j’ai en mémoire une innocente balade dans le 16e– vous me direz que je l’ai cherché – et à Montmartre aussi, avec une foule de drapeaux à la « famille parfaite » flottant au vent qui m’avait particulièrement refroidie).

Ainsi, le confinement (en plus de poser une foule de questions sur la définition même du travail, sur les façons alternatives de travailler et même sur les alternatives au travail tel que nous le concevons classiquement, avec tout d’un coup l’émergence de travailleurs dits essentiels, de première ligne – des femmes en majorité – sur qui tout repose depuis des semaines alors même qu’ils sont systématiquement dévalorisés et dénigrés en temps « normal », avec l’essor du télétravail pour certains mais aussi de questionnements quant à notre utilité sociale lorsque, finalement, nous réalisons que ce qui nous occupe 8h par jour, 5j par semaine n’apporte rien d’indispensable à la société), ce confinement qui aurait aussi pu être un musellement a incité à utiliser d’autres façons de s’exprimer et de partager ses revendications à l’instar des nombreuses caricatures, dessins, bandes dessinées, chansons qui ont circulé sur les réseaux sociaux via les amis de mes amis de mes pas amis pour résumer la situation en temps réel, des manifestations virtuelles et de carton, des concerts de casseroles, des parterres de chaussures vides… Ou encore, avec une autre dimension, les balconnades de 20h, qui, outre un merci envoyés aux travailleurs confinés, sont aussi, comme me le rappelait un très amical voisin, une façon de fusionner nos solitudes de jour et d’être ensemble quelques instants. Cela n’a certes pas le goût des pavés – pour ceux qui les arpentent habituellement – mais c’est ne pas rien !

(1) https://www.courrierinternational.com/article/sommeil-pourquoi-nos-reves-confines-sont-si-riches
(2) https://www.franceculture.fr/emissions/le-journal-des-idees/letoffe-des-reves

 

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Des poètes en pagaïe

« Un poète doit laisser des traces de son passage, non des preuves. Seules les traces font rêver. » En découvrant ces mots de René Char extraits de son recueil de poèmes « La parole en archipel », je pense immédiatement à cette photographie prise cet été après une petite journée à arpenter – avec des dizaines d’autres personnes – les dunes de Tottori au Japon, celles-là même qu’avaient sublimé Shoji Ueda en son temps. Je revois ces traces globalement droites striant cette masse sableuse, me faisant dire que ceux qui les ont faites étaient en phase descendante plutôt que montante, et je réalise que, faute de repère contextuel, un arbre, un être humain, une voiture, il est presque impossible d’en deviner la taille réelle. 10 mètres, 50 mètres, 100 mètres, plus encore ? Et je me dis, qu’en fait, il pourrait tout aussi bien s’agir de traces de scarabées… qui n’en seraient pas moins des poètes pour autant, nous rappelant à l’envi que leur absence porte les stigmates de leur présence.

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Photo volée

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Rite de passage

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