Inutile de vous frotter les yeux, cela ne vient pas de vous, même si vous n’êtes peut-être pas encore complètement réveillé ou si vous n’avez toujours pas chaussé votre paire de lunettes. Cela m’arrive parfois… De faire volontairement des photos floues – ce qui est différent que de savoir qu’une photo va être floue avant même de la faire comme j’ai pu l’exposer récemment dans Précis d’imprécision. Ces flous voulus, je ne les double pas systématiquement de leur version nette. Pourtant, rien de plus simple aujourd’hui avec les logiciels de retouche que de le faire a posteriori. Il s’agit donc là d’un vrai choix. Une simple illustration, à mes yeux, de la vie de myope non équipé (avant 1440 donc) et de la distorsion avec laquelle il perçoit alors son environnement.
Pourtant, cette fois-là, j’aurais peut-être mieux fait de céder à la netteté. J’aurais certainement fait des heureux… Quelques minutes après avoir pris la photo de cette jolie famille en train d’être photographiée, certainement après ce que l’on imagine sans peine être un mariage, tardif par ailleurs, un homme s’est en effet approché lentement mais sûrement du photographe officiel. Ils ont parlementé quelques minutes à l’issue desquelles j’ai vu le photographe, dépité, se pencher vers son boîtier pour effacer une à une toutes les photos qu’il venait de prendre, sans autorisation manifestement, devant le très populaire Musée de la Motown où l’on ne badine pas avec le droit d’auteur…
Question bête et un rien moqueuse, mais la perche était largement tendue : ces parents, que j’ai vu se croiser à un carrefour, s’échangent-ils aussi, comme les motards aux feux rouges à propos de leur fidèle destrier, de précieuses informations sur leurs modèles respectifs sans se connaître pour autant : taille, âge, options je-commence-à-marcher, je-suis-encore-trop-petit-pour-intéresser-les-autres (celui à gauche par exemple, abandonné dans son coin sous son bonnet et sa couverture d’appoint), mes-dents-poussent ou encore je-dis-quelques-mots-et-d’ailleurs-j’en-profite-pour-te-signaler-que-j’en-ai-marre-que-tu-me-pinces-les-joues-et-que-tu-t’extasies-devant-moi-un-peu-de-tenue-tout-de-même (celle à droite par exemple dont on devine le regard dubitatif) ?
Plutôt que d’immortaliser le contre-champ, c’est-à-dire l’objet de l’attente de ces dizaines de personnes, j’ai préféré saisir la singularité de l’attente elle-même, en particulier ces petits êtres colorés savamment dispersés sur ce granite rose taillé au couteau, jusqu’à en oublier l’objet lui-même… Le plus intéressant n’est pas systématiquement là où les regards convergent.
Il y a 20, 30 ou 40 ans, je ne sais plus trop bien, j’ai, pour la première fois, posé le pied dans une école. J’y ai appris beaucoup, notamment que ce que j’allais faire serait désormais jugé et évalué par des personnes qui en savaient plus que moi et que je devais respecter : mes institutrices/teurs et plus tard, mes professeures/rs (même si, à l’époque, un professeur, même femme, restait au masculin… la grammaire grand-mère). Tout cela se matérialisait par des notes, sur 10, sur 20, sur 50. Des chiffres. Plus le travail fourni était bon, c’est-à-dire en adéquation avec ce qu’en attendaient les sachants, plus la note était élevée, et plus grande était la satisfaction de l’apprenant et de ses parents (sans que je sois réellement certaine de l’ordre dans lequel les citer). Avec une bonne dose de bonnes notes, on avait même des bons points, des images, des tableaux de satisfaction voire d’honneur (la classe ultime !). C’était un peu la consécration, même si, au fond de nous, élèves, nous détestions ce système de notation, stressant, discriminant sur un seul critère (évidemment, j’en avais différemment conscience à 7 ans). Car dès le plus jeune âge, on nous apprenait que le monde était scindé en deux : les bons, avec les bonnes notes essentielles pour avoir une belle vie plus tard, faisant la fierté à la fois des parents (c’est mon enfant !) et des maîtres (c’est mon élève !), et les mauvais, avec les mauvaises notes donc, la risée de la classe parfois, le problème des parents (qu’est-ce qu’on va bien pouvoir en faire ?) et les oubliés des professeurs (je n’ai pas le temps de passer autant de temps avec toi). Autant dire que lorsque tout ce cirque, qui a fini par déteindre sur nous, s’est arrêté, des années plus tard donc, le soulagement était au rendez-vous. Enfin « libéré » des notes, des bulletins et autres appréciations parfois lapidaires…
Et bizarrement, le monde moderne a créé les réseaux sociaux, auxquels des centaines de millions de personnes dans le monde ont adhéré, adoptant, du même coup, son cortège de like, de pouces levés, de « + », de partage et autres, en somme, son propre système de notation, au véritable rôle masqué par une nomenclature amicale. Un système que nous avions pourtant réussi à quitter il y a quelques années. Car, soyons francs, plus de personnes plébiscitent un propos, une image, une vidéo, un statut, un lien, un contenu donc, quel qu’il soit, plus son émetteur est heureux. Un bonheur qui atteint son paroxysme quand la notification s’accompagne d’un commentaire personnel. Comme l’était l’enfant ramenant un 8/10 en mathématiques et son TB de son instit… Les animaux sociaux que nous sommes devenus aiment qu’on aime ce dont ils parlent. En cela, le réseau social m’apparaît comme un milieu régressif. Régression à laquelle je participe moi-même : sous chaque article de ce site, il y a un petit cœur et un « + » juste à côté, invitant les lecteurs ayant aimé ce qui précède à le faire savoir en cliquant dessus et donc, en faisant monter la « note » de l’article en question. Oui, oui, il sert à ça, ce cœur… Et je me surprends à claironner : « Mon mot du jour a 8 « + » ! ». Une vraie fierté, et sincère en plus ! Comme si la communauté virtuelle et partiellement anonyme m’avait accordé une bonne note. Comme à l’école. A ceci près que là où, plus jeunes, seuls nos enseignants, ceux qui savaient donc, étaient habilités à nous estimer, à nous juger, aujourd’hui, tout le monde, au sens propre, peut le faire. Et c’est même nous qui le leur demandons ! Voilà que nous avons érigé en norme ce que nous avons autrefois rejeté… Est-ce du sadomasochisme ou simplement notre nature ?
La lecture des magazines distribués dans les cinémas, pourtant très consensuels, fait parfois faire des bonds. Le dernier en date est provoqué par une banale brève sur une colonne de droite. On y comprend, à la deuxième lecture car ce n’est pas très clair, ou plutôt, on a du mal à y croire, qu’une banque de sperme américain(e) propose à ses clients (femmes célibataires et couples stériles) de la matière première issue de sosie de stars… Garantie sans trucage. Et que, dans le casting de sosie de sperme proposé, c’est celui de Ben Affleck qui est le plus demandé. Lui ou un autre, en réalité, peu importe. C’est l’absence de maturité des futurs parents qui me fait d’abord sursauter. Jusqu’où peut aller la bêtise humaine ?
Car, en regardant leur enfant grandir, ce n’est pas vraiment lui qu’ils regardent. Mais le petit, qui n’a rien demandé évidemment, sensé de plus en plus ressembler à Ben Affleck, ou n’importe quel autre acteur. C’est cela qu’ils vont scruter chaque jour. Et si jamais le petit ne ressemble pas à Ben Affleck, ou n’importe quel autre acteur, qu’adviendra-t-il ? Les parents auront-ils l’impression d’avoir été trompés ? Seront-ils déçus ? Iront-ils rendre leur fils à la banque de sperme ? Et lui, comment vivra-t-il le fait d’être aimé pour ce à quoi il ressemble et pas pour ce qu’il est. Evidemment, l’un n’empêche pas l’autre. Mais lorsque l’on fait ce choix de sperme, il faut s’attendre à tout… Les relations parents-enfants ne sont sûrement pas suffisamment complexes. Un coup marketing qui en dit surtout long sur l’aura de ces étoiles filantes.
Il y a quelques années, ce n’est pas une belle gueule que les parents ne pouvant avoir d’enfants naturellement cherchaient, c’était une tête bien pleine. L’exemple le plus significatif étant la banque de sperme de prix Nobel, d’artistes et d’hommes d’affaires créée par Robert Graham dans les années 1980 (et qui a inspiré le film Jumeaux d’Ivan Reitman, posant d’intéressantes questions sur l’eugénisme. Si, si…). Dans les faits, seuls trois (vieux) prix Nobel y ont participé, mais leur semence n’était pas suffisamment alerte pour aller plus loin que l’éprouvette. Intelligence versus beauté… L’éternel (et stupide) dilemme. Sinon, la société californienne rechercherait le sosie de George Clooney. Donc, si vous aimez le café, n’hésitez pas à les contacter ! What else ?
… ou l’installation d’une éducation à au moins deux vitesses. Papa et fiston en culottes courtes sur de petites voitures en pleine rue, à pédaler comme deux copains venant de fuguer pour mieux profiter du présent. Maman et fillette – et encore, c’est un grand mot vu son petit âge – en tenue de ville bien concentrées devant un ordinateur à préparer l’avenir !
Deux images de la parentalité diamétralement opposées, capturées dans la même journée. Deux images stéréotypées bien sûr, caractéristiques des rôles inconsciemment (ou naturellement) dévolus aux hommes et aux femmes mais aussi symptomatiques d’une société qui évolue. Une société dans laquelle les hommes se reposent sur leurs acquis compulsés des siècles durant, tandis que les femmes vont de l’avant pour se démarquer et réussir à s’imposer, par l’esprit, dans un monde massivement régenté par la testostérone… Oui, oui, c’est de la provocation ! On est d’accord, mais ce sont les images qui la font alors !
D’où nous vient cette habitude de regarder les bateaux passer, en particulier sous les ponts ? Combien de promeneurs, en en voyant un s’approcher, interrompent leur marche, s’arriment à la balustrade, penchent légèrement la tête et filent, sans s’en rendre compte, vers une rêverie solitaire inspirée par le seul glissement cahoteux du vaisseau sur l’eau et les conduisant de l’autre côté du rivage ? Il n’y a pourtant rien, de prime abord, d’extraordinaire dans la scène.
Réminiscence de la petite enfance peut-être ? Dès le plus jeune âge en effet, les parents prennent soin de s’arrêter net dès qu’un bateau passe : « oh, regarde le bateau sur l’eau! » disent-ils à leur progéniture en suivant le bateau du doigt. Même initiative dès qu’un train passe : « oh, regarde le train qui arrive ! » en le suivant du doigt ou dès qu’un avion passe : « oh, regarde l’avion là-haut » en le suivant aussi du doigt… C’est très important de savoir suivre du doigt un objet qui bouge ! Bref, un apprentissage méthodique de la spatialisation et de la richesse des modes de transport ! Vraisemblablement quelque chose qui s’inscrit dans notre cerveau reptilien (oui, oui, c’est exagéré) puisque, des années après, on se retrouve, parfois très pressés pourtant, à faire une pause sur les ponts afin de voir parader des inconnus bienheureux. On imagine alors leur vie, on se demande d’où ils viennent, et puis on finit par penser que l’on aimerait bien, aussi, être dans un bateau, un train, un avion pour rendre visite à l’ailleurs…
En pratique, toutes les photos figurant sur ce site sont en vente. N'hésitez pas à me contacter pour plus de renseignements !
Un tour du Soleil en duos : 6e année en cours
Pour (re)découvrir en un clin d’œil et sur une seule page les micro-histoires photographiques publiées en ces lieux virtuels :
- entre le 22/02/2010 et le 22/02/2011, voici Un tour du Soleil en duos…
Une fois n’est pas coutume, je commence par le texte car ce qui suit devrait être un joyeux bazar. Tout comme le sont certains étals de vide-grenier amateur, où l’on trouve tout et souvent, n’importe quoi, parmi lesquels des objets dont nous voudrions nous-même nous débarrasser s’ils nous appartenaient. Et que nous sommes pourtant prêts […]