Photo-graphies et un peu plus…

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Cette injonction, nous la lisons et l’entendons tous les jours dans les news locales depuis l’instauration du confinement. « Bubble », c’est doux, c’est plein de rondeurs, c’est rassurant, c’est irisé, ça laisse passer la lumière, c’est protéiforme, c’est magique, on s’y glisse, comme dans une couette en plein hiver, avec la certitude d’être au chaud… Il sonne, en tout cas, mieux à mes oreilles que le terme foyer, qui, d’après le dictionnaire est d’abord le « lieu où l’on fait du feu » avant d’être celui où « vit une famille »… Ce qui, dans le fond, est un résumé aussi cruel que réel de ce qui, malheureusement, se passe dans certaines maisons actuellement.

Face au temps, qui peut-être n’existe pas ou plus (voir un de mes précédents blabla), ce « stay in your bubble » – à la fois humain et géographique puisqu’il inclut les personnes avec lesquelles vous vivez et votre quartier, que vous ne pouvez quitter – redessine totalement notre espace. S’il s’est drastiquement rétréci ces dernières semaines, paradoxalement, j’ai l’impression que les distances n’ont jamais été aussi réelles. C’est-à-dire qu’aujourd’hui, ce qui est loin est « réellement » loin.
L’espèce humaine n’étant pas en mesure d’augmenter la durée d’une journée, elle s’est en effet appliquée à faire ce qui était dans ses cordes pour contourner cette contrainte forte : multiplier ce que nous pouvions faire en un jour. Des gens brillants ont ainsi conçu des machines volant à 1 000 km/h, faisant des bouts du monde des voisins de palier. Aujourd’hui, ces oiseaux de métal étant cloué au sol, les 18 850 km qui me séparent de la France redeviennent une distance infinie, presque une aventure. Sans doute Clément Ader, qui n’avait parcouru que 50 mètres lors de son premier « vol » en 1890 à bord d’Eole, l’engin qu’il avait fabriqué en s’inspirant de la chauve-souris (qui n’apporte donc pas que des virus), ne se doutait-il pas que son invention allait à ce point révolutionner notre appréciation de l’espace, du temps et au final, du voyage.

M’en plaindre serait malhonnête : j’ai beaucoup usé – de l’avion, du train, du bateau, du bus, de la voiture – pour aller découvrir l’ailleurs. C’était ça l’urgence, voir, sentir, toucher le monde avec mes propres yeux (c’est pourquoi je n’ai jamais voulu lire de récits de voyage a priori par exemple, même historiques). Je me disais que si la Terre avait été un point (ce qu’elle est depuis l’espace, ne nous leurrons pas), je serais naturellement restée au même endroit, mais comme c’est une sphère, la parcourir me semblait plus logique. Je l’ai fait instinctivement, selon mes envies, conscientes et inconscientes, et non pas avec un objectif quantitatif…

Voilà qui me renvoie à un après-midi de mai 2017, à Taïwan où j’ai séjourné quelques mois. Direction Puli, au centre géographique du pays, où se trouve l’imposant Monastère bouddhiste Chung Tai Chan. J’envisageais à l’époque de faire un sujet au long cours sur ce lieu organisé tel un microcosme. Des contacts locaux m’avaient permis d’organiser une visite de l’école et du temple. Une nonne (parlant anglais) avait été chargée de me faire découvrir le temple, incluant les étages fermés au grand public. Après m’être brièvement présentée, elle m’avait demandé combien de pays j’avais visité jusqu’à présent. A vrai dire, c’est une question que je ne me suis jamais posé. « Je ne sais pas » lui avais-je donc répondu, ajoutant que ce n’était pas important, que je voyageais pour élargir mes horizons, aller à la rencontre d’autres cultures, sillonner d’autres paysages, parce que j’étais curieuse… Après coup, j’ai pensé que c’était une question « piège », une jolie façon de sonder la personne que j’étais avant de me guider dans ce lieu sacré, d’une incroyable beauté et dégageant une énergie telle qu’en atteignant et découvrant le dernier étage, j’avais littéralement éclaté en sanglot, prise d’une émotion si forte qu’il m’avait fallu plusieurs minutes – une éternité ! – pour retrouver mes esprits…
Etrangement, plusieurs fois depuis mon arrivée en Nouvelle-Zélande – avant même que le monde ne bascule – et pour la première fois dans ma vie, je me suis dit que c’était peut-être l’un de mes derniers voyages, qu’il était l’heure de creuser un autre sillon… L’avenir nous le dira, aussi incertain soit-il…

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Ce qui s’est passé aujourd’hui vient parfaitement confirmer ce que j’écrivais hier… Ne pas se projeter ! Même à un jour… Nous venons d’arriver à Wellington. Avec 3 jours d’avance donc.

En fin de matinée, après avoir à nouveau parcouru les différents sites officiels (Ambassade de France en Nouvelle Zélande, Immigration, Gouvernement, compagnies aériennes, compagnie du ferry…) et continué à lire les récits de Français tentant, en vain ou à grands coûts, de s’envoler vers des cieux moins cléments mais hexagonaux par les rares voies aériennes encore ouvertes – et où ce sont finalement les mêmes informations qui s’échangent sans que l’on puisse réellement s’empêcher de les lire une énième fois -, nous avons préféré retourner plus rapidement sur l’île du Nord.

Deux éléments déclencheurs à ce twist final : un post évoquant des « rumeurs » de cessation des traversées du ferry entre les deux îles – ce qui compliquerait quand même un chouia la situation – et le discours – quotidien – de la Première Ministre à 12h n’annonçant rien de nouveau mais rappelant que tout pouvait changer du jour au lendemain. Après avoir décidé que le temps de l’errance était vraisemblablement terminé, il nous a fallu quelques minutes de plus pour acheter deux billets pour le dernier ferry du jour – demain, c’était complet et après-demain, un futur trop lointain -, réserver deux nuits à Wellington – et recevoir dans la foulée un mail de l’auberge prévenant qu’elle n’acceptait pas les personnes en quatorzaine -, appeler l’auberge où nous devions passer les deux prochaines nuits pour annuler – comme partout dans le monde, les acteurs du tourisme sont très touchés -, tout mettre dans la voiture – en vrac, nous rangerons plus tard -, puis parcourir les 134 kilomètres – un peu moins de 2h – qui nous séparent de Picton, d’où part le bateau et où nous devons être à 17h40 au plus tard, après avoir, bien sûr, rendu, par anticipation, la voiture au loueur… Ces circonstances exceptionnelles obligent à penser et à agir vite et efficacement. Fort heureusement, nous sommes en phase sur la marche à suivre. Nous quittons donc Nelson comme si nous fuyions une tornade imminente… C’est très étrange de finir ce voyage ainsi.

Nous arrivons en avance au Terminal du ferry. Avec deux sacs à dos de 50 l, un autre de 30 l, deux duvets, une tente et des petits sacs satellites de victuailles et autres ingrédients du quotidien du voyageur autonome. En récupérant nos billets, on nous dit que nous aurons presque le ferry pour nous toutes seules – c’est le milieu du week-end, il est tard, les néo-zélandais préfèrent la lumière du jour. Et pourtant, quand deux personnes – des Françaises dont l’une a réussi à trouver un vol après-demain à Auckland (11h de bus depuis Wellington) pour la Polynésie, où elle vit – se présentent pour acheter un billet, on leur explique qu’il y a de nouvelles restrictions et qu’on ne peut plus leur en vendre. Il leur faudra presque aller jusqu’aux larmes – non feintes – pour obtenir le précieux sésame malgré tout. Cet épisode délicat nous confirme toutefois que nous avons probablement bien fait de nous hâter…

A bord du ferry, il n’y a effectivement pas la foule de l’aller. On ne peut plus payer en cash – pour ne pas faire circuler de pièces -, des agents s’activent à désinfecter en continu les rambardes, fauteuils, tables… Quelques personnes portent des masques, d’autres toussent, certains vont se mettre à l’abri sur les ponts balayés par les vents. Sans être lourde, l’atmosphère est chargée. Comme à l’auberge hier soir ou ce matin. Chacun plongé dans ses questionnements et doutes. Car si, sur nos écrans tactiles, nous voyons défiler la vie de personnes confinées chez elles, ici, la configuration est diamétralement opposée puisque nous sommes tous loin de chez nous.

Je sors prendre l’air et quelques photos. Je sors aussi pour saluer l’île, dont les côtes peuvent être visibles depuis l’île du nord par temps clair. Un rien nous sépare, mais le rien fait parfois une grande différence…

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J’ai beau savoir que je suis l’auteur de cette photographie, et donc que cette scène a vraiment existé, je ne me fais absolument pas à ce tableau ! On dirait même un mauvais montage de deux bouts de photographies prises à des endroits diamétralement opposés du monde. Enfin, pas totalement opposés… D’un côté, le bateau à roues à aubes, que l’on imagine plutôt naviguer sur le Mississippi, crachant sa vapeur blanche dans un ciel bien bleu, Mark Twain, Tom Sawyer et une nature luxuriante compris. De l’autre, une micro-portion de l’immense Port de Hambourg, le troisième européen par la taille, au charme industriel intrinsèque indéniable, ne se mariant malheureusement absolument pas à l’univers dans lequel l’on se projette en voyant l’embarcation… Esthétiquement, c’est une faute de goût difficilement rattrapable !

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Le parfum des parfums

Il y a mille et une façons de savourer un ananas comosus… Ma préférée jusqu’à présent ? S’approcher des abords du Mékong vietnamien, s’installer dans une barque, se faufiler entre les bateaux débordant de fruits et légumes du marché flottant de Cai Rang, en repérer un plein d’ananas, s’en approcher, échanger quelques politesses avec la maîtresse des lieux, se hisser sur le toit de la barge pendant qu’elle en taille un en tranches, se délecter de sa saveur acidulée et de son jus sucré, se lécher les doigts autant que raisonnable, puis redescendre, quasi shootée, sur la frêle embarcation, deux mètres plus bas, pour éventuellement aller voir du côté des ramboutans…

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Montagne d'eau

Ce moment, précédant l’arrivée au sommet, où l’on ne peut pas savoir ce qu’il y a de l’autre côté… Ce qui ne nous empêche pas d’y aller les yeux ouverts.

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La tentation de l'île

Fuir, s’évader, s’éloigner, s’isoler, se sauver, s’éclipser, se retirer de cette obscure et incompréhensible folie humaine, au sommet d’une montagne, au bout d’une vallée, sur une île isolée, pour se détacher de tout, pour se détacher de tous, et vivre enfin en paix (avec soi-même), ce serait humain que de l’imaginer, non ? Oui, même si un peu lâche – ça m’a effleuré l’esprit très récemment -. Mais non en fait, car ce qui fait l’humain, c’est justement sa relation à l’autre. Aristote l’a écrit il y a bien longtemps, dans une galaxie lointaine, très lointaine, et on se le répète à l’envi depuis : « L’homme est un être sociable ; la nature l’a fait pour vivre avec ses semblables ». Certes, il faudrait définir plus précisément la notion de « semblable » et avoir l’esprit très ouvert et généreux, mais sans l’autre, l’homme ne l’est plus. Cette relation, il va donc falloir la travailler au corps encore et encore, et sans relâche.

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La dame du Mékong

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Photophobie radicale

Le négatif a, curieusement, une âme de vampire : il vénère l’ombre de sa cartouche opaque et le dos bien hermétique d’un appareil photo ; en toute logique, il ne supporte pas la lumière, directe ou pas, et se consume irréversiblement à son contact… Aussi, lorsque, par accident ou mégarde – une erreur de manipulation, un choc brutal… -, celle-ci réussit à se faufiler jusqu’à lui à une vitesse telle que toute réaction humaine est malheureusement vaine, toutes les formes, toutes les histoires, tous les regards, tous les événements qu’il a au préalable pu capter – de la lumière, pourtant – se teintent d’un rouge-orange vif avant de disparaître pour toujours comme s’ils n’avaient jamais existé et que le monde s’arrêtait là, net…

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Pète-au-casque

Certains prétendent que l’on ne rentre jamais vraiment indemne d’un hivernage d’un an, loin de tout, sur une petite île perdue au milieu de l’océan, à croiser les mêmes personnes chaque jour ou presque, par ailleurs bien moins nombreuses que les populations de manchots, d’éléphants de mer et d’otaries, les vrais locataires terrestres du caillou. Sans doute n’ont-ils pas entièrement tort…

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Croiser une personne nous annonçant qu’elle en connaît une autre – de près, de loin – ayant exactement les mêmes nom et prénom que nous, ou que, pas plus tard qu’hier, elle en a  vu une nous ressemblant comme deux gouttes d’eau – expression propre aux pays non touchés par la désertification -, ou apprendre que nous avons au moins un homonyme dans notre propre ville et que nous partageons le même ophtalmologiste, ou pire encore, se retrouver face à lui – l’homonyme – provoque, assurément, une secousse tellurique très intime inversement proportionnelle à la fréquence de ce qui sert communément à nous nommer, et donc à nous désigner, depuis notre naissance. Sans doute, les Marie Martin, cumulant à la fois les prénom et nom les plus répandus en France depuis les années 60, réagissent-elles plus sobrement en effet qu’une hypothétique Noélyne Pourbaix-Lerebourg…

Tout d’un coup, nous réalisons, si la vie ne s’en est pas chargée plus tôt, que nous ne sommes pas uniques, que des gens, de parfaits inconnus aux mœurs peut-être, que dis-je ?, certainement, radicalement différentes des nôtres, répondent aux mêmes injonctions que nous, en dépit du sens commun et de ce qui s’échange sur la portée des prénoms choisis ; que des sosies se baladent librement sur Terre sans que nous ayons vraiment conscience de leur existence et de leur nombre, ni planifié de les rencontrer un jour… Pour autant, et nous le comprenons assez vite heureusement, ces doubles, fantasmés ou pas, n’en sont pas vraiment. Notre unicité est sauve ! Un peu comme avec les premières dix images de cette série à double fond, pur exercice de mathématique combinatoire à la difficulté croissant avec la pratique photographique, images souffrant de ce que nous pourrions appeler « photonymie », dont les formes les plus avancées conduisent inexorablement à des rencontres fusionnelles aussi étonnantes que foisonnantes entre des lieux, des moments, des personnes qui ne se sont évidemment jamais réellement croisés ailleurs que dans mon passé.

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