Photo-graphies et un peu plus…

Aux abois

La nuit, je déambule dans leurs rues, où qu’elles soient, et je ne peux m’empêcher de laisser traîner mon regard ça et là, de l’autre côté de ces parois éclairées où se débattent les vivants, absents et présents en même temps, un peu comme la lumière, à la fois onde et corpuscule. La nuit, ce sont les murs qui me font des confidences, parfois étranges, comme ici. J’imagine un fauteuil, ou mieux, un canapé. Il est en velours. Ambré. Et face au mur. Je l’imagine, elle ou lui, assis ou assise, à lire ou feuilleter un magazine. Et je me demande comment elle ou lui réussit à faire abstraction de cette présence animale inoffensive et tronquée qui la ou le fixe sans se lasser avec ses yeux de verre ouverts de jour comme de nuit, et qui rappelle à chaque instant que sa vie faite de nature et de liberté, celles-là même qui venaient s’imprimer à l’envers sur ses rétines, a été outrageusement écourtée pour qu’elle ou lui puisse faire le paon dans son salon…

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Dédale de métal

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Le miroir magique

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Fichier introuvable 2

Comment ça, « zéro élément » ? Il n’est pas censé y avoir « zéro élément » dans ce dossier ! Dans ce dossier, je devrais trouver au moins 150 éléments. Où sont-ils ? Recherche. Rien. Recherche. Rien à nouveau. Recherche de plus en plus agitée. Rien, toujours. Je retourne encore tout dans tous les sens. Rien, définitivement. Le dossier est vide. 150 photos fraîchement prises, envolées. Comme ça. Enfin, comme ça, je ne sais pas comment justement. Il est 23h37, c’est le retour de la PPF puissance 1000. J’essaye de réfléchir efficacement, de comprendre ce qui a pu se passer, de trouver une solution avant que les images perdues, ces petits cailloux semés sur mon chemin, ne me reviennent de façon intempestive à l’esprit, car à partir de ce moment-là, je ne verrai plus qu’elles, je ne verrai plus que ces images que j’ai faites, que j’ai gardées, que j’ai aimées et qui se sont évanouies.

Forums. Récupération de fichiers supprimés. Panique. Oh, les photos d’ombre… Ne plus toucher à rien. Trop tard. J’ai refait des photos depuis. Zut, et il y avait celles des enfants aussi ! Logiciels, opérations, test… Et le pont bon sang !! Le pont, le soleil, les silhouettes ! Attention, pas de miracle. Elles sont toutes là, à me narguer, juste derrière mes yeux, elles défilent numéro par numéro. N’existe-t-il pas une machine, parmi toutes celles créées de nos jours, qui soit capable d’aller les chercher dans mon hippocampe – elles datent d’à peine trois jours, je suis sûre qu’elles y sont encore ! – et de les reconstituer dans le monde réel ? Mais que fait la science !?

Je commence à comprendre ce qui s’est passé, et aussi que j’en suis l’unique responsable. J’aurais préféré une erreur technique plutôt qu’une erreur humaine… C’est d’un banal ! Je sais maintenant que je ne reverrai plus ces photos, je relativise : elles n’ont pas été prises à l’autre bout du monde, je les referai ! Mais une petite voix de mauvaise foi me lance : oui, mais ce ne sera pas la même lumière, les mêmes couleurs, les mêmes mouvements, la même heure, les mêmes rires, les mêmes âges, les mêmes… Et pourquoi la prochaine fois serait-elle moins bien au juste ? Malgré cet élan d’optimisme, je n’arrête pas de me repasser le film probable des événements : après avoir introduit la carte mémoire dans l’ordinateur et avoir fait, contrairement à d’habitude, le tri directement sur la carte, j’ai omis, pour une raison qui m’échappe, de copier les images sur le disque dur. Et j’ai effacé le contenu de la carte… Et j’ai réécrit dessus…

Je me pose alors une question très étrange dont l’origine me semble cinématographique (enfin, j’espère) : « quelqu’un » a-t-il vu ce que je faisais au moment où je le faisais, à ce moment crucial où j’ai confirmé la suppression des fichiers, et puis, deux jours plus tard, quand j’ai refait des photos, réduisant à néant toute possibilité de récupération ? « Quelqu’un » ou « quelque chose » a-il vu ça en se disant : « Oups ! Tu vas être triste quand tu vas en prendre conscience ? » Et aucun livre n’est tombé de ma bibliothèque (et j’attends les suggestions quant au film auquel je fais écho…) pour me faire comprendre qu’il y avait danger… Remarquez, dans ledit film, ça n’a pas suffi. J’ai donc continué sur ma lancée moi aussi, et voilà.

Maintenant que je sais leur sort scellé, je repense à ces images différemment. Plus intensément je dirais. Non pas de façon mélancolique mais en veillant à en redessiner le maximum de détails pour les ancrer dans ma mémoire à long terme et pouvoir les allumer, à tout moment, dans la nuit à laquelle l’oubli les destine.

Zéro élément

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L'énigme vitale

Parfois, pensées picorées ici et là, au gré de lectures, de conversations, de projections, de visites plus ou moins éloignées dans le temps se connectent miraculeusement les unes aux autres pour nourrir des territoires de réflexion encore confidentiels… Ainsi, si l’on reprend le fil de la chronologie, il y a plusieurs mois, j’ai lu que nous nous souvenions de 80% de ce que nous faisions et voyions, et seulement de 20% de ce que nous lisions. Vous savez comme moi que toute information extérieure reçue est passée au crible de nos perceptions, de nos a priori, de nos certitudes. En cela, l’objectivité n’existe pas ou si peu, et nous serons toujours tentés d’interpréter ladite information en fonction de la résonance qu’elle a en nous et, en particulier, de sa façon de nous conforter dans nos propres pensées. Ce « biais de confirmation » est un biais cognitif bien connu… De fait, personnellement, cette répartition statistique du souvenir – ou plutôt de ce qui reste le plus longtemps présent en mémoire – renforce cette idée qu’il faut vivre et voir un maximum de choses, a fortiori, qu’il ne faut pas s’arrêter de voyager, de découvrir le monde et les autres, d’une part pour être à la hauteur de cette chance d’être en vie sur une planète qui ne se résume pas à un simple point, d’autre part, pour essayer de les comprendre. Cette subjectivité est totalement assumée, et laisse même entendre que l’important, dans la vie, est de ne pas oublier. Il faut encore que j’y réfléchisse.

Continuons. Il y a quelques semaines, j’ai noté dans mon carnet du moment cette phrase extraite du dernier livre de Jérôme Ferrari, Le principe : « On essaye de comprendre les choses à partir de sa propre expérience parce que c’est tout ce dont on dispose et c’est, bien sûr, très insuffisant ». Il parle là de physique, le principe du titre étant le principe d’incertitude, ou d’indétermination, énoncé par Werner Heisenberg en 1927, qui stipule qu’il est impossible de connaître simultanément la position et la vitesse exactes d’une particule (quantique). Une vraie révolution scientifique par ailleurs. Mais, là encore, ce que je retiens de cette phrase sortie de son contexte tout à la fois fictionnel et épistémologique, est que pour être en mesure de comprendre les choses, il faut les vivre. Ce qui nous ramène aux statistiques ci-dessus et à ma première conclusion. CQFD. Je pourrais m’arrêter là et acheter mon prochain billet d’avion, de train, ou ma bicyclette, ou de bonnes chaussures de marche pour aller vivre, donc comprendre, puis me souvenir.

Mais peu de temps après, je découvre la belle série d’entretiens de personnalités ou d’anonymes publiée dans Le Monde cet été sur la question, obsessionnelle à bien des égards, du temps. L’exergue-titre de celui du philosophe Patrick Viveret, un nom prédestiné, fait l’office d’une petite bombe à fragmentation (image purement spéculative si l’on relit bien la phrase de Ferrari : d’ailleurs, dans la réalité, bien loin des images littéraires, je ne voudrais pas connaître cette sensation !) : « Il faut accepter de ne pas tout vivre ». Il y a bien sûr un avant et un après à cette phrase, une nouvelle fois tirée de son contexte, comme si elle venait logiquement s’insérer à la suite de celle du Principe, qui elle-même répondait aux statistiques. Alors que tout s’accélère, que nous avons chaque jour l’illusion de pouvoir en faire de plus en plus grâce à des artifices technologiques, que parfois, alors même que nous nous plaignons du temps qui passe, nous nous pensons toujours un peu immortel et donc avec la vie, infinie, devant nous, cette phrase de Viveret est un brutal retour à la réalité. Car elle nous dit tout simplement, même si cela se complique ensuite : il faut faire des choix. Or, faire des choix, c’est accepter de mourir. Et donc, de vivre…

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Tricoter 1Tricoter 2Tricoter 3

Cela vous est déjà forcément arrivé… Soit d’être totalement coincé dans votre voiture au milieu d’un embouteillage monstre et malheureusement quotidien, à pester dans votre cage et à envier, tout en les détestant, les gens marchant sans entrave sur les trottoirs adjacents (« pfffff ! mais pourquoi, mais pourquoi, mais pourquoi ? ») ; soit, au contraire, d’être l’une de ces personnes marchant librement sur les trottoirs adjacents à regarder les automobilistes inertes avec un mélange de pitié et de basse satisfaction (« Vous n’avez qu’à marcher, prendre le vélo ou les transports en commun ! »)…

Certains piétons – enfin, peut-être n’est-ce l’initiative que d’une seule et unique personne ? – ont poussé le vice un peu plus loin en prenant le temps de tricoter ces quelques lettres et en accrochant ce message gentiment moqueur sur les grilles d’un parc longé par une rue systématiquement congestionnée… Une bonne blague pour les arpenteurs de trottoir, modérément appréciée par ceux coincés derrière leur volant. Et, pour tous, la preuve, toute en finesse, de l’absurdité intrinsèque d’une telle situation dans laquelle plongent volontairement – car ils pensent ne pas avoir le choix – une portion de citadins…

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Etats d'âme 9

Extrait d’Etats d’âme sur le macadam, ensemble de textes griffonnés à l’aube du 21e siècle sur mes inséparables petits carnets…

*

Un garçon se contorsionne devant le rétroviseur extérieur gauche d’une voiture : vérification de la propreté de ses dents ! Cette dame à vélo parle toute seule. Non, sa petite fille siège derrière. La bicyclette avance lentement, en titubant. Cette autre dame, à vélo également, grille le feu rouge. Un garçon, tout de noir vêtu, traverse la rue. Un adepte de soirées gothiques ? Deux policiers pressent un pauvre gars en pleine livraison car son camion bloque la circulation. Une dame court avec une petite fille sur le pont Sully-Morland, comme pour aller plus vite que les voitures. Ce garçon, dans sa salle de cours aux parois vitrées donnant sur la rue, regarde sur la copie de son voisin d’en face. Dehors, un autre garçon joue les Roméo. Sa Juliette est dans la même salle que le mateur. Il grimpe sur un muret pour se hisser à hauteur du sol du premier étage. Rires de la jeune femme. Une Express force le passage devant l’hésitation des autres automobiles engagées dans la rue. La vie grouille. Ces gens savent-ils où ils vont ? Quoi qu’il en soit, ils existent, ils bougent, ils parlent, ils sont là. Dans ce monde. Empli d’enfants, de vieux, de femmes et d’hommes – comme si enfants et personnes âgées étaient des êtres asexués ! Ils sont beaux, tous ces gens. Ils vivent. A des terrasses de café, dans des boutiques, derrière un comptoir, dans leur chambre, à l’école, dans la rue, sur un rond point… partout, ils sont là. N’ayant aucune conscience des autres, de ces personnes qui passent devant eux, sans dire un mot. S’arrêter, discuter… Des rêves ! Nous sommes toujours dans un fauteuil, plus ou moins confortable, à regarder ce qui passe à la télé. Comme avec le petit écran, la distance est respectée. La vie se déroule devant nous, passivement, activement, lascivement. Elle est là, rayonnante, grisante, monotone, déplorable. Qui sait ? Nous ne faisons que passer. Passer pour mieux trépasser. A trois reprises. Où est l’ironie ? Pas d’ironie mais un peu d’acier. Pourquoi faut-il avoir conscience de l’existence de son futur ? Ne serait-ce pas beaucoup plus simple si tel n’était pas le cas ? L’action serait alors libre et libérée de toute projection. Est-ce le propre de la pensée que de planifier, pour que l’avenir soit sécurisant ? N’est-ce pas plutôt un piège, un ravageur de spontanéité ? Tout cela doit bien avoir une utilité… Tentative de persuasion interne. Ah ! Et si ce n’était pas le cas ? Désastre ! Que faire alors ? Parfois, il n’est pas bon d’être confronté à ses idées. Parfois, il n’est pas bon d’avoir, ou de prendre, le temps de le faire. Déambulations panâmisiennes. Double tranchant. Le cri de Maria Callas retentit, la Mamma Morta d’André Chénier. Poignant. La lumière s’assombrit. Allez, vite. Que l’heure passe. Courir, pour aller plus vite que l’esprit…

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Vroum vroum

Question bête et un rien moqueuse, mais la perche était largement tendue : ces parents, que j’ai vu se croiser à un carrefour, s’échangent-ils aussi, comme les motards aux feux rouges à propos de leur fidèle destrier, de précieuses informations sur leurs modèles respectifs sans se connaître pour autant : taille, âge, options je-commence-à-marcher, je-suis-encore-trop-petit-pour-intéresser-les-autres (celui à gauche par exemple, abandonné dans son coin sous son bonnet et sa couverture d’appoint), mes-dents-poussent ou encore je-dis-quelques-mots-et-d’ailleurs-j’en-profite-pour-te-signaler-que-j’en-ai-marre-que-tu-me-pinces-les-joues-et-que-tu-t’extasies-devant-moi-un-peu-de-tenue-tout-de-même (celle à droite par exemple dont on devine le regard dubitatif) ?

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Rapports de force 1

Pour me retrouver fortuitement face à cette inattendue peinture murale qui m’a instantanément envoyée à 11 817 km de là 3 ans 4 mois et exactement 4 jours auparavant, il a fallu que je me laisse guider par plusieurs indices, non perçus comme tels sur le moment. Le premier ? Une irrésistible, autant qu’incompréhensible, envie de voir le minuscule Manneken-Pis avant de quitter Bruxelles. Le deuxième ? Fuir ledit lieu le plus vite possible en remontant la rue du Chêne, car totalement déserte. Le troisième ? Quelques dizaines de mètres plus tard, tomber œil à œil avec son pendant vêtu, géant et voyou peint sur un mur donnant sur une ruelle a priori sans intérêt.

Rapports de force 2

Le quatrième ? S’approcher pour prendre une autre photo sur laquelle ne figure pas le matériel rouge de Kontrimo. Et découvrir que la ruelle n’est pas si banale car elle ne donne sur rien. Plus précisément, il s’agit d’une impasse. Et au bout de cette impasse se cache une forêt. Celle ci-dessus. Une forêt bidimensionnelle. Une forêt de fiction en somme. En moi, une joie – cette sensation d’avoir découvert un trésor sans avoir eu à creuser, littéralement – teintée de tristesse – voilà où les hommes de la ville en sont rendus : peindre des arbres sur les murs pour faire venir la nature à eux. Et c’est à cet instant précis que m’est apparue le souvenir de cette vieille maison hawaïenne, méthodiquement mangée par les racines d’arbres immenses dont la croissance n’est entravée par personne… Quel magnifique contre-pied à ce mur bruxellois, que je suis toutefois heureuse d’avoir rencontré pour le lien indéfectible qu’il a permis de créer avec son écho hawaïen, illustrant ainsi des rapports de force diamétralement opposés entre le bâti et la nature.

Rapports de force

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Du rififi dans les branches

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