Photo-graphies et un peu plus…

Et voilà « Murmures d’ailleurs », la nouvelle production éditoriale du collectif de photographes Les 4 Saisons dont je fais partie avec Alexandra de Lapierre, Elodie Guignard et Sophie Triniac.

Comme des millions de personnes il paraît, nous avons ressenti le besoin de poser des mots et des images sur cette étrange période qu’a constitué ce confinement historique et inédit. Chacune avec sa voix, chacune sur sa voie.

Pour ma part, j’achevais paisiblement un séjour en Nouvelle-Zélande lorsque le confinement a été décrété en France. Répit de courte durée puisque le pays du long nuage blanc s’est peu après lui-même coupé du monde extérieur, avec, pour conséquence directe, de différer mon retour en France de presque un mois, faute d’avions motivés pour traverser la planète dans l’autre sens.

Certains d’entre vous ont d’ailleurs suivi le cours de mes réflexions partagées quotidiennement du 18 mars au 11 mai ici-même et sur ma page Facebook. Les voilà transmutées en encre et papier dans ce livre, « Murmures du monde – Je n’irai pas à Buenos Aires », que je suis très heureuse de vous présenter.

Concrètement :
Format A5, 222 pages, 53 photographies, Reliure dos carré collé, papier recyclé 120 g en intérieur et 300 g en couverture
Prix : 20€ plus frais d’envoi éventuels (6€ en FR ; 1,5€ en Europe ; 2,5€ dans le reste du monde)

Si vous souhaitez un exemplaire, n’hésitez pas à me contacter par mail.

Murmures d’ailleurs – Je n’irai pas à Buenos Aires de Lou Camino from Lou Camino on Vimeo.

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Hier soir et une bonne partie de la nuit, le ciel s’est déchaîné ici, à Paris. Un orage incroyable, des pluies diluviennes, des lames d’eau même, de puissantes rafales de vent, de vibrants coups de tonnerre et des éclairs – des fulmineux, des ramifiés, des sinueux – si puissants et nombreux qu’ils donnaient la sensation qu’un petit malin s’amusait avec l’interrupteur céleste, jour nuit jour nuit jour… Le tout, au beau milieu d’une discussion groupée et à distance sur le chamanisme, les arbres, la nature, les ancêtres, les esprits, les totems… Le tout, la veille du déconfinement tant espéredouté. Tout pourrait être déconnecté. Ou pas.

J’ai mon Encyclopédie des symboles sous les yeux, page 683 à Tonnerre, « Presque toutes les civilisations antiques voient dans le tonnerre un moyen utilisé par les êtres célestes pour indiquer leur présence : ce sont ces mêmes êtres qui sont d’ailleurs bien sûr à l’origine de la foudre. (…) Le tonnerre est souvent interprété comme un signe de la colère divine à la suite d’un bouleversement de l’ordre cosmique ; il en allait ainsi chez les Celtes, et particulièrement chez les Gaulois où le grand Taranis en était le maître. Toutefois, ce bouleversement du ciel et des éléments était généralement dû à la mauvaise conduite des hommes, qui provoquaient ainsi la colère de dieu » (1). Les Indiens d’Amérique du Nord, les Yakoutes de Sibérie, les Chinois, les Aztèques, les habitants d’Europe centrale, les Tibétains, les Japonais en ont une autre approche. Les symboles étant intimement liés aux cultures, rien d’étonnant à ce que les interprétations d’une même notion, d’un même événement, d’un même objet, d’un même animal… diffèrent d’un bout à l’autre de la planète. La France étant un pays de tradition Celte – les irréductibles Gaulois –, c’est celle-ci que j’ai retranscrite ici. De l’autre côté, dans le même dictionnaire, je lis, page 278, au rayon Foudre qu’« [elle] est, dans une conjonction d’opposés, le principe de la vie et de celui de la mort (…). D’autre part, elle unit, le temps d’un éclair, le Ciel à la Terre ». Cet épisode orageux qui a traversé le pays cette nuit et aujourd’hui serait-il à la fois une mort – celle de l’ancien monde – et une naissance – celle d’une ère nouvelle ? Ou juste la conséquence logique de l’instabilité de l’atmosphère, d’un sol anormalement chaud et d’un air anormalement froid, générant un différentiel d’électricité en altitude. Craaac, Scraaaatch, Braoum ! Evidemment, tout cela est très symbolique.

Mais les symboles font probablement plus partie de notre vie que nous ne l’imaginons : « les avancées dans la neurophysiologie qui ont eu lieu ces dernières années, et en particulier les travaux d’Antonio Damasio (1994), confirment ce qui était jusque-là une intuition clinique : nous pensons en symboles avant de penser en paroles » rappelle le psychiatre Philippe Caillé (2). On dit ainsi du symbole qu’il montre, réunit et enjoint. Pour Claude Lévi-Strauss – note pour moi-même, lire son travail sur les mythes –,  le symbolisme est un « mécanisme régulateur de la société, une condition indispensable de son équilibre ».

Ah ah ah ! En ouvrant « au hasard » mon Encyclopédie, je tombe sur le mot Masque ! Ce n’est pas une blague. J’aime beaucoup le clin d’œil et je le perçois comme une invitation à poursuivre dans cette direction. Le masque est, à plusieurs titres, lui-même devenu un symbole de cette crise de coronavirus. Le masque comme symbole de l’incurie des dirigeants présents et passés – inutile quand il n’y en avait pas, utile depuis qu’il y en a, voire obligatoire bientôt dans certains cas –, le masque comme symbole d’une solidarité citoyenne – avec ces nombreuses initiatives spontanées de confection de masques en tissu destinés aux plus exposés, les soignants, puis, progressivement, à tous –, le masque comme symbole de respect de l’autre – en mettre, c’est d’abord protéger les autres, en particulier, les plus vulnérables –, le masque comme symbole iconique – en dessin, en photo, en pochoir, seul, sans tête autour, il sera, dans mon esprit, associé à cet événement pendant très longtemps –, le masque comme symbole de notre diversité culturelle – les pays ayant la culture du masque ont été nettement moins touchés que ceux qui ont commencé par le dénigrer avant de l’adopter, ce qui en fait également le symbole d’une certaine forme d’arrogance occidentale –, le masque comme symbole d’une résistance bienvenue – à quoi vont servir toutes ces caméras maintenant que nous allons errer masqués et non identifiables ? –, le masque comme symbole de créativité – en tissu, en papier torchon, avec des bouts de chaussette, des intercalaires transparents, en wax, avec des sacs d’aspirateur, des filtres à café, des bandanas, cousus main, à la machine, assemblé avec des agrafes, et même transparent pour que les personnes sourdes puissent lire sur les lèvres ! On est loin de l’idée classique du masque derrière lequel on se cache… Aujourd’hui, en nous masquant, nous montrons presque notre vrai visage. L’anthropologue Fanny Parise, qui a initié une étude sur l’anthropologie du confinement, estime d’ailleurs qu’il est devenu un « objet totem », au même titre que le PQ ou le gel à un moment (3). « L’objet totem ordonne les pratiques et les représentations du monde autour de sa manipulation. Il permet d’expliquer l’ordre des choses et d’affronter le quotidien » (4). Et la boucle est bouclée.

Aujourd’hui, 10 mai, c’est certes la veille du déconfinement, mais c’est aussi la fin de la 6eédition d’Objectif3280, que j’évoquais au Jour 12 de mon confinement à Wellington et qui a débuté le 8 avril. Il y a donc un peu plus d’un mois. C’est court un mois quand il faut réunir 3280 photos, c’est long un mois quand il faut maintenir l’attention. Pour moi, c’est toujours un moment de grande intensité, car la rencontre entre un rêve de communion – nous, ensemble, créant une œuvre unique – et la réalité – parfois dure : pas le temps, pas d’idée, pas envie ; souvent réjouissante : des images incroyables, des associations d’idées très variées, des impatiences… Et une nouvelle fois, la magie a opéré. 174 personnes vivant dans 21 pays ont participé et nous ont offert, se sont offert, de formidables échanges photographiques – logiquement et heureusement marqués par le confinement pour certains –, composant ainsi plusieurs centaines de photopoèmes – j’aurai le chiffre exact demain, une fois la fin officialisée – que je rêve désormais d’accrocher à des arbres, en pleine nature, pour que chacun puisse les découvrir au gré de ses errances, et ainsi, en une poignée de minutes, rire, réfléchir, pleurer, être surpris, bouleversé, ému, amusé, émerveillé, inspiré… Merci à vous de m’avoir à nouveau transportée dans un monde où le rêve a toute sa place. Alors, continuons gaiement ! Demain est un autre jour et nous l’attendons !

J’ai d’ailleurs choisi d’illustrer ce texte avec la photographie que j’ai prise comme point de départ de cette 6eédition un peu particulière. Ce matin-là, après avoir fait l’ascension du Roys Peak sur l’île du sud de la Nouvelle Zélande à la lueur de la Lune, j’avais surtout pensé à l’importance de vivre chaque instant intensément, à ma chance d’être là, même si, finalement, l’événement est tout sauf rare : le soleil se lève et se couche tous les jours depuis des milliards d’années et le fera encore pour autant d’années. Je regarde désormais cette image avec un autre œil. De façon plus symbolique, comme l’aube d’une nouvelle ère à laquelle nous avons, chacun à notre échelle, l’opportunité de donner une direction plus juste, plus respectueuse et plus équilibrée…

 

  1. Encyclopédie des symboles, Encyclopédie d’aujourd’hui, Le livre de poche
  2. https://www.cairn.info/revue-cahiers-critiques-de-therapie-familiale-2005-1-page-189.htm
  3. https://anthropologieduconfinement.com
  4. https://www.huffingtonpost.fr/entry/mon-masque-fait-maison-et-moi-comment-ce-nouvel-objet-totem-a-envahi-le-quotidien-des-francais_fr_5eb07dfec5b602af0b8c696e

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Mes yeux me disent qu’ils sont fatigués de trop d’écran, je vais les écouter et m’en éloigner un peu. Entre l’écriture quotidienne de ces textes, le suivi d’Objectif3280 – dont la 6e édition se termine demain en fin de journée –, le travail sur mes photos, la lecture des infos et des petites séances ciné, j’y passe le plus clair de mes journées. Pour une heure dehors au mieux donc. Les proportions se sont littéralement inversées par rapport à mes trois premiers mois de cette année 2020. Il est grand temps de rééquilibrer tout ça !

Ce matin, en découvrant la liste des 44 stations du métro parisien qui resteront fermées lundi, à l’heure du déconfinement, je lis que c’est le cas de République. Cela me semble presque ironique, voire cynique que République soit interdite d’accès pour un temps indéfini encore, parce que des personnes venant de divers horizons (les autres lignes de métro) y convergent… Dans les faits, et pour limiter les flux et les croisements de voyageurs, toutes les stations avec correspondances, hormis les gares, sont closes. Cela peut s’entendre et en même temps, à une autre échelle, rompre les connexions possibles est tellement symbolique…

Au rayon « nouvelles du monde », il y a celle-ci aussi, en direct de Singapour (1) avec les images de Spot, un chien robot tout droit sorti des laboratoires américains de Boston Dynamics –l’un des plus avancés en la matière et dont on voit régulièrement les créations accomplir des exploits, ce qui fait naître un double sentiment de frayeur et de fascination car on perçoit derrière le mignon petit saut réussi tout le potentiel pour les armées et divers services d’ordre d’ici et là. Spot patrouille nonchalamment dans un parc de la ville-pays pour rappeler aux badauds qu’ils doivent respecter les distances de sécurité entre eux. Un chien qui parle donc. Ce n’est pas un Disney pourtant ! Ce serait même plutôt (ah ah !) un de ces épisodes visionnaires de la série Black Mirror… « Ils » lui ont d’ailleurs attribué une voix de femme. Outre le fait que c’est le genre privilégié par les sociétés technologiques pour des raisons historiques et sociologiques (2), on peut aussi y voir la volonté de compenser le caractère agressif lié à sa nature métallique – ces robots-là, nous y sommes habitués dans les films, pas dans la réalité ! La voix d’une femme et non d’un homme – les robots devraient-ils avoir un genre ? – pour associer le message véhiculé à la douceur, au prendre soin, à l’attention de la mère de « famille » et non à l’autorité… Rien n’est évidemment laissé au hasard. Pour l’heure, les caméras qui équipent Spot « ne pourront pas suivre ou reconnaître des individus spécifiques, ni collecter de données personnelles » (1). Mais pour combien de temps encore ? J’évoque Singapour mais à Nice, donc tout près d’ici, les drones redresseurs de torts sont déjà dehors – avec une voix d’homme d’ailleurs –, à sillonner la ville avec leur bzzzz de gros moustique parasite, répètent les règles du confinement et, si besoin, envoient des policiers sur place pour vérifier les attestations dérogatoires des dangereux individus suspectés de vouloir se baigner, marcher sur la plage ou restant un peu trop statiques (3)… « Je n’ai pas envie de cette société là » se désole un père auquel le droneur a envoyé des policiers en chair et en os, à qui il a dû expliquer qu’il restait au même endroit pour permettre à ses filles de faire du vélo sur la place (cela n’était pas clair sur la vidéo ?). Qui veut de cette société-là en fait ? Oui, je sais, sans doute plus de monde que je ne l’imagine.

Ainsi, si nous avons été surpris par la vitesse à laquelle notre monde s’est arrêté, paralysant les économies de centaines de pays en un temps record, nous intimant l’ordre de ralentir également, nous pouvons l’être tout autant par le coup d’accélérateur donné aux méthodes de surveillance organisées des populations qui n’en demandaient pas tant. J’ai hâte de voir débarquer les petites araignées mouchard de Minority Report pour vérifier que je suis bien qui je suis ! C’est incroyable à quel point un unique événement peut concentrer autant de questionnements et de perspectives, pour certains vertigineux ! Reste que cela a quand même des allures de boîte de Pandore… J’ai longtemps eu une idée édulcorée de cette expression, croyant naïvement qu’elle ne contenait que des surprises, qu’elles soient bonnes ou mauvaises… Déjà, la boîte est en réalité une jarre, mais la « Jarre de Pandore » sonnait moins bien. Pour que les choses soient claires, je me permets donc de rappeler qu’en ouvrant la boîte-jarre, Pandore, première femme terrestre déjà bien trop curieuse, libéra tous les maux de l’humanité – maladie, vieillesse, guerre, vice, folie, passion (un mal ??)… –, l’espérance, un peu plus lente, ne réussissant à s’échapper que dans un second temps (ou pas, selon certains). L’ouvrir, c’est donc s’exposer aux pires catastrophes…

Si je voulais être schématique, je dirais, sans que cela soit totalement grossier pour autant, que les différentes routes que j’ai empruntées jusqu’à présent – scientifique, journalistique, sociologique, artistique, « voyagique » – n’avaient (et n’ont) qu’un seul objectif : me permettre de comprendre un peu mieux – et sous différents prismes donc – le monde dans lequel nous vivons. Depuis la soupe primordiale à la naissance d’une émotion forte en passant par les raisons qui poussent telle ou telle personne à agir de telle ou telle sorte. Bien sûr, je ne comprends pas tout. Je devrais même dire qu’il y a beaucoup de choses qui m’échappent. Malheureusement. Et heureusement, car cette incompréhension face à certains événements de la vie, loin de me rendre fataliste, m’invite à chercher encore plus, à rester éveillée et alerte, prête à cueillir des réponses, même infimes, même instables, le tout, sans perdre de vue mon optimisme. Optimisme que je garde intact à l’échelle personnelle car j’ai mes solutions en tête, mais, qui, à une échelle plus collective, me paraît un peu égratigné ces derniers jours, au fur et à mesure que nous nous rapprochons du monde d’après, qui, pour le moment, concrètement, malgré les manifestes et appels à une (r)évolution radicale dans nos façons de penser le monde, n’est décidé que par les instances gouvernementales ! Ce serait presque là un aveu de dissonance cognitive. En outre, j’avais précédemment écrit qu’il ne fallait pas chercher à comprendre les enchaînements de décisions pris en ce moment. La posture est in(sou)tenable à long terme !
Bref, c’est le moment d’écouter France Gall ! « Si on t’organise une vie bien dirigée – Où tu t’oublieras vite – Si on te fait danser sur une musique sans âme – Comme un amour qu’on quitte – Si tu réalises que la vie n’est pas là – Que le matin tu te lèves sans savoir où tu vas – Résiste – Prouve que tu existes – Cherche ton bonheur partout, va – Refuse ce monde égoïste – Yeah, yeah, yeah, résiste – Suis ton cœur qui insiste ». J’aime beaucoup l’idée de citer Edgar Morin et Michel Berger dans un même exercice de pensées et d’écriture… L’un et l’autre ne s’adressant pas au même endroit du corps et de l’esprit, ils sont également utiles pour préserver notre équilibre (en tout cas, le mien ; je vous laisse évidemment libres de trouver vos références) ! Or, l’équilibre, c’est la vie !

  1. https://www.courrierinternational.com/article/deconfinement-dans-un-parc-de-singapour-un-chien-robot-pour-faire-respecter-la-distanciation
  2. https://www.franceculture.fr/emissions/la-vie-numerique/pourquoi-faudrait-il-que-les-machines-aient-des-voix-dhomme-ou-de-femme
  3. Sur la page Facebook de l’émission 7 à 8 https://www.facebook.com/watch/?v=2651048311806337

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Coralie s’amuse que je continue à suivre les actualités d’un pays désormais à 20 000 km de moi et qui restera sans doute à cette distance encore longtemps. Je trouve cela plutôt sain de toujours penser à un endroit qui m’a accueillie plusieurs mois, qui m’a subjuguée par sa beauté et sa diversité, et qui, à l’heure où l’angoisse et le stress étaient sans doute les sentiments les plus partagés à l’échelle mondiale, m’a permis de vivre cette pandémie dans un état de grande sérénité – d’abord, soyons honnête, car l’île a été épargnée jusqu’à la deuxième moitié de mars, puis ensuite, car le confinement instauré, certes strict, n’était pas pesant. Alors, oui, je continue à suivre les actualités de la Nouvelle Zélande.

Mais aussi celles d’autres pays. Sans doute est-ce naturel après avoir autant vagamondé. Un néophotologisme que j’ai inventé il y a bientôt deux ans, venant s’inscrire à la lettre V d’un abécédaire en cours, qui consiste tout simplement à « vagabonder à la surface du monde par tous les moyens possibles et sans autre but que de se nourrir et de s’émerveiller de l’altérité, qu’elle soit philosophique, géographique, ethnologique ou anthropologique. Ainsi, écrivais-je à l’époque, je vagamonde avec un bonheur sans cesse renouvelé qui appelle au départ constant ». Avoir autant vagamondé, donc, sur tous les continents qui plus est, rend le monde sans doute un peu plus petit, en tout cas, moins abstrait, et rapproche indéniablement du sort des autres. D’autant que l’autre, c’est moi, puisque tout est connecté.

Ce matin, en sortant, j’ai vu passer un avion dans le ciel. Son panache blanc est venu strier son bleu intact avec une certaine volupté. Dans le parc voisin, où l’herbe a poussé sans être piétinée, où les fleurs se sont fanées sans être admirées, où les arbres ont retrouvé leurs feuilles sans être câlinés, les gardiens se sont retrouvés pour discuter du 11 mai. Les affaires reprennent. Au bout de ma borne or so, il y avait un cygne blanc dans l’eau. Même deux. Nous n’étions jamais allées jusqu’à la Seine jusqu’à présent car elle se trouve à 1 kilomètre 2. « Ils sont là tous les jours » a lancé un marcheur sans s’arrêter. Respiration. Sourire. Joie, simple. Depuis le bord de l’eau, la façade d’après est à 250 mètres. Autant dire, à l’autre bout du monde. Tout est si près en ville, surtout avec ces immeubles de 6, 7, 8 étages voire plus. Si encore, tout s’arrêtait à 4, nous pourrions tous voir le ciel et le lointain… De l’eau a coulé sous les ponts. La péniche Sperenza est même passée par là. Comme par hasard. Mais le hasard n’existe pas. Il n’y a que des signes. Ou des cygnes. Vous voyez bien…

Un peu plus tôt dans l’après-midi, chacune à un bout du pays, Les 4 Saisons ont repris vie. Je veux dire par là, que pour la première fois depuis fin 2019, nous nous sommes regardées, pour évoquer l’après. « Tes cheveux ont poussé », « ça te va bien », « tu ne les as jamais eu aussi longs si », « bientôt la petite jupe et les hauts talons ». Faut pas rêver ! C’est ensemble que nous avons débuté ce rituel quotidien il y a 50 jours déjà, à notre manière, c’est-à-dire, incroyablement unies tout en préservant, respectant et admirant l’unicité de chacune, comme nous le faisons depuis la création de notre collectif. Avec nos mots, nos images, nos questions, nos joies, nos peines, nos réflexions, nos découvertes, nos tergiversations, nos silences, nos cris, nos rêves, nos impasses, nos émotions, nos introspections, nos évasions, nos voies, nos voix… (1) Que chacune avons suivi au jour le jour. C’est ensemble que nous nous demandons aujourd’hui quand nous nous arrêterons – la fin du confinement n’étant pas une fin en soi – et aussi, ce que nous ferons de ces états d’âme. Un livre, quatre livres ? Allez savoir.

Sans aucun doute, cette crise nous aura rapprochées. Et j’en suis très heureuse. Car cela aurait pu être le contraire. Comment anticiper en effet notre réaction face à l’inédit ? Plus largement, ce méta-événement nous fera-t-il revoir nos amitiés passées ? Ont-elle résisté à tout ce qui nous a bousculés et (pré)occupés ces dernières semaines ? Ont-elles résisté à l’absence et à la distance ? Finalement, allons-nous craindre de nous retrouver ? Et même vouloir ? La question pourrait se poser. Si d’un côté, nous avons réalisé que nos besoins matériels n’avaient pas à être aussi gonflés, quid de nos besoins humains ? Au fond, qui nous a manqué ?

 

  1. Vous pouvez trouver nos quatre récits sur le blog https://ailleurs-l4s.tumblr.com

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Cette nuit, des vents à 120 km/h ont soufflé sur Wellington, pourtant nichée au creux d’une baie. Cela bougeait encore pas mal ce matin, aussi avons-nous préféré différer notre incursion quotidienne en forêt. Les branches craquaient déjà bien hier, ce serait dommage d’échapper au coronavirus mais d’être assommé par un bout de bois. Ceci dit, j’ai appris très récemment que c’est pendant la Grande Peste de Londres en 1655 – qui avait éradiqué un quart de sa population – qu’Isaac Newton, dans l’impossibilité de se rendre à son université à Cambridge, avait dû, durant une année – réjouissons-nous donc, même si ce n’est pas fini ! –, travailler depuis la demeure familiale, notamment dans le jardin. Et c’est ainsi qu’il avait pu être sous le pommier lorsque la fameuse pomme – certainement la plus célèbre de l’histoire des pommiers, qui remonterait à 50 millions d’années ! (ou 65, ou 80 selon les sources) – lui était tombée sur la tête (1). Je pourrais donc faire un effort et accepter une brindille sur la mienne en échange d’une fulgurance intellectuelle aussi brillante que la compréhension de la gravitation…

En réalité, ce changement de programme m’apparaît plutôt être une excuse pour, l’air de rien, étendre notre territoire d’exploration… De fait, aujourd’hui, pour la première fois depuis 18 jours, nous sommes retournées au bord de l’eau, sur la promenade qui longe la baie, celle-là même que je voyais d’en haut, du lookout, au jour 15. Je crois que j’avais envie de revoir « Solace of the wind » sous un autre jour…

Dans les faits, ce n’est pas si loin que cela, peut-être 5 minutes supplémentaires par rapport au supermarché où nous nous ravitaillons. Mais, jusqu’à présent, nous n’avions pas osé y aller. Nous aurions pu ceci dit puisque ce n’est pas interdit et que nous savons que les autres promeneurs auraient respecté la distance de sécurité de 2m recommandée ici. Ce matin, soleil et vent en poche, c’est donc avec une joie toute enfantine que nous nous sommes dirigées vers la mer, pas vraiment la mer car nous ne voyons pas l’horizon depuis Wellington, mais la baie et les montagnes environnantes. Comme si nous nous aventurions sur des terres inconnues, que nous connaissons cependant pour les avoir traversées en février. Sur le trajet, comme toutes les fois où nous avons emprunté cette rue, Smith – je le baptise ainsi, mais au fond, je ne sais pas, c’est simplement le prénom masculin le plus courant en Nouvelle-Zélande depuis des décennies – était sur son échelle à poursuivre avec beaucoup de concentration son ouvrage initié dès le premier jour du confinement : repeindre, au pinceau, la façade de sa maison, après avoir soigneusement retiré la couche précédente au décapeur thermique. Ils sont en fait plusieurs à s’être donné cette mission pour ces 4 semaines un peu spéciales. Matériellement, c’est d’autant plus facile que la grande majorité des maisons néo-zélandaises sont en bois. Smith est d’ailleurs très efficace, il a bientôt fini d’apposer la première couche de son gris Madrid et la peinture semble si épaisse que je ne suis pas sûre qu’une deuxième soit utile. Promis, je suivrai cela avec beaucoup d’intérêt ces jours prochains…

Tout comme je surveillerai les dizaines d’oliviers plantés sur les trottoirs de ce quartier pavillonnaire, dont je suis très heureuse de la présence car, à chaque fois, ils me conduisent mentalement vers mon autre pays de sang, la Tunisie, mais qui reste une énigme pour moi : climatique d’une part car j’ai toujours vu ces arbres dans des pays chauds – c’est le moment de chercher à quoi ressemble l’hiver ici à Wellington – et paysagiste d’autre part, car les arbres sont actuellement plein d’olives qui, faute d’être cueillies – je m’avance peut-être mais j’ai du mal à imaginer que la ville dépêche des agents pour les récolter, les presser pour en faire une cuvée d’huile d’olives de Wellington – vont inévitablement finir sur le trottoir. Ce n’est pas moi qui le dit, c’est la loi de la gravitation ! Bref, pourquoi l’olivier en ville ? Comme vous pouvez le constater, mes questions du jour sont très terre à terre. Il n’y a pas de petite compréhension.

Ce qui nous conduit directement au pied de la sculpture de deux mètres de Max Patté, la raison ultime de cette diversion… Nu comme un ver en fer, les bras en arrière, tendu vers les éléments – l’eau salée, le feu solaire, l’air vif -, l’homme, abîmé, pourtant prêt à tomber, est comme suspendu dans le temps et l’espace dans une posture mélancolique – les yeux clos, calme voire las, paré pour faire face aux événements à venir – mais pourquoi pas joyeuse aussi – ne serait-ce pas les prémisses d’un plongeon, d’un élan, d’un nouveau départ qu’il nous offre là ? Un peu comme nous en ce moment, finalement.

(1) https://www.courrierinternational.com/…/pommier-confine-pen…

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Non que nous soyons au bagne – bien au contraire –, mais des voix – réelles et minoritaires – nous suggèrent de penser, quand même, au retour. Or, le retour, c’est demain, et comme je l’écrivais hier, ma pensée s’arrête à aujourd’hui. Soit. Par acquis de conscience et aussi parce que j’ai bien intégré l’impermanence de la situation, vendredi, je suis donc allée surfer sur le site d’Air New Zealand. La compagnie, très bien au demeurant, qui a dû annuler par deux fois notre retour vers l’Hexagone, a transformé nos places en avoir valable 12 mois avant de remiser la plupart de ses avions au garage pour une durée indéterminée dépendant de la stratégie que le gouvernement néo-zélandais présentera publiquement le 20 avril, soit deux jours avant la fin supposée du confinement. Verdict : en avril, toujours aucun vol vers Paris ; en mai, il faut atteindre la dernière semaine pour en trouver une poignée, à des prix que nous préférerions éviter et/ou avec une/deux escale(s) dans des villes qui, pour l’heure, n’inspirent pas vraiment confiance. A l’instar de LAX, la ville où l’on se lâche, la Ville des Anges de Christa Wolf – je crâne un peu ici en faisant du placement de produit : c’est en effet l’une de mes photos qu’avait choisi Le Seuil pour la couverture de son ouvrage (1) –, Los Angeles donc. Ville fascinante, tentaculaire – même si c’est en partie contradictoire avec ce que je m’apprête à écrire –, déconcertante qui m’avait donné l’impression d’être un archipel d’îles – Santa Monica, Beverly Hills, Venice Beach, Bel Air, Little Tokyo, Downtown LA, Hollywood, Skid Row, Pacific Palissades, Montecito Heights et les autres – entourées par un océan de banlieue aux pavillons identiques obéissant à un plan hippodamien un brin soporifique pour l’adoratrice de rues biscornues que je suis.

Bref, LA, très peu pour nous, même si fin mai, c’est presque au bout du temps à l’échelle du calendrier actuel et que personne n’est en mesure de prédire dans quel état sera le monde. Mieux, espérons-le, même s’il est naïf de croire que ce sera le cas partout. Toujours est-il qu’après avoir inscrit nos critères dans un tableau croisé dynamique afin d’y voir plus clair et appuyé sur « Entrée », nous avons jeté notre dévolu sur un vol début juin passant par Singapour, l’un des pays à avoir le mieux géré la crise en s’y attaquant dès janvier. Bien entendu, personne, pas même la compagnie aérienne, ne s’aventurerait à affirmer que le vol aura bien lieu. Espérons que l’adage « Jamais deux sans trois » ne se vérifiera pas. Et si tel doit être le cas, et bien, nous trouverons une alternative. Le futur n’existant pas encore, inutile de se mettre martel en tête dès maintenant.

Je ne me mets pas d’œillères, je sais pertinemment qu’il nous faudra rentrer. Même si le choix de ce mot – « faudra » – trahit sans doute une légère frustration, a minima une forme d’indécision. Il faudrait – ah ah ! – que je puisse écrire que j’ai envie de rentrer. Mais je crois ne pas être capable de prononcer cette phrase pour le moment. C’est étrange d’ailleurs. Si je n’étais pas partie, je ne me poserais pas cette question. Ce qui n’est pas la lapalissade que l’on pourrait croire… Ce n’est pas que je ne veuille pas retrouver ma famille, mes amis, ma maison. Je ne suis simplement pas sûre de vouloir retrouver la France. Et c’est bien la première fois que je me fais cette réflexion.

De loin, avec tous les biais cognitifs que cela présuppose, en compulsant et croisant les informations véhiculées par les médias – plus connus pour leur tropisme fort pour les mauvaises nouvelles et les polémiques stériles, autant dire qu’ils sont au paradis –, celles attrapées via les réseaux sociaux – qui, dans la continuité de ce que j’évoquais précédemment sur la théorie des bulles (2), sont également biaisées car partant de moi et orientées par des algorithmes dont je ne maîtrise pas les motivations primaires et premières –, et enfin celles – les plus réconfortantes et les moins angoissées finalement, de mes proches –, difficile de se faire une idée juste. Mais c’est évidemment la dérive totalitaire, autoritaire et punitive mise en place par les instances dirigeantes à coups d’attestations, d’isodistances, de tracking, de contraventions, de peines de prison, de recommandations contradictoires, de mensonges déguisés, d’incohérences inassumées, d’infantilisation ridicule… qui me secoue et me fait douter de la France de demain… Même si la France ne se résume pas à un gouvernement, aux pouvoirs limités dans le temps, même si demain n’existe pas encore.

Sauf que si, sauf que chacun y pense tout de même, à l’après. D’un côté, les plus pessimistes – eux s’estiment sûrement réalistes – annoncent que, malheureusement, rien ne changera fondamentalement, que ce sera sûrement pire même, que la machine reprendra son rythme infernal, en premier lieu pour rattraper le temps perdu ces derniers mois – car le temps, c’est de l’argent ! De l’autre, les plus optimistes voient en cet événement mondial bouleversant l’opportunité inédite de basculer vers un monde plus juste, d’instaurer une nouvelle dynamique, de nouveaux espoirs, de repartir à zéro comme si l’on réinitialisait le système Terre-Homme – et imaginent déjà comment atteindre l’autonomie alimentaire, comment moins exploiter les ressources de la planète, comment transformer les avions en bateau… En vrai, nous ne savons pas, puisque demain n’est pas encore arrivé. Mais la vie n’étant ni noire ni blanche, il y a fort à parier que demain sera un mélange des deux. Ce qui, logiquement, signifie que les optimistes auront gagné…

(1) https://www.seuil.com/ouvrage/ville-des-anges-christa-wolf/9782021041019

(2) Pour en savoir plus, lire cet article… https://www.lemonde.fr/blog/fredericjoignot/2016/08/30/comment-les-algorithmes-nous-enferment-dans-une-bulle-intellectuelle/

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Je pense à plusieurs choses en même temps mais je ne peux en écrire qu’une à la fois… Avez-vous déjà réalisé que lorsque l’on vit dans l’hémisphère sud, mieux vaut avoir sa maison au nord plutôt qu’au sud si l’on souhaite qu’elle soit arrosée de soleil, a minima réchauffée par lui ? Ou encore que les quartiers de Lune sont inversés – ainsi la Lune montante semble-t-elle descendre par rapport à notre référentiel nordiste ?

Cela n’a rien à voir, mais je pense aussi aux cinémathèques, musées, bibliothèques, salles de spectacles, radios, artistes et diffuseurs du monde entier – n’en déplaise à ma prof de français de 2nde qui détestait cette expression, « parce que si c’est le monde, il est forcément entier », bref – qui ouvrent exceptionnellement – et gratuitement – les vannes de leurs trésors respectifs désormais physiquement inaccessibles, et espère secrètement (plus maintenant…) que le confinement sera allongé pour pouvoir en profiter ! Le temps risque en effet de faire défaut avec toutes ces merveilles à portée de clics alors que je suis déjà ceinture noire de tsundoku, numérique ou pas !

Et puis, sur Facebook, où l’on rit, où l’on pleure, je viens de voir la photo Confinement-J9 d’une collègue photographe (Zeu Leny  ;-)) : une boîte de conserve d’un pâté maison du Lot. Neurones miroirs activés, j’en salive presque. Je bascule immédiatement dans mon appartement, resté en France lui, et pense à nos bons pâtés venant tout droit du Périgord, confinés, eux-aussi, au fin fond de l’étagère du bas du meuble juste à droite de l’inductionnière. Il doit en rester 3 ou 4 boîtes. On en mangerait bien aussi…

Est-ce étrange d’être ainsi à 18 990,91 km de chez soi pendant cette phase de confinement et plus globalement de bouleversement planétaire ? Oui, je sais, c’est très précis, mais c’est distance.to qui le dit. Donc ? Loin de son propre lit, de ses livres, de ses vêtements (avec des pulls supplémentaires donc – cf mot d’un jour précédent pour l’écho), de cette latte de plancher qui craque après 22h43 quand on lui marche dessus, de ses tableaux accrochés aux murs, de son unique plante qui, peut-être, vit des heures terribles, de ses habitudes, de son cocon, de son monde à soi, de son univers… Et bien, oui et non. Oui parce qu’un nid est un nid. Nous aimons le nôtre et réciproquement. Non, parce que l’essentiel, nous l’avons et le portons en nous. J’ai toujours pensé ainsi et ce n’est évidemment pas aujourd’hui que cela va changer. Notre intérieur est bien plus vaste que le plus grand des appartements. Alors, plutôt que de chercher à retrouver mon chez-moi le plus tôt possible – Qatar Airways propose de nouveaux vols qui atteignent des sommes vraiment indécentes – et, j’ai l’impression, une certaine forme de chaos, il me semble plus judicieux et utile de choyer mon intérieur hic et nunc… Car, à l’intérieur, se trouvent tous mes souvenirs, toutes mes évasions, tous mes rêves, toutes mes élucubrations et tout ce dont je n’ai pas encore conscience, et que, c’est de là que naîtra demain.

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Nous nous sommes donc réveillées confinées. Par conséquent, mon carnet de non confinement perd son « non »…

Nous sommes confinées comme les 5 millions d’habitants de ce pays. Et aussi comme 2,7 milliards d’autres personnes sur cette planète, soit un tiers de la population mondiale. Je l’écris, mais cela reste abstrait et difficile d’imaginer, concrètement, qu’un être humain sur trois est appelé à rester chez lui pour plusieurs semaines. Je me demande s’il existe d’autres exemples d’une telle proportion et découvre que, encore aujourd’hui, une personne sur trois dans le monde n’a pas accès à de l’eau salubre…

A l’autre bout du spectre, je me demande aussi si les milliardaires américains qui, ces dernières années, ont fait construire des abris de luxe pré- et post-apocalypse en Nouvelle Zélande, dans les montagnes de l’Ile du Sud essentiellement, sont là. La situation actuelle est-elle suffisamment catastrophique pour eux ? Je me demande où ils placent le curseur…

Et puis, je réalise que moi, je suis en Nouvelle-Zélande, dans ce pays choisi par ces personnes-là car elles estiment que c’est l’un des endroits les plus sûrs au monde. Si ce n’est le plus sûr. Certes, je ne suis pas installée dans un bunker, mais tout de même… Et à nouveau, malgré ce confinement embryonnaire et son cortège de restrictions, malgré cette très longue distance imposée avec les miens, je me dis que j’ai beaucoup de chance d’être là, en ce moment absolument sidérant pour tous mais vécu si différemment par chacun selon le pays dans lequel il se trouve et évidemment, à plus petite échelle, sa situation personnelle. Je dois ainsi dire qu’après avoir voyagé sur ces deux îles pendant 2,5 mois sans vraie interruption, vivant presque au jour le jour, pouvoir se poser « un peu » au même endroit est presque une bonne nouvelle… Je n’irai pas plus loin aujourd’hui. Distance de sécurité oblige.

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Il est 20h ici (ce ne sera plus le cas quand je posterai ce texte). Les missions du jour ont été remplies avec succès. Tout le monde – enfin, ceux ayant un numéro de téléphone néo-zélandais – a reçu une alerte d’urgence du gouvernement à 18h30 rappelant qu’à partir de 23h59 ce soir (mercredi soir… il y a toujours 12h de décalage horaire avec la France), l’ensemble de la Nouvelle Zélande passait au niveau 4 de l’alerte COVID-19.

Le téléphone a émis un son étrange et totalement inédit – proche de l’alarme incendie mais pas de feu à l’horizon – que nous n’avons pas tout de suite identifié :

– C’est quoi ce bruit ? demande-t-elle depuis la cuisine
– Je ne sais pas, ça venait de l’extérieur je crois ! lui dis-je depuis la courette où je capte les dernières minutes de soleil de la journée

La bête a même rugi deux fois à 10 minutes d’intervalle. Et elle l’aurait fait une troisième fois j’imagine si je n’avais pas vérifié l’arrivée d’éventuels messages (pas spécifiquement du gouvernement) et découvert celui-ci :

« This message is for all of New Zealand. We are depending on you.
Follow the rules and STAY HOME. Act as if you have COVID-19. This will save lives.
Remember :
Where you stay tonight is where YOU MUST stay from now on.
You must only be in physical contact with those you are living with.
It is likely Level 4 measures will stay in place for a number of weeks.
Lets all do our bit to unite against COVID-19.
Kia kaha. »

Voilà voilà… Je note, dans ce texte plutôt sobre, que le « 4 semaines » annoncé lundi est subtilement devenu « number of weeks »… Certes, « quatre » reste un nombre. Comme hier et avant-hier, je dirais : chaque chose en son temps. J’ai d’ailleurs l’impression que depuis quelques jours, le futur n’existe plus. Non pas que je sois devenue pessimiste, mais, l’incertitude dans laquelle nous plonge cette pandémie fait que se projeter précisément à court et moyen termes n’a pas beaucoup de sens. Par conséquent, nous sommes obligés de vivre au présent, en restant évasif quant à la suite. Il se dit que c’est le meilleur moyen d’être pleinement satisfait de sa vie et dans sa vie. Vu sous cet angle…

Je reviens un peu sur les missions du jour car elles nous ont permis d’observer trois attitudes différentes mises en place par les lieux où nous sommes entrées. Le premier, une boutique informatique – achat de la dernière carte mémoire de 128 Go pour avoir une sauvegarde supplémentaire des photos faites ici, ramette de papier même si nous n’avons, pour l’heure, pas besoin d’attestation de déplacement dérogatoire : à la porte d’entrée, un vendeur ganté-masqué nous propose du gel hydroalcoolique avant d’aller poser nos petites mains sur les produits du magasin. Bien.

Un peu plus loin, dans une enseigne très connue ici où l’on trouve tout – pas en temps de crise cependant -, de la tente aux mitaines en passant par du dentifrice et des micro-ondes : chacun respecte la distance réglementaire dans la queue, on nous autorise à passer la porte un à un, il y a aussi un vendeur à l’entrée sauf que, dans ses mains, point de gel désinfectant mais un panier rempli de chocolats (empaquetés) dans lequel les clients patients plongent allègrement leurs mains… Youpi tralala ! « Ah ah ! No, thank you ! ».

Dernier lieu, un centre de santé, où, logiquement, l’on s’attend à ce que ce soit encore plus strict. Et effectivement, c’est presque un Alcatraz inversé… Pour pouvoir y entrer, il faut se nettoyer les mains avec le gel mis à disposition à l’extérieur du bâtiment ; sonner pour se faire connaître ; attendre que l’on vous autorise à entrer ; expliquer votre cas, à distance, à une première personne gantée-masquée ; vous nettoyer à nouveau les mains ; puis être autorisée à passer au guichet – comprenez, la caisse enregistreuse – en restant bien derrière la barrière, à 1 mètre d’une dame qui vous pose un tas de questions derrière une vitre épaisse de 5 mm. Pour payer, uniquement en carte bleue, il faut utiliser une tige – sorte de cure-dent droit ou allumette sans soufre – pour composer son code, histoire de ne pas toucher le terminal avec les doigts… La pharmacie attenante s’est, quant à elle, dotée d’une barricade temporaire en bois et polycarbonate pour assurer ses services. Tout passe par une petite fente, mais on peut payer en liquide… On se dit que, à l’issue de tout cela, un jour, non seulement nous aurons fait des progrès en anglais aux accents variés, mais aussi en compréhension : derrière un masque, derrière une vitre, à l’autre bout d’un interphone grésillant… !

Bref, tout cela ne nous a pas empêchées de visionner « Contagion » ce soir. Nous l’avions vu au cinéma quand il est sorti. « Plutôt pas mal non ? Et ça se développe vite, quand même, leur virus là… T’imagines s’il se passait quelque chose comme ça, en vrai ? Mais non, t’inquiète…  » Le revoir aujourd’hui prend évidemment une autre dimension. Soderbergh, Bill Gates, ils avaient déjà tout prévu donc. Bref, pour compenser, dans la foulée, nous avons regardé le début de « Nuits blanches à Seattle » ! Un peu de love tout de même !

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En fait, je ne suis pas sûre que la tempête suivra…

 La matinée est administrative… Essayer – et réussir ! – de joindre l’Ambassade – qui nous conseille de remplir le formulaire évoqué hier, ce que nous faisons en précisant que nous ne sommes pas dans une situation désespérée. Contacter un médecin pour un renouvellement d’ordonnance et espérer qu’il répondra. Commencer à remplir les documents de l’immigration pour étendre notre visa qui expire le 9 avril. Interrompre le – long – processus car il nous faut, pour le valider, récupérer telle et telle preuves, en France… Et puis, lire en toute fin de journée sur le site dédié au covid-19 créé par le gouvernement que les détenteurs de visas temporaires expirant entre le 1eravril et le 9 juillet, ce qui est notre cas, le verront prolonger jusque fin septembre. Nous devrions prochainement recevoir un mail nous le confirmant. Ce serait une très bonne nouvelle, indépendamment de cette projection à fin septembre qui nous semble tout de même un peu excessive. Mais bon, un pas après l’autre…

Tout est déjà si calme dehors alors même que le confinement ne commence officiellement que demain (mercredi) à 23h59, bref, jeudi. 95% des boutiques sont fermées. Dans ce contexte, auquel il faut ajouter le fait que nous ne connaissons pas la ville sous l’angle shopping, dénicher un pull ne va pas être facile. Il n’y a quasiment personne dans les rues. Et quand d’aventure, nous croisons d’autres spécimens de notre espèce, nous nous éloignons subtilement les uns des autres, histoire de respecter les 2 mètres conseillés. Nous avons beau savoir que ces étapes font déjà partie du passé de nombreux pays dans le monde, le constater et le vivre soi-même est assurément différent. A y regarder de plus près, seuls les restaurants tenus par des étrangers – turcs, chinois, japonais… – sont encore ouverts. En plus des supermarchés et des pharmacies. Celles-ci ont d’ailleurs mis en place un système de protection maximal : personne ne peut y entrer ! A la porte, une personne gantée et masquée se tient derrière une table et gère les demandes les unes après les autres. Nous récupérons au passage une liste de centres de santé acceptant de nouveaux patients. Apparemment, on ne peut débarquer à l’improviste chez un médecin ici…

Dans la rue, les messages de prévention défilent, en petit, en grand. Celui que j’ai choisi pour illustrer cette journée – Be Kind – est symbolique d’une certaine douceur que nous percevons en Nouvelle Zélande, même si je ne veux pas idéaliser ce pays que je ne connais qu’à travers mes yeux de touriste é(mer)veillée. Après tout, à Auckland, il y avait apparemment la queue aujourd’hui chez un armurier, à tel point que le gérant a appelé la police. Nous sommes pourtant loin des Etats-Unis ! Certains commentateurs font l’hypothèse que leur but est plutôt de pouvoir chasser le gibier, si jamais les choses venaient à se corser, que leurs congénères. Le fait que cela soit aussi la razzia du côté des cannes à pêche tendrait à leur donner raison…

Bref, je trouve très honorable et humble aussi, qu’en ces circonstances exceptionnelles où d’autres appellent à la guerre, un gouvernement fasse de la bienveillance, de la gentillesse, de la générosité, de l’hospitalité entre chacun un maillon essentiel de la gestion de crise. A bon entendeur…

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