Photo-graphies et un peu plus…

La goutte et le vase

C’est l’histoire – courte – d’une goutte d’eau unique, monumentale – 20 mètres -, joliment galbée, sur le point de s’écraser dans un fracas proportionnel à sa taille sur le sol de la Bon Voyage Plaza pour se noyer dans la pellicule d’eau qui la recouvre et disparaître à jamais. Vibrant hommage à la nature pour ses créateurs, cette élégante goutte de 800 000 $ n’a pas échappé à la controverse, certains Vancouverois n’appréciant guère le coût de la boutade aqueuse dans cette ville parfois appelée Raincouver tant il y pleut. Comme s’ils avaient besoin ou envie qu’on leur rappelle ce qui est devenu l’emblème de leur ville ! En réalité, ils ont échappé au pire. Imaginez un peu ce qu’une telle commande artistique donnerait à Paris où déjections canines, mégots de cigarettes et autres épanchements urinaires sont de vraies plaies : une immense crotte délicatement déposée à Concorde, une montagne de mégots installée au Trocadéro et un jet jaune luminescent figé à Opéra…

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Il y a quelques années, une blague courait dans le milieu des étoiles et de l’univers que je convoitais, proclamant en substance et sans peur des répétitions : « Pour devenir astrophysicien, il faut attendre qu’un astrophysicien meure ! ». L’espérance de vie augmentant, même chez les hommes (plus nombreux que les femmes dans ce domaine), cette petite phrase rappelait aux jeunes qui rêvaient d’une aventure cosmique qu’ils allaient devoir s’armer de patience (éventuellement de cyanure), et qu’après tout, cela n’était pas totalement incompatible avec les temps immémoriaux qu’ils allaient chercher à explorer, remontant à des millions voire milliards d’années. Car si, dans notre vie quotidienne, nous devons nous satisfaire du présent et de l’instant d’après, en astro, le voyage dans le temps existe. C’est magique ! Mais c’est lent… En plus d’attendre la mort du vieil astrophysicien, l’apprenti étoilé comprend ainsi assez vite qu’il va devoir se montrer humble, les mystères de l’univers ne se laissant pas approcher facilement. Et donc potentiellement attendre 10, 15, 22, 36 ans pour obtenir un embryon de réponse à la question qu’il se pose. Et là, c’est l’hypothèse optimiste.

C’est précisément à ce moment que je suis définitivement sortie de mon orbite céleste pour aller rêver sur la terre ferme. Si chercher est une chose, ne pas trouver en est une autre. Pire, pour le jeune pressé plein d’espérance, ne pas trouver relève de l’échec. Cela évolue avec le temps… Voilà donc que la mort de John Mainstone il y a quelques semaines, dont j’ai appris l’existence à cette funeste occasion, m’a plongée dans une sorte d’admiration dubitative et de colère visqueuse. Le chercheur était le dernier responsable de la fameuse « expérience de la goutte de poix », présentée partout comme la plus longue au monde puisqu’elle a commencé en 1927. L’hypothèse : des substances a priori solides sont en fait des liquides à la viscosité très élevée. La matière test : la poix. L’expérience : en verser dans un entonnoir en verre et observer son « écoulement », ce qui devient possible dès 1930. Indéniablement excitant ! Car comme les étoiles aux confins de l’univers, la poix se fait désirer. Il faut ainsi 8 ans à la première goutte pour qu’elle daigne se désolidariser du bloc dont elle était issu. La suite est du même tonneau : la 2e choit en 47, la 3e en 54, la 4e en 62, la 5e en 70, la 6e en 79, la 7e en 88 et la 8e en 2000… Mainstone, mort à 78 ans (l’espérance de vie des australiens mâles est de 79 ans…), faisait la vigie depuis 1961. Le temps de cinq gouttes. Et pourtant, celui qui a prédit la 9e avant la fin de l’année n’en a jamais vu aucune faire le grand saut ! Je trouve cela affreusement ironique, terriblement machiavélique et cruel de la part des gouttes de poix ! Elles auraient pu avoir la décence de s’effondrer au moins une fois devant lui. Un étudiant aurait fait résonner Ainsi parlait Zarathoustra de Richard Strauss et la goutte serait tombée au ralenti. Cela aurait été beau, puissant ; Mainstone aurait pleuré à grosses gouttes (c’est plus rentable, elles coulent plus vite !), puis pensé qu’il n’avait pas attendu toutes ces années pour rien ; le soir, il aurait ramené un bouquet de pétunias mauves à sa femme qui n’y croyait plus et le lendemain, il serait retourné au labo en osant rêver d’autre chose…

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Extrait d’”Etats d’âme sur le macadam”, ensemble de textes griffonnés à l’aube du 21e siècle sur mes inséparables petits carnets…

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A ma gauche, une jeune femme lit : « Le point de Mir ». Avant la catastrophe prédite. Hystérie… Ce matin, à la radio, on parlait de la rentrée d’argent dont allaient bénéficier les villes situées dans la bande d’obscurité. Camping improvisé, menu « éclipse » avec dessert aux chocolats blanc et noir. Il y a même une revue en vente depuis jeudi. Et un CD ! Que va-t-il se passer ce fameux jour ? De la pluie, tout simplement. Car, c’est effectivement ce qui nous tombe du ciel depuis quelques heures. La nature ferait ainsi un véritable pied de nez à tous ces assoiffés de spectacle. Ce qui se comprend aisément. L’événement reste exceptionnel. Mais tout ce cinéma autour… 16 pages aujourd’hui dans Le Monde ! Toutes ces couvertures… Apparition de l’éclipse. Et pour quoi ? Un ciel lunatique. J’aurais fait pareil si j’avais été lui.

Toutes les revues où des lunettes étaient offertes ont connu la razzia. Les appels ne se comptent plus. « Les lunettes sont-elles bien conformes ? » Patience admirable au standard face à cette folie passagère. N’y a-t-il rien d’autre dans l’actualité pour remplir ces pages de quotidiens, hebdos ou mensuels ? J’attends mercredi avec une certaine impatience. Mercredi soir bien entendu, pour les réactions, les images, la météo… Evénement médiatique sans précédent. Aujourd’hui, celui qui ne connaît pas les principes de l’éclipse fait preuve de mauvaise volonté. Et si c’est un échec total ? Trouveront-ils des excuses ? Le « ils » ? Les média, bien sûr. Hier, à Nature et Découvertes, trois mamies se sont présentées à la caisse : « Ça, c’est des lunettes ? » demande l’une d’entre elles à la caissière en lui montrant des diapos. Et non… On entend qu’en Belgique, il est demandé aux possesseurs de lunettes de les restituer, en vue d’un envoi massif vers l’Afrique, prochaine scène pour une éclipse totale. Partout, même ici, dans ce carnet. Mais comment passer à côté ? Tout le monde n’a que ce mot à l’éclipse. Je m’y perds ! Et c’est : « Toi, tu seras où mercredi, pour l’éclipse ? » « Eh, je reste là, de toute manière il va pleuvoir », « je ne vais pas faire comme tous ces clampins », « je vais à Compiègne, Senlis, mais ce sera serré car je n’ai pris que la demi-journée ! ». Et oui… Tragique scénario … je crois qu’on ne pense plus à celui de Paco. Claudie André-Deshays était sur les ondes ce matin, et assurait qu’il était « balistiquement » impossible que la station Mir s’écrase à Paris ce mercredi. Il est vrai que cette perspective n’aurait pas été réjouissante pour elle, son mari  – Jean-Pierre Haigneré – se trouvant dans la fameuse station orbitale. Dans ce cas précis, c’est la balistique qui tranche. Un gourou, en Pologne, répand aussi sa thèse cataclysmique et a d’ores et déjà donné rendez-vous à ses disciples sur les berges du Danube. Quoiqu’il en soit, cette euphorie mêlée de panique laisse présager de quelques surprises pour le passage à l’an 2000, qui lui, concernera la planète entière. Et c’est sans compter sur le fameux Bug, punaise mondialement connue. J’ose à peine imaginer l’hystérie qui va précéder cette date. Tous les média sont mobilisés pour l’éclipse. Comment faire plus pour le « Y2K » ? Il paraît que le passage à l’an 1000 n’a pas suscité d’éclat, et ce pour une raison simple : on se repérait plus souvent par rapport à l’année de règne du roi au pouvoir. C’est comme si nous disions : « c’est la 4ème année du règne de Chirac. » Ce qui ne nous fournit pas trop d’informations sur la fin du siècle. Et puis, pourquoi cette année serait-elle différente des autres ? Il suffit  de changer de référence et l’an 2000 est déjà passé !

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Vancouver me fait parfois penser à un enfant ou un animal (de compagnie) – non, je ne mets pas les deux au même niveau – qui ferait une bêtise digne de mériter une sévère punition, qui en serait conscient et qui, suffisamment intelligent, saurait aussi, d’une élégante pirouette – une moue adorable, une parole incongrue, un câlin irrésistible – renvoyer toute tentative d’autorité du dit adulte ou maître aux oubliettes.

Mais quelle bêtise a bien pu faire Vancouver ? La ville a volé la pluie des autres, convoqué un gigantesque pow-wow de nuages de tous horizons au dessus de sa tête, et leur a intimé l’ordre de se presser un peu. Alors que certains paradent sous 30°C depuis des mois pour le meilleur (le plein de vitamine D pour des années) et pour le pire (la sécheresse fatale aux agriculteurs) invoquant les faiseurs de pluie les plus reconnus, projetant d’utiliser quelques pétards pour donner une telle frousse aux cumulonimbus qu’ils en fassent pluie-pluie, nous devons supporter les abus de pouvoir de cette ville.

Elle sait que quiconque en foule le sol en tombe littéralement amoureux, que la pluie – un peu trop récurrente – fait douter ses habitants quant à leur capacité à la supporter à long terme, alors, quand, elle nous sert un crachin dès le petit déjeuner ou, des trombes d’eau au dessert agrémenté d’une sauce de grêle pendant deux bonnes heures, elle sait qu’il suffit de quelques rayons de soleil bien sentis pour réconcilier tout le monde et provoquer une amnésie générale.

Evidemment, le tort, en ces circonstances chaleureuses, serait de croire que la chose est acquise. Que c’en est fini de la pluie pour la journée. Et c’est d’ailleurs sur l’un de ces troncs bancs disséminés régulièrement sur les plages que j’ai écrit les mots qui précèdent. Et pourtant, après deux heures de répit, des gros nuages gris sont venus assombrir le ciel, et le doute s’est à nouveau emparé des esprits. Cela a commencé gentiment par de grosses gouttes de pluie entre lesquelles il était possible de passer, et puis, petit à petit, le rythme s’est accéléré, la taille des gouttes s’est réduite et la pluie a mouillé tous ceux qui étaient sortis pour profiter du soleil. Et à nouveau, Vancouver s’en sort à merveille : le spectacle de ces gouttes jouant au tam tam sur la surface de l’eau, de la montagne disparaissant dans le grain, de ces rayons de soleil réussissant à percer et de ces amateurs de paddle surpris par l’assaut aqueux est magnifique… Et la ville, en pleine forme, pousse même le vice jusqu’à tenter quelques notes d’humour : sur le chemin du séchoir, alors que je dégouline de partout, je tombe nez à nez sur une affiche de concert : des places à vendre pour Supertramp !! Et, pour parfaire le tableau, je n’ai plus de batterie et ne peux donc capturer ce qui aurait pu être l’image de fin. Et hop, une « petite » PPF… Allez, Vancouver est vraiment une ville très très agréable à vivre !

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C’est un constat que chacun a pu faire : un parapluie ne pare pas toujours efficacement la pluie. J’entends, un parapluie classique, de diamètre normal, pas ces parachutes qui occupent la largeur d’un trottoir, dont les propriétaires, de véritables pachas ambulants, ne semblent avoir aucun scrupule à éborgner les badauds qui oseraient fouler le même sol qu’eux. Quels que soient le sens du vent, l’angle avec lequel tombe la pluie, l’inclinaison donnée au parapluie, il y a toujours un moment où l’on sent les gouttes tomber à un rythme régulier sur les mollets. Et arriver ainsi, petit à petit, par une capillarité aussi méthodique que sans répit, à imbiber la moitié basse du pantalon, se collant immanquablement et durablement à la peau. Un désagrément que ne connaît sans doute pas le monsieur là-bas, au fond. Son parapluie – un exemplaire unique ? – est en effet doté d’une petite extension, telle une visière de casquette, envoyant valser au loin l’eau qui voudrait se jeter avec avidité sur ses petits mollets !

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Il n’y a rien de plus banal que de regarder par la fenêtre. De loin, tout semble absolument normal et simple. Il y a un intérieur, et de l’autre côté, un extérieur. Mais, au fur et à mesure que l’on se rapproche, l’étrange apparaît. L’extérieur paraît lui-même habité d’un intérieur protéiforme et tourmenté. Un intérieur qui se débat dans un volume confiné comme un fou dans une cellule. Une magnifique singularité prend alors le relais, générant une nouvelle perception d’une même réalité. Laquelle faut-il suivre ?

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… la belle neige de Mont-réal, ainsi fond, fond, fond, trois p’tits mois et puis s’en va ! Montréal fond. Littéralement. Et soudainement. La ville goutte et s’égoutte de partout dans un clapotis symphonique orchestré par le ciel lui-même. Les bouts de glace, fragilisés par un redoux temporaire, se disloquent, tombant sur le trottoir dans un fracas de corps qui lâche, comme un modèle après six heures de pose intense. Les beaux petits tas de neige pure se muent en flaques marronnasses. Les mégots de cigarette bien dissimulés sous le manteau blanc remontent à la surface par dizaines. A moins que cela ne soit elle qui remonte à eux. La neige redevenue eau dévale les pentes, même faibles. Le filet dynamique file, innocemment, sans se douter qu’il va bientôt se jeter dans la gueule d’un caniveau émettant un son de rivière souterraine agitée. C’est la fête en bas après plusieurs semaines de statu quo dans le monde lumineux. Le paysage n’est pas toujours très beau, mais qu’est-ce que la beauté face à quelques degrés de plus ? Les oiseaux sifflent, les visages sourient, les écureuils tentent une sortie, certains s’élancent en petite tenue quand d’autres préfèrent, passifs, se shooter à haute dose de vitamine D… Profitons-en, l’accalmie est de courte durée. Demain, retour au négatif !  Les gouttes vont-elles s’arrêter en route ?

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Qui ne s’est jamais posté derrière sa fenêtre pour regarder choir la pluie, laissant couler le temps avec ? Qui ne s’est jamais étonné d’apercevoir le monde renversé par l’entremise des  gouttes-loupes ? Ou émerveillé en observant l’astre brillant à travers elles ? Qui n’a jamais suivi du regard ces gouttes s’écrasant sur une vitre, imaginant qu’elles faisaient la course dès lors qu’elles atteignaient la dite surface lisse, alors transformée en piste « eautomobile » ? Qui n’en a jamais alors choisi une en plaçant un espoir sérieux dans sa capacité à atteindre la ligne d’arrivée en premier, emportée par son poids, le vent ou toute autre force mystérieuse ? Qui n’a jamais tenté d’anticiper la route qu’allaient emprunter ces petites boules d’eau, les croisements de sillons, les fusions ou au contraire, les scissions, se laissant aller à un parallèle assez trivial avec sa propre vie et les rencontres qui la ponctuent… Là, on dirait une fracture. Fenêtre scindée en deux par cette faille sans faille, tracée par une lourde goutte suffisamment chargée en énergie pour aller droit au but.

Mélancolique assurément, réjouissante aussi, la pluie inspire. Pour tous ces petits détails et bien d’autres encore, la pluie glissant sur une fenêtre attire comme un aimant. Et justifie une nouvelle série de photographies. Irisation, décomposition, éclatement, pénombre… C’était cet après-midi. Il y avait des gouttes de pluie sur La fenêtre. Bonne pluie !

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