Photo-graphies et un peu plus…

La science d’un film de science-fiction doit-elle être juste ou pas ? La question pourrait aussi se poser pour les films historiques. La réponse, dans les deux cas, est d’ailleurs la même. Revenons à la science. Depuis toujours, Hollywood, qui a les moyens des grands moyens (dans ce contexte, des effets spéciaux), est la grande pourvoyeuse de films de SF, fantastiques et d’anticipation. Le propre de la SF est, notamment, d’exacerber des tendances et des évolutions contemporaines, le tout en jouant sur des peurs collectives. Ainsi, les films catastrophes (climatique, invasion extraterrestre, menace intersidérale, guerre…), les films sur les manipulations génétiques (conduisant, en général, à la création de monstres), sur l’emprise des machines sur l’homme et son cerveau, se sont-ils multipliés comme des copies, avec plus ou moins de réussite. C’est, de prime abord, une très bonne nouvelle que le 7e art s’empare de ces sujets à l’actualité brûlante. Le cinéma peut aussi avoir un rôle d’alerteur ou d' »éveilleur » de conscience.

Encore faut-il que ce qui est à la base de ces scenarii comporte une certaine justesse scientifique, histoire de ne pas tromper le spectateur avec une science de pochette surprise. C’est là que le bas blesse. Car, souvent, malheureusement, la véracité des éléments scientifiques de ces films n’est pas la priorité des scénaristes – même si, pour se donner bonne conscience, ils font de plus en plus appel à des experts scientifiques pour les aiguillonner -, encore moins des producteurs – plus familiers des billets verts que des publications de rang A, en quête de spectateurs et donc, de spectaculaire. Ainsi, la Nasa, épaulée par SEE (Science & Entertainment Exchange) qui promeut une science-fiction authentique, s’est-elle livrée une relecture des films de SF depuis une trentaine d’années sous l’angle de leur pertinence scientifique. 2012 de Roland Emmerich, réalisateur des fameux Independance Day et Le Jour d’après, remporte la palme du film écorchant, de toute l’histoire du cinéma, la vérité scientifique. Ceux qui sont allés le voir, et ils sont nombreux puisque 2012, est l’un des gros succès de 2009, s’en seront (jespère !) doutés. Dès les premières minutes, 2012 se présente en effet non pas comme un film de SF mais comme une dramatique comédie. Tout y est si gros que l’hilarité finit par prendre le dessus sur le désespoir.

Sauf que la propagation de ces grossières approximations et énormes erreurs scientifiques, dans ce qui reste de la fiction, a un impact sur le monde réel et sur la façon dont, les spectateurs, hors des salles obscures où l’impossible devient possible, interprètent et appréhendent les événements, les nouveautés et évolutions scientifiques auxquels ils sont indirectement confrontés. Car, que l’on parle de clonage reproductif (ce dont il est essentiellement question dans les films), de cataclysme climatique, de disparition de l’humanité, on reste dans une projection (sans jeu de mots) à long terme. Quelque chose d’impalpable pour le commun des mortels, donc, qui fait peur, sans vraiment angoisser. Tout cela ne serait qu’un détail amusant si, dans la vie réelle, une vraie éducation scientifique était dispensée à chacun. Pas uniquement lorsque l’on est à l’école. Une éducation scientifique pour tous. C’est loin d’être le cas ! Et le fait que la technique aille plus vite que l’éthique ne facilite pas la tâche. De fait, combien de personnes sortent d’une salle en pensant qu’un clone est une exacte photocopie de nous-mêmes pouvant se créer en quelques secondes, ou que la Terre peut geler en quelques heures (les fins limiers reconnaîtront d’ailleurs, ci-dessus, la magnifique bibliothèque de New York où se réfugient quelques rescapés du Jour d’après, alors qu’un méta-tsunami déferle sur la ville, vague titanesque qu’ils voient arriver dans la rue en face) ? Combien sont sortis de 2012 en se demandant si, toutes proportions gardées, c’était possible ? On aimerait croire que ce ne sont que des sornettes. Et pourtant, la Nasa, assaillie de questions après la sortie du film sur une potentielle fin du monde le 21 décembre 2012 (bientôt donc), a dû créer une page sur son site Internet pour rassurer ces êtres humains un brin (d’ADN) naïfs… La première question / réponse de leur FAQ montre tout le travail qu’il reste à accomplir. Je ne résiste pas à traduire le duo. Question : « Y a-t-il une quelconque menace sur la Terre en 2012 ? De nombreux sites Internet prétendent que la fin du monde aura lieu en décembre 2012 ». Réponse : « Rien de mal (nothing bad) n’arrivera à la Terre en 2012. Notre planète va très bien depuis plus de 4 milliards d’années et des scientifiques mondiaux crédibles n’annoncent aucune menace associée à 2012. » Indépendamment du fait que l’ensemble semble avoir été écrit pour un enfant de 5 ans, il est intéressant  de voir comme, même la Nasa, emprunte le vocable du bien et du mal pour répondre à ces angoisses d’adultes. Toutefois, la bataille n’est pas perdue d’avance et il n’y a pas que du négatif dans ce palmarès. Blade Runner, qui commence à dater (pas dans la forme ni dans le propos, mais dans le temps), a été salué pour son « authenticité ». Plus récemment (et encore, le film remonte à 1997… que s’est-il passé depuis ?), Bienvenue à Gattaca est celui dont le propos est le plus scientifiquement crédible. Un film d’une subtile beauté rétro-futuriste et d’un discours extrêmement pertinent sur les discriminations d’hier qui ne font que revêtir un visage génétiquement modifié à un présent, indéfini. Un film d’ailleurs injustement passé inaperçu car sorti au moment de la déferlante Matrix, et qu’il serait de bon ton de revoir aujourd’hui, voire d’étudier de près, car il nous dit beaucoup de choses sur la société qui nous attend probablement…

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30°C d’amplitude thermique entre l’intérieur et l’extérieur. Le choc. Les métaux transpirent. Les verres s’embuent, jusqu’à s’opacifier. Le temps de la réconciliation, le monde disparaît dans un flou massif gommant les moindres détails et nous rendant temporairement aveugles. Sensation de flottement, d’errance entre deux mondes. Réveil post-anesthésie. On progresse à tâtons dans cet univers éphémère où les êtres croisés ne sont plus que de grossières formes sans finesse, à peine l’ombre d’eux-mêmes. Dans ce couloir que  l’on devine étroit, la lumière vive nous guide alors jusqu’au miracle : on voit à nouveau !

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Réalisé sans trucage numérique. C’est une mention qui apparaît de temps en temps sur des portfolios de photographes aux images parfois si étonnantes et si extra-ordinaires que l’observateur pressé en déduit, presque instantanément, qu’elles ont simplement fait un petit détour par la case « logiciel de retouche ». De la correction cosmétique (un peu de lumière par ci, un peu de contraste par là) à la chirurgie esthétique lourde (et hop, on retire ce type en arrière plan qui gâche ma perspective) en passant par l’exobiologie (et si je rajoutais quelques lapins existentialistes autour de cet arbre, et deux ou trois lunes dans le ciel, et peut-être même une tornade en arrière plan), la PNM (Photo Numériquement Modifiée) revêt une multitude de formes. En théorie, à l’instar des plus connus OGM, la PNM vise à améliorer l’image originale.

Ainsi, par l’ajout de cette légende de quatre mots, l’auteur de l’image se positionne-t-il en artiste, authentifie-t-il son travail de création, sa maîtrise technique de l’outil, ainsi qu’une réelle recherche esthétique. Autrement dit, il n’a pas simplement appliqué le filtre « contours lumineux » ou « océan » à une image, au demeurant plutôt quelconque, dans l’espoir de la sublimer. Ce qui n’empêche pas à la PNM d’être un choix d’artiste et d’être, parfois, à l’origine de merveilles iconographiques. Reste que pour un photographe désireux de préserver une certaine pureté ou vérité de l’image, et ainsi, de montrer que la photographie n’est pas morte, elle est, aujourd’hui, presque un fléau contre lequel il doit se battre. Evidemment, en agissant de la sorte, il s’expose à cette question aussi classique  que le « t’es où ? » téléphonique : « comment avez-vous fait pour obtenir cet effet naturellement ? » Comme si un magicien dévoilait ses tours ! Quid de cette image alors ? Et bien, ce n’est pas une photographie ! Ce qui est donc une manipulation. De l’esprit. La seule dans ce cas puisque tout le reste est « naturel ». Comme le dit la légende.

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On peut vivre avec son temps sans vraiment accepter tout ce qui l’accompagne ! Ainsi en est-il de cette dame noyée dans la masse des 5 milliards d’abonnés à un téléphone portable… Oui, oui, il n’y a pas d’erreur ni d’exagération dans ce nombre frais de juillet dernier, totalement vertigineux au regard du nombre de personnes (6,8 milliards) vivant sur cette planète à antennes ! Certes, ce chiffre ne doit pas faire croire que 3 personnes sur 4 possèdent un cellulaire ; ce n’est pas le cas. Ceci dit, ce dernier ne pourra qu’augmenter au fur et à mesure que les habitants de pays, comme la Chine ou l’Inde par exemple, s’équiperont. Deux millions de primo-accédants chaque jour, des fonctionnalités toujours plus diverses et étonnantes qui ne feront qu’imposer encore plus ces ondes électromagnétiques dans nos vies ! Et des questions en suspens comme celle, récurrente, de l’innocuité des ondes sur nos petits cerveaux. Avec la manne financière qu’une telle unanimité représente, difficile de penser que quelqu’un osera brandir un principe de précaution fort pour en interdire l’usage.

Mais je m’égare, comme souvent. La dame donc. Qui s’est réfugiée dans une cabine téléphonique d’où elle appelle avec son portable… L’image est amusante. Elle a fait la moitié du chemin vers la modernité : gagner en liberté grâce à ce parallélépipède bourré d’une électronique de pointe à rapprocher les êtres, la perdre aussitôt en choisissant de ne pas profiter de son aspect « mobilité », l’apport essentiel de ces dispositifs portatifs un brin envahissant. Car la modernité a aussi gonflé le flux automobile « Ah, tu es dans la rue ! », et de fait, le niveau sonore de la cité, faisant de ces cages de verre en voie de disparition des refuges d’un temps où l’on n’avait pas besoin de crier pour se faire entendre.

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Voilà ce qui arrive lorsque l’on cherche une image en particulier et que l’on ne la retrouve pas… J’ai à l’esprit, depuis plusieurs jours, une photo que je pourrais décrire dans ses moindres détails et qui, a priori, serait idéale pour illustrer un propos que je m’empêche de développer depuis, n’ayant pas mis la main virtuelle sur cette photographie. Je pourrais en chercher une autre qui cadre tout aussi bien avec le dit sujet, mais cela ne règlerait pas le problème : cette image, si présente dans ma mémoire, resterait cachée parmi ses nombreuses semblables… Ce n’est évidemment pas la première fois que cela survient, et deux fois sur trois, la photo pensée initialement se présente, comme une fleur, sous mes yeux, à l’issue d’une recherche totalement différente, deux ou trois jours après avoir déclaré forfait ! Comme si c’était un jeu ! L’image a-t-elle une conscience d’elle-même et du pouvoir qu’elle exerce sur nous ?

Il est certain que chercher une photo précise dans un portfolio en contenant plus de 20 000, même en rationalisant au maximum (lieu, période approximative…), c’est un peu comme tenter de retrouver quelqu’un dans une foule en mouvement (il y a une heure, il était là) ! On fait des tours et des tours, dans un sens puis dans l’autre, rapidement puis lentement, on retourne tout, en vain. La photo échappe à notre vigilance pourtant à son paroxysme. Car le portfolio est mouvant… Les images sont parfois déplacées et réorganisées dans un souci d’optimisation. Certaines sont parfois même supprimées, plusieurs mois ou années après avoir été prises. D’où un problème potentiel de mise à jour de notre mémoire interne : peut-être ai-je tout simplement oublié que j’avais effacé cette image ? Auquel cas, ma quête n’aboutira jamais. Je me souviens en effet que cette photo prise dans une salle de cinéma en attendant les bandes annonces était floue. Un état qui est loin de me déranger, mais, parfois, certains jours de grand ménage photographique (on parle de « Printemps de la photographie » dans les chaumières), on se prend à éliminer des images chéries la veille. Comme ça, sans prévenir. Mais avec de bons arguments. Et pas de négatif pour rattraper l’affaire si le lendemain, on change d’avis. Dans ce cas, mieux vaut savoir oublier les images que l’on a en tête, et qui, d’une certaine manière, se rapprochent de La photo pa(s/r)faite. Cela permet de voir plus loin…

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Sournoise, la lumière, tapie dans l’ombre et affamée, les grignotait tous, les uns après les autres, en de parfaites bouchées rondes, sans qu’ils ne s’en rendent vraiment compte et ne s’en effraient…

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Le ciel était si bas ce soir-là que l’ombre de la sculpture de Napoléon trônant au sommet de la colonne Vendôme, loin de se perdre dans le vide de la nuit, était restée étonnamment accrochée aux nuages, tel un signal de détresse envoyé à un super héros local…

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Que c’est beau ! Prochaine destination de voyage ? Plage de sable blond, mer tranquille, ciel bleu aux nuages inspirés… Vous vous y voyez déjà. La petite silhouette qui se détache à l’horizon, c’est vous. Vous en êtes sûr. Mais, ne vous emballez pas ! En bas sur le côté, en tout petit, si petit que l’on ne le voit pas, une petite astérisque mentionne que la photo n’est pas contractuelle. On nous vend du rêve, on nous offre ce que l’on veut voir. Tant pis si, sur place, la pluie est au rendez-vous, si la plage est recouverte d’algues et de bouteilles plastique en fin de dérive océanique, et si une voie ferrée (obsession passagère, ah ah) passe juste de l’autre côté de la barrière de palmiers, venant régulièrement interrompre votre quête de sérénité. Vous y avez cru à un moment, vous avez acheté votre billet et c’est parfois l’essentiel. Un mauvais pli pris parfois par les musées aussi…

Il serait de bon ton d’exporter ce concept d’astérisque aux conférences et séminaires, qui, d’une autre façon, nous vendent (gratuitement certes) du rêve, à travers des mots, des titres et des formulations susceptibles d’attirer le curieux… Bien caché : programme non contractuel. Un exemple. Octobre 2008. « Le futur a-t-il un avenir ? » séminaire organisé par le Centre Pompidou. Journée réjouissante, sur le papier, avec un parterre de connaisseurs sur la scène, des thèmes promettant des échanges passionnants… Qui, dans la réalité, s’effondre comme un soufflé à la cuisson interrompue par la curiosité du gourmand. La moitié des invités est absente. Ils s’excusent. Conférence annulée. L’autre écourtée. L’autre totalement réorientée faute de combattants. Si le futur a un avenir, par nature, le présent ne semble pas en avoir. La salle est progressivement désertée au fur et à mesure que les heures passent. Comme hier. Dans cette petite salle du département Media de McGill. « The human after the post-humanist critique or, the fantasy of Interspecies Ethics ». Impatience. Evidemment, à lire ce titre, on ne s’attend pas à assister à une conférence portant exclusivement sur les animal studies et à voir des photos de chiens (même pas des robots) parsemer la présentation. Non, on ne s’attend pas à entendre parler des théories, notamment de Derrida, sur les relations entre l’homme et l’animal, sur les droits des animaux… Certes, c’est sûrement intéressant mais le fait est que ce n’est pas ce que laissait entendre l’annonce. Par conséquent, l’attention se dissout totalement (Mayde, Mayde, décrochage imminent ! John, je crois qu’on l’a perdu ! Cerveau inactif sur les radars…), la succession de mots prononcés dans une langue étrangère se muant en une sorte de musique d’ambiance imposée. Evidemment, a posteriori, lorsque l’on relit attentivement la présentation habilement complétée entre le jour où on a mis une croix dans notre agenda et le jour J (et que l’on n’a pas re-regardé malheureusement), on peut comprendre qu’elle risque de prendre une autre tournure que celle instillée par le titre. C’est le danger à assister à une conférence avec des idées précises sur son contenu potentiel. Je vais guetter donc la prochaine série sur la communication grand public, peut-être y parlera-t-on de publicité mensongère ?

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Je me lève avec une envie. Rien de bien extravagant. Ecouter Avec le temps. Comme nous sommes à une époque où il suffit d’avoir un désir pour qu’il soit presque aussitôt assouvi, j’allume ma machine à puces, lance le renard en feu et ouvre Grooveshark (un Deezer sans frontières). Je clique sur la loupe, entendez « rechercher une musique ». Tactac tac tac. Avec le temps. Là, normalement, un tout s’en va vous arrive au bout des lèvres avant même que la liste ne s’affiche. Encore un de ces airs entêtants susceptibles de nous accompagner pendant des jours entiers… Lecture. Qui n’est pas une lecture au sens propre. La musique envahit l’espace et sa mélancolie avec. Dans la foulée (qui ne me fait pas bouger d’un iota), je lance (qui, évidemment, ne me fait rien jeter – qu’il doit être difficile d’apprendre le français !) une requête (et non une rocket) sur Léo Ferré (encore une histoire de chemin de fer, me direz-vous !). Léo Ferré chante Aragon. Dans l’instant, je suis embarquée dans un voyage dans le temps non réservé. Je suis là, dans une grande pièce pleine de tables, très éclairée, face à une inspectrice qui me demande ce dont je souhaite parler. Le roman inachevé. Aragon. Poésie. Contrairement à ce que laisse entendre le titre. Il n’aurait fallu.

« Il n’aurait fallu / qu’un moment de plus / pour que la mort vienne / mais une main nue / alors est venue / qui a pris la mienne // Qui donc a rendu / leurs couleurs perdues / aux jours aux semaines / sa réalité / à l’immense été / des choses humaines // Moi qui frémissais / toujours je ne sais / de quelle colère / deux bras ont suffi / pour faire à ma vie / un grand collier d’air // Rien qu’un mouvement / ce geste en dormant / léger qui me frôle / un souffle posé / moins une rosée / contre mon épaule // Un front qui s’appuie / à moi dans la nuit / deux grands yeux ouverts et tout m’a semblé / comme un champ de blé dans cet univers // Un tendre jardin / dans l’herbe où soudain / la verveine pousse / et mon cœur défunt / renaît au parfum / qui fait l’ombre douce. »

« Vous connaissez la chanson de Léo Ferré ? » me demande-t-elle. Je transpire. « Non. » Elle, inspectrice de mon bac français, qui ne pensait pas avoir une réponse aussi précise à sa question (cas qu’il faut pourtant envisager lorsqu’on en pose une), me croit timide. Persuadée que je connais l’interprétation qu’en a faite Léo Ferré, elle insiste. Ce n’est pas de la coquetterie. Je ne connais pas. Tremblement sans stupeur. Et à l’époque, pas d’antisèche universelle pour réparer cette inculture en 0,32 s. Le passage au grill achevé, j’oublie cette histoire de chanson. Enfin, pas totalement, mais je ne me rue pas chez le premier disquaire pour acheter le dernier 33 tours de Léo Ferré. Les années passent et me voilà avec cette envie matinale de Avec le temps, qui s’affiche, à présent, comme une sorte de mise en abyme. Car non, avec le temps, tout ne s’en va pas. Pas les vers d’une poésie apprise par cœur, pas les tables de multiplication récitées avec le même ton enjoué qu’à 8 ans (4fois8 32, 6fois7 42, 5fois3 15…), ni les déclinaisons latines (rosa, rosa, rosam…)… Je suis toujours fascinée par la façon dont les souvenirs enfouis sous des couches indéterminées d’autres souvenirs, pas forcément plus récents d’ailleurs, rejaillissent sans prévenir à la vision d’un simple mot ou d’une image et défilent, devant nos yeux, comme une cascade de dominos… Reste à retrouver la raison de cette envie à une heure où rien de conscient ne s’est encore passé. Quant à la chanson, je préfère la lecture. La vraie.

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Les voyages forment la jeunesse, entend-on souvent dans la bouche des adultes. Ils aiguisent le regard aussi, la curiosité. Font ressortir certaines dissemblances et similitudes d’un pays à l’autre. Ainsi, pour une raison que je ne m’explique pas encore, les bourses d’ici et d’ailleurs sont souvent hébergées dans des bâtiments assez similaires. En l’occurrence, des palais à colonnes, au style corinthien. Une architecture historiquement vouée aux dieux. Enfin, ceux qui pensent l’être. Encore aujourd’hui. Voyez le Palais Brongniart à Paris, absent du triptyque, ce qui ne fait que confirmer la règle sus-dite. Napoléon 1er en est l’initiateur au début du 19e siècle et en parle alors comme du « thermomètre de la confiance publique »… Deux siècles plus tard, je ne sais qui oserait encore prononcer ces mots face à ce temple de la finance et hôte de certains des plus vils vices humains.

La vision de Wall Street date de 2005, avant la crise, époque flamboyante. Une immense bannière étoilée proclame une fierté indécente occultant ces colonnes corinthiennes. A l’extrême droite, La Borsa de La Valette, prise il y a quelques mois, fait profil bas. Pas de drapeau flottant au vent. Et des colonnes se démarquant bien de la force obscure prête à les engloutir. Entre temps, les bourses se sont effondrées et les étoiles se sont repliées sur elles-mêmes. Et l’on comprend alors peut-être pourquoi elles sont ainsi conçues. Ces piliers ne jouent ni plus ni moins que le rôle de ces colonnes métalliques installées, en dernier recours, dans une maison dont le plafond, et le reste, menace de s’écrouler… Des béquilles.  Et l’image centrale alors ? La statue ? Elle (il s’agit ici d’une reproduction) trône au sommet de la Chicago Board of Trade, un magnifique bâtiment Art Déco, où l’entrée en colonnade est réinterprétée de façon plus rectiligne. Il y a quelque chose d’étonnant dans cette sculpture de Cérès (près de 10 mètres de haut en vrai). Son visage n’est qu’une boule de métal sans nez, yeux, bouche, oreille, qui ne sent rien, ne voit rien, n’entend rien, ne dit rien, et de fait, n’a pas d’identité. La raison invoquée par son créateur croyant à l’époque qu’il n’y aurait pas bâtiment plus élevé dans la cité d’Al Capone ? Personne n’en verrait les détails à cette hauteur. Omission symbolique a posteriori et faisant de ces places indéchiffrables des endroits désincarnés où l’équilibre du monde est menacé…

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