Savez-vous ce que je me suis naïvement dit en le voyant ainsi mains et bras levés ? Qu’il priait de toute son âme, qu’il saluait la beauté de ce paysage naturel et grandiose, qu’il admirait la douceur de cette montagne aérée et aérienne, qu’il se recueillait devant la toute puissance des forces telluriques de la troisième planète du système solaire (quand même, ce n’est pas rien, c’est toujours la seule habitée jusqu’à preuve du contraire !), que patati et patal’aut… Et puis, il a baissé les bras, il a pivoté de 10° vers moi et je me suis sentie bête. Comme les seuls moutons taïwanais paissant sous les yeux ébahis des touristes locaux à quelques collines de là, je m’étais égarée. Car entre ses mains, il n’avait ni plus ni moins que le chapelet des temps modernes, cet outil omnipotent, omniscient, omniprésent, toujours connecté à l’au-delà et rapprochant les êtres grâce à ses ondes électromagnétiques à la vie à la mort : dring dring !
J’aimerais savoir si quelqu’un a pris une photo de moi en train de prendre une photo de cette femme en train de prendre une photo de son ami dans cette position on ne peut plus naturelle qui m’inspire une pensée profonde : ne sommes-nous pas tous devenus des professionnels de la mise en scène de nous-mêmes ?
Quelqu’un m’a un jour dit, il y a très longtemps mais bien dans notre galaxie – et je suis d’ailleurs persuadée de l’avoir déjà mentionné ici – qu’il serait bénéfique de m’auto-imposer des contraintes d’écriture. C’est certain, cela donne un cadre. Certain. Ce soir, j’ai donc décidé d’imposer une contrainte forte à mon extension supposément intelligente. De la soumettre à une forme d’écriture automatique en quelque sorte en ne sélectionnant que les mots du milieu suggérés par le dictionnaire intégré de ma messagerie, en partie biaisé par mes récents échanges antérieurs… Cette photo n’a, vous vous en doutez, pas été choisie au hasard puisqu’elle porte le numéro 5000. 5000, à mi-chemin entre 1 et 9999, première et dernière image d’un tour du cadran photographique… Le plus étonnant – et c’est un pur hasard (mais le hasard n’est-il pas une notion que nous avons inventée simplement pour nous persuader que nous pouvions orienter nos propres vies ?) – est que cette photographie aie une composition aussi centrale. Et même auto-centrée. Quand bien même un monde nous sépare.
C’est donc parti pour quelques lignes sans autocensure qu’à cet instant précis, je ne suis absolument pas en mesure d’anticiper (évidemment, la grammaire va sûrement prendre quelques libertés) :
« Merci pour l’adresse. On part au relationnel. Vous pouvez me joindre au courant. Sinon, je ne suis pas sur que tu vas bien. Je ne sais pas si tu as prévu de passer à l’expo mais j’y crois pas que tu culpabilises. Pense à toi et moi je suis en train de faire le point de vue. Il y a des agences de voyages, les gens qui ont été, le temps de véritablement trier les annonces pour cette semaine. Je ne sais pas si tu as prévu de passer à l’expo mais j’y crois pas que tu culpabilises. Pense à toi et moi je suis en train de faire le point de vue. Je ne sais pas si tu as prévu de passer à l’expo mais j’y crois pas que tu culpabilises. Pense à toi et moi je suis en train de faire le point de vue. (…) »
J’imagine que je pourrais poursuivre la boucle éternellement, enfin, jusqu’à vider la batterie… Serait-ce à analyser comme un rêve au réveil ? Toujours est-il que j’aime beaucoup l’idée d’aller au « relationnel » comme s’il s’agissait d’un nouveau pays à découvrir…
Certains m’appellent Mappy. Certains m’appellent tout court, pour savoir où il sont exactement voire où ils doivent aller sachant qu’ils sont à tel endroit et qu’ils cherchent ci ou veulent se rendre là. Si, si, encore aujourd’hui, même avec nos technologies modernes de géolocalisation. Certains m’arrêtent aussi dans la rue avec les mêmes requêtes…
L’appel le plus saugrenu que j’aie reçu en la matière concernait des anges. Mon téléphone a sonné et la voix a dit : « Lou, tu ne saurais où trouver une boutique vendant des angelots par hasard ? » « A Paris », précise-t-elle rapidement. « Et même dans le coin de Montmartre si possible. » Et finalement, le plus étrange n’est pas tant la nature de la demande – toutes sont légitimes – que le fait que j’aie été en mesure de lui apporter une réponse en moins d’une minute. Car oui, quand cette personne – une amie bien sûr, je n’ai pas encore ouvert de service à la demande – a eu fini sa phrase, alors même qu’elle se disait peut-être que c’était un peu vain, je lui ai dit : « Oui, je sais. Où es-tu que je t’indique le chemin pour y arriver ? ». Stupéfaction au bout du fil – expression totalement obsolète de nos jours -, j’adapte : stupéfaction au bout des ondes ! Puis, sourire entendu. Puis une réflexion pour le moins paradoxale de la part d’une personne qui demande quelque chose à quelqu’un tout en s’étonnant qu’elle la satisfasse – un grand classique ceci dit mais tout de même ! – : « Mais comment sais-tu ça ? ».
La question est pertinente ! Comment, en effet, se fait-il que, alors que je ne suis ni pieuse ni bibelot pour un sou, je sache précisément où trouver ce genre d’échoppe et dans un temps si court ? J’ai tendance à attribuer cette double compétence que, évidemment je fais figurer en tête de mon CV, à une mémoire photographique suffisante – les plus cultivés disent eidétique quand les plus sceptiques nient jusqu’à son existence – pour retenir les détails visuels de mes vagabondages pédestres où mes yeux jouent au flipper sur les façades, les nuages, les badauds, les sols, a fortiori, les vitrines, mémoire photographique donc subtilement combinée à un indéniable sens de l’orientation – en dépit de mon genre, mais juste en ville, je précise car dans les parcs, enfin, à Central Park à New York, je me perds lamentablement.
Aussi, quand je vois l’état chaotique de mon bureau, tel que l’on peut le percevoir dans le monde visible, impossible de ne pas être fascinée, et fière, par l’ordre qui semble régner dans ce monde invisible qu’est mon cerveau – avec qui je vis pourtant en bonne intelligence 24h/24 -, tout du moins mon hippocampe, où tout semble se jouer en matière de navigation, et encore plus finement, ma matière grise, que j’aurais – au même titre que toutes les personnes préférant les cartes aux GPS – en plus grande quantité.
Mais je vois bien que vous ne me suivez plus et que, depuis le 2e paragraphe, vous retournez la même question dans tous les sens : « Comment puis-je avoir des amis cherchant des angelots ? ». Et bien, sachez que je suis comme ça, j’ai toutes sortes d’amis et les idées larges !
Vous vous êtes sûrement déjà senti bassement trahi par votre téléphone, soi-disant intelligent, ou bien votre tablette, en relisant le texte, le texto, le mail que vous veniez d’envoyer et en réalisant qu’il était tout bonnement incompréhensible car des mots, que vous n’aviez ni pensé ni écrit, s’étaient subrepticement glissés dans vos phrases bien ficelées… Dans le meilleur des cas, cela provoque l’hilarité du destinataire de votre prose qui vous répond par quelques points d’interrogation ou un smiley, selon son âge. Au pire, ces messages involontairement cryptés créent des malentendus malencontreux et des incidents diplomatiques.
La faute à cette fichue saisie prédictive qui croient nous aider en nous suggérant des mots dès les premières lettres tapées, que nous validons sans nous en rendre compte alors que nous avions autre chose en tête, ou nous en impose d’autres quand les nôtres ne figurent pas dans son dictionnaire évolutif. Cela me donne parfois l’impression d’avoir à faire à un enfant de 2 ans apprenant à marcher, et donc à surveiller en permanence de peur qu’il ne tombe dans les escaliers, se heurte au coin d’une table basse en marbre, ou se rattrape à un rosier chargé d’épines pour amortir sa chute…
Lapalissade liminaire : aujourd’hui, il y a des Applis pour tout. Inutile donc de les lister. Le propre de certaines est d’être pratique, sachant que de nos jours, est décrété « pratique » ce qui nous permet de gagner du temps – car, comme chacun sait, ce dernier passe très (trop) vite et il est, de fait, ridicule d’en perdre inutilement si des alternatives existent – mais également ce qui nous évite de réfléchir par nous-mêmes – une activité jugée hautement dangereuse par certains esprits manipulateurs. Les deux – temps et réflexion – étant, par ailleurs, intimement liés.
Conçues pour nous fournir des certitudes, donc nous rassurer, ces Applis me semblent surtout gober à la fois hasard et/ou magie. Tout dépend de la manière dont vous abordez les choses de la vie. Un exemple concret et trivial de ce désenchantement du monde – très bien, de mon monde – inhérent à ces serviciels ? Je suis une fervente utilisatrice des Velib’ parisiens. Par chance (hasard, magie ?), il y a deux stations à côté de chez moi dont une vraiment très proche, jusqu’à laquelle je préfère bien sûr aller (un peu comme en mer avec la bouée…). Si vous aussi fréquentez ces vélocipèdes au cœur lourd, vous savez à quel point il est rageant d’arriver à une station pleine, qui plus est, sur le chemin du retour chez soi, et de devoir repartir en quête d’une place ailleurs, donc potentiellement ajouter un peu de marche à l’exercice physique du moment…
De fait, jusqu’à l’an dernier, j’avais arrêté une sorte de code ou de règle pour décider, sans hésiter, si je tentais la station la plus proche de chez moi ou si je m’arrêtais à la seconde, un peu plus loin donc. Ainsi, si le feu du carrefour à proximité de la station la plus lointaine était vert, alors, cela signifiait – et je pèse mes mots – qu’il y avait de la place à la station proche de chez moi. Par conséquent, s’il était rouge, c’était le signe qu’elle était pleine et qu’il fallait que je me gare à la première. Je ne me posais même pas la question, persuadée d’avoir réussi à établir une communication privilégiée entre les feux tricolores et les stations Vélib’. Sentiment d’autant plus tenace que cette règle avait toujours fonctionné ! Et à vrai dire, j’en étais à chaque fois surprise et émerveillée !
Et un jour, je ne sais plus pourquoi exactement, j’ai installé une Appli « pratique » sur mon smartphone. M’informant en une seconde de la disponibilité en vélos, donc en places, à telle ou telle station. A fortiori, celle à côté de chez moi. Du jour au lendemain, j’ai ainsi snobé la couleur du feu tricolore au carrefour, qui ne m’avait pourtant jamais trompée, pour mater mon écran de téléphone, et vérifier qu’il restait des places près de chez moi avant de m’y aventurer. Et ainsi, en deux glissements de pouce sur un écran tactile, l’ennui de la certitude a remplacé la magie de l’incertitude…
En pratique, toutes les photos figurant sur ce site sont en vente. N'hésitez pas à me contacter pour plus de renseignements !
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