Photo-graphies et un peu plus…

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Je suis ici mais je suis aussi là-bas. Les onglets de mon navigateur web relatifs au covid-19 en Nouvelle Zélande sont toujours ouverts. Il y a notamment la page dédiée au virus sur le site du Ministère de la Santé qui relaie essentiellement les statistiques du jour – cette crise mondiale nous montre d’ailleurs à quel point elles sont un instrument de manipulation politique alors même que les chiffres sont sensés traduire des faits indiscutables : 5 cas aujourd’hui, dont 4 liés à un cluster ; plus que 7 personnes à l’hôpital ; 1118 personnes guéries sur les 1461 touchées ; 115 015 tests réalisés… Cela me réjouit de lire ça.

Je crois que j’aurais aimé être sur place le jour – prochain a priori – où, pour la première fois, la case des nouveaux cas des dernières 24h affichera un zéro pointé. J’en aurais eu des frissons, car je l’aurais vécu comme une victoire collective, celle d’une population unie et disciplinée (sans le côté péjoratif associé parfois à cet adjectif) et d’un gouvernement rationnel et empathique, sur une menace invisible à l’œil nu mais potentiellement ravageuse. J’utilise le conditionnel passé – soit dit en passant, un temps qui permet d’évoquer un fait dans le futur, donc pas encore passé, qui aurait pu avoir lieu si le présent, donc ni le passé ni le futur, avait été différent – mais je pourrai évidemment suivre tout cela à distance et en différé de 10h. Simplement, j’aurai moins la sensation – et satisfaction – d’en faire partie. Ce n’est pas grand chose mais j’avais fini par embrasser les slogans efficaces du gouvernement, qui a articulé sa communication autour de messages simples et forts, à l’instar de son « Stay home. Save lives » diffusé partout dès le début du confinement il y a un mois. Un message facile à comprendre et touchant droit au cœur : à contrainte exceptionnelle, effet exceptionnel. Voilà qui s’affiche presque comme une illustration de la 3eloi de Newton, celle d’action / réaction. Quand, dans notre vie, avons-nous réellement l’occasion de sauver d’autres vies aussi facilement ? Il y a une part de naïveté dans cette approche – la réalité est toujours plus complexe –, j’en ai conscience. Et en même temps, si l’on fait le raisonnement inverse, on se rend aussi compte que de nombreux décès sont imputables au non respect de cette précaution simple et, mais c’est lié, à cette croyance aussi étonnante que commune que cela ne peut pas nous toucher, enfin, me toucher personnellement, et qu’a fortiori, je ne peux être vecteur de la mort… C’est incroyablement compliqué…

Sinon, je parcours encore les messages du groupe FB des Français en NZ, un peu par embryo-nostalgie et aussi pour suivre la situation sur place. Certains se sont virtuellement réunis pour demander un nouveau vol à l’Ambassade alors qu’elle a annoncé que celui du 21, que nous avons pris donc, était le dernier. D’autres parlent de vols retour initialement prévus début juin qui commencent à être annulés par les compagnies aériennes et reportés automatiquement à juillet. Certains se projettent même à septembre, même si, pour l’heure, il n’y a rien d’officiel et que ce sont toujours des rumeurs. Elles sont terribles les rumeurs. D’où émergent-elles, les rumeurs ? Toutes ces informations nous confortent encore plus dans notre décision que, même sans elles, nous n’aurions pas regrettée.

Je suis ici mais je suis aussi là-bas. Dans mon lit, la nuit, au lieu de compter les moutons – en vrai, je tombe comme une masse à 22h depuis notre retour –, je refais mentalement le chemin de notre appartement à « mon » arbre dans la forêt derrière, celui au cœur duquel j’allais, chaque jour, méditer et papoter un peu. Gauche, gauche, gauche, ça monte sec, gauche, attention au tronc, attention aux racines, était-elle cassée cette branche hier ?, la toile d’araignée a disparu, que j’aime ce sol meuble, le voilà, plus que quelques mètres, j’en ai le cœur noué, je m’approche, je le regarde de bas en haut s’évader vers l’infini du ciel, contact, connexion, vibration. Il semblerait qu’ainsi accrochée, j’aie effrayé et intrigué plus d’une personne passant par là. Est-ce vraiment si étrange que cela de communier avec un arbre (en silence, je précise) ? Surtout, dans un pays où les éléments sont si présents et nous appellent autant ? Je ne sais combien de temps je conserverai une vision aussi fine et fidèle de cet univers-là… Aussi, pour retarder l’oubli, je l’ai mis dans ma boite à lumière. Il me suffit donc de l’ouvrir pour le retrouver. Au moins, visuellement.

Je suis ici mais je suis aussi là-bas. Surtout lorsque, comme aujourd’hui, je reçois plusieurs messages m’informant de la diffusion d’un documentaire sur la Nouvelle Zélande ce soir à la télévision. Je suis touchée de l’intention et me dis que, peut-être, certains vont pouvoir découvrir un pays sur lequel ils ne se seraient pas penchés sans ce lien amical entre nous. Ceci dit, je ne sais pas si je le regarderai… Sans doute un jour, pas tout de suite. Le temps de vraiment atterrir et d’être entièrement ici…

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J’ai dû adapter mon titre pour coller à mon actualité géographique… Pour être tout à fait exacte, il faudra d’ailleurs que je modifie les 28 précédents en spécifiant « en Nouvelle Zélande » avant « confinement ». Je ne sais combien de personnes dans le monde auront eu la chance de le vivre dans deux pays différents et si différents l’un de l’autre à tous points de vue, mais voilà qui me fait sentir un peu spéciale aujourd’hui.

Dans quelques années, au coin du feu de ma maison en bois nichée au cœur de la forêt, je pourrai raconter aux oiseaux de passage que j’ai traversé Le Grand Confinement d’abord en Nouvelle Zélande, où le virus a été éliminé en un bon mois, pour le finir en France, où il a circulé des années durant, avec et sans masque… The Great Lockdown, voici donc le nom qui a été choisi pour qualifier cette période particulière, qui signe, selon l’historien Jérôme Baschet, le vrai début du 21esiècle (1), au même titre que la 1reguerre mondiale avait, a posteriori, lancé le 20esiècle. Si je comprends bien la logique, un nouveau siècle doit commencer par une catastrophe planétaire. Voilà qui est encourageant ! Notons qu’entre ces deux événements majeurs, les 100 années sont presque respectées. Est-ce à dire que les bouleversements à l’échelle mondiale surviennent à une fréquence régulière ? Et si oui, qu’ils sont donc prévisibles ?

Etrangement, « Le Grand Confinement », expression inventée par le FMI pour faire écho à La Grande Dépression des années 1930 et à La Grande Récession post-crise financière de 2008, ne renvoie pas à la situation sanitaire mondiale mais à la crise économique sans précédent qui découle de cette pandémie de coronavirus. C’est une façon très anglée, très partielle et, en même temps, très révélatrice de notre époque et de « nos » priorités d’aborder cette situation touchant des milliards de personnes, et dont les conséquences sont loin de n’être qu’économiques.

Toutefois, mon premier réflexe en apprenant l’existence de cette dénomination a plutôt été de penser, à nouveau, aux films d’anticipation. En particulier aux dystopies que j’affectionne depuis de nombreuses années pour leurs vertus visionnaire et pédagogique. Ces films nous plongent dans le chaos dès leurs premières minutes, mettent en scène des mondes totalitaires et sclérosés dans lesquels toute personne sensée ne voudrait pas mettre ne serait-ce que le petit orteil gauche. Figure récurrente de ces fictions dont il fait régulièrement l’introduction, un montage vidéo d’images d’archives – sans doute en partie réelles – montrant, comment, progressivement, la situation – économique, sociale, politique, sanitaire, écologique dans tel pays, sur tel continent, dans le monde entier même si ça ne se dit pas selon l’une de mes anciennes prof de français de lycée – a irréversiblement dégénéré, devenant, au bout d’un temps plus ou moins long, totalement incontrôlable. Un magma d’images saccadées, de déchaînement de haine, de montée des inégalités… devant expliquer, si ce n’est justifier, a posteriori – car au présent, on ne voit pas ou on ne veut pas voir, on ne connecte pas les faits entre eux ou si, mais sans y croire –, l’origine du chaos liminaire présenté, dès lors, comme un état de fait.

Il me semble que nous pourrions, dès aujourd’hui et sur la base d’images glanées ça et là dans le monde au cours de ces quatre derniers mois, produire de tels montages, qui, dans ces univers fictionnels, sont rarement suivis d’une embellie. De fait, parfois, nourrie par cette mythologie-là – qui ne l’est que faussement –, je m’imagine que ce que nous vivons actuellement n’est en fait que le premier épisode d’une série que nous avons déjà vue mille fois. Le deuxième épisode ne se profile déjà t-il pas à l’horizon ? Il a même un nom : « La deuxième vague ».

En attendant, je découvre la subtilité des règles du confinement à la française, et dans le même temps, saisis mieux le désarroi évoqué par certains ces dernières semaines, en comprenant, par exemple, que mes promenades quotidiennes – mon « activité physique » – ne sont autorisées que dans un rayon d’un kilomètre au départ de mon domicile et pendant 1h, mais que, paradoxalement ou bizarrement, je peux aller faire des courses – alimentaires, j’ai bien compris ; de toute façon, en temps normal, je n’achète presque rien d’autre – bien au-delà de ce territoire restreint et sur une durée pouvant dépasser l’heure… Que je peux même cocher ces deux cases sur une même dérogation tout en étant en règle. Tout d’un coup, j’ai l’impression que le monde s’ouvre un peu plus. Et aussi que tout cela n’est pas très logique ni cohérent, mais ça, c’est encore autre chose, et je crois en avoir fait le deuil temporairement suite à notre expérience néo-zélandaise – où, pour le coup, le pragmatisme primait – et à ce qu’elle nous a permis d’apprendre en vivant cet événement depuis un autre point de vue… Anyway, il ne me reste plus qu’à trouver une poissonnerie à 5 kilomètres !

 

(1) https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/04/02/jerome-baschet-le-xxie-siecle-a-commence-en-2020-avec-l-entree-en-scene-du-covid-19_6035303_3232.html

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Mardi matin, à 8h40, en quittant le 55b Scarborough Terrace, Mount Victoria, j’ai la désagréable sensation d’être littéralement arrachée à la Nouvelle Zélande. Dans le fond, c’est assez irrationnel, car je ne suis dans le pays que depuis le 10 janvier 2020 – mais l’attachement à un lieu, à une personne est-il réellement proportionnel au temps passé à cet endroit ou avec elle ? – et j’attribue cette perception à la rapidité avec laquelle tout s’est enchaîné depuis vendredi dernier, jour où nous avons signifié à l’Ambassade notre intérêt pour le dernier vol de rapatriement et où nous avons appris, quelques heures après, que nous en serions. Dire que nous espérions presque une réponse négative ne serait pas entièrement loin de la vérité… Ce matin, jeudi 23 avril, alors que je peaufine, depuis mon bureau, chez moi, ce texte maladroitement griffonné dans l’avion, je peux néanmoins affirmer que c’était mieux ainsi.  

Mais, minute papillon. Retournons à Wellington encore quelques instants… Le taxi collectif arrive avec les 5 minutes d’avance potentielles annoncées lors de la réservation en ligne. Nous avons beau avoir mis le réveil tôt pour avoir le temps de tout finaliser sans nous presser, les dernières minutes ressemblent toujours à un champ de bataille ! Tout se passe donc très vite, nous chargeons nous-mêmes nos sacs dans la remorque avec 5 minutes d’avance, nous nous engouffrons dans le minibus vide, nous partons. En deux secondes, la maison a disparu. Les ruptures les plus franches sont-elles moins douloureuses ? Alors que je suis dans le dernier round de ce vol quasi interminable qui nous ramène à la maison, je revois l’olivier, au fond, au coin de la cour, celui-là même dont les branches, agitées par un vent fort, nous avait réveillées en pleine nuit il y a quelques jours. Quelle drôle de place tout de même pour un olivier ! En même temps, quel bonheur de l’avoir eu à nos côtés ces quelques semaines.

Nous filons directement à l’aéroport sans récupérer qui que ce soit d’autre en chemin. Simplement parce qu’il n’y a plus de vol au départ de Wellington ou si peu. Le trajet dure moins de 15 minutes, 15 minutes aussi douloureuses qu’emplies de gratitude à l’égard de cette ville que nous avons tant aimée et qui nous a tant donné en un petit mois, même en y étant confinées. En particulier, une sérénité et un sentiment de sécurité extrêmement précieux dans le contexte chaotique dans lequel est actuellement plongé le monde. Forcément, cette situation exceptionnelle exacerbe les impressions. Le chauffeur nous dépose devant la porte des Départs. Le parking est complètement vide. Il n’y a personne. Quatre, cinq personnes, tout au plus, qui prennent certainement le même vol intérieur que nous. « Bon retour » nous lance-t-il, avant de disparaître. Pour entrer dans l’aéroport, il nous faut montrer patte blanche aux deux dames masquées-gantées postées juste derrière les portes et prouver qu’un vol international nous attend quelque part. « You are with the Embassy? » « Yes! » « You can go. » C’est étrange, un aéroport vide. Cela n’a pas de sens. Nous récupérons notre carte d’embarquement, déposons nos sacs et allons patienter dans le hall, sous ,la protection de deux immenses aigles tout droits sortis des studios WETA et de la mythologie du Seigneur des Anneaux (que nous n’aurons finalement pas regardée). Nous sommes 26 dans ce Bombardier Q300 à hélices pouvant en accueillir le double. Pour respecter la distance de sécurité interpersonnelle de 2 m imposée par le gouvernement, seuls les sièges côté hublot sont occupés. Autant dire que les places étaient chères et que nous avons été bien inspirées de prendre nos billets avant d’avoir la réponse de l’Ambassade. D’ailleurs, entre le matin et le soir, leur prix avait doublé… L’aéroport de Wellington se trouve dans un quartier périphérique de la ville. Il fait beau quand nous quittons la terre ferme. La baie et ses collines habitées s’offrent à notre regard une dernière fois alors que le pilote fait une boucle au dessus de la ville pour s’orienter dans la bonne direction. Quelques minutes seulement après le décollage, nous longeons déjà la côte Est de l’Île du Sud. Au loin, à l’horizon en regardant vers l’Ouest, les Alpes, qui traversent toute l’île dans le sens de la longueur, sont recouvertes d’un manteau neigeux. Quelle splendeur ! D’en haut, je refais une partie de la route parcourue en février en voiture. Là, la péninsule de Kaikoura, ici, l’embouchure du fleuve Hurunui, là, la péninsule de Banks où est tapie Akaroa, le pier de New Brighton et les rues en quadrillage de Christchurch, la ville plate… Je me souviens qu’à l’aller, en janvier, je n’avais pas été aussi impressionnée par ce relief de la côte Est ; je l’avais trouvé bien plus sec et aride que je ne le présumais. C’est étrange comme les perceptions changent selon le point de vue et l’expérience.

Récupération des bagages, l’aéroport de Christchurch est vide. Nous sommes invités à en sortir le temps d’être autorisés à y re-rentrer à 13h. Il est 11h30. Il y a déjà des grappes de Français dehors. Certains se connaissent. D’autres arrivent en taxi, en voiture, en van. Par chance, le soleil est au rendez-vous. Et finalement, nous nous mettons en rang dès 12h. Certains ont des masques, d’autres pas. Les 2m de sécurité ne sont globalement pas respectés. A nouveau, pour pouvoir entrer dans l’aéroport, nous devons présenter la lettre – non nominative – de l’Ambassade disant, à qui de droit, que nous sommes inscrites sur le vol de 5 pm pour Paris le 21 avril, puis nos passeports – « oh, you’ve got long hair now! » –, puis une autre attestation prouvant que nous sommes bien celles à qui sont destinées les deux places. « You can go. » Hormis un vol intérieur vers Auckland dans l’après-midi et un autre vers Chatham Island, l’aéroport ne semble être ouvert que pour nous. Heureusement car nous prenons beaucoup de place ! L’atmosphère est un peu particulière. Très calme cependant. Nous nous glissons dans la longue queue déjà formée des candidats au voyage. Trois personnes de l’Ambassade – reconnaissable grâce à leur gilet jaune fluo au dos duquel est agrafée une feuille siglée de l’Ambassade de France – passent dans les rangs pour distribuer divers documents à compléter avant de partir, puis vérifier qu’ils sont bien remplis, en particulier, que les adresses que nous donnons sont bien celles inscrites sur nos passeports. Nous ne savons pas si cela signifie, par exemple, qu’il est impossible d’aller confiner ailleurs que chez soi… Mais il semblerait que ce soit plus notre adresse fiscale qui les intéresse.

Au bout de ce premier circuit, nous nous arrêtons devant deux personnes assises derrière une table à côté de laquelle trône un drapeau français. Distance de sécurité oblige, nous tendons nos passeports au monsieur tandis que la dame raye nos noms sur la liste des passagers. Il y a a priori des personnes sur liste d’attente, attendant probablement à l’extérieur de l’aéroport en espérant des désistements de dernière minute. Quel stress ce doit être ! Puis nous donnons notre déclaration sur l’honneur attestant que nous paierons les 850 € du vol au Trésor Public avant le 1er juillet, sachant que le vol, affrété par Qatar Airways, est aussi subventionné par l’état français – à quelle hauteur, nous ne le savons pas. Dernière étape avant de pouvoir nous délester de nos bagages : quatre femmes travaillant à l’aéroport distribuent les précieux sésames, à savoir nos cartes d’embarquement. Nous en avons trois chacune, une pour le vol Christchurch – Perth, une pour le Perth – Doha et enfin une pour le Doha – Paris. Trois cartes mais nous allons bien rester dans le même avion, les deux arrêts prévus étant des escales techniques – ravitaillement en kérosène et en repas – et de changement d’équipage. 

C’est à ce moment que nous découvrons que les placements ont été faits par ordre alphabétique et non par groupe de personnes voyageant ensemble, alors même que c’est une information dont disposait l’Ambassade. L’une est en tête de l’avion quand l’autre est en queue… Mais, il est hors de question de faire ce vol de 28h chacune de son côté. Tout le monde est dans le même cas, mêmes les familles avec enfants, placés à côté d’un des deux parents quand ils ne sont pas mariés. C’était sûrement plus pratique à organiser ainsi mais cela génère un petit pincement à l’heure où tout est déjà un peu noué et promet un beau jeu de chaises musicales à l’embarquement… Plus légères de 12 et 13 kg, nous passons la sécurité puis l’immigration. Il n’y aura finalement aucune trace de notre séjour en Nouvelle Zélande sur notre passeport… A l’aller, nous les avions juste scannés et à la sortie, si c’est bien une personne en chair et en os qui assure les vérifications, elle se contente de le scanner à nouveau. Quelle tristesse…

Maintenant, il n’y a plus qu’à attendre. Nous nous étalons sur les divers halls d’embarquement de l’aéroport. Ce qui, pour le Boeing 777 que nous allons investir, représente tout de même quasi 500 personnes. Il n’y aura donc pas de distanciation sociale dans cet avion là. Les partants ? A première vue, en grande majorité, de jeunes pvtistes, les aînés ayant sans doute été déjà rapatriés. Coralie en repère un arborant un T-Shirt estampillé « In tartiflette we trust ». « En voilà un qui annonce la couleur ! » Il est 16h30 passés quand débute l’embarquement zone par zone. Le fond de l’avion en premier. Coralie s’insère dans la queue déjà formée. Sa mission, négocier avec son / sa voisin/e un changement de place pour que nous puissions voyager ensemble. Elle se tourne vers le gars à côté d’elle, jette un œil à sa place ! Bingo, c’est son voisin théorique ! Quelle drôle de coïncidence ! Et qui plus est, c’est monsieur Tartiflette ! What a flair ! Il accepte volontiers d’autant qu’il voyage seul et se récupère une place avec plus d’espace, détail de taille quand on s’apprêter à passer 28h dans un espace aussi confiné qu’un avion. Tout le monde s’installe, les migrations se multiplient, très sagement. Il fait presque nuit quand l’avion décolle de Christchurch et file vers sa première destination intermédiaire, Perth, sur la côte Ouest de l’Australie. C’est parti pour retraverser la planète dans l’autre sens ! Alors que la moitié de la planète est confinée, que nous convergeons vers un pays – le nôtre accessoirement – où les habitants – bientôt nous – ne sont autorisés à se déplacer que dans un rayon d’un kilomètre une fois par jour, la perspective d’en parcourir 20 000 d’un coup est vertigineuse ! Dernier goodbye aux sommets enneigés des Alpes dépassant à peine de la couche nuageuse arrivée avec la nuit tombante. Vénus est déjà dans le ciel, telle un phare que nous ne cherchons pas à approcher, ou un trait d’union entre ce pays que nous quittons et celui que nous rejoignons. « C’est étrange d’être rapatrié dans un pays qui est moins sûr que celui que l’on quitte » relève Coralie. Très juste ! C’est en effet l’inverse en général. Mais nous ne nous attardons pas plus que cela sur cette étrangeté. Une de plus dans un océan de bizarreries. 

L’avion est plein à craquer. Une personne sur deux porte un masque, fait à la main ou acheté, parfois un foulard. Ce qui n’empêche pas de l’enlever, de le glisser sur le menton, de se ronger les ongles, de le trifouiller… Bref, encore quelques heures pour s’y faire et le porter sans saborder ses efforts. Nous avons aussi des masques mais n’avons prévu de les mettre qu’en sortant de l’avion, arrivées à Paris. Notre raisonnement étant que le virus ne circulant pas en Nouvelle Zélande et que toute personne avec des symptômes du virus étant interdite de vol, il y a peu de chance que quelqu’un soit contaminé ci. Peu ne voulant pas dire pas, nous nous lavons et nous désinfectons les mains plus que de raison. 

Nous arrivons à Perth en pleine nuit. Ravitaillement, changement d’équipage. Comme prévu, nous ne sommes pas autorisés à sortir. A peine pouvons-nous nous dégourdir les jambes. C’est amusant car les messages délivrés à l’arrivée en Australie ne sont pas adaptés au caractère exceptionnel de ce vol alors même qu’une vraie personne les transmet et sait pertinemment qu’il s’agit d’un vol de rapatriement. Température extérieure, météo du jour alors que cela n’a strictement aucune importance. Même chose à Doha avec un étonnant « Have a nice stay in Doha ! ». Le séjour le plus rapide de l’histoire du tourisme ! Depuis notre départ de Christchurch, en plus de remonter en latitude, nous remontons également le temps. Notre nuit semble éternelle, elle s’écoule depuis 20h quand le jour finit par se lever à Doha, à 4h du matin. La cité restera cependant dans la brume de chaleur matinale. Seule chose que nous voyons, comme à Christchurch, comme à Perth, les rangées d’avions des compagnies nationales alignés sur le tarmac et privés de vol jusqu’à nouvel ordre. C’est étrange, ce monde arrêté net. Dernière « ligne droite », plus que 6h45 de vol, après celui de 6h ou un peu plus, et l’autre de 11, ou un peu plus. Dire que c’est un long voyage est un euphémisme… Nous évitons de penser, je crois. Mais tout se passe bien, la filmothèque est bien fournie. Nous enchaînons les films, les repas, les interludes de sommeil, les bouts de discussion… Beaucoup ont un train à prendre dans la journée pour aller en province. Certains seront récupérés par un parent à qui il a fallu envoyer une copie des cartes d’embarquement avant de partir pour justifier le déplacement… Le marathon n’est pas encore terminé.

Le commandant de bord finit par annoncer que nous entamons la descente vers Paris Charles de Gaulle et que nous devrions atterrir dans 20 minutes. Voilà, c’est bientôt fini. Nous ne savons pas réellement où nous allons arriver – pas géographiquement bien sûr – mais nous arrivons. Je vois la Tour Eiffel, les tours de La Défense, le Palais de justice de Porte de Clichy, la Seine, les grandes avenues de la capitale. D’en haut, tout semble absolument normal. Dernières secondes en suspension. Touchdown ! Applaudissements nourris. Un gars se hasarde à lâcher « Dépression ! », provoquant l’hilarité dans la cabine… Il fait beau, il fait chaud, c’est toujours bon à prendre. Tout le monde rallume son téléphone pour annoncer à la Terre entière, que, ça y est, nous venons de nous poser. Nous sommes tous attendus. Les réponses affluent rapidement, c’est un moment, somme toute, plutôt heureux.

Allez hop, nous enfilons nos masques. En sortant de l’avion, de l’autre côté d’une vitre, patientent des gens en partance pour le Canada. Ils sont plusieurs à porter une sur-tenue de peintre ou de bricolage, et un masque. C’est assez impressionnant. Bienvenue au pays… Le passage de la douane se fait rapidement. Même masqués. On nous fournit une attestation de retour à domicile à remplir et à présenter, avec nos cartes d’embarquement, en cas de contrôle policier. Tout cela est finalement très administratif, factuel. Plus que les bagages à récupérer et nous pourrons y aller. Une dernière étape qui nécessite cependant la plus grande attention malgré les 36 heures de voyage que nous venons d’enchaîner car 85% des bagages sont des sacs à dos, et parmi ceux là, plus de la moitié sont des Quetchua, et au sein de cette moitié, nous sommes nombreux à avoir exactement les mêmes dans les mêmes couleurs ! Voilà, nous sommes sorties. Personne pour accueillir qui que ce soit, c’est vide, c’est un peu triste, c’est comme ça. Pour la première fois de notre vie de voyageuses, nous optons pour un taxi afin de rentrer plus rapidement chez nous. Sur le trajet, essentiellement de l’autoroute même si la fin se fait en ville et nous étonne presque car il y a finalement pas mal de personnes dehors, nous échangeons quelques mots sur la situation, l’impact sur son quotidien de chauffeur – peu de courses sur Paris, restent les rares vols arrivant, parfois vides, à Roissy -, les décisions prises par le gouvernement, la météo…, et nous voilà au pied de notre immeuble. Soulagement. Quand nous ouvrons la porte de notre appartement, les couleurs et le soleil nous accueillent. Nous sommes chez nous, nous sommes bien, nous sommes là où nous devions être. Nous penserons plus tard. Nous sortirons plus tard.

A 20h, les fenêtres ouvertes, nous entendons des gens applaudir, d’autres klaxonner en voiture. Il nous faut quelques secondes pour connecter les informations entre elles. Et quelques autres encore pour aller nous joindre au groupe, même si, nous n’étions pas là. C’est émouvant. La suite va pouvoir commencer…

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  • avant le petit déjeuner, alors que le jour n’est pas encore là ici et que la nuit arrive en France, faire une dernière relance pour que la 6egénération d’Objectif3280 soit la plus joliment pleine possible, quasi du porte à porte électronique… j’ai toujours l’impression de déranger mais le projet est plus fort que ma gêne, alors, je le fais
  • petit déjeuner
  • se doucher
  • nettoyer la salle de bain (le reste a été fait hier)
  • poster mes deux échos et retrouver, sur google street view, en refaisant la route New Plymouth – Wellington, où j’ai pris cette photo de cimetière que j’ai choisie de déposer sur l’arbre ; je m’autorise à re-participer à Objectif3280 à partir de la G6
  • rassembler tout ce qui est dispersé dans l’appartement au même endroit, ou presque
  • sortir toutes les affaires des sacs
    • « Il est où mon couteau suisse ? Je ne retrouve pas mon couteau suisse ! » « Ne t’inquiète pas, il est forcément quelque part ! » « Oui, forcément, il est quelque part. Mais ici, ce serait bien ! » (…) « Ah, le voilà ! » « Tu vois ! » « Oui, je vois ! »
  • replier toutes nos affaires de façon optimale et faire correctement nos sacs
    • « Il te reste de la place ? » « Un peu… »
  • recompter les kilomètres, à vol d’oiseau
    • Wellington – Christchurch 306 km ; Christchurch – Perth 5055 km ; Perth – Doha 9335 km ; Doha – Paris 4971 km soit 19 667 km !
    • « Elle est à quelle altitude la station spatiale internationale déjà ? » « 406 km » « Tu imagines, ce n’est pas si loin finalement ! » « La prochaine fois, on ira dans l’espace ! » « Chiche ! »
  • faire le point de ce qui reste dans les placards pour imaginer les frichti du jour : c’est comme si tout avait été calculé pour un départ demain matin… parfait !
  • aller acheter des masques et des gants à la pharmacie
    • ouf, il y en a ! nous voilà équipées !
    • « zut, je suis sortie sans mon appareil ! C’est bien la première fois ! » « Et moi qui voulais faire des photos pour répondre à Muriel ! » « De toute manière, on va aller faire un dernier tour en forêt… On repasse à l’appartement, on prend l’appareil… Et j’aimerais bien retourner en ville aussi, pour faire un « carrefour » » « Tu te souviens que le soleil se couche dans un peu plus d’une heure ? » « Oui, oui, on aura le temps ! » (la valise temporelle est de retour !)
  • déposer les masques, prendre une bouteille d’eau, des barres de céréales, mon appareil photo… et la carte SD (heureusement que j’ai vérifié !)
  • s’arrêter en chemin pour que Coralie prenne quelques photos à poster sur Objectif3280
  • dire au-revoir à « mon » arbre, mon grand pin qui m’a accueillie, écoutée et faite vibrer tous les jours depuis le 25 mars. C’est comme si je quittais un ami… En fait, je quitte un ami ! Je ne m’étais jamais autant attachée à un arbre…
  • dire au-revoir à la forêt, sentir une dernière fois les effluves d’eucalyptus, écouter une dernière fois les tuis, emprunter une dernière fois les sentiers traversés par des racines-tentacules, s’écarter une dernière fois de 2m des autres marcheurs ou coureurs ou mountainbikers en lançant Hey’…
  • apprendre que le confinement est prolongé jusqu’à lundi prochain – 3 jours de plus que la date initialement prévue – et qu’il sera suivi de deux semaines au niveau d’alerte 3, un brin moins restrictif
  • dire au-revoir à Wellington, d’en haut
  • se serrer dans les bras
  • faire les clowns pour une photo avec nos ombres et des arbres
  • entamer la descente vers la ville
  • s’arrêter en chemin car il y a des lenticulaires roses dans le ciel : c’est magnifique les lenticulaires, même si ceux ci sont modestes…
  • admirer encore et encore
  • longer la baie, filer vers le centre
  • se demander si un jour, nous reviendrons
  • se dire que nous avons l’intuition que nous ne voyagerons plus de la même manière, après
  • se dire que, peut-être, nous ne reviendrons pas… nous allons rarement deux fois au même endroit, mais là, alors même que nous ne sommes pas encore de retour, nous avons déjà envie ou nous aurions eu envie, c’est sûr
  • sentir que cela nous serre la gorge et nous pique les yeux
  • trouver un carrefour, se mettre en plein milieu et prendre les 4 axes en photo : je fais ça partout où je vais, j’ai une belle petite collection, mais j’ai rarement eu l’occasion de pouvoir me mettre au cœur d’un carrefour de 3 voies de chaque côté…
  • prendre la ville en photo comme si j’allais y être encore demain et après-demain et après-après-demain
  • réaliser que non
  • prendre Coralie en photo, avec son bonnet bleu marine, le long d’un mur de briques rouges éclairé par un néon blanc sur fond de ciel bleu nuit et de feux tricolores orange
  • retourner calmement à l’appartement
  • éditer les photos de Coralie pour qu’elle puisse les poster
  • faire le point sur la 6egénération d’Objectif3280 ; reposter un message ; espérer un réveil en trombe ; saluer les derniers échos ; il ne manquait pas grand chose… 12 échos et elle était pleine, comme l’an passé ; ce n’est pas grave, 231 échos postés par 145 personnes vivant dans 16 pays, c’est déjà fabuleux ! Mais, ce n’est pas encore cette année que nous atteindrons l’objectif 3280. Ceci dit, j’ai toujours pensé que le chemin était plus intéressant, alors tout va bien ! Même mon nom le clame !
  • simultanément, préparer le dîner / répondre à des messages amicaux / refaire des visuels pour le lancement de la 7egénération
  • lancer la G7
  • dîner
  • attendre les premiers échos
  • écrire ce texte
  • finir ce texte
  • choisir la photo
  • poster l’ensemble
  • et faire tout le reste…
  • ah oui, dire « bonne journée les amis et à bientôt de l’autre côté du monde » !

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Il fait nuit tôt à Wellington. 17h46 aujourd’hui. Quelques étoiles nageaient dans le ciel immense avant même que le soleil ne disparaisse totalement. Mais Vénus était la première reine de la nuit à faire sa sortie. Oui, je sais, c’est une planète… En France, vous pouvez aussi la voir en ce moment. Je trouve ça magique – bien sûr, ça ne l’est pas – qu’en étant si loin les uns des autres, nous puissions tout de même voir briller Vénus en même temps, ou presque ! Tout d’un coup, c’est comme si l’univers se recroquevillait sur lui-même pour nous rapprocher encore plus.

Le soir, à Wellington, on voit donc les étoiles dans le ciel. Beaucoup. J’ai même cru voir l’ombre de la voie lactée tout à l’heure, en rentrant de notre promenade, encore plus tardive qu’hier. Cela nous a permis de découvrir, d’en haut, la ville dans son costume de nuit. Il était temps ! Je ne sais s’il en est toujours ainsi ici, ou si c’est une conséquence heureuse de la baisse de pollution de l’air. Mais pouvoir voir les étoiles depuis une ville ne devrait pas être un privilège…

Sinon, le départ se prépare, lentement mais sûrement. Evidemment, c’est un peu ce qui occupe nos esprits en ce moment. Des choses très terre à terre – c’est donc d’autant plus important de pouvoir voir les étoiles le soir. Ranger, nettoyer, prévoir la suite. Par exemple, on nous suggère vivement de nous procurer des masques. Nous espérons en trouver demain dans une pharmacie où, a priori, ils en avaient encore la semaine passée. Et sinon, nous choisirons l’un des tutos transmis ces derniers jours pour transformer nos chaussettes ou foulard en masque de fortune !

Ce matin, en cherchant des précisions sur le déroulement de notre vol sur le groupe FB des Français en NZ – une vraie mine d’informations, plus complète que les canaux officiels ces dernières semaines –, j’ai appris que notre avion devrait s’arrêter à Perth (Australie) puis Doha (Qatar) pour deux escales techniques et de changement d’équipe. Escales pendant lesquelles nous ne pourrons pas sortir. D’un côté, c’est rassurant : personne d’autre ne montera dans cet espace ultra confiné où nous ne savons pas encore si nous serons les uns sur les autres, ou espacés d’un siège. Partir de Nouvelle Zélande, où la circulation du virus a donc été limitée, se révèle être un avantage dans ces circonstances : a priori, probabilité faible que quelqu’un soit contaminé… De l’autre, cela signifie aussi que nous nous apprêtons à passer 28h dans un avion. A ce stade, je ne compte même plus le vol intérieur du matin pour rejoindre Christchurch. Cela risque d’être un peu long… C’est sûr, les hublots, ça ne s’ouvre pas ?

Et puis, nous avons aussi décidé de rentrer chez nous. Et non d’aller finir le confinement en un lieu moins urbanisé comme nous l’avions envisagé pendant 36h. J’irai simplement coller des photos de paysages sur les immeubles ou les trottoirs pour avoir l’impression d’être un peu plus entourée de nature. Mais mon imprimante est cassée. Des dessins alors ? Une solution, je trouverai !

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Nouvelle nuit hachée sans faucheur de choux ni branches d’olivier trop câlines, mais heures heureusement rattrapées au petit matin. Hier, en fin de journée, une fois passée l’émotion ambiguë déclenchée par le mail de l’Ambassade nous apprenant que nous étions inscrites sur le vol du 21 avril et que nous pouvions d’ores et déjà organiser notre trajet jusqu’à Christchurch, la nouvelle était digérée. Ou presque. Un choix est un choix. Inutile de se torturer l’esprit en se demandant, a posteriori, si nous avons fait le bon. A la rigueur, nous pourrons peut-être en savoir plus lundi, lorsque le gouvernement néo-zélandais présentera son plan pour l’après 22 avril. Voire plus tardivement encore, début juin, en approchant de la date de notre retour théorique. Mais, au final, ce ne sera plus important.

Je réalise en écrivant cela à quel point j’ai avancé sur cette question. Il faut avouer que je ne suis pas très douée avec les choix. Aussitôt faits aussitôt remis en question. Et puis, j’ai toujours cru que je pouvais tout embrasser – ce qui n’est pas très réaliste et rejoint mon histoire de temps et de valise métaphorique d’il y a quelques jours. Voilà qui me rappelle en tout cas une petite phrase du philosophe Patrick Viveret, que j’avais mise de côté il y a quelques années, car, il était alors important que je l’assimile : « il faut accepter de ne pas tout vivre mais de vivre intensément » (1). Etant entendu que je me sentais plus concernée par la première partie que la seconde.

Ceci dit, peut-être, un monde parallèle avec une autre moi et une autre Coralie ayant décidé de rester à Wellington le temps de voir a-t-il déjà émergé quelque part dans l’univers. N’est-ce pas, grossièrement, ce que stipule la physique quantique ? Que tous les possibles existent parallèlement ? Et peut-être qu’en empruntant un trou de ver – schématiquement encore, des trous noirs avec une sortie –, je pourrais même aller voir ce qui s’y passe ? Bref, je m’emballe ! Je ne sais même pas où trouver un trou de ver…

Donc, nous rentrons. Mercredi, nous serons à Paris. C’est étrange de se dire cela. C’est étrange d’utiliser le futur et non pas le conditionnel. C’est étrange comme la résolution d’une question appelle, en fait, de nouvelles questions. Comment allons-nous rentrer chez nous ? En RER, en taxi ? On nous a dit : « choisissez bien votre lieu de confinement ! ». Pouvons-nous le finir ailleurs que chez nous ? Et si oui, avons-nous un temps limité pour atteindre ce potentiel autre lieu ou devons-nous nous y rendre dans la foulée de notre arrivée à Roissy ? Et dans ce cas, comment y aller ? Y a-t-il des trains, des avions ? Et puis, pourrions-nous tout de même passer chez nous avant pour récupérer deux trois choses et changer notre « garde-robe » ? Mais surtout, est-ce vraiment une bonne idée ? Ne serait-ce pas mieux, tout de même, d’être chez nous, enfin ? Si le confinement s’arrête réellement le 11 mai, cela ira, même si mon isodistance – de fait, j’ai regardé à quoi elle ressemblait – n’intègre absolument aucun espace vert – enfin, il y a le cimetière mais ce n’est pas le Père Lachaise. Je me dis, tant pis, je ferai le tour du parc, comme ces joggeurs qui courent autour du Jardin du Luxembourg, sur le trottoir extérieur, après sa fermeture. J’ai toujours trouvé cela un peu bizarre. Si le confinement devait se prolonger au-delà, allez savoir… Mais personne ne sait ! Ah ah ah ! Les mêmes interrogations finalement ! Nous avons encore deux jours pour nous décider puisque nous devons remplir, avant l’embarquement, une « Attestation de déplacement international dérogatoire vers la France Métropolitaine » en y inscrivant notre adresse, j’imagine notre lieu de confinement. Celle-là même qui nous permettra de nous déplacer en toute légalité en arrivant, la case « j’étais coincée à l’étranger, je rentre juste, je ne sais pas si j’ai bien fait ! » n’étant pas prévue dans le formulaire classique. Je m’inquiète de  cela comme si j’avais toujours vécu aux portes de la nature alors que non. Je suis une citadine qui traversait Paris à pieds 3-4 fois par semaine. C’est étrange. Et puis, j’ai déjà deux idées de projets artistiques si jamais nous confinons chez nous !

De fait, aujourd’hui, notre balade, tardive et longue, avait une autre saveur. Nous sommes remontées au lookout du Mont Victoria pour voir la ville, d’en haut, encore et encore. Il y avait plus de monde que d’habitude et Wellington elle-même était un peu plus bruyante que les jours précédents : l’absence de nouveaux cas depuis plusieurs jours, l’espoir – voire la certitude – de passer en alerte de niveau 3 lundi, le week-end, le beau temps même si venteux ont sans doute contribué à relâcher un peu la pression… Certainement, l’atmosphère était différente. Ou alors, ai-je voulu la voir différente, car pour moi, cette ascension était différente… Avant de redescendre par la ville et de regagner notre antre temporaire, je me suis tournée à nouveau vers cette sculpture maorie haute perchée qui m’avait accueillie en février. A elle aussi, j’avais envie de dire au-revoir ! C’est la dernière photo que j’ai faite aujourd’hui, ma batterie s’éteignant juste après, et celle, de rechange, que j’avais dans mon sac, étant elle-même vide (ce qui ne m’est pas arrivé de tout le séjour). Clap de fin ! Heureusement, Vénus était dans le ciel ! Ça recharge toutes les batteries !

(1) https://www.lemonde.fr/tant-de-temps/article/2015/06/19/patrick-viveret-il-faut-accepter-de-ne-pas-tout-vivre_4657892_4598196.html#

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Et sans hamac ! 8 nouveaux cas confirmés et probables pour la journée d’hier. La descente se poursuit, c’est une excellente nouvelle pour le pays ! Et pourtant, nous sommes toujours dans l’expectative. « Attitude d’une personne ou d’un groupe de personnes, qui attend prudemment et attentivement qu’un parti sûr se présente pour s’engager et agir » selon le CNRTL (1). « Parti sûr »… Voilà qui vient se heurter à ce qui qualifie le temps présent, à savoir l’incertitude.
Pour cette dernière, la même source annonce : « impossibilité dans laquelle est une personne de connaître ou de prévoir un fait, un événement qui la concerne; sentiment de précarité qui en résulte ». J’ai vérifié, je n’ai jamais autant utilisé et de façon si rapprochée, les mots « incertitude » et « impression » que depuis le début de ce récit de (non) confinée. D’une part, nous ne savons pas ; d’autre part, nous ne sommes pas totalement sûrs de ce que nous percevons non plus. Cela me rappelle toutes ces fois où j’ai marché dans la brume sans voir où me conduisait le chemin sur lequel j’étais ni ce qu’il y avait autour…
 
Je m’en remets à nouveau à Edgar Morin qui répondait au journaliste du Journal du CNRS (2) que « nous devons apprendre à accepter [les incertitudes] et à vivre avec elles, alors que notre civilisation nous a inculqué le besoin de certitudes toujours plus nombreuses sur le futur, souvent illusoires, parfois frivoles, quand on nous a décrit avec précision ce qui va nous arriver en 2025 ! L’arrivée de ce virus doit nous rappeler que l’incertitude reste un élément inexpugnable de la condition humaine. (…) Nous essayons de nous entourer d’un maximum de certitudes, mais vivre, c’est naviguer dans une mer d’incertitudes, à travers des îlots et des archipels de certitudes sur lesquels on se ravitaille… ».
 
En temps normal, je ne suis pas en quête de certitudes, j’ai bien conscience que tout est possible et que la vie prend souvent des chemins inattendus. En temps anormal, je ne suis pas plus en quête de certitudes, mais force est de constater que certaines – pas beaucoup hein, juste une ou deux – pourraient être utiles voire salutaires. Par exemple : notre vol de début juin via Singapour sera-t-il maintenu ?
C’est une question que nous nous posons tous les jours sans avoir de réponse, sans savoir quand nous aurons une réponse sûre, sans savoir quand nous pourrons reprendre un avion si jamais ce troisième vol de retour en France était annulé. Car, pour l’heure, le gouvernement n’a pas partagé ses décisions quant à la porosité de ses frontières. Nous avons compris qu’elles n’étaient pas prêtes d’être ré-ouvertes aux étrangers mais que ceux qui voudraient partir pourraient le faire. En même temps, rien d’officiel pour le moment. Et puis, encore faut-il qu’il y ait des avions, que les escales et transits soient de nouveau autorisés. Encore faut-il que des compagnies aériennes acceptent de voler vers des destinations presque à vide – puisque personne, hormis les kiwis, ne pourrait venir en Nouvelle Zélande et ils ne sont peut-être pas des milliers à vouloir le faire. Et j’oublie l’espace Schengen susceptible, lui aussi, d’être verrouillé…
 
Si nous étions sûres que ce vol Auckland – Singapour – Paris allait partir, alors, nous aurions réagi différemment hier soir, en découvrant le mail de l’Ambassade de France en Nouvelle Zélande. Elle annonce un deuxième vol depuis Christchurch sur l’Île du Sud le 21 avril, précisant à l’occasion que ce sera le dernier. Qu’après le 21, chacun devra rentrer par ses propres moyens via les vols commerciaux. Sur lesquels nous n’avons donc aucune certitude… Or, à un moment, il nous faudra tout de même rentrer. De façon certaine. Si je suis mon propre patron – enfin, je ne sers pas à grand chose en ce moment, mais cela me donne au moins la liberté de croire que je peux travailler d’où je veux –, ce n’est pas le cas de Coralie. Et la patience a toujours ses limites, sauf chez les grands sages que ne sont pas toujours les RH.
 
« Alors, quoi, on s’inscrit ? Quand même, elle n’est pas optimale la com’ de l’Ambassade, à n’avoir pas pu dire combien de vols (en tout 4, 2 depuis Auckland dont un réservé aux personnes les plus fragiles et l’autre inaccessible puisque vol intérieur complet, pas de bus, pas de train ; 2 depuis Christchurch dont celui du 21) seraient organisés et jusqu’à quand, à peu près – ils ne savaient sans doute pas ; ni qu’il n’y en aurait pas depuis la capitale ; et comme ça, t’envoyer un mail où est écrit en gras et en rouge que youhou c’est le dernier et qu’il part de Christchurch (à 450 km de Wellington, sur l’autre île). On essaye de l’avoir ce vol ou on croise les doigts pour que celui que nous avons réservé ne soit pas annulé – dans l’histoire de l’humanité, je ne suis pas sûre de trouver de preuve que le croisement de doigts ait déjà eu une quelconque influence sur les décisions prises par les compagnies aériennes ou qui que ce soit d’autre d’ailleurs ? Oui mais, s’il est annulé ? Et si lundi, le gouvernement annonce fermer ses frontières pour un an ? Oui, je sais, mais on ne peut pas savoir ! Oui mais c’est aujourd’hui qu’il faut choisir. Mais « ils » – nous ne savons pas trop qui « ils » sont d’ailleurs – ne vont pas laisser les gens – les étrangers ayant un billet retour – comme ça ! On ne sait pas. »
 
Bref, après une nuit mouvementée – avec entre autres, un réveil à 4h du matin par les grattements répétés et acharnés de la bête qui avait déjà creusé dans la terre du jardinet de la courette, à l’endroit même où devraient pousser des choux de Bruxelles !, bête qui, après ouverture de la fenêtre et balayage systématique à la frontale, s’est révélée être un ensemble de branches de l’olivier poussées par le vent sur la façade ! –, ce matin, nous avons décidé de nous inscrire sur ce vol.
Oui… Mais bon, cela ne signifie pas pour autant que nous avons des certitudes, même pas une, entre les mains. Car s’inscrire ne signifie pas « être pris ». Je ne sais pas trop comment l’écrire, je n’ai pas compris quels étaient les critères de sélection de l’Ambassade. Car tous les inscrits ne pourront pas partir a priori. Et puis, maintenant que nous sommes inscrites, nous devons nous attendre à n’avoir la réponse de l’Ambassade que la veille ou l’avant-veille du départ… Ce qui est sans doute un temps incompressible pour statuer sur les dossiers, mais qui n’est pas hyper pratique. Surtout quand il faut organiser un vol intérieur pour aller attraper ledit vol international, que l’ensemble doit se faire sur une journée du fait des restrictions de déplacements ici – nous avons donc acheté deux billets pour le 21 au matin sans savoir si nous pourrons prendre le vol pour Paris ; qu’il faut se préparer à quitter un toit en urgence – nous avons prévenu notre logeuse de cette possibilité de départ précipité en lui précisant que nous lui réglerons le loyer de la semaine prochaine dans tous les cas (oui, on paye à la semaine ici). Et puis, après tout cela, nous nous sommes imaginées de retour en France dès mercredi matin, et vivre la suite du confinement dans notre appartement, sans courette, sans balcon, sans nature à 1 km… Comment dire… Quand ce que l’on préférerait faire, ce que l’on peut faire et ce qu’il serait préférable de faire renvoie à trois réalités différentes, décider n’est pas une sinécure…
 
(1) Centre national de ressources textuelles et lexicales, une belle bible des mots
(2) https://lejournal.cnrs.fr/articles/edgar-morin-nous-devons-vivre-avec-lincertitude

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15 nouveaux cas hier dont 11 dans des clusters surveillés de près. Le plus important, de 92 personnes, est lié à un mariage organisé dans la ville la plus au sud de l’Ile du Sud. Autant dire, au bout du monde. C’est d’ailleurs pour cette raison que nous sommes allées à Slope Point en mars, officiellement le point le plus méridional du pays, à quelques kilomètres de Bluff, la ville en question. Je suis en effet du genre à aller jusqu’à la bouée…

Nous avions d’ailleurs cheminé jusqu’à Cap Reinga, le point le plus au nord de l’Ile du Nord en janvier. Un endroit mythique, mystique, magique très important dans la culture Māori pour laquelle ce cap, d’où l’on peut être le témoin privilégié de la rencontre entre les eaux du Pacifique et celles de la Mer de Tasman, est le lieu de passage des âmes des morts pour rejoindre l’au-delà : Hawaiki, l’île légendaire où les peuples Polynésiens vivaient avant leurs grandes migrations vers l’est, et dont on ne sait précisément où elle se trouve. Il y a, sur une pointe rocheuse du cap, un Pohutukawa de 800 ans – arbre, sacré pour les Māoris, originaire de Nouvelle Zélande dont la floraison avec de splendides petites fleurs rouges est attendue chaque été austral comme sakura au Japon. Il se dit que les âmes des Māoris se glissent dans l’eau à travers ses racines…

A Bluff, plus classiquement, le virus a transité par un invité, venant de l’étranger. Les mariés s’en souviendront sûrement très longtemps. Je doute cependant qu’ils qualifient cette fête de « plus beau jour de leur vie ». En tout cas, pas avant quelques années.

A une semaine de la fin possible du confinement ici en Nouvelle Zélande, 15 nouveaux cas, est-ce suffisamment bas ou pas pour diminuer le niveau d’alerte ? Le flux de questions – souvent les mêmes – ne s’arrête pas, même si nous savons pertinemment que les réponses ne sont pas encore disponibles. Pourtant, il y a toujours des gens – notamment sur les réseaux sociaux – qui pensent en savoir plus que d’autres. Voilà qui nourrit potentiellement des angoisses inutiles chez les personnes bousculées et fragilisées par la situation.

Quoi qu’il en soit, le gouvernement, dont l’objectif affiché est de débarrasser le territoire du covid-19, répète chaque jour qu’il ne prendra aucun risque. Dans ce souci de transparence et d’accompagnement, adopté depuis début mars avec une certaine réussite, voire même une réussite certaine, il a détaillé aujourd’hui ce à quoi ressembleraient les niveaux 3, 2, 1 d’alerte par lesquels le pays passera forcément avant de lever toutes les restrictions. Il n’a pas annoncé quand, ni combien de temps. Il faudra attendre lundi, selon l’évolution de la situation cette fin de semaine, pour savoir si le pays passera, le 22 avril, en niveau 3 ou pas, et si oui, pour combien de temps.

Dans le fond, le niveau 3, que nous espérons tous, demeure assez restrictif : les lieux collectifs (musées, bibliothèques, cinémas, salles de spectacles…) resteront fermés ; les bars, les restaurants et la plupart des magasins aussi, mais la livraison, la vente à emporter et les systèmes de « click and collect » (dont je ne trouve pas de traduction en français) seront possibles ; le télétravail reste conseillé ; les écoles rouvriront partiellement, et sur la base du volontariat, pour les élèves dès le grade 10 (des collégiens de 13-14 ans) ; nous devrons rester dans notre bubble, celle-ci pouvant être très légèrement étendue ; nous ne pourrons pas nous éclipser hors de la région où nous nous trouvons actuellement mais il sera à nouveau autorisé de nager, de surfer, de pêcher ; et enfin, les mariages – sans repas ni réceptions – et les funérailles seront autorisés sans pouvoir réunir plus de 10 personnes pour autant…

Patience, patience donc. Face à ce magma d’incertitudes, un texte que j’avais écrit il y a quelques mois, dans la foulée de mon long séjour à Taïwan, me revient à l’esprit. Je le retranscris ici, car ce qui se produit aujourd’hui dans le monde devrait rendre obsolète la fin de cette litanie (pour les questions liminaires, c’est toujours d’actualité !) et je crois que je m’en réjouis d’avance…

Comment être sûrs que nous existons vraiment ? Comment savoir que le monde qui nous entoure et dans lequel nous évoluons est réel ? Que la vie n’est pas qu’une monumentale performance ? Et que nous ne sommes pas que de simples personnages interprétant chacun nos rôles sans en avoir conscience et bien évidemment, sans en être les maîtres ? Questions récurrentes, sans réponse apparente et en tout cas, sans réponse supportable, qui vient, qui part, au gré des humeurs et des circonstances aggravantes. Par circonstances aggravantes, j’entends par exemple une extraction de son quotidien, de ses habitudes, de son train de vie, et le retour qui s’en suit plusieurs mois après. J’écris en connaissance de cause après 8 mois passés en Asie du sud-est, principalement Taïwan. Un autre monde assurément. Et si partir est un voyage en soi, revenir en est évidemment un autre.

Non qu’il soit particulièrement difficile de rentrer – même si objectivement, cela peut l’être pour de multiples raisons – simplement, ce retour aux conditions initiales, comme le mobile finalement stoppé par la résistance de l’air dans sa course faussement libératrice, est à chaque fois déconcertant. Déconcertant parce que tous les automatismes mis de côté pendant tous ces mois se réactivent instantanément ; déconcertant parce que rien, à l’échelle macroscopique bien sûr, ne semble avoir changé ; déconcertant parce que l’on re-rentre dans sa vie comme dans une bonne paire de charentaise au creux de l’hiver ; déconcertant parce que le corps se souvient parfaitement de la route à suivre et des obstacles à éviter pour atteindre telle destination ; déconcertant parce que tout le monde autour semble poursuivre exactement la même conversation que celle initiée il y a 8 mois ; déconcertant parce que tout cela semble tellement orchestré, tellement bien huilé que cela ne peut être le fruit du libre arbitre. Et de déconcertant, ce retour devient angoissant. Et voilà que l’on se dit alors, c’est vrai, je n’existe pas, rien de tout cela n’existe vraiment. Tout cela est faux. Pourtant, j’y ai cru. Tel un artefact sur un électrocardiogramme normal, le voyage au long cours est une discontinuité dans un parcours. Un électrochoc avec ses mini-révolutions intérieures, dont on perçoit avec effroi à la fois la puissance potentielle et l’incroyable fragilité car le pire ennemi du changement, on ne le sait que trop bien, c’est la force et le confort de l’habitude… Comment les faire vivre alors dans un milieu qui ne les appelle pas, telle est la question ?

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Le temps, c’est un peu comme une valise. Ou un sac à dos, selon le voyageur que vous êtes. Tant que nous n’avons pas essayé de la/le fermer, nous sommes toujours tentés de lui ajouter un ou deux ou trois petit(s) « quelque chose »… De fait, tant qu’un intervalle de temps défini – prenons une journée pour plus de simplicité – n’est pas réellement achevé, nous pensons toujours être en mesure de venir à bout de la liste des missions du jour inaugurée le matin même avec l’enthousiasme frétillant du débutant et une naïveté d’autant plus déconcertante qu’elle s’auto-reconduit. Or, dans ces circonstances un brin myopes, peu importe qu’au cours de cette même journée, les lignes de cette to-do-list ne se noircissent que bien trop lentement par rapport à leur nombre. Dans ce mode de fonctionnement en effet, tant qu’il y a des minutes, il y a de l’espoir !

Le glas sonnant, nous devons pourtant nous rendre à l’évidence : cette valise – ou ce sac à dos donc – est bien trop petit(e) ! Tout comme cette journée est bien trop courte… Evidemment, nous pourrions aussi admettre que prévoir 11 T-Shirts, 3 pulls, 7 paires de chaussettes, 5 pantalons, 3 chemisiers, 2 vestes, 8 slips, 3 ceintures, 4 foulards, 3 paires de chaussures pour 5 jours était franchement exagéré, mais ce serait faire preuve d’un sens des réalités et d’une conscience de soi bien trop aigus. Tout comme concéder que nous ne sommes finalement pas si efficace à la tâche ou que nous avons encore été bien trop optimiste dans l’organisation de notre journée relèverait d’une insupportable honnêteté intellectuelle, laquelle entraînerait, dans le meilleur des cas, une remise en question, elle-même chronophage… Blâmer ceux qui ne peuvent se défendre – la valise, le temps en l’état – est assurément plus réconfortant !

J’ai beau être partie en Nouvelle-Zélande avec le minimum – ce qui, rappelez-vous, m’a conduite à m’équiper en urgence d’un sous-pull en Mérinos ; d’ailleurs, sachez que la laine de Mérinos gratte –, ma valise métaphorique s’apprête à déborder. Ce n’est pas un fait nouveau ceci dit, même si je me soigne. Et j’en assume même l’entière responsabilité. Je me souviens, il y a trois semaines, pendant les 48h coincées entre l’annonce du confinement et son début effectif, je me disais que cette pause forcée allait être l’occasion idéale pour ranger et trier. Non pas ma maison, puisque je n’y suis pas. Mais mes photographies, en particulier celles faites ici depuis janvier, et éventuellement celles prises à Singapour quelques jours avant. Je ne m’y suis pas encore attelé, puisque, à la place, j’ai préféré aller me promener en forêt, commencer ce carnet de (non) confinement puis de confinement parallèlement à celui rédigé par mes trois autres camarades du collectif Les 4 Saisons (1), puis lancer, avec Coralie, et pour une durée d’un mois, la 6eédition d’Objectif3280…

J’ai toujours de bonnes raisons pour différer ce que j’ai imaginé faire dans un premier temps. La première diversion – la forêt – est absolument vitale et me rappelle chaque jour à quel point il me faut quitter Paris pour me rapprocher de la nature. La migration était théoriquement amorcée avant le départ, elle figurait en tête des priorités pour les 2-3 ans à venir. Le monde d’aujourd’hui précipitera sans doute certains choix, d’autant que j’ai envie, à mon échelle, de co-dessiner le monde de demain.

La deuxième est aussi importante, même si les carnets de confinement ont un temps été raillés – au final, chacun fait ce qu’il veut, même si, lorsque l’on prend le parti de partager ses écrits, il me semble essentiel d’avoir conscience d’où on le fait : en l’occurrence pour moi, d’un endroit hyper privilégié où je suis très sereine et où, pour l’heure, je ne manque de rien. Je n’avais pas écrit de tout ce périple. Pourtant, la matière ne manquait pas… Cela fait quelques années que j’écris moins en voyage. La faute au numérique (une autre forme de valise métaphorique !). C’était il y a 10 ans, j’étais à Malte, à La Valette plus précisément, quand j’ai foncé tête baissée dans la photographie numérique. Je m’en souviens comme de la première cigarette que je n’ai jamais fumée. Je baptisais mon reflex de seconde main amicale récemment acquis, j’errais dans les rues blondes de la cité et déclenchais fièrement. Je regardais mon écran, je les trouvais plus belles, mes photos. L’illusion, voire le miroir aux alouettes, de l’immédiateté peut-être ?

A cette époque, je ne pouvais imaginer à quel point ce glissement matériel allait complètement révolutionner ma pratique photographique jusqu’à lors majoritairement argentique. D’abord quantitativement puisque j’ai réalisé près de 120 000 clichés digitaux depuis – enfin, bien plus puisque ceux que j’ai effacés ne sont pas comptabilisés. Une quantité indécente qui, aujourd’hui, pose de sérieuses questions d’organisation, de classement et de mémoration. Fort heureusement, la révolution a aussi été qualitative, ce que je perçois comme une conséquence directe de la possibilité de multiplier les prises sans que les coûts suivent la même courbe ascendante. Cette facilité déconcertante à faire et à refaire à l’infini – et donc à s’approcher par dichotomie du but à atteindre – est totalement désinhibante donc salutaire, même si elle ne suffit évidemment pas. Ce seront en effet toujours les yeux – en connexion directe avec le cœur et le corps – qui prendront une photo et non l’appareil vissé devant. Et ceux-là doivent continuellement apprendre à voir et à voir autrement…

Par conséquent, le temps que je passais avant à retranscrire, avec des mots et au jour le jour, mes impressions de voyageuse est désormais remplacé par un temps de triage et de pré-traitement de mes prises de la journée. Aussi personnelles soient-elles, donc autobiographiques, mes images ne remplacent pourtant pas les mots. Aussi suis-je très heureuse d’avoir pu reprendre la plume de pixels à l’occasion de cette étrange situation.

La troisième diversion, c’est Objectif3280, que je ne développerai pas forcément ici pour l’avoir déjà abordé à deux reprises. Que je trouve immodestement ce projet magnifique ne le rend pas moins chronophage, mais c’est un fait, non une surprise, et c’est aussi un choix assumé. Car si la forêt me relie à la Terre, si les mots me relient à mon être, et bien, Objectif3280 me relie aux autres… Aucune de ces diversions n’est donc plus importante que l’autre, et aucune n’est à négliger : les trois forment un tout indissociable et interconnecté, agissent à différents niveaux de ma petite personne, l’animent, l’enrichissent, participant ainsi à mon équilibre. C’est un mot sur lequel je reviendrai probablement, car, en plus d’être beau, il me semble qu’il nous permet d’avoir une lecture du monde assez intéressante…

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J’ai commencé ma journée à essayer de comprendre d’abord, puis résoudre une énigme urssaf arrivée dans mes spams, imaginant rapidement que l’équation urssaf + confinement en Nouvelle Zélande risquait de m’entraîner dans un délire un peu kafkaïen ou Brazilesque m’épuisant d’avance – y a-t-il une formule plus officielle pour se référer au film culte de Terry Gilliam ? –. C’est fou d’être à l’autre bout du monde et d’être ainsi rattrapée par cette réalité administrativo-pratique, dont, évidemment, je suis totalement déconnectée. Ceci dit, conformément au 3eaccord toltèque, je me garderais de faire des suppositions quant à la suite ! Nous verrons.

En fait, non, j’ai commencé ma journée en allant sur le site d’Objectif3280 pour compter et admirer les échos postés pendant ma nuit sur cette 5eGénération qui s’achève demain mercredi à 10h – sirène du premier mercredi du mois : ceci est un message pas du tout subliminal destiné aux personnes situées à l’intersection du cercle des lecteurs de ces posts et de celui des participants au projet qui n’auraient pas encore posté leur écho –. Un peu comme si je croyais encore au Père Noël et que je me précipitais vers le sapin au matin du 25 décembre pour découvrir mes cadeaux. Quelle joie donc de constater, qu’à nouveau, les branches de l’arbre – avec Objectif3280, nous créons en effet un arbre écho-photographique – poussent vite et poétiquement, et que, grâce aux anciens qui se muent en ambassadeur de choc, de nouveaux participants y grimpent gaiement !

Mais ce matin, j’ai aussi lu que le confinement en France était prolongé jusqu’au 11 mai et cela me coupe un peu dans mon élan d’écriture légère. Cela a beau être une date précise – sûrement mieux psychologiquement que le flou –, c’est aussi une durée – longue, quasiment un mois supplémentaire, autant que ce qui est déjà derrière vous. Et je me dis que ces prochaines semaines risquent d’être difficiles pour certains, pour beaucoup même sans doute. Je pense d’abord à ma famille, à mes amis bien sûr, puis à mes connaissances et aux amis d’amis, et plus généralement, à tout le monde, un peu comme si je préparais une campagne de crowdfunding.

Comment sort-on de deux mois de confinement, que Boris Cyrulnik a qualifié de « situation d’agression psychologique » il y a quelques jours (1), et comment accepte-t-on, dès aujourd’hui, un déconfinement progressif qui, à nouveau, semble échapper à une certaine forme de cohérence et soulève déjà l’opposition et le rejet ? Je ne vais pas refaire, comme il y a 2 ou 3 jours, de liste à la Prévert version psycho de la foule de questions qui vont se poser prochainement, mais, depuis ma lointaine cabane à Wellington, je pense à vous, très sincèrement, et j’espère que chacun aura les ressources – morales, psychologiques, physiques, matérielles… – pour vivre le plus sereinement possible ces prochaines semaines.

C’est bête comme réflexe, car une négation vaine de la flèche du temps, mais je me demande, à la lumière de la stratégie adoptée par d’autres pays qui s’en sortent mieux aujourd’hui, si les choses auraient pu être différentes en France. Mais il ne sert à rien de refaire le monde à l’envers… En revanche, demain est toujours une page blanche, et même s’il peut être complexe, en ce moment, de penser global et d’avoir une approche holistique de la situation, je me permettrai, pour finir, de citer Edgar Morin : « Alors qu’aujourd’hui, du Nigeria à la Nouvelle-Zélande, nous nous retrouvons tous confinés, nous devrions prendre conscience que nos destins sont liés, que nous le voulions ou non. Ce serait le moment de rafraîchir notre humanisme, car tant que nous ne verrons pas l’humanité comme une communauté de destin, nous ne pourrons pas pousser les gouvernements à agir dans un sens novateur ». Par quoi commençons-nous ?

(1) https://www.franceculture.fr/emissions/confinement-votre/boris-cyrulnik-on-est-dans-la-resistance-pas-encore-dans-la-resilience
(2) https://lejournal.cnrs.fr/articles/edgar-morin-nous-devons-vivre-avec-lincertitude

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