Photo-graphies et un peu plus…

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Je suis ici mais je suis aussi là-bas. Les onglets de mon navigateur web relatifs au covid-19 en Nouvelle Zélande sont toujours ouverts. Il y a notamment la page dédiée au virus sur le site du Ministère de la Santé qui relaie essentiellement les statistiques du jour – cette crise mondiale nous montre d’ailleurs à quel point elles sont un instrument de manipulation politique alors même que les chiffres sont sensés traduire des faits indiscutables : 5 cas aujourd’hui, dont 4 liés à un cluster ; plus que 7 personnes à l’hôpital ; 1118 personnes guéries sur les 1461 touchées ; 115 015 tests réalisés… Cela me réjouit de lire ça.

Je crois que j’aurais aimé être sur place le jour – prochain a priori – où, pour la première fois, la case des nouveaux cas des dernières 24h affichera un zéro pointé. J’en aurais eu des frissons, car je l’aurais vécu comme une victoire collective, celle d’une population unie et disciplinée (sans le côté péjoratif associé parfois à cet adjectif) et d’un gouvernement rationnel et empathique, sur une menace invisible à l’œil nu mais potentiellement ravageuse. J’utilise le conditionnel passé – soit dit en passant, un temps qui permet d’évoquer un fait dans le futur, donc pas encore passé, qui aurait pu avoir lieu si le présent, donc ni le passé ni le futur, avait été différent – mais je pourrai évidemment suivre tout cela à distance et en différé de 10h. Simplement, j’aurai moins la sensation – et satisfaction – d’en faire partie. Ce n’est pas grand chose mais j’avais fini par embrasser les slogans efficaces du gouvernement, qui a articulé sa communication autour de messages simples et forts, à l’instar de son « Stay home. Save lives » diffusé partout dès le début du confinement il y a un mois. Un message facile à comprendre et touchant droit au cœur : à contrainte exceptionnelle, effet exceptionnel. Voilà qui s’affiche presque comme une illustration de la 3eloi de Newton, celle d’action / réaction. Quand, dans notre vie, avons-nous réellement l’occasion de sauver d’autres vies aussi facilement ? Il y a une part de naïveté dans cette approche – la réalité est toujours plus complexe –, j’en ai conscience. Et en même temps, si l’on fait le raisonnement inverse, on se rend aussi compte que de nombreux décès sont imputables au non respect de cette précaution simple et, mais c’est lié, à cette croyance aussi étonnante que commune que cela ne peut pas nous toucher, enfin, me toucher personnellement, et qu’a fortiori, je ne peux être vecteur de la mort… C’est incroyablement compliqué…

Sinon, je parcours encore les messages du groupe FB des Français en NZ, un peu par embryo-nostalgie et aussi pour suivre la situation sur place. Certains se sont virtuellement réunis pour demander un nouveau vol à l’Ambassade alors qu’elle a annoncé que celui du 21, que nous avons pris donc, était le dernier. D’autres parlent de vols retour initialement prévus début juin qui commencent à être annulés par les compagnies aériennes et reportés automatiquement à juillet. Certains se projettent même à septembre, même si, pour l’heure, il n’y a rien d’officiel et que ce sont toujours des rumeurs. Elles sont terribles les rumeurs. D’où émergent-elles, les rumeurs ? Toutes ces informations nous confortent encore plus dans notre décision que, même sans elles, nous n’aurions pas regrettée.

Je suis ici mais je suis aussi là-bas. Dans mon lit, la nuit, au lieu de compter les moutons – en vrai, je tombe comme une masse à 22h depuis notre retour –, je refais mentalement le chemin de notre appartement à « mon » arbre dans la forêt derrière, celui au cœur duquel j’allais, chaque jour, méditer et papoter un peu. Gauche, gauche, gauche, ça monte sec, gauche, attention au tronc, attention aux racines, était-elle cassée cette branche hier ?, la toile d’araignée a disparu, que j’aime ce sol meuble, le voilà, plus que quelques mètres, j’en ai le cœur noué, je m’approche, je le regarde de bas en haut s’évader vers l’infini du ciel, contact, connexion, vibration. Il semblerait qu’ainsi accrochée, j’aie effrayé et intrigué plus d’une personne passant par là. Est-ce vraiment si étrange que cela de communier avec un arbre (en silence, je précise) ? Surtout, dans un pays où les éléments sont si présents et nous appellent autant ? Je ne sais combien de temps je conserverai une vision aussi fine et fidèle de cet univers-là… Aussi, pour retarder l’oubli, je l’ai mis dans ma boite à lumière. Il me suffit donc de l’ouvrir pour le retrouver. Au moins, visuellement.

Je suis ici mais je suis aussi là-bas. Surtout lorsque, comme aujourd’hui, je reçois plusieurs messages m’informant de la diffusion d’un documentaire sur la Nouvelle Zélande ce soir à la télévision. Je suis touchée de l’intention et me dis que, peut-être, certains vont pouvoir découvrir un pays sur lequel ils ne se seraient pas penchés sans ce lien amical entre nous. Ceci dit, je ne sais pas si je le regarderai… Sans doute un jour, pas tout de suite. Le temps de vraiment atterrir et d’être entièrement ici…

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Dvořák m’accompagne. Symphonie n°9 en mi mineur, dite du Nouveau Monde. Je n’ai pas cherché le symbole – d’autant que son Nouveau Monde était l’Amérique de la fin du 19esiècle, New York précisément où il vécut 3 ans pour en diriger le Conservatoire –, juste un air si familier que je le siffle en parallèle. Le fait est qu’elle m’emporte tellement que je peine à me concentrer sur mes propres mots (même si je n’en suis qu’au début). Je découvre à l’occasion d’une vérification chronologique qu’il a composé les thèmes de cette fantastique symphonie en « leur donnant les particularités de la musique des Noirs et des Peaux Rouges » (1), aveu qui avait choqué l’Ancien Monde à l’époque. Dvořák s’est notamment inspiré d’un poème, Le Chant de Hiawatha, de Henry Longfellow, évoquant la vie de Hiawatha, un Indien de la tribu des Ojibwés. Je résiste à creuser plus la piste de ses origines de peur de ne jamais remonter à la surface. A ce propos, Armstrong – Neil pas Louis – en avait emporté un enregistrement lorsqu’il a, pour la première et unique fois, marché sur la Lune (personne, ou plutôt, aucune personne n’y étant allé deux fois).

Quoi qu’il en soit, retour à Wellington dont l’atmosphère n’est pas si éloignée de la Mer de la Tranquillité. Enfin, on se comprend… Dans un autre registre, notre voisin, musicien, plus jazzy a priori, nous disait l’autre jour, de loin rassurez-vous, avoir l’impression d’être dans « Groundhog Day », traduit littéralement par nos amis québécois, qui ne font jamais de réinterprétation en la matière, par « Le jour de la marmotte ». Un titre peu évocateur pour nous autres Français. Je lui préfère « Un jour sans fin », nettement moins énigmatique, beaucoup plus direct. Curieusement, depuis le confinement, alors même que clairement, mes journées se ressemblent, à quelques folies près sur la rue empruntée pour rejoindre la forêt ou le New World (pas celui de Dvořák, celui de mon estomac), je n’ai pas du tout éprouvé ce sentiment.

En fait, la dernière fois que j’ai eu la sensation de glisser dans la peau de Phil Connors, le personnage principal du film magistralement campé par Bill Murray, c’était il y a quelques années, à l’occasion de vacances estivales avec mes neveux et nièce, que j’adore bien sûr et qui ont grandi depuis, et pendant lesquelles j’avais eu l’impression de revivre 23 fois la même journée. Jour après jour, les mêmes événements se produisaient dans le même ordre, aux mêmes heures, pendant la même durée ; jour après jour, la répétition des mêmes sentences que la veille, sans fléchir mais en espérant, comme lui, qu’un jour, prochain, cela finirait par rentrer et que je pourrais enfin passer à une autre journée ! Au lendemain finalement, où, comme sur une page blanche, tout deviendrait à nouveau possible, tout serait à écrire…

Et là, je réalise que, peut-être, je suis malgré tout dans « Un jour sans fin » sans m’en apercevoir. Car même si tout se passe bien pour moi dans le pas-meilleur des mondes, même si je ne manque de rien – hormis de ma famille et de mes amis, dont l’absence réelle est compensée par leur présence numérique –, même si je pourrais rester là des mois sans m’ennuyer une seconde, pour le moment, comme beaucoup, je ne peux toujours pas passer à demain. J’entends, le « vrai » demain. C’est comme s’il avait littéralement disparu, que le temps de l’anticipation, des projections était révolu. De fait, quand j’essaye de penser à demain, le vrai, dans quelques semaines, dans quelques mois, peut-être même dans quelques années, je n’y arrive pas. Il n’y a rien auquel mon esprit se raccroche. Ou si peu. Je l’écris d’autant plus facilement que je traverse ce brouillard parfaitement bien, sans angoisse aucune. Et pouvoir écrire, a fortiori penser cela, me prouve, je le savais déjà, à quel point je suis une personne heureuse (encore plus depuis que je sais que je suis la personne idéale pour partager un confinement, sic). Simplement, c’est inédit, c’est étrange, c’est extra-ordinaire. Et d’une certaine manière, reposant. C’est évidemment très personnel, corrélé à mon propre vécu de cet événement qui nous touche tous différemment. Je me garderais bien de faire des généralités en ce moment, pour lesquelles je confie d’ailleurs une légère aversion…

Bien sûr, la question est posée partout : et après – car cette situation ne va pas durer éternellement –, ce sera comment après ? Qu’aurons-nous appris ? Changer, est-ce devenir quelqu’un d’autre ? Serons-nous toujours libres ? L’avons-nous été un jour ? Reconnaître ses devoirs, est-ce renoncer à sa liberté ? Faut-il vivre comme si nous devions mourir demain ? Choisissons nous notre existence ? L’homme doit-il travailler pour être humain ? Pouvons-nous échapper au temps ? Exister, est-ce vivre au présent ? Est-ce une fonction de l’art que d’embellir la vie ? L’art nous réconcilie-t-il avec le monde ? Que nous apprend l’histoire ? L’étude de l’histoire nous conduit-elle à désespérer de l’homme ? La recherche du profit est-elle le but de tout échange ? Y a-t-il une raison à tout ? Les lois peuvent-elles faire notre bonheur ? Peut-on concevoir une société sans Etat ? Le mensonge est-il une vertu politique ? Une société juste peut-elle s’accommoder d’inégalités ? Qui peut me dire ce que je dois faire ? Faut-il se soucier de l’avenir ? (2) Chaque jour, j’ai l’impression que cette pandémie nous fait repasser notre bac philo ! Pas vous ?

(1)https://www.francemusique.fr/emissions/klassiko-dingo/la-symphonie-ndeg9-dite-du-nouveau-monde-d-antonin-dvorak-la-cornemuse-et-l-actu-dingo-15153
(2) Pour une grande partie, des sujets réels de bac philo de ces dernières années

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