Photo-graphies et un peu plus…

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Un jour, il y a quelques années, j’ai croisé un de mes amis Facebook dans un lieu public. Enfin, croisé… Je l’ai reconnu surtout, au loin. Enfin, il était juste devant moi. Dans une file à attendre son tour. Un photographe dont j’aimais assez la poésie et la démarche. Il sautait plutôt, ou s’élevait, c’est plus juste. Un pas de danse suspendu dans des endroits parfois incongrus. On ne s’était jamais vus. Cela arrive tout le temps de nos jours. On communiquait exclusivement par pouces levés, dans un sens plutôt que dans l’autre d’ailleurs (c’était avant les j’adore, je suis triste, je suis en colère, je suis waouh,  je me marre…). Et puis, il ne savait pas à quoi je ressemblais. De fait, la reconnaissance était-elle à sens unique. C’est bête, mais, sur le moment, je n’ai absolument pas eu envie d’émettre cette phrase ridicule : « Bonjour ! Nous sommes amis sur FB ! ». Ne trouvez-vous pas que cela n’a absolument aucun sens ? D’associer ainsi une notion qui sous-entend une grande proximité et même une certaine intimité entre deux personnes, a fortiori, une relation physique IRL – in real life comme on a fini par qualifier cet espace-temps solide dans lequel nous dormons, mangeons, déféquons, agissons, aimons, pensons, mourons – au plus virtuel des réseaux dont on dit – et expérimente chaque jour chacun à sa manière – qu’il a ruiné les relations humaines, les vraies.

« Ami Facebook », c’est un oxymore, éminemment stratégique, qui alimente cette douce illusion que nous ne sommes pas seuls, que des personnes ne nous connaissant pas réellement, et vivant parfois à des endroits que nous ne pourrions même pas pointer sur une carte, peuvent quand même s’intéresser à nous ou à ce que nous faisons, que les amis de nos amis sont nos amis et même que les amis des amis de nos amis sont aussi nos amis. Cette forme avancée de consanguinité numérique a secoué la théorie des 6 degrés de séparation émise pour la première fois en 1929 par Frigyes Karinthy, stipulant que « toute personne sur le globe [peut] être reliée à n’importe quelle autre, au travers d’une chaîne de relations individuelles comprenant au plus cinq autres maillons » alors que 2,07 milliards de personnes vivaient sur Terre à cette époque. Grâce au réseau bleu et avec une population mondiale 3,5 fois supérieure, le 6 est tombé à 3,5 (chiffres 2016). Le monde rétrécit à vue d’œil mais là aussi, c’est une illusion : celle que nous connaissons les personnes qui évoluent dans nos univers virtuels car nous échangeons des informations, des commentaires, nous réagissons à ce qu’elles écrivent et réciproquement, nous « rions » ensemble, nous savons ce qu’elles font, ce qu’elles écoutent, ce qui les énervent, les rend heureuses, parfois même ce qu’elles mangent, si elles sont insomniaques, si elles ont des voisins bruyants… Tout un faisceau de données qui font que lorsque nous nous présentons devant une telle personne pour la première fois, nous savons une myriade de choses sur elle sans qu’elle nous les ai apprises personnellement. Rien de nouveau sous la neige, mais cette temporalité inversée – je sais avant que tu ne me dises – est à la fois stupéfiante et déstabilisante. Et incite encore plus à passer de l’autre côté du miroir pour en avoir le cœur net et remettre les choses dans l’ordre ! Je dois d’ailleurs concéder que de belles et réelles amitiés sont nées de relations initiées dans le monde virtuel… Reste à trouver la formule de présentation adéquate… « Bonjour ! Je vous suis sur FB ! » Non, non, pas vraiment mieux sauf si vous voulez passer pour un psychopathe…

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Et si, en allant sur la recette de pain d’épices d’un site de cuisine, une douce odeur d’anis et de miel réchauffé venait nous chatouiller les narines ; et si, sur un site de produits cosmétiques, en cliquant sur telle ou telle bouteille, la fragrance du parfum sélectionné s’échappait de notre ordinateur ; et si, en faisant un match de boxe via notre console, en plus des vibrations nouvellement transmises, une odeur de sang venait rendre le geste virtuel plus vrai que nature, serions-nous réellement comblés et cela rendrait-il le Net plus humain ? Certains le pensent. Surtout les spécialistes du marketing qui y voient une nouvelle manière de se différencier de la concurrence. Et les tentatives d' »odorisation » de la Toile ont fleuri, beaucoup au début des années 2000, moins maintenant vraisemblablement… Il faut dire que la chose n’est pas simple et nécessite un minimum d’appareillage et d’anticipation : un  diffuseur d’odeurs (équipé de cartouches) branché à l’ordinateur, à placer entre le scanner, l’imprimante, la webcam, la tablette numérique et le disque dur externe ; des odeurs préalablement définies avec des clients et évidemment quelques suites de 0 et de 1 bien pensées pour bien synchroniser l’ensemble. Et oui, la réactivité d’un diffuseur d’odeurs n’égale sûrement pas la célérité à laquelle un internaute surfe d’un site à l’autre. Risque de décalage voire de télescopage olfactif garanti : une odeur de friture marine s’échappe de votre diffuseur suite à un passage rapide sur un site photo alors que vous êtes déjà en train de naviguer sur la page du nouveau parfum de Jean Baum… Dommage ! Espérons simplement que les fondateurs du site viedemerde.fr n’auront pas envie de faire ce saut technologique !

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Faut-il avoir peur du futur ? Mes élucubrations quantiques étant toujours dans les couches supérieures de ma mémoire, j’aurais tendance à répondre « non ». Imaginez, même si je m’apprête à caricaturer, un temps où, lorsque nous nous rendrons dans une agence de voyages (si, si, elles existeront toujours) pour réserver notre prochaine évasion réelle (une tradition qui perdurera encore longtemps même si les voyages mentaux auront pris le relais), on nous demandera bien sûr la destination, mais aussi l’époque… 5467 ? 1736 ? ou peut-être -12 583 ? Paradoxe, penseront les plus avertis, les retours dans le passé ne pouvant être antérieurs à la date de création de la machine à remonter le temps (sinon, nous aurions déjà croisé des voyageurs du futur…) ! Bref, se projeter dans cet univers-là, de science-fiction disons-le, a quelque chose d’excitant et de stimulant intellectuellement. Peut-être parce que nous ne le vivrons pas. Qu’il est virtuel.

Faut-il avoir peur du présent alors ? Le verdict n’est pas aussi direct à l’heure où l’homme découvre les affres de la virtualité (l’autre, celle des échanges d’informations de toute nature), s’engouffre dans ses abysses les yeux fermés, au risque d’y perdre un peu de sa consistance. Et ce n’est, évidemment, qu’un début. En restant du côté du divertissement, l’an passé, plus de 10 millions de personnes ont été fascinées par les avatars tridimensionnels de James Cameron, nous donnant, par la même occasion, un aperçu de ce que sera notre prochain environnement visuel (et publicitaire certainement, encore que Steven Spielberg l’avait déjà fait entrevoir avec son Minority Report visionnaire, lui-même adapté de nouvelles de Philipp K. Dick publiées en 1956) : des images devant  littéralement se jeter dans nos bras pour se faire remarquer et exister à nos yeux ! Poursuivons l’effacement… Dans la foulée du succès planétaire de ces grands hommes bleus (par opposition aux petits hommes verts, malgré la portée écologique du film), sur une île aux côtes déchiquetées, dans une ville mêlant tradition et modernité, au cœur d’une salle de fans illuminés, un nouveau pas était franchi : tout d’un coup, l’écran devenait obsolète.

Hatsune Miku, 16 ans, 1m58, 42 kilos, tempo de 70 à 150, tessiture entre A3 et E5, déhanchement cadencé, longs cheveux bleus, gestuelle étudiée, look de manga, flotte quelques centimètres au dessus de la scène et chante des mots repris en chœur par son public. Pas d’illusion d’optique, car « c’est juste un hologramme » pourraient lâcher des fans d’un autre âge. Son nom signifie « premier son du futur » ; sa voix a été développée, sans fausse note, par Yamaha ; son image – calibrée, il va sans dire – par Crypton Future Media, émanation de la fameuse planète. Une sorte de synthespian nouvelle génération. Elaborée pour être l’objet marketing parfait, irrésistible. C’est effrayant de se savoir à ce point manipulable. De voir cet engouement tout ce qu’il y a de plus réel pour un phénomène (de foire ?) totalement virtuel, si ce n’est les musiciens, les seuls à transpirer sur scène. La machine est si bien huilée (et pervertie) que les fans se font paroliers (faisant notamment répéter à la star qu’elle les aime !, comme quoi, on n’est jamais aussi bien servi que par soi-même) et vont ensuite payer pour acheter un album ou voir un concert dont, ils sont, d’une certaine manière contributeur… Si du virtuel peut émaner des sentiments et émotions réels, n’est-ce pas une négation de l’humain, de l’homme que de s’amouracher d’une entité dont le cœur ne peut s’arrêter puisqu’il n’existe pas ? Est-il là le futur de l’humanité, esseulé dans un coin, derrière une vitre teintée, en haut d’une forteresse de métal, prêt à être englouti par la lumière blanche ? Tel un bon vieux souvenir.

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