Photo-graphies et un peu plus…

L’autre matin, écrasée de toutes parts dans la rame des sardines par des gens poussés par d’autres amassés sur un quai bondé et n’arrivant pas à se faire à l’idée d’attendre le prochain métro, j’ai eu un flash. Là, au cœur de ce sas à la densité humaine digne d’intégrer la page 469 du livre des records, j’ai pensé aux manchots. Vous avez déjà sûrement observé cette scène, en vrai ou sur écran : en hiver, alors qu’il fait très froid sur la banquise (voire plus au nord comme ici) balayée par des vents glacés et forts, les colonies de manchots se regroupent. Les manchots se collent les uns aux autres pour avoir le plus chaud possible. Ceux en périphérie jouent alors le rôle de bouclier et protègent les cercles inférieurs des agressions météorologiques jusqu’à ce qu’une savante rotation soit déclenchée permettant ainsi aux manchots frigorifiés de réintégrer l’intérieur et d’être remplacés par des manchots réchauffés. Et ainsi de suite… C’est un spectacle assez étonnant à observer et si parfaitement orchestré que l’on croirait presque qu’ils font de la télépathie… « Vas-y, c’est à ton tour ! » « Bien reçu, Roger, j’arrive ! » Vous visualisez ?

Bon, et bien, c’est exactement cette séquence qui m’est revenue dans mon sas… Car c’est exactement comme cela que nous, pauvres êtres humains même pas soumis aux vents catabatiques, procédons pour nous déplacer ou nous extraire d’une rame bondée quand l’heure est venue. Nous sommes comme des manchots serrés les uns contre les autres, bras le long du corps, incapables de nous mouvoir autrement que par des pas minuscules et de façon légèrement circulaire : une personne sort, cela crée un vide dans le sas que la masse humaine s’attache instantanément à remplir tout en absorbant une, deux  voire trois nouvelles personnes. A l’échelle de l’individu, au bout de 4, 5 stations, on réalise que l’on a fait un tour sur nous-même, que nos voisins ne sont plus du tout les mêmes qu’au départ et que l’on fait désormais partie du bouclier protecteur. Celui qui va sauvagement être expulsé à la prochaine station ! Car, malheureusement, l’homme transporté n’est pas aussi civilisé que les manchots !

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Une fois n’est pas coutume, je commence par le texte car ce qui suit devrait être un joyeux bazar. Tout comme le sont certains étals de vide-grenier amateur, où l’on trouve tout et souvent, n’importe quoi, parmi lesquels des objets dont nous voudrions nous-même nous débarrasser s’ils nous appartenaient. Et que nous sommes pourtant prêts à acquérir car à 1 €, le « n’importe quoi » prend du galon et peut encore faire des heureux… On se dit : « A ce prix-là, ce n’est pas grave si cela ne fonctionne pas, si cela casse dans dix jours, si je ne le mets pas, si je le perds, si on me le vole, si… Au pire, je le revends au prochain vide-grenier ! ».

Du coup, j’ai loué mon mètre linéaire car, comme avant un déménagement hâtif, j’ai besoin de faire un peu de vide dans mon dossier hebdomadaire où j’accumule les photos envisagées pour ces duos quotidiens. Il y en a quelques unes que je ne peux plus voir en peinture, certaines prennent la poussière, et de nouvelles idées s’accumulent dans les carnets avec d’autres photos… Et puis, ce sont les vacances, cette coupure tant attendue où, comme au 1er janvier de chaque année, nous tentons de prendre de bonnes résolutions (soit dit en passant, c’est simplement car nous avons enfin le temps de nous poser, de sortir la tête hors de l’eau, et donc de penser, que nous essayons de reprendre la main sur notre quotidien pour les mois à venir ; ce que nous appelons communément des résolutions donc). Bref, trêve de bavardage, il est faussement 6h du matin, l’heure de tout déballer sur mon stand et d’essayer de lier ces images, dans l’ordre où elles se présentent à moi alors qu’elles n’ont rien en commun.

C’est parti :

Il faut toujours un point de départ. Une gare aux ombres énigmatiques et un sombre passager fuyant feront amplement l’affaire…

Oublions la gare de la ville où on y danse on y danse et prenons la vedette ! Cet îlot qui, de la crête de Crater Lake, a des allures de vaisseau fantôme (comprenez, on ne le voit pas tout le temps), ressemble, depuis le niveau de l’eau, à un trou noir, une sorte de grotte inversée dans un décor de rêve…

Qui nous ferait ressortir directement dans les ruelles de Kyoto où, un peu avant la tombée de la nuit, les geishas défilent en silence et sous le crépitement des flashs de badauds les attendant au tournant…

Je me suis alors demandé où pouvaient les conduire leurs pensées à cet instant précis où elles n’étaient plus qu’un personnage au visage figé, qu’une icône aux yeux des autres dont ils voulaient rapporter une image à tout prix… Peut-être sur cette plage Quileute de La Push, de l’autre côté de l’océan Pacifique, où reposent ces trois rochers majestueux…

Et où, paradoxalement, on traverse les paysages à vive allure…

Au risque de se heurter à un mur étrangement colonisé par du lichen déshydraté… Heureusement, une manœuvre réflexe permet d’éviter le choc frontal mais elle nous projette directement à l’embouchure de ce nouvel abysse, de cette sombre porte carrée sans fond apparent.

A l’autre bout de laquelle se trouve une plage normande éclairée sporadiquement par des pétards de fête nationale. C’est là que ça se gâte, que je perds le fil et que tout s’enchaîne sans transition ni autre explication que de courtes légendes lapidaires…

Paris, Nuit Blanche… Succès démesuré. Approcher l’installation de Vincent Ganivet relève du parcours du combattant. Lassés, les gens passent à côté sans lui jeter un œil.

Sagrada Familia. La lumière, dont je force volontairement le trait, inonde ce lieu d’une beauté sans pareille provoquant un séisme émotionnel de 9 sur l’échelle de Richter…

Pour le cliché, tout simplement. Impossible de se trouver à un tel endroit sans penser à un calendrier. Cela a quelque chose d’un peu ringard et en même temps, la ringardise a parfois ses avantages…

Sous les poursuites roses, une montagne humaine se lève et fait une hola aussi difficile à saisir que magique à voir… S’ensuit une avalanche d’images non légendées, un mélange de chaud et de froid, d’ici et d’ailleurs, de réalité et de faux-semblant, de proche et de lointain… Des images qui s’enchaînent sans d’autre raison que celle imposée par leurs noms qui s’enchaînent.

Voilà, en un coup d’ailes, c’est fini. Le stand est quasi vide. Je me sens légère tout d’un coup…

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Vous l’avez probablement remarqué et même personnellement expérimenté, nous avons tous une sorte de radar interne se mettant instinctivement en branle et allumant nos warning – merci à notre cerveau reptilien d’être encore actif ! – dès lors qu’une personne pénètre un périmètre que nous estimons intime sans l’être pour autant, un intime. Bien sûr, il peut y avoir des circonstances atténuantes et une tolérance en fonction de la situation dans laquelle nous nous trouvons.

Par exemple, dans le métro à l’heure de pointe ou dans une galerie commerciale un samedi après-midi où nous sommes cernés par des inconnus à l’allure parfois patibulaire, alors que nous devrions typiquement être dans la configuration d’une distance publique voire sociale (soit entre 1,20 m et plus de 7 m entre les uns et les autres), la frontière de l’intime (sous les 45 cm) est souvent franchie sans pour autant que nous nous repassions notre dernier cours de self defense en accéléré. Car si notre cerveau commence par nous avertir « Arouuuu, attention, plusieurs individus non identifiés vont entrer dans votre périmètre de sécurité (oui, mon cerveau me vouvoie, question de respect !) : contact inévitable« , il sait aussi s’adapter « Surtout, ne paniquez pas ! Et poursuivez votre chemin en faisant comme les autres ! » C’est-à-dire donner des coups d’épaule pour se faufiler dans certains pays, ou, surtout ne pas toucher l’autre dans d’autres sous peine de réanimer le dinosaure qui sommeille en lui…

Mais il arrive aussi que vous vous retrouviez avec des gens – des personnes que vous connaissez bien, avec lesquelles vous vous sentez bien, en qui vous avez confiance – ne gérant pas les distances – personnelles a priori, donc, entre 45 cm et 1m20 – de la même façon que vous. Ce qui peut donner lieu à une jolie valse dont vous êtes le/la seul/e à être conscient/e pour la simple et bonne raison que c’est vous qui menez la danse. Et si vous menez la danse, c’est tout bonnement parce que vous trouvez qu’ils sont trop proches de vous voire au seuil de votre distance intime. Gêné/e par cette proximité – qui n’est pas de la promiscuité pour autant -, vous vous sentez obligé/e de reculer d’un pas, ce qui vous replace à une distance que vous jugez désormais raisonnable. Vous pouvez alors poursuivre la conversation sans être perturbé/e par ces centimètres qui vous séparent les uns des autres. Mais voilà qu’en réaction à votre repli, les autres se rapprochent à nouveau, jusqu’à retrouver la configuration initiale. Warning en alerte, vous faites un nouveau pas en arrière en vous déportant un peu sur le côté, en espérant que cette fois-ci, cela leur montera au cerveau. Et bien non ! Car tout cela se fait de façon totalement inconsciente. Pour vous en assurer, vous rééditez même l’expérience – c’est ça, la démarche scientifique – qui se conclut effectivement de la même manière que les deux fois précédentes. Après 5 minutes de ce petit va-et-vient qui vous amuse et vous agace à la fois, vous avez bougé de 5 mètres vers le sud-ouest. Vous êtes bien le/a seul/e à l’avoir remarqué mais vous êtes aussi le/a seul/e à ne plus savoir du tout ce qui s’est dit pendant ce laps de temps, trop occupé/e que vous étiez à chercher à maîtriser l’espace…

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… désolée, j’ai été coupée ! On m’a perquisitionné mon appareil… « Madame ? » La première fois, je n’entends pas… Bien que, en toute logique, le fait d’écrire que je n’entends pas la première fois prouve que j’ai, au contraire, bien entendu… Sinon, je ne saurais pas qu’il y a eu une première fois. Je n’ai simplement pas fait la corrélation entre le « Madame ? » vaguement perçu et ma petite personne. Donc, très bien, j’ai entendu. Vous êtes durs en affaire ! Bref. « Madame ? » pour la deuxième fois. Je me tourne. C’est un type de la sécurité. C’est marqué en gros sur son T-Shirt. Il me parle avec les mains, me désigne mon appareil photo et me fait signe de venir le voir. Je suis coincée dans les gradins mais réussis à me faufiler. Je sais ce qui m’attend.

« C’est interdit les appareils photos. Vous devez le déposer », me dit-il calmement. Et moi, naïvement, voire bêtement, « Ok, j’arrête de faire des photos, je le range ! » Pas convaincu une nanoseconde… « Non, non, suivez-moi ! » Je le suis. Dans l’intervalle, tous ceux qui, dans les parages, avaient encore leur appareil photo en bandoulière le rangent discrètement. Je suis déjà en train d’imaginer toutes les photos que je ne pourrai pas faire… Je souffre en silence. « C’est considéré comme un appareil pro » me dit-il, laconique. « Ah bon ! » dis-je un peu en riant, sachant pertinemment que ce n’est pas le cas, sans vouloir te mettre en boite mon cher compère. Je passe sur les petits appareils si perfectionnés qu’ils font des merveilles ainsi que sur tous ces portables utilisés comme caméra… J’attends simplement mon tour. Trois personnes sont devant moi. Jugées pour le même crime. Derrière des barreaux, un gentil type bedonnant a pour mission de collecter les objets du délit – comme s’il s’agissait de véritables armes -, de les étiqueter soigneusement, de les poser sur une étagère de fortune les uns à côté des autres, et de nous dire : « Surtout, ne perdez pas votre petit papier ; sans lui, vous ne pourrez pas le récupérer ! » en montrant notre précieux prisonnier. Je retourne à mon siège avec l’étrange sensation de me retrouver sur une plage nudiste. Il me manque quelque chose autour du cou, dans mes mains, sur mon œil… mais ça passe, je m’en passe… je repasse en revue les images que j’ai eu le temps de faire, et cela me satisfait. Des images qui, a priori, n’auraient pas inquiété les équipes promotionnelles… Comme si j’allais prendre ce qui se passait sur scène ! Quelle idée !

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– Dis, Lou, c’est quoi cette boîte de sardines ?

Lou (moi donc) ne lève même pas la tête et continue à chercher une photo.

L’autre, un peu plus insistant :

– Dis, Lou ! C’est qu-oi cet-te boî-te de sar-di-nes ?

Lou, toujours plongée dans ses fichiers…

L’autre, malin :

– Lou, comment on devient artiste ?

Lou lâche instantanément sa souris, se redresse et commence :

– Alors, cette boîte de sardines, c’est une métaphore…

Point d’interrogation en face…

– … une image, si tu préfères… une façon de parler de quelque chose en le comparant à autre chose…

Léger éclaircissement dans la mine.

– Comment sont les sardines dans cette boîte ? lui dis-je.

– A l’huile !

– Oui, mais encore ?

– Elles n’ont plus de têtes !

– Effectivement, mais quoi encore ? Regarde bien… Il n’y a pas quelque chose qui te saute aux yeux ?

Le petit, très concentré…

– Elles sont serrées ! lâche-t-il, persuadé d’avoir mis le doigt sur la réponse attendue.

– Oui, c’est ça ! D’où l’expression « être serré comme des sardines ». Donc, cette boîte de sardines, en fait, c’est ce à quoi me fait spontanément penser le métro que je dois prendre le matin  pour aller au travail. Le métro, c’est la boîte ; les sardines, c’est nous… Et je peux t’assurer que la vie de sardine en boîte est loin d’être appréciable. Vois-tu, les retards récurrents, les problèmes techniques à répétition, l’alternance des rames entre les deux directions, font que ces rames sont systématiquement bondées, en particulier en heures de pointe (d’où leur nom d’ailleurs). Mais quand je dis « bondées », c’est presque trop gentil, elles sont surpeuplées. De vraies bétaillères ! Et encore, je suis sûre qu’il existe désormais des lois européennes pour interdire de mettre trop d’animaux dans une surface donnée ! Il faut vraiment le voir pour le croire… Imagine-toi sur le quai. Comme ça, de l’extérieur, le wagon semble plein. Les faces sont plaquées contre les vitres des portes, les mines sont totalement défaites, implorant la pitié : non, ne rentrez pas… De l’intérieur, il l’est, je te l’assure. Sauf que ceux qui attendent impatiemment sur le quai ne sont pas de cet avis, ils n’ont que faire de la compassion, il faut qu’ils pointent à leur poste ! Et là se trouve la magie du métro matinal : pour le voyageur qui a l’impression de revivre chaque jour le même cauchemar et qui n’espère plus avoir une réelle place dans la rame, l’objectif est d’y entrer coûte que coûte. En poussant un peu par ci, un peu par là, entraînant des micro-mouvements de foule à l’intérieur, en laissant à peine ceux qui veulent s’échapper du pressoir de sortir… Tout le monde peste, un peu dans sa barbe. C’est le dépit. C’est horrible ce dépit-là. C’est comme une visite chez le dentiste. Un mauvais moment à passer mais il faut bien le faire… Et puis, sans t’en rendre compte, tu as un pied à gauche, un autre de l’autre côté de la jambe droite de ton voisin que tu pourrais chatouiller sous les bras si tu étais bien disposé (et lui aussi) et le reste du corps vrillé vers le haut de la rame pour capter un peu d’air. Preuve de la plasticité à toute épreuve de notre corps… Heureusement, la densité humaine est telle qu’une position totalement déséquilibrée n’est pas synonyme de chute pour autant. Voilà donc que l’on se « repose » sur des bouts d’êtres, que nous sommes tous là, avec notre bulle de sécurité percée de toutes parts, à vivre une intimité non désirée avec de parfaits inconnus. Qu’un sorte et le mikado s’effondre… Parfois, il est difficile à certains de réfréner certaines poussées belliqueuses. Cela se comprend. Heureusement, les bras étant bloqués en position basse, les agressions sont majoritairement verbales. Le pire entendu : rame bondée, on pousse, on pousse, on pousse… Une jeune femme avec un paquet fragile entre les mains dans le sas principal. Quelle idée aussi, pourrait-on penser, de prendre le métro à cette heure-ci avec un paquet fragile ? Il y a aussi des gens qui partent en vacances avec leur grosse valise ou sac à dos qui prennent le volume de trois personnes, ou des poussettes dépliées avec marmaille inside – 4 personnes… On leur en veut et en même temps, faut bien continuer à vivre ! Bref, la donzelle avec sa boîte fragile… Voilà qu’elle lance un « Ta gueule ! » à une vieille dame qui avait dû manquer sa dernière séance de PNL et n’avait donc pas su capter les micro-signaux que lui envoyait la jeune femme bien sous tous rapports apparents depuis quelques secondes : « Pas le matin ! » « Pas le matin ! » « Pas le matin ! »… Comprendre : « Ne pas me prendre la tête dès le matin ! »… Et la dame, insistante, « Oui, mais, quand même vous pourriez faire attention… » « Ta gueule ! » donc. Effroi dans l’assemblée. Quand même… Oui, quand même… Cette ligne transporte des gens dans des conditions inacceptables, mais quand même, un peu de respect pour les aînés. Oui, moi, je suis comme ça. Bref. Elle finit par s’excuser… Non, pas d’excuse… par se justifier quelques minutes après… le métro est arrêté entre deux stations, ça laisse le temps de penser à ce que l’on vient de dire, à se rappeler du chapitre sur la maîtrise de soi parcouru la veille, à se convaincre que ce n’est pas grave… « Oui, quand même, ça ne se fait pas ! » finissent par dire les gens collés à la jeune-à-la-boîte-fragile-et-aux-joues-rouges… Ce qui ouvre une courte lamentation sur cette ligne maudite qui énerve tout le monde, les salariés, les employeurs, les recteurs d’université aussi, et en premier lieu les passagers, les sardines quoi… Evidemment, face à cette fatalité, je ne peux m’empêcher de me demander si les choses auraient été différentes si cette ligne ne s’était pas appelé 13 mais 15… La RATP aurait dû faire comme dans les compagnies aériennes américaines, supprimer la rangée 13 de leurs avions, forcément capteur de tous les dysfonctionnements connus sur les différentes lignes de son réseau !

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Au départ, en prenant cette photo, il y a une envie : celle d’écrire sur le succès à la fois enthousiasmant et enrageant des manifestations artistiques publiques et en plein air, à l’instar de la Fête de la Musique, des Journées du Patrimoine, ou, comme ici, de la Nuit Blanche à Paris. Ceci est donc la Rue des Francs Bourgeois. Noire de monde. Pas 1 mètre carré de libre. On y joue des coudes, on se faufile, on se hisse, on se laisse porter, pire, on est emporté, on y hallucine, on se marre, on s’y énerve… C’est quand même un comble de se retrouver bloqué, de cette façon, dans ces circonstances, à cette heure tardive de la journée. Face à ce paysage à horizon bouché, l’arrivée de ce landau, vide, tenu à bout de bras, fendant l’air et la foule, ferait presque office de performance artistique improvisée, à défaut de pouvoir accéder à ce qui se passe dans l’antre violacé…

Mais, ça, c’était au départ. L’arrivée, c’était ce matin, à une station de métro. Une jeune femme est devant moi, en haut d’un escalier de 27 marches, avec un landau. Chargé cette fois-ci de ce qu’il y a habituellement au creux. Un bébé, bien arnaché, en prévision d’imminentes secousses. Quelques braves gars bien bâtis autour d’elle. Oh, pas des centaines, mais bien 5 ou 6. Et pourtant, pas un seul ne lui propose son aide pour lui faire passer cet obstacle en cascade. A vrai dire, elle ne l’espère même pas et descend seule les marches qui la séparent du quai. Tout d’un coup, l’image du landau flottant, l’air de rien, au-dessus d’un magma humain imperturbable et embourbé dans son aveuglement, me saute aux yeux, comme un écho malheureux…

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Voilà ce qui arrive lorsque l’on cherche une image en particulier et que l’on ne la retrouve pas… J’ai à l’esprit, depuis plusieurs jours, une photo que je pourrais décrire dans ses moindres détails et qui, a priori, serait idéale pour illustrer un propos que je m’empêche de développer depuis, n’ayant pas mis la main virtuelle sur cette photographie. Je pourrais en chercher une autre qui cadre tout aussi bien avec le dit sujet, mais cela ne règlerait pas le problème : cette image, si présente dans ma mémoire, resterait cachée parmi ses nombreuses semblables… Ce n’est évidemment pas la première fois que cela survient, et deux fois sur trois, la photo pensée initialement se présente, comme une fleur, sous mes yeux, à l’issue d’une recherche totalement différente, deux ou trois jours après avoir déclaré forfait ! Comme si c’était un jeu ! L’image a-t-elle une conscience d’elle-même et du pouvoir qu’elle exerce sur nous ?

Il est certain que chercher une photo précise dans un portfolio en contenant plus de 20 000, même en rationalisant au maximum (lieu, période approximative…), c’est un peu comme tenter de retrouver quelqu’un dans une foule en mouvement (il y a une heure, il était là) ! On fait des tours et des tours, dans un sens puis dans l’autre, rapidement puis lentement, on retourne tout, en vain. La photo échappe à notre vigilance pourtant à son paroxysme. Car le portfolio est mouvant… Les images sont parfois déplacées et réorganisées dans un souci d’optimisation. Certaines sont parfois même supprimées, plusieurs mois ou années après avoir été prises. D’où un problème potentiel de mise à jour de notre mémoire interne : peut-être ai-je tout simplement oublié que j’avais effacé cette image ? Auquel cas, ma quête n’aboutira jamais. Je me souviens en effet que cette photo prise dans une salle de cinéma en attendant les bandes annonces était floue. Un état qui est loin de me déranger, mais, parfois, certains jours de grand ménage photographique (on parle de « Printemps de la photographie » dans les chaumières), on se prend à éliminer des images chéries la veille. Comme ça, sans prévenir. Mais avec de bons arguments. Et pas de négatif pour rattraper l’affaire si le lendemain, on change d’avis. Dans ce cas, mieux vaut savoir oublier les images que l’on a en tête, et qui, d’une certaine manière, se rapprochent de La photo pa(s/r)faite. Cela permet de voir plus loin…

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