Photo-graphies et un peu plus…

Le détour

Je ne vais pas y aller par quatre chemins : cette trace m’interpelle. Son existence sur cette pelouse berlinoise printanière n’y est absolument pour rien. Je n’ai en effet aucun mal à concevoir que des promeneurs, par facilité ou par mimétisme, finissent par emprunter la même route que leurs prédécesseurs. Et a fortiori, que la répétition de ces piétinements cadencés marque à jamais le sol comme une cicatrice, la peau. Non, ce qui m’interpelle, et ce n’est pas la première fois – je me suis posée exactement la même question un hiver neigeux à Montréal, quand même bien la précision semble « pléonasmique » -, c’est la forme de cette trace. Le cheminement de ce parcours. Et la question, vitale comme toutes les questions : pourquoi, alors même que les marcheurs veulent manifestement aller légèrement à droite par rapport au point central où je me suis postée pour capter cette étrangeté – je vous laisse vous relever un peu sur votre siège pour constater, qu’en effet, le chemin converge vers l’arbre en haut à droite -, pourquoi donc commencent-ils tous par aller un peu vers la gauche avant de rétablir leur trajectoire à mi-parcours et de filer vers leur destination finale, le tout par l’entremise de douces courbes ?

Pourquoi n’y vont-ils pas directement, donc, tout droit : n’avons-nous pas appris au cours élémentaire que la ligne droite était le plus court chemin entre un point A et un point B dès lors qu’il n’y avait aucun obstacle entre eux ? Admettons que les premiers, les pionniers, ceux qui, tels des sherpas, ont créé la trace, aient un temps, et très sincèrement, hésité entre s’enfoncer dans la forêt apparente à gauche ou traverser la clairière à droite – ce qu’ils ont fait au final -, comment croire que tous ceux qui les ont suivis ont connu les mêmes indécisions exactement aux mêmes moments et n’ont pas été tentés de prendre la tangente pour couper court à ces tergiversations ? Hypothèse n°1 : les flâneurs avancent sans regarder où ils vont, ils se concentrent uniquement sur la façon d’y aller, pas après pas, indépendamment de toute logique d’économie de pas, et suivent tout naturellement la route déjà tracée. Il y a même de fortes chances qu’ils n’aient pas conscience de leurs errements. Hypothèse n°2 : ils ont bien vu que le chemin n’était pas optimal, mais, étant extrêmement respectueux de la nature, plutôt que de dégrader à nouveau le terrain, ils préfèrent faire un petit détour…

Share on Facebook

L'oeil de chat

Share on Facebook

Manifestement, l’homme et la nature n’adoptent absolument pas la même méthode pour aller d’un point A à un point B. Si la première apparaît diaboliquement efficace et d’une arrogance kilométrique, la seconde séduit par ses tergiversations, sa patience, son sens du compromis et du passage en douceur. Et voilà que, tout d’un coup, je me sens beaucoup plus proche d’elle et de sa façon d’aborder les éléments !

Share on Facebook

Dans un groupe de 7, il y a toujours une personne pour ponctuer ses phrases par une citation de grand homme (de « grande femme » ne se dit d’ailleurs pas… Et si jamais quelqu’un venait à utiliser cette expression, l’assemblée penserait en premier lieu qu’elle fait 1m82, et non pas qu’elle est habitée par des pensées stratosphériques et qu’elle a eu une vie digne de celle des grands hommes qui, à l’inverse, peuvent donc être petits.). Ceux qui n’arrivent jamais à se souvenir de ces phrases de haute volée trouvent toujours ça un peu pompeux, même si, secrètement, ils aimeraient être aussi savants de temps en temps.
Personnellement, je suis plutôt du genre amnésique en la matière. Pourtant, il y a un proverbe qui me trotte dans la tête depuis que je l’ai lu, il y a plusieurs mois. Il n’est pas le fruit de la réflexion d’un grand homme ou d’une grande femme, mais d’un peuple, car présenté comme un « proverbe malien ». Là où la citation, clairement possessive, clame fièrement ses origines, le proverbe a la main sur le cœur et s’offre à tous. « Le chemin le plus court pour aller d’un point à un autre n’est pas la ligne droite, c’est le rêve » dit donc, en substance, ce proverbe malien.
A la première lecture, j’étais interpelée. Séduite. Suffisamment en tout cas pour noter ces quelques mots noir sur blanc, histoire d’anticiper les failles de ma mémoire. D’instinct, je me suis dit que c’était bien vrai. Et pourtant, en y repensant, j’ai trouvé la sentence plutôt énigmatique. Le plus court chemin entre un point A et un point B n’est pas la ligne droite, comme nous l’avons appris, enfants, dans nos cours de mathématiques et le vérifions, adultes, dans notre quotidien de citadin stressé, c’est le rêve donc. Qui, dans notre éducation, a toujours été déconnecté du cartésianisme de la géométrie ou, plus globalement de la science, sauf quand on nous disait, mais ce n’était pas vraiment un compliment, qu’on était dans la Lune… Quand je pense au rêve, j’imagine (ce qui est déjà un rêve) quelque chose d’immatériel. Logique puisqu’un rêve est d’abord une pensée. Que l’on aimerait bien voir se réaliser (encore que certains, étant persuadés que sa concrétisation sera moins belle que le rêve lui-même, préfèrent s’en tenir à l’image pour ne pas être déçus… Un raisonnement qui se tient même si je n’y adhère pas, car on ne sait jamais ce qui peut arriver dans la vie…). Bref, associer réel et virtuel dans une même phrase me trouble. Il a des allures d’oxymore ce proverbe. Et finalement, ma seule façon de le comprendre est de l’aborder par sa face temporelle : rêver prendra toujours moins de temps que faire, que réaliser, que d’aller concrètement d’un point A à un point B. En cela, c’est effectivement le plus court chemin. Mais, ensuite, on fait quoi avec notre rêve qui va plus vite que l’éclair ? La route pour lui donner vie me semble un peu plus sinueuse… Quelqu’un pour éclaire ma lanterne ?

Share on Facebook

Share on Facebook

Share on Facebook

Share on Facebook