Photo-graphies et un peu plus…

L'ennui éternel

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Je trouve très rassurante cette capacité qu’a l’être humain à se laisser porter et emporter spontanément par ses anciens jeux d’enfants même quand il a atteint l’âge adulte… Celui-là même où, en théorie, on ne doit plus s’amuser à cache-cache derrière de grandes colonnes s’avérant d’ailleurs aussi mystérieuses qu’un mirage dans le désert.

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D’abord, l’émotion pure. C’est elle qui submerge l’être, qui l’engloutit tout entier – même si cela ne s’écrit pas – lorsqu’il passe l’immense porte de bois sculpté de la Sagrada Familia, le chef-d’œuvre inachevé de Gaudi, chantier perpétuel depuis son trépas. Il l’a guettée depuis les hauteurs atmosphériques à l’arrivée, puis l’a cherchée aux croisements des rues rectilignes, l’a aperçue depuis les toits barcelonais et sur les cartes postales, enfin il l’a approchée avant de s’en éloigner… Ce n’était pas encore le moment. Et puis, il y est allé, l’être. Il est entré, l’être. Et il a pleuré, l’être, de tant de beauté insoupçonnée, de subtilité en un même lieu, d’intelligence condensée. Sensation d’être happé par l’immensité et en même temps, d’être au cœur d’un antre recroquevillé et protecteur… D’une canopée de pierres légères culminant à 75 mètres de hauteur. De pierres, réellement ?

A l’heure où le concept de biomimétisme rencontre de plus en plus d’adeptes ici et là, Gaudi, dès la fin du 19e siècle, l’avait placé au cœur de son utopie architecturale et distillé un peu partout dans sa basilique. « If nature is the work of God, and if architectural forms are derived from nature, then the best way to honor God is to design buildings based on his work » aurait-il dit. En espagnol bien sûr… Le biomimétisme en est peut-être sa version laïque. Sa grande prêtresse américaine, la biologiste Janine Benyus, le définit comme « la pratique selon laquelle on observe, on apprend et on reproduit le génie de la nature, tout ce processus qui évolue depuis maintenant 3,8 milliards d’années ». Et qui sait durer et perdurer, malgré les attaques et les contre-attaques…

Et voilà que petit à petit, en oubliant tout ce qu’il y a autour et tout ce qu’il y a dehors, le sentiment de se promener dans une forêt prend le dessus… Les interminables et massives colonnes sur lesquelles reposent la nef centrale se muent en arbres géants régulièrement dispersés, aux branches solides et feuillage flirtant avec les nuages. On se contorsionne pour en admirer les atours, là haut, inaccessibles. Et on est tour à tour ébloui par la lumière vive du soleil qui réussit à percer à travers les branches, les feuilles et les respirations, puis plongé dans l’ombre dès lors que l’on se faufile derrière un tronc, pardon, une colonne ! Ne manquent plus que les petits oiseaux pour parfaire l’illusion, et encore, sont-ils réellement nécessaires ?

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Alors même que la sage-femme vous lance une petite tape dans le dos pour vous aider à pousser votre premier cri et à prendre votre première bouffée d’air, passant ainsi du statut primitif d’amphibien à celui, plus évolué il paraît, de terrien ; alors même que, d’une certaine manière, vous commencez juste à vivre et que vous ne savez strictement rien de la planète sur laquelle vous venez de vous réveiller, celle ou celui que vous allez désormais devenir et être est déjà défini, quelque part. Enfin, c’est ce que l’on pourrait penser si l’on s’avançait à interpréter les conséquences combinées de trois éléments. Il y en a bien plus, mais les conclusions n’en seraient que plus effrayantes.

Donc, le premier : votre date de naissance. Disons, au hasard (car il manquera plus tard), un 3 janvier. Cela fait de vous un Capricorne. Inutile de froncer les sourcils : s’il y a autant d’horoscopes dans les journaux et les magazines, c’est qu’ils sont attendus, et si ce n’est crus, lus. Et puis, il y a toujours quelqu’un autour de nous pour lâcher « Oh, un(e) petit(e) Capricorne ! Ils ne sont pas toujours faciles les Capricorne… » « Preuve » qu’il y a bien « quelque chose », même si c’est purement spéculatif. Bref, en tant que Capricorne, « vous serez donc raisonnable, d’un tempérament calme, vous aurez un sens aigu des réalités et ne prendrez jamais une situation à la légère. Fiable, honnête et sincère, on pourra compter sur vous. Détestant l’improvisation et l’incertitude, vous serez un adepte de l’organisation ». Et cætera et cætera. Il y en a des pages et des pages. Même si ce sont des traits de caractère grossiers, vous y trouverez toujours quelque chose qui vous ressemble. Le plus amusant est que, depuis l’époque où les signes du zodiaque ont été arrêtés, l’axe de la Terre a bougé et ne pointe plus vers les constellations à la période où il le faisait il y a 2 500 ans : il y a un mois de décalage. Pourtant, une personne née en janvier reste Capricorne, alors qu’en théorie, elle devrait être Sagittaire. Mais intégrer cette variation compliquerait grandement une situation qui l’est déjà.

Bien, votre premier cri poussé, vous pouvez ouvrir les yeux. Il serait faux de dire que vous découvrez le monde qui va vous héberger à cet instant-là car vous ne voyez pas encore, mais votre mère, et peut-être, votre père, s’il a voulu chaperonner votre première sortie du territoire, eux, vous dévorent des yeux. Et après s’être extasiés devant vos tous petits pieds, vos tous petits doigts, votre toute petite tête fripée (tout en comptant bien que vous les avez en autant d’exemplaires que commandé, 10, 10, 1) échangent un regard avant de lancer, en chœur : « Oui, Camille, ça lui va très bien ! ». Sept mots simples et une montagne de sous-entendus alors que vous existez à peine. Evidemment, ce n’est pas comme si vous arriviez du jour au lendemain, votre arrivée a été mûrement préparée, parfois réfléchie, mais techniquement, c’est votre premier jour. Votre petite tête, qui ne ressemble alors à rien (si, si, et c’est pareil pour tout le monde…), dégage suffisamment de choses positives dans l’esprit de vos parents pour qu’ils soient convaincus de leur choix de vous nommer Camille et non Béatrice. Faites l’essai si vous connaissez l’une ou l’autre : imaginer-les en Béatrice et Camille et vous conviendrez que cela ne colle pas. Bref, le prénom qui vous a été donné est le deuxième élément. Car chaque prénom, ayant sa propre signification, est corrélé à des traits de personnalité très précis. Les livres sur le sujet ne se comptent plus et font partie de la bibliothèque minimale des futurs parents désireux de donner toutes leurs chances à leur progéniture à venir dans ce monde de brutes. Camille, entre autres choses, vous serez donc « énergique, vous aurez une autorité naturelle et une grande force de persuasion ; vous serez malgré tout réservée et discrète ; votre puissance d’action sera considérable même si parfois irrégulière à cause de votre émotivité. (…) Les professions susceptibles de vous intéresser seront celles qui exigent le sens du détail, de la précision. (…) ».

En croisant ce qui se dit sur les Capricorne et les Camille, vous en savez donc déjà beaucoup sur « vous », enfin vous toutes. Bien sûr, cela ne vous plaît pas de penser que toutes les Camille Capricorne sont comme ci ou comme ça, qu’en somme, vous n’êtes pas unique. Mais, heureusement, arrive le 3e élément. S’il ne vous apportera pas forcément votre liberté, au moins, il fera de vous une personne singulière : l’histoire de vos parents, des leurs, et encore des leurs, leurs joies, leurs peurs, leurs névroses, leur chance, leur malédiction… qui se transmettent, s’unissent, se mélangent, se heurtent, consciemment ou inconsciemment, de génération en génération, et qui vous feront avoir une peur bleue des coffres en bois fermant à clé alors que vous n’aurez jamais de problèmes avec eux (vous apprendrez bien plus tard qu’un drame a eu lieu avec un tel objet il y a 3 ou 4 générations et que depuis, il est interdit d’en avoir un chez soi). Et encore, cette histoire de coffre est juste l’entrée de la boite de Pandore.

Voilà ainsi Camille, née un 3 janvier, à peine quelques heures et déjà une vie derrière elle. Par chance, les tests ADN à la naissance ne sont pas encore banalisés car vous sauriez alors peut-être quand et comment vous attendra la fin. Fort heureusement, au quotidien, vous ne penserez pas à tout ça. D’ailleurs, vous ne croyez pas à ces balivernes. Vous avancerez, vous ferez vos choix sans toujours les comprendre et, dans ce paysage aux allures déterministes, creuserez votre propre sillon…

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