Photo-graphies et un peu plus…

"Les yeux, c'est merveilleux"

Je l’ai notée dans mon carnet tant cette phrase, lancée à voix haute par un patient patient dans une salle d’attente de cabinet médical – pas de psychiatrie je précise -, s’est révélée à la fois juste, simple, belle et totalement impromptue. J’ai un faible pour ces décalages du fond et de la forme… L’homme, à la retraite – oui, il est des gens qui se racontent facilement dès lors qu’ils ont un auditoire attentif bien que silencieux et planqué derrière un magazine vieux de 3 ans ou un smartphone au flux continu de nouvelles fraîches -, ajoute : « On n’y pense pas, mais c’est tellement important ». L’ancien graphiste a raison – oui, il a aussi précisé son métier -, les yeux, quand on y pense, c’est important.

J’y ai d’ailleurs pensé intensément en prenant cette photo, ou plutôt, en observant cette scène de la vie courante : des sièges dans un train en premier plan, des voyageurs attendant le leur sur un quai extérieur en arrière plan. Cette banalité apparente est un leurre. Tout du moins, pour la boîte à images. L’œil mécanique se heurte en effet au « trop » – trop sombre ou trop lumineux – et exige des compromis : privilégier la scène extérieure pour ensuite découvrir un intérieur fortement assombri, ou, faire la part belle à l’intérieur et ainsi voir les silhouettes du fond se désagréger dans un excès de lumière. Une limite technique qui, heureusement, se comble aisément en prenant et assemblant deux photographies (ce que j’ai fait ici). Deux images qui ne font que montrer ce que nos yeux, en toute modestie, nous offrent à voir en un seul regard sans nous demander de choisir entre les détails des banquettes ou ceux du quai, parce qu’ils sont capables de tous les discerner en une fois. Robert – non, il n’a pas livré son prénom, je l’ai juste baptisé pour l’occasion – avait raison : les yeux, c’est merveilleux…

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L'aspiration

Chemin faisant, ils ont atteint le bord de l’eau, glaciale, et, plutôt que de faire demi-tour au pied de ce mastodonte basaltique, sans prononcer le moindre mot, sans s’échanger un quelconque regard, ils se sont enfoncés plus encore dans cette dense fumée de mer jusqu’à disparaître entièrement…

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Checkpoint

Si j’habitais Berlin et si j’avais à donner rendez-vous à quelqu’un sur l’immense Alexanderplatz, je choisirais certainement cet endroit aussi. Ce ne serait certes pas très original, mais j’aime l’idée de me retrouver sous cette horloge universelle – Urania pour les intimes, Weltzeituhr pour les germanophones – coiffée d’une version miniature – et simplifiée – de notre système solaire en rotation. Divisée en 24 portions, comme 24 fuseaux horaires, Urania indique l’heure qu’il est partout dans le monde en permanence grâce à un savant système de double cylindres. Ainsi, tout en étant à Berlin, pourrais-je lancer des rendez-vous énigmatiques du style : « Retrouvons-nous à 16h à Anchorage ! N’oublie pas tes moonboots… » ou « Rendez-vous à 10h à Caracas ! Nous aurons le téléphérique pour nous ! » voire « 00h à Tokyo – je porterai un chapeau melon rouge et picorerai un okonomiyaki »… Bien sûr, cela requerrait une certaine maîtrise voire une maîtrise certaine à la fois de l’addition et de la soustraction, et il y aurait certainement quelques ratés au début, mais les rendez-vous, prétextes à de multiples voyages imaginaires, n’auraient-ils pas une toute autre saveur ?

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Le miracle du 14-7

Tout d’un coup, une pluie d’étoiles filantes a déferlé sur les hommes, les plongeant, de façon subliminale, dans une hypnose fugace dont ils sont ressortis avec des paillettes dans les yeux…

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L'hypocondrie nomade

Les pages santé des guides de voyage sont l’équivalent des notices des boîtes de médicaments recensant, et c’est tout à leur honneur (en plus d’être obligatoire), tous les effets secondaires possibles et imaginables susceptibles de survenir en les prenant, alors même qu’ils sont sensés nous guérir, parfois de maux bien moins graves que les affections qu’ils pourraient générer. De telle sorte que, parfois, nous préférons ne pas les prendre plutôt que de risquer, même si cela ne se produit qu' »exceptionnellement » car rien n’indique en effet que la banalité de notre corps ne puisse être l’hôte d’un « cas exceptionnel », un arrêt cardiaque ou des pensées suicidaires…

En lisant ces pages santé, nous nous imaginons donc, avant même d’avoir décollé, déjà atteint d’une combinaison autant cataclysmique qu’improbable de maladies auxquelles nous attribuons une dangerosité proportionnelle à l’exotisme et l' »imprononçabilité » de leur nom : choléra, encéphalite japonaise, fièvre typhoïde, maladie de Chagas, filariose lymphatique, onchocercose, leishmaniose, schistosomiase, trypanosomiase, rickettsiose, bilharziose…

Nous nous rassurons alors en nous promettant de nous badigeonner de répulsif anti-Anophele Funestus dès la tombée du jour, de n’accepter aucune boisson qui n’aurait été ouverte devant nos yeux, de ne caresser aucun animal que nous aurions vu se gratter, ou encore de ne pas mettre le pied dans les eaux stagnantes, voire même dans des rivières pourtant animées comme celle-ci, signalée comme vectrice potentielle d’une bilharziose inattendue ici par des affiches A4 aux couleurs passées plantées dans les arbres alentour, histoire de décourager les visiteurs fantasmant déjà sur un bain revigorant dans ses piscines naturelles au charme irrésistible, en quelque sorte, les Aglaophème, Thelxiépie, Pisinoé et Ligie auxquelles a pu résister Ulysse lors de son odyssée, non pas grâce à une pancarte flottant telle une bouteille à la mer, mais aux avertissements de Circé, la version mythologique des pages santé des guides touristiques…

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Suprême insulte

Il me lance, par mur interposé : « En fait, t’es une touriste ! Beurk ! ». Le « beurk » est presque inutile, la première partie de la phrase suffisant à donner le ton général de la pensée. Désagréable. Sur le coup, je suis piquée au vif – je vois un horrible personnage manquant de respect aux us et coutumes locales, tout critiquer, la peau orange sanguine et un T-Shirt Hard Rock Café Acapulco avec un tache de ketchup sur le haut de l’estomac alors qu’il est en Turquie -, je me sens agressée. Dans mon être. Dans ce que je suis. Dans ma substantifique moelle donc. Car, le touriste – comme s’il était universel et unique, genre LE touriste – n’a pas le vent en poupe ces derniers temps (cf 2e photo), en plus d’être connoté de façon péjorative. Et puis, LE touriste, c’est celui qui traverse la vie sans vraiment s’y arrêter, distraitement ; c’est, par extension, celui qui ne fait pas les choses sérieusement, c’est-à-dire de façon approfondie. Référons-nous à Ortolang. Selon le dictionnaire, le touriste est « celui qui fait du tourisme, qui voyage, pour son plaisir, pour se détendre, s’enrichir, se cultiver ». Franchement, il n’y a pas de quoi s’offusquer ! Et en descendant un peu plus dans la page : « Amateur, personne qui s’intéresse aux choses avec curiosité, mais d’une manière superficielle ». Il devait certainement penser à celle-ci, plutôt, même si, là aussi, cela ne le regarde absolument pas.

Je suis donc une touriste. Comme 1, 1 milliards de personnes en 2014. Et j’irais même plus loin car à vrai dire, à 12h54m41s, nous étions exactement 7 311 706 171 touristes sur Terre. (Ouverture de parenthèse : en écrivant cela, je ne laisse évidemment pas entendre que nous sommes tous heureux, si tant est qu’il s’agisse là de notre quête du Graal à chacun, ni que tout va bien dans le meilleur des mondes – à part celui de monsieur Huxley justement : je suis malheureusement lucide : notre monde part en vrille, à rendre neurasthénique tout optimiste chevronné, alors imaginez un peu les autres. Fin de la parenthèse.) 7 311 706 171 touristes sur Terre donc. Non que nous ayons souvent l’opportunité d’aller faire des treks au fond de Valles Marineris sur Mars ou de l’ULM au dessus de la Grande Tache Rouge sur Jupiter (attention, cette sortie-là est exclusivement réservée aux pros, la zone étant un gigantesque anticyclone – 3 fois la taille de notre planète – balayée par des vents à 600 km/h).

Mais enfin, même si nous partons du principe que la vie a un sens – ce qui reste à prouver -, à l’échelle de l’âge de l’univers – 15 milliards d’années grosso modo -, même en battant le record de longévité de tous les temps actuellement détenu par Jeanne Calment, décédée à 122 ans et 164 jours, et peut-être même Fatma Mansouri, qui serait née il y a 142 ans et toujours parmi nous – l’espèce humaine dans sa globalité – quelque part en Kabylie (j’emploie le conditionnel car la performance vitale ne semble pas avoir été homologuée par les autorités en la matière, et la dame, par ailleurs, ne ressemble pas à l’image que je me fais d’une personne vivant depuis près d’un siècle et demi, mais il faut se méfier des idées préconçues sur les ultra-vieux…), notre passage ici-bas est plus qu’infinitésimal. A peine un clignement d’œil. Nous ne faisons que passer – j’assume la trivialité de cette assertion -, en nous occupant plus ou moins sérieusement – le sérieux de l’un n’étant pas forcément celui de l’autre, les normes sociales venant s’immiscer dans les définitions -, en laissant plus ou moins une trace durable et marquante – on se passerait volontiers de certaines… La vie elle-même ne répond-elle pas à la définition du touriste plus haut ? Et George Brassens, oui George Brassens, n’a-t-il pas dit : « Rester, c’est exister. Mais voyager, c’est vivre. » ? Que je complèterai par cette courte et efficace sentence de Tony Wheeler, fondateur du Lonely Planet qui vendait déjà bien sa cam : « Tout ce que vous avez à faire, c’est décider de partir. Et le plus dur est fait. » Quoi, vous êtes toujours là ?

Suprême insulte

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Diversion

Ils ont bien failli m’avoir ces trois là – la fille en rose et le couple au centre pour ceux qui hésitent – avec leurs couleurs flashy et leur allure de clown ! J’ai bien cru qu’ils étaient le sujet principal de cette image, sur laquelle quasiment tout le monde – mais c’est l’endroit qui convoque ce mimétisme généralisé et irréfléchi – fait pourtant la même chose, à savoir, se prendre en photo, regarder les photos qui viennent juste d’être prises ou trouver l’endroit idéal pour se prendre en photo, avant de se prendre en photo et de regarder les photos qui viennent juste d’être prises…

Non, le sujet de cette image est bien plus discret même s’il ne déroge pas à la règle locale du selfie, et il se trouve justement entre la fille en rose et le couple central vers lequel elle semble se diriger. Pile poil au milieu, en contrebas, dans le bassin ou presque, le bras relevé, dans cette position si symptomatique de ces dernières années, en train de s’immortaliser donc, sauf que, contrairement à tous ses congénères alentour sur plusieurs centaines de m2, il ne cherche pas à faire entrer la Tour Eiffel ou le Trocadéro (partiellement caché car en travaux) dans son champ. Non, il se suffit à lui-même. Et pour limiter les risques d’intrusion intempestive de ces deux joyaux parisiens dans le cadre, mieux vaut, en effet, se mettre complètement de travers !

Et sinon, pour information, la fille en rose s’est effectivement approchée des amoureux à qui elle a proposé de les prendre en photo, plus sobrement, devant la Tour Eiffel…

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La croisée des chemins

Parfois, il nous faut choisir entre deux routes qui, de l’extérieur et de prime abord, nous paraissent strictement identiques. Mais une fois la décision prise, sur la base de critères pas toujours objectifs, une fois embarqué sur l’une ou l’autre de ces voies sans retour possible, nous réalisons finalement qu’elles s’éloignent assez rapidement l’une de l’autre sans savoir pour autant où nous aurait conduit celle que nous avons ignorée…

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Pète-au-casque

Certains prétendent que l’on ne rentre jamais vraiment indemne d’un hivernage d’un an, loin de tout, sur une petite île perdue au milieu de l’océan, à croiser les mêmes personnes chaque jour ou presque, par ailleurs bien moins nombreuses que les populations de manchots, d’éléphants de mer et d’otaries, les vrais locataires terrestres du caillou. Sans doute n’ont-ils pas entièrement tort…

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Once again 1

Once again 2

Once again 3

Once again 4

Once again 5

Once again 6

Once again 7

Once again 8

Once again 9

Once again 10

Croiser une personne nous annonçant qu’elle en connaît une autre – de près, de loin – ayant exactement les mêmes nom et prénom que nous, ou que, pas plus tard qu’hier, elle en a  vu une nous ressemblant comme deux gouttes d’eau – expression propre aux pays non touchés par la désertification -, ou apprendre que nous avons au moins un homonyme dans notre propre ville et que nous partageons le même ophtalmologiste, ou pire encore, se retrouver face à lui – l’homonyme – provoque, assurément, une secousse tellurique très intime inversement proportionnelle à la fréquence de ce qui sert communément à nous nommer, et donc à nous désigner, depuis notre naissance. Sans doute, les Marie Martin, cumulant à la fois les prénom et nom les plus répandus en France depuis les années 60, réagissent-elles plus sobrement en effet qu’une hypothétique Noélyne Pourbaix-Lerebourg…

Tout d’un coup, nous réalisons, si la vie ne s’en est pas chargée plus tôt, que nous ne sommes pas uniques, que des gens, de parfaits inconnus aux mœurs peut-être, que dis-je ?, certainement, radicalement différentes des nôtres, répondent aux mêmes injonctions que nous, en dépit du sens commun et de ce qui s’échange sur la portée des prénoms choisis ; que des sosies se baladent librement sur Terre sans que nous ayons vraiment conscience de leur existence et de leur nombre, ni planifié de les rencontrer un jour… Pour autant, et nous le comprenons assez vite heureusement, ces doubles, fantasmés ou pas, n’en sont pas vraiment. Notre unicité est sauve ! Un peu comme avec les premières dix images de cette série à double fond, pur exercice de mathématique combinatoire à la difficulté croissant avec la pratique photographique, images souffrant de ce que nous pourrions appeler « photonymie », dont les formes les plus avancées conduisent inexorablement à des rencontres fusionnelles aussi étonnantes que foisonnantes entre des lieux, des moments, des personnes qui ne se sont évidemment jamais réellement croisés ailleurs que dans mon passé.

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