Photo-graphies et un peu plus…

Avoir, ou pas, l’esprit mal tourné. Telle est la question. Shakespeare aurait-il pu dire ça au lieu de son « naître ou ne pas naître, vous connaissez la suite ? » Force est de constater que certaines vitrines – ici, parisiennes – sont pensées pour tout sauf laisser le voyeur de marbre. Direction le très-bien-comme-il-faut Marché aux fleurs de l’île de la Cité, cerné par l’Hôtel Dieu, la Préfecture de police de Paris, le Palais de Justice et en arrière-plan, le saint des saints, la Cathédrale Notre-Dame… Pour une belle orchidée, des inséparables ou un nain de jardin, c’est le lieu idéal. Pour des plantes grasses et des blagues potaches aussi visiblement. Ainsi, tout fier, ce cactus en érection, plein d’épines. Et je n’ai pas l’esprit mal tourné. Quasi seul en vitrine. Pour être sûr que l’on ne le loupe pas. Ainsi fallut-il que l’exhibitionnisme floral naquit. Doit-on saisir ce bras armé comme une forme de protestation publique, peu subtile mais radicale, des divers ordres régnant sur ce caillou posté sur la Seine ? Soit, plus vulgairement, « Je vous e….e t..s. ». Bah non, je ne vais pas l’écrire. Car, qui pourrait vouloir acheter un tel cactus ?

Située à une verge de là (c’est aussi une unité de longueur… anglaise), une boulangerie très très gay devant laquelle on fait souvent la queue. La viennoise au chocolat n’aura jamais été aussi virile ! Passée la surprise – quelques secondes quand même : ce n’est pas tous les jours que l’on se retrouve nez à nez avec de telles gourmandises -, les yeux se tournent vers les promeneurs. Qui s’arrêtent dès lors qu’ils voient les plateaux lustrés en vitrine. Regards rieurs. La banane aux lèvres… « Ooh, quand même ! T’as vu ? » Puis ils filent, comme s’ils étaient tombés sur une projection publique d’un film cochon sans assumer leur curiosité… Douce provocation aux antipodes de l’agressivité inquiétante de son ilienne de voisine. Toutefois, côté boutique, si les petits pains font encore sourire, ils ne se retrouvent pas dans les mains pour autant. Pause, deux secondes. Essayez de vous visualiser en train de croquer dedans ! Alors ? Par quel bout avez-vous commencé ?

Share on Facebook

Fin de manifestation à Lyon dans une rue adjacente à celle empruntée par le cortège. Les fumigènes flottent encore dans l’air remonté et chargé d’électrons libres. Tranquillement, ceux qui s’en sont échappés, ou qui n’y ont pas participé, rentrent chez eux avec la sensation du devoir accompli. Profitant, pour certains, de ce désert urbain pour s’offrir une petite virée sur la rue même. Pacifiquement. Impression de fin de quelque chose. Pour ne pas dire du monde. Qui serait un peu trop fort. Une image d’une actualité brûlante, pourrait-on dire.

En fait, une légende. Dans un sens comme dans l’autre. Une photo certes prise à Lyon. Mais dans un contexte totalement différent de celui exposé ci-dessus. Un incendie important dans un proche bâtiment. Quartier bloqué par sécurité par les soldats du feu à son chevet. La fumée au fond ? Celle émanant des flammes dévastatrices. Une photo sans histoire peut en avoir mille selon qui la regarde, le moment où elle est partagée, la disposition dans laquelle se trouvent ses observateurs, mais aussi sa légende, très facilement manipulatrice pour qui ne dispose d’aucun moyen de vérification. D’ailleurs, cette photo a été prise à Paris, un matin brumeux, avant que la ville ne se réveille vraiment et que les rues ne s’emplissent de boites métalliques hurlantes et de promeneurs égarés…

En fait, ce n’est pas vrai non plus.

Share on Facebook

Trois cimetières, deux incarnations de la mort, un océan entre les deux. Un monde même. Les cimetières font, étrangement, partie des lieux que je visite systématiquement dans une ville où j’ai le temps de rester plus de deux jours. Il y a quelques années, j’avais même un rendez-vous hebdomadaire avec celui du Père-Lachaise à Paris. Rien de morbide pour autant, l’idée était de suivre l’évolution, sur une révolution de notre bonne vieille Terre fertile, de quelques arbres remarquables qui y avaient grandi en paix. Si feuillus en été que l’on arrive sans peine à oublier que l’on erre entre les défunts. L’hiver redonne alors au lieu sa réalité, pas nécessairement mélancolique ou triste, sa fonction, de rassemblement des morts.

Paradoxalement, je trouve que ce sont des sites plein de vie. D’une certaine forme de vie, certes. Les fleurs, aux couleurs vives qui nous font penser que l’instant final n’est pas très loin, ou au contraire fanées, ce qui nous incite à croire que la tombe n’a pas reçu de visite depuis un certain temps ; les arbres qui bourgeonnent, s’ouvrent au monde, vibrent, puis perdent leurs feuilles avant de prendre leur pause, caduques ; les tombes qui se fissurent, se couvrent de mousse, de lichen ; les médaillons représentant ceux qui y reposent qui palissent ; les gravillons qui sont traînés d’allées en allées par les pas des promeneurs… Dans la vieille Europe, comme dans ce beau cimetière maltais, une vie à l’abri des regards des vivants, cachée derrière de hauts et épais murs, séparée du reste du monde par d’imposantes grilles ou portes. Une forteresse. Comme si l’on ne voulait pas avoir sous les yeux ce qui nous attend tous, sans exception. Comme si, ne pas voir, pouvait l’éloigner. De ce côté de l’Atlantique, a priori, changement total de perception. Les cimetières s’offrent au monde, à leur regard, à leurs corps aussi. Sans tabou. Sans malaise. Quelle surprise la première fois que j’ai vu des gens assis sur des tombes comme s’ils étaient sur un banal banc public… Des lieux aussi au cœur des villes (c’est historique j’imagine, comme ce vieux cimetière new-yorkais préservé alors que tout a changé autour de lui), dont ils font surtout partie. Comme un élément parmi les autres, et non en dehors. Sur les pierres tombales, des squelettes creusés comme ici à Boston. Représentation on ne peut plus directe et crue de la mort, que je n’ai pas le souvenir d’avoir rencontré ailleurs. Est-ce une question de respect de ceux qui ne sont plus ? Je ne le crois pas. Au contraire même. D’image que l’on se fait de la mort alors, qui reste tragique où que l’on soit. Probablement, mais là, cela nécessite de… creuser.

Share on Facebook

La mer vient de se retirer pour la deuxième et dernière fois de la journée. Le sable en est encore tout émoustillé. Quant aux promeneurs, ils n’ont pas voulu attendre plus longtemps pour y laisser leur empreinte. Des centaines de pas alignés, côte à côte, filant dans un sens, dans un autre, se croisant et se décroisant, presque à équidistance les uns des autres. Comme si un préposé aux pas était venu les apposer avec la régularité d’un métronome, comme des timbres sur une enveloppe… Donnant ainsi l’impression d’une marche commune et partagée, un poil fantomatique, laissant même imaginer des échanges chaleureux et enjoués. Illusion. Seules les traces des hommes se sont rencontrées sur cette immense salle des pas perdus à ciel ouvert. Curieux nom d’ailleurs que celui-ci… Légèrement bisémique. A la fois espace clos, transitoire, où l’on est tenté de faire les cent pas en attendant l’annonce d’une décision, d’une nouvelle importante ; mais aussi point de rendez-vous de ceux qui ne sont pas perdus, justement, puisqu’ils s’y retrouvent…

Share on Facebook

Ou truisme. Mais, pour un échafaudage, lapalissade s’imposait ! Voici un exemple particulièrement jubilatoire de message public saugrenu. C’est évidemment la seconde partie de l’interdiction qui doit attirer l’attention. « Accès interdit à l’échafaudage, sauf au personnel de montage. » L’existence d’une exception a toujours une raison. Pour celle-ci, on est donc en droit de supposer que le  dit personnel de montage a, un jour, refusé de travailler car l’accès à l’échafaudage était interdit. A l’époque, le message se limitait à sa première partie. La Direction de l’entreprise, ne voulant pas en rajouter une couche (ah, ah), a aussitôt contacté son service de communication pour qu’ils dépêchent illico presto un graphiste. Quelques secondes lui ont suffi à ajouter ces quelques mots auxquels personne n’avait pensé auparavant : « sauf au personnel de montage ». C’est comme si, dans une boulangerie, était affiché : « interdiction d’utiliser le four, sauf par le boulanger ». En quelques heures, de nouvelles bâches étaient imprimées puis livrées sur le chantier où les mots sont pris au pied de la lettre. Sitôt hissées, tout le monde a alors repris le travail, soulagé de ne pas braver une interdiction

Share on Facebook

« Petite bourgade côtière classe et paisible. (…) En contrebas du phare, jolie plage avec des bancs de sable blanc. (…) C’est là que Mary Higgins-Clark situe son roman Souviens-toi. » Je l’ai lu, ne me souviens plus vraiment de l’intrigue, mais j’ai conservé intacte l’envie de venir voir à quoi ressemblait ce fameux bras de mer, et en lequel on pourrait presque voir un bras d’honneur fait à l’Amérique… Cape Cod donc. Présente, de façon très agitée dans nombre de films et romans noirs. Dernier en date, même si c’est une illusion, The Ghost Writer de Roman Polanski. Interdit de présence sur le territoire américain, le réalisateur a tourné son film, dont l’intrigue se déroulait originellement sur Cape Cod et l’île de Martha Vineyard, en Mer du nord, sur les côtes allemandes. Pour celui qui n’y est jamais allé autrement que par la fiction, la supercherie est parfaite.

Bref, égarement en vue. Retour aux premières lignes de ce texte. Une citation. Recopiée d’un guide, indispensable outil du touriste au temps compté. Leur existence est un vrai gain de temps. Le guide dit : « arrêtez vous à ce marché, achetez quelques copieux sandwichs et allez les manger sur la plage de Nauset à quelques kilomètres de là ! ». Et vous le faites ! Le guide vous liste les hôtels où dormir, les restaurants où manger, les sites les plus remarquables, les petits coins de paradis perdu… Parfois, allez, souvent, le guide a raison. Mais parfois, le guide est un peu léger. Sur Chatham donc. La petite bourgade perdue au niveau du coude de Cape Cod, côté océan Atlantique. A en croire le guide, plage jolie mais sans plus, la plus belle (d’Amérique du Nord presque) étant située plus au nord. La beauté est évidemment un concept très relatif. En l’occurrence, dans mon échelle de beauté, la plage de Chatham, sinueuse, balayée par le vent, est bien plus belle que sa voisine, longiligne. Combien de voyageurs suppriment le détour par Chatham – parce qu’il y en a un – pour cette mention peu enthousiaste de « jolie plage » ? Combien de sites écartés à suivre les critères de beauté et d’intérêt d’un(e) autre ? Ceci dit, le guide est futé (mais ce n’est pas lui) : il a compris qu’il fallait laisser croire au touriste qu’il avait lui-même trouvé quelque chose d’exceptionnel. Et puis, une ville trop encensée amène du monde. Un monde qui vient inévitablement rompre la tranquillité locale, et donc, contredire mes premières lignes. « Petite bourgade côtière classe et paisible. » Une chose est sûre, désormais, je me souviendrai de Chatham.

Share on Facebook

Dans une vie parallèle, j’ai eu un échange captivant avec un épistémologue sur la science, la société, la technologie et sur la poussée anti-scientifique actuelle. Vient un moment où il me dit que l’opposition se fait supposément en faveur de la nature. Et d’ajouter aussi vite que c’est un leurre, car l’être humain la façonne depuis des millénaires et qu’il n’existe plus, aujourd’hui, sur cette planète, un élément qui soit totalement naturel. Sur le coup, je trouve que c’est un peu exagéré de dire que la Nature, avec un grand N, n’existe plus. Evidemment, quand on discute avec un philosophe, il faut aussi s’attendre à ce que les mots soient correctement utilisés. Et donc, se rappeler que la Nature n’est pas ce petit parc qu’il y a au bout de la rue (créé par l’Homme pour apporter un bout de Nature dans l’espace urbain, humain par excellence). 2010, les grandes découvertes géographiques sont finies depuis longtemps, même si l’on continue, exceptionnellement, à trouver des tribus n’ayant jamais eu aucun contact avec les hommes, les modernes… Une rencontre souvent fatale pour elles d’ailleurs. L’homme est allé partout, marquant son territoire comme un félin. Et si, par hasard ou par chance, quelques mètres carrés ont échappé à ses pas lourds, ils ne sont pas sauvés pour autant. Comme ce glacier, perdu dans un ouest inaccessible d’une île grande comme la Corse arrimée au beau milieu de l’océan Indien, reculant impitoyablement d’année en année pour cause de dérèglement climatique. Une poignée de personnes a foulé le sol de cette masse d’eau solidifiée. Aucun impact de cette présence-là. En revanche, à des milliers de kilomètres tout autour, on s’agite, on détruit, on s’échauffe, on produit et on transforme. Il a raison. La Nature n’est plus. Je crois que je suis triste. Mais peut-on être triste d’apprendre que l’on a perdu ce que, visiblement, l’on n’a jamais connu ?

Share on Facebook

J’ai croisé James Dean l’autre jour. En plein Montréal. Par un mardi après-midi très ensoleillé. Il était 15h23 précisément. Il était sur son vélo, à un coin de rue, vêtu comme à sa grande époque, entouré d’un halo de lumière poussiéreuse, et surtout aussi jeune que dans mes souvenirs de cinéphile. Peut-être avait-il un peu maigri. Lorsque le feu est passé au vert, il a continué son chemin, naturellement. Personne d’autre que moi ne semble l’avoir remarqué. Voilà, je m’auto-ajoute à la liste des illuminés persuadés d’avoir vu Elvis, Marilyn Monroe ou Michaël Jackson en vie, car ils n’arrivent pas, pour des raisons x ou y, à se faire à leur disparition. Là, pas de problème de ce côté là. C’est juste une illusion d’optique.

Share on Facebook

J’évoquais les interdictions il y a quelques jours, voilà que le mot « contrainte » me vient à l’esprit. Ainsi qu’une conversation lointaine portant sur l’écriture. A laquelle il faut associer des contraintes pour qu’elle mûrisse, qu’elle s’améliore, qu’elle n’avance pas ses mots aveuglément et sans objectif précis. La contrainte, c’est le moteur des Oulipiens, par exemple. Ecrire un texte sans la lettre la plus utilisée en français, à savoir le e, un exploit de Georges Pérec dans La disparition. Il y en a déjà 15 dans ma phrase précédente. Les oulipiens poussent certainement l’exercice à son paroxysme. Et il est forcément des contraintes moins contraignantes. La contrainte bride-t-elle l’imagination pour autant. C’est ce que l’on pourrait penser d’emblée. En fait, ne donne-t-elle pas plutôt un cadre dans lequel exprimer cette imagination ? Ne pousse-t-elle pas à trouver des artifices pour sortir de cette zone de confort créatrice (encore) et donc, à inventer. Mais toute contrainte n’est pas bonne à prendre. Et la contrainte peut même être stupide. J’ai des noms.

Pendant que j’écris ces quelques lignes, je ne cesse de penser à la photo que je vais pouvoir mettre pour les illustrer, ou plutôt, les compléter. Car, la contrainte en photo existe aussi. Elles peuvent être techniques (photo de nuit nette sans flash par exemple), temporelle (une série au 1/60 s), d’angle (le monde au 50 mm), colorimétrique (un élément rouge dans chaque image)… Cela peut aussi être prendre une personne en photo de très près sans qu’elle ne s’en rende compte…

Share on Facebook

Baie de Port Ligat. Minuscule port de pêche paisible où règne un clément microclimat. Accroupie sur la plage, je me demande si l’esprit d’un génie – c’est en tout cas ainsi qu’il se présentait et qu’il était/est perçu – pouvait continuer à rayonner même des années après la mort, bassement terrestre, de son propriétaire. Peut-être s’est-il lui-même assis là, sur ces quelques centimètres carré que j’occupe actuellement. J’attends, quelques secondes, puis quelques minutes, que le génie me traverse l’esprit, ou plus modestement, que l’inspiration monte. Je scrute autour de moi, en quête d’un signe incontestable. C’est le calme plat sur le rivage.

Mon regard se perd à la surface de la Méditerranée venant faire une halte dans cette anse. Y ondulent des reflets de bateaux et de barques colorés. Rien de très inédit photographiquement. Je déclenche malgré tout. Des droites devenant des courbes, coulant comme du caramel mou, s’allongeant, ainsi que le temps pour les parcourir ainsi distordues. Les reflets déformés offrent un voyage dans le temps. Cela me rappelle vaguement quelque chose, cette image. Des tableaux… Si connus qu’ils font partie de la culture populaire… Des montres molles… « La persistance de la mémoire »… Peint par feu, le maître des lieux. Se pourrait-il que ces reflets anodins, mémoire de son enfance, aient inspiré Dali pour ses toiles aux lignes fuyantes ? Car, fondamentalement, comment, ou plutôt, d’où vient une idée de génie ?

Share on Facebook