Photo-graphies et un peu plus…

Extrait d’”Etats d’âme sur le macadam”, ensemble de textes griffonnés à l’aube du 21e siècle sur mes inséparables petits carnets…

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A ma gauche, une jeune femme lit : « Le point de Mir ». Avant la catastrophe prédite. Hystérie… Ce matin, à la radio, on parlait de la rentrée d’argent dont allaient bénéficier les villes situées dans la bande d’obscurité. Camping improvisé, menu « éclipse » avec dessert aux chocolats blanc et noir. Il y a même une revue en vente depuis jeudi. Et un CD ! Que va-t-il se passer ce fameux jour ? De la pluie, tout simplement. Car, c’est effectivement ce qui nous tombe du ciel depuis quelques heures. La nature ferait ainsi un véritable pied de nez à tous ces assoiffés de spectacle. Ce qui se comprend aisément. L’événement reste exceptionnel. Mais tout ce cinéma autour… 16 pages aujourd’hui dans Le Monde ! Toutes ces couvertures… Apparition de l’éclipse. Et pour quoi ? Un ciel lunatique. J’aurais fait pareil si j’avais été lui.

Toutes les revues où des lunettes étaient offertes ont connu la razzia. Les appels ne se comptent plus. « Les lunettes sont-elles bien conformes ? » Patience admirable au standard face à cette folie passagère. N’y a-t-il rien d’autre dans l’actualité pour remplir ces pages de quotidiens, hebdos ou mensuels ? J’attends mercredi avec une certaine impatience. Mercredi soir bien entendu, pour les réactions, les images, la météo… Evénement médiatique sans précédent. Aujourd’hui, celui qui ne connaît pas les principes de l’éclipse fait preuve de mauvaise volonté. Et si c’est un échec total ? Trouveront-ils des excuses ? Le « ils » ? Les média, bien sûr. Hier, à Nature et Découvertes, trois mamies se sont présentées à la caisse : « Ça, c’est des lunettes ? » demande l’une d’entre elles à la caissière en lui montrant des diapos. Et non… On entend qu’en Belgique, il est demandé aux possesseurs de lunettes de les restituer, en vue d’un envoi massif vers l’Afrique, prochaine scène pour une éclipse totale. Partout, même ici, dans ce carnet. Mais comment passer à côté ? Tout le monde n’a que ce mot à l’éclipse. Je m’y perds ! Et c’est : « Toi, tu seras où mercredi, pour l’éclipse ? » « Eh, je reste là, de toute manière il va pleuvoir », « je ne vais pas faire comme tous ces clampins », « je vais à Compiègne, Senlis, mais ce sera serré car je n’ai pris que la demi-journée ! ». Et oui… Tragique scénario … je crois qu’on ne pense plus à celui de Paco. Claudie André-Deshays était sur les ondes ce matin, et assurait qu’il était « balistiquement » impossible que la station Mir s’écrase à Paris ce mercredi. Il est vrai que cette perspective n’aurait pas été réjouissante pour elle, son mari  – Jean-Pierre Haigneré – se trouvant dans la fameuse station orbitale. Dans ce cas précis, c’est la balistique qui tranche. Un gourou, en Pologne, répand aussi sa thèse cataclysmique et a d’ores et déjà donné rendez-vous à ses disciples sur les berges du Danube. Quoiqu’il en soit, cette euphorie mêlée de panique laisse présager de quelques surprises pour le passage à l’an 2000, qui lui, concernera la planète entière. Et c’est sans compter sur le fameux Bug, punaise mondialement connue. J’ose à peine imaginer l’hystérie qui va précéder cette date. Tous les média sont mobilisés pour l’éclipse. Comment faire plus pour le « Y2K » ? Il paraît que le passage à l’an 1000 n’a pas suscité d’éclat, et ce pour une raison simple : on se repérait plus souvent par rapport à l’année de règne du roi au pouvoir. C’est comme si nous disions : « c’est la 4ème année du règne de Chirac. » Ce qui ne nous fournit pas trop d’informations sur la fin du siècle. Et puis, pourquoi cette année serait-elle différente des autres ? Il suffit  de changer de référence et l’an 2000 est déjà passé !

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Elle avait son charme cette petite buée sur la vitre de la voiture, l’objectif de l’appareil photo, les verres de binocles branchées, qui donnait à notre perception du monde un charmant côté approximatif et suranné. J’écris « avait » car des chercheurs québécois – c’est vrai que nous n’en entendons pas souvent parler en France, mais ils existent – ont mis au point un revêtement anti-buée permanent à base d’alcool polyvinylique (oui, oui, le même vinyle que nos vieux disques noirs à microsillon). L’information est passée à la radio, j’étais en voiture, il pleuvait et il y en avait un peu sur le pare-brise. De la buée. Que j’ai, de fait, regardée avec une certaine nostalgie anticipée.

Tout porteur de lunettes a, en effet, un jour, espéré qu’une personne bien inspirée inventerait le revêtement anti-buée. Il y a même fort à parier que cette pensée lui a traversé l’esprit à chaque fois qu’il a été soumis à une basse température, qu’il  est entré dans un lieu normalement tempéré et que, dans l’instant, ses verres se sont parés d’une micro couche de fines gouttelettes d’eau tellement serrées les unes contre les autres que cela lui a donné la désagréable sensation de se retrouver face à un mur. Ecran gris instantané provoquant souvent l’hilarité d’un éventuel voisin non appareillé, quand bien même il a déjà vu cent fois le même sketch. Comme quoi, le comique de répétition a encore de l’avenir. « Bientôt », ce ne sera plus qu’un souvenir ! Le bigleux n’aura plus à retirer ses lunettes pour re-voir plus rapidement, ni à chercher une matière absorbante pour essuyer les verres, ni à pester car forcément, cela laissera des traces et le gênera pendant quelques minutes encore… Bientôt, le flou thermique n’existera plus pour le bigleux. Ni pour le photographe…

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Certaines paires de lunettes permettent de voir mieux de près, d’autres, de loin, quand ce n’est pas les deux à la fois. Il en existe aussi qui sont préconisées par beau temps, les lunettes de soleil. Elles assombrissent plus ou moins tout et altèrent les couleurs, mais préservent les pupilles fragiles. Et puis, il y a les lunettes de nuit, que l’on ne trouve qu’exceptionnellement après avoir chiné des lustres durant sur les brocantes et vide-greniers d’ici et d’ailleurs. A priori, aucune différence avec les autres malgré la mise en garde du vendeur. Même forme, mêmes branches, un peu plus lourdes en revanche, et des verres totalement opaques à la lumière.

Mais une fois sur les yeux, la vie nocturne prend une toute autre tournure. L’acclimatation à ce nouveau révélateur passée, des formes étranges commencent à apparaître. D’abord une, puis deux, puis beaucoup… Elles ont vaguement une forme humaine, très effilées, avec une toute petite tête luminescente – un point quasiment -, et avancent toutes dans une unique direction d’un même pas lent comme si elles savaient le chemin long jusqu’à l’arrivée… Premier réflexe évidemment, retirer dare-dare les lunettes. Plus rien, nada, tout redevient normal. Second réflexe : les remettre aussitôt. Plus rien, nada, l’obscurité totale. Qui étaient-elles ?

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