Photo-graphies et un peu plus…

Le paradoxe de la clémentine

Nous sommes d’accord, il s’agit bien là de sapins, qui plus est lâchement abandonnés après parfois deux mois de bons et loyaux services, et non pas de clémentines. Je vous demanderai donc de faire un petit effort d’imagination et de remplacer, mentalement simplement, ces sapins de Nordmann verts par de belles clémentines de Corse oranges. Simplement, gardez le sachet, il est important.

Je me suis donc aperçue, à la dernière saison des clémentines, que j’avais un comportement étrange face à l’étal. J’ai fini par lui donner un nom : le paradoxe de la clémentine. De quoi s’agit-il exactement ? Sachez que je ne suis pas du genre à plonger la main dans la montagne d’agrumes pour déverser le tout dans un sachet plastique que j’aurais mis 2 minutes à ouvrir tout en pestant. Non, mes clémentines, je les choisis l’une après l’autre, comme si j’étais déjà en train de les manger. J’écarte bien évidemment les abîmées, les écrasées, les attaquées, les gâtées et en repère quelques unes du regard en veillant à ne sélectionner que celles dont la peau colle à la peau. Les meilleures, dit-on. Ce premier balayage m’a généralement permis d’ouvrir le sachet sans m’énerver et je peux alors y déposer tranquillement les clémentines à fort potentiel après une ultime vérification consistant la plupart du temps à les retourner dans un sens puis dans l’autre. Pourtant, alors que cette sélection raisonnée ne laisse absolument aucune place au hasard, je glisse systématiquement dans ce sac une clémentine emmitouflée dans un bout de papier publicitaire à propos de laquelle j’accepte de ne rien savoir quant à son état de santé. N’est-ce pas un brin paradoxal ?

Share on Facebook

Logique !

Se comporter globalement de façon cartésienne – c’est-à-dire, être une personne s’appuyant de préférence sur la raison, la logique (d’aucuns proclament même que j’ai une logique de robot (donc, implacable), ce qui, à ce moment présent de l’Histoire de l’humanité, n’est pas réellement un compliment même si cela signifie souvent que j’ai raison !) et procédant généralement avec méthode -, n’empêche pas quelques incursions inopinées et incontrôlables dans l’univers un peu confus du mysticisme ou de l’irrationnel.

J’en tiens pour preuve cette petite scène sans intérêt apparent extraite de ma trépidante vie quotidienne et parisienne. Ceci dit, cela aurait pu se passer dans n’importe quelle autre ville dans le monde dès lors que l’on y trouve du sel sur la table. J’affine. J’arrive au restaurant, me glisse bon an mal an sur la blanquette le temps de choisir ma bavette puis me relève afin de rejoindre les commodités où j’ai sacrément envie d’aller… me laver les mains. Figurez-vous qu’en me levant et en tentant de passer dans l’intervalle très étroit entre ma table et la voisine (ah, ces bistrots cultivant la promiscuité, pardon, la proximité), d’une part, j’ai réalisé que je n’étais pas un poulpe et, d’autre part, en pensant que je l’étais, j’ai renversé la salière et la poivrière sur la table. Je n’ai même pas eu le temps d’actionner la machine à cartésianisme que la branche mystique – en sommeil – de ma personnalité s’est réveillée d’un coup d’un seul, hurlant, intérieurement : « Celle-là, elle est pour moi ! Ne pense à rien, je m’occupe de tout ».

Savez-vous ce que j’ai fait ? J’ai pris quelques grains de sel entre mon index et mon pouce – enfin, l’un des deux, mais de la même main, sinon, c’est un peu compliqué – et je les ai jetés par dessus mon épaule (certainement droite par méconnaissance et non gauche comme il eut fallu), comme si, par cet acte absolument insensé, j’empêchais quelque chose de terrible – autant qu’hypothétique – de se produire. Et, ayant réussi à m’extirper de là, j’ai continué mon chemin, tout en remarquant que l’un de mes commensaux avait eu exactement le même réflexe et était déjà prêt à user de sa pince manuelle pour envoyer valser sorcières et autres mauvais esprits vers de lointains horizons si je ne l’avais devancé. Tout cela a beau s’être passé de façon extrêmement rapide, j’étais pleinement consciente de ce que je faisais sans vraiment savoir pourquoi je le faisais.

D’autant que j’apprends aujourd’hui, là, maintenant pour tout vous avouer, que, comme beaucoup d’us et coutumes, les superstitions varient selon les cultures. En l’occurrence, au Danemark par exemple, renverser du sel porterait bonheur s’il est sec, et malheur s’il est mouillé. Ma question : faut-il être Danois ou renverser du sel au Danemark pour que cette croyance s’applique ? Et que se serait-il passé si un ou une Danois/e avait été à table avec moi, à Paris : m’aurait-il/elle empêché de jeter mon bonheur – car le sel était sec, oui – par dessus l’épaule ou m’aurait-il/elle regardé gâcher ainsi ma vie car je n’avais pas voulu admettre à temps que je n’avais pas la souplesse d’un poulpe ?

Share on Facebook