Photo-graphies et un peu plus…

Normalement, cet espace devait être consacré à la Bourse. Un événement imprévu m’a poussée à changer mon sujet d’épaule : j’ai bloqué la fermeture Eclair de mon manteau. Une situation totalement absurde lorsqu’il fait -10°C. J’ai dû manquer une étape dans mes apprentissages étant enfant car j’ai indéniablement un problème avec ce mode de fermeture. Je devais regarder ailleurs lorsque l’on m’a montré ! Résultat, une fois sur trois, c’est une catastrophe : soit je m’y prends à huit fois avant de réussir à faire entrer le curseur dans la bande à dents, soit la navette monte d’un côté et pas de l’autre et je me retrouve avec la tirette au milieu du manteau, ouvert ; soit, et c’était l’imprévu vespéral, dans l’empressement, je coince un bout de la doublure dans cette mécanique de pointe, ce qui, selon ma patience, me pousse parfois à la déchirer…

Dans tous les cas, j’ai la désagréable sensation d’être inadaptée à cet outil qui a facilité le quotidien de générations d’êtres humains depuis plus d’un siècle. Car, une fermeture Eclair, ou fermeture à glissière pour son inventeur officiel, Whitcomb Judson, – Elias Howe a eu cette brillante idée au mitan du 19e siècle, soit 40 ans auparavant, mais, pas convaincu, il a zappé -, ce n’est pas bien compliqué ! Ni plus ni moins que des rails miniatures sur lesquels navigue une locomotive toute aussi lilliputienne activée par la main de Gulliver. Evidemment, le premier réflexe est de tenir les fabricants responsables de ces dysfonctionnements. Il est toujours plus facile d’accuser les autres plutôt que d’admettre ses propres incompétences, aussi ridicules soient-elles. Je l’admets sans honte : je suis une bille en matière d’engrenage. C’est le nom qui ne va pas. Certes, fermeture Eclair, du nom de la société éponyme qui l’a commercialisée dans les années 1910 après qu’un suédois a donné un coup de jeune à la version approximative  de 1891, c’est joli. Certains penseront à Buzz quand d’autres verront, plus sobrement, un (ou plusieurs) éclair(s) fendre le ciel. Comprendre que la dite fermeture se ferme aussi vite que l’éclair, c’est-à-dire à 300 000 km/s… On ne peut pas faire plus rapide ! Zip, zap ! Il faudra que l’on m’explique comment ne pas faire dérailler la machine à cette allure. Il est décidément beaucoup question de train ces derniers jours… Prochaine station : Bourse donc !

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Il est étonnant de voir à quel point cette image de rail attaqué par la rouille avec ses traverses bien parallèles, paraissant à peine posé sur le sable ocre et allant se fondre dans un horizon blanc énigmatique ressemble à la vue aérienne nocturne et électrifiée d’Impression soleil levant. Pourtant, rien de plus opposées que ces deux représentations de la vie.

Si la photographie d’hier incarnait l’urbanisme dans toute sa démesure et laissait deviner une forte activité humaine, celle-ci ne montre rien. Cette voie de chemin de fer est perdue au milieu du désert du Namib. Il n’y a tellement rien autour que si l’on regarde à gauche et à droite avant de s’en approcher, ce n’est pas pour s’enquérir de l’arrivée éventuelle d’un train mais plutôt pour tenter de voir où disparaissent ces lignes. Tout au plus, trouve-t-on des poteaux et un câble électrique courant en parallèle, ainsi qu’une route, rectiligne, suivant le mouvement. Trois camarades d’errance, trois traits d’union silencieux entre quelque chose et quelque chose. Un vide, un trou noir, un néant qui aspire, inspire et fascine autant que la ville grouillante, bruyante et saturée. Et au final, ce sont ces bouts de métal et de macadam ardemment chauffés par les rayons d’un soleil capricorne filant droit comme l’honnêteté qui (trans)portent une vie qui ne fait que passer…

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De ce point de vue, on dirait un circuit imprimé. Une de ces petites plaques magiques dont regorgent nos équipements électroniques toujours plus nombreux, et que l’on retrouve parfois abandonnées sur les trottoirs, victime de la rapidité des progrès technologiques. Cette régularité des lignes, ces nœuds symboliques où se rencontrent certaines d’entre elles, ce découpage millimétré, cette absence apparente d’espace laissé au hasard, c’est bien cela… Evidemment, cela pourrait être autre chose. Nous sommes au bord de la fosse des Caïmans, à quelques centaines de mètres de profondeur. Nous sommes les yeux de Virgile et Lindsey découvrant le monde perdu mais incroyablement beau, lumineux et organique des abysses. Une colonne vertébrale luminescente où circule la sève d’une vie différente sans frontières. La vérité est ailleurs, comme le répétait le californicateur dans une vie antérieure, et aucun scaphandre n’est nécessaire pour assister à ce spectacle céleste à la fois fascinant et effrayant. Tout au plus un peu de hauteur. Beaucoup de hauteur même pour pouvoir admirer cette portion de ville qui semble se déplier à l’infini tel une figure fractale et dont l’organisation méthodique quadrillée fait ressortir des perspectives auxquelles les européens ne sont pas familiers. A l’école, on nous apprend que les parallèles ne se croisent jamais… Je rajouterai : c’est pour cette raison que les perpendiculaires existent !

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Les bruits répétés et stridents des annonces de départs et d’arrivées d’avions, une position totalement incongrue voire désagréable, une climatisation glacée juste au dessus de la tête, des passages incessants de voyageurs aux environs, des discussions se chevauchant de chaque côté, une lumière blanche écrasant tout sur son passage ne suffisent parfois pas à arrêter le sommeil dans son approche. C’est très étonnant quand on sait qu’il suffit parfois du tic tac un peu trop fort d’une horloge pour nous empêcher de sombrer comme une masse…

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A qui appartient la ville ? On dit : « Dans « ma » ville, on fait ci, il y a ça… » Comme on s’approprie la société où l’on travaille, oubliant parfois, que c’est, en fait, la société pour laquelle on travaille. La nuance est importante. C’est cela, ce fameux « sentiment d’appartenance » à un groupe que d’aucuns tentent de faire naître. Mais c’est un autre sujet. Revenons à la ville. A Venise, la ville romantique par excellence. Inutile d’en faire l’article, tout le monde est en mesure de s’imaginer se perdre dans ses venelles labyrinthiques, se laisser bercer dans une gondole, simuler l’amour du café serré ou se cacher derrière un masque à plumes. Autant de clichés qui pourraient faire croire que cette ville appartient à chacun.

Un sentiment qui n’est pas partagé par tout le monde. Arrière toute ! Un matin brumeux, je me poste sur un des nombreux ponts de la cité des doges pour dessiner. Autant dire, faire quelque chose d’extrêmement banal dans cette ville représentée de toutes les façons possibles et imaginables, sur tous les supports disponibles sur Terre. Au bout de quelques minutes, débarque, furibonde, une femme, d’une quarantaine d’années. Elle m’interpelle en français, n’est pas italienne mais vit ici. Précisément dans la bâtisse dont j’essaye de tirer le portrait avec ses voisines. Cinq minutes pendant lesquelles elle vocifère, entre autres, que je n’ai pas le droit de dessiner sa maison, qu’elle en a marre de ce ballet incessant de personnes qui peignent pour ensuite vendre leurs tableaux sur les marchés (ce que je n’ai pas prévu de faire). Au final, elle menace d’appeler la police. L’agression verbale est réelle, tout comme la folie de cette pauvre femme, probablement. Evidemment, cela ne tient absolument pas debout, mais je suis sur un pont, je préfère donc ranger mes crayons et tenter ma chance ailleurs.

Cette expérience, qui me fait penser que cette hystérique a très mal choisi sa ville si elle désire vivre dans la tranquillité et la solitude, amène donc la question première : à qui appartient la ville où l’on vit ? A ses habitants ? A ceux qui la traversent ? Et est-ce vraiment une question qui se pose ? Politiquement, certainement, un maire ayant tout intérêt (ou pas) à ce que ses concitoyens s’impliquent et s’approprient leur ville, qu’elle ne soit pas seulement une adresse postale. Et dès lors que la ville appartient à « quelqu’un », quels droits et quels devoirs cela donne-t-il à l’heureux propriétaire ? Faire en sorte que la vie y soit meilleure pour tous, d’où qu’ils viennent ? Certainement pas ce que faisait cette fille sur le pont qui, sans aucun doute, estimait que Venise était sienne…

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Osons une lapalissade liminaire : la découverte d’une ville est multi-sensorielle. Enfin, pas nécessairement une ville. La découverte d’un lieu en général, qu’il s’agisse d’une ville, d’une maison, d’une forêt ou de tout autre chose. Mais arrêtons nous sur la ville. La vue et l’ouïe sont les premiers sens a priori sollicités, dans de telles circonstances. Ceux qui sont en éveil car ils sont en terre inconnue. Le toucher l’est aussi, d’une certaine manière dans la mesure où nous avons les pieds sur terre. Mais, de façon totalement réductrice, j’associe plutôt le toucher aux mains… Une ville peut aussi se goûter, mais cela me semble plus relever de la métaphore.

Enfin, il y a l’odorat. Une ville se sent. Une ville sent. On a d’ailleurs facilement tendance à dire que la ville « sent mauvais »… La pollution, les pots d’échappement, les déjections canines, l’urine humaine, les détritus… C’est, bien heureusement, une impression totalement exagérée. Et une ville peut sentir tout à fait autre chose. Montréal, par exemple, sent la cuisine à partir de 16h30 – 17h. C’est en tout cas la sensation que j’ai eue les premières semaines lorsque je me trouvais dehors à ces heures-ci. Un mélange de steak frit et de muffin venant chatouiller les narines quelle que soit la rue où l’on se trouve, donnant l’impression que les agents de la ville ont été missionnés pour diffuser cette mixture détonante histoire d’aiguiser les appétits. Résultat diamétralement opposé pour moi : j’ai l’impression que l’on me sert goûter et dîner dans la même assiette alors que je n’ai pas faim.

Deuxième expérience olfactive citadine, pour le moins étonnante. Limite hors sujet. Direction New York. Une odeur me réveille en pleine nuit. Il est 4h. Quelque chose de fort, de piquant… D’habitude, c’est plutôt le bruit qui est susceptible de nous extraire des bras de Morphée. Là, non. C’est une odeur de feu, d’incendie, de cramé, de plastique brûlé. L’odeur est si prégnante que je vérifie que ce n’est pas la maison qui brûle. Non. Mais l’odeur est bien réelle, émanation d’un feu qui s’est déclaré un bloc à l’est dans une bodega familiale. Ce réveil est-il une manifestation de l’instinct de survie ? En tout cas, une preuve par l’exemple que les sens n’attendent pas la conscience pour s’exercer.

Enfin, Chicago, ville d’une beauté architecturale saisissante où les yeux et les oreilles sont sur-sollicités. Là, bizarrement, une odeur totalement incongrue vient titiller le nez. Une odeur de chocolat. Ici, puis là, et encore là. En plein cœur de la skyline, en pleine nuit. On ne peut pas faire plus ville. J’ai l’impression que cette odeur me poursuit quelle que soit la route empruntée. Certes, c’est mieux qu’un gangster ! Et puis, il fait froid et un chocolat chaud ne serait pas superflu, mais de là à avoir des hallucinations olfactives, il y a un pas que je ne souhaite pas encore franchir. Evidemment, au premier stimulus, la recherche d’un café commence. Tout est fermé. En dernier recours, j’ouvre le guide, avec l’espoir d’y trouver l’explication. Bingo ! Une chocolaterie, sans Charlie, est située à quelques miles de là, dans la ville même, et joue les ensorceleuses masquées ! Un détail. Mais voilà, désormais, à mes « yeux », Chicago aura l’odeur de cacao…

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Ou les risques du pilotage automatique… Ces moments légèrement angoissants a posteriori où l’on réalise que cela fait bien 10 minutes que l’on marche sans lever la tête et sans se tromper de chemin pour autant. Nos jambes ont pris le relais de nos yeux et nous guident dans la ville ou les couloirs du métro, nous permettant ainsi de lire, d’écrire en marchant ou simplement de rêvasser sans danger. Cela se passe effectivement ainsi si le trajet est, d’une part, parcouru régulièrement, donc, d’une certaine manière, enregistré par le corps, et d’autre part, non piégé. Le piège étant un nouvel élément sur le parcours. Un congénère s’évite assez facilement, grâce au détecteur de présence qui se met en route dans de telles circonstances.

Je parle de vrais pièges, comme celui-ci, là-haut. Le nouveau derrière l’illusion du même… Typiquement, ce cafouillage dans ce béton encore frais est le fruit d’un pilotage automatique mal géré. On le voit d’ici : un homme, la quarantaine dynamique, avec des chaussures noires cirées. D’un pas alerte mais la tête en l’air, il amorce le dernier virage avant d’arriver au pied de son immeuble. Il ne se rend même pas compte qu’un panneau lui interdit de se garer, ce qui, nous sommes d’accord, ne lui apporte rien dans un contexte de piéton. Ce n’est qu’en posant le pied au sol qu’il réalise que quelque chose d’anormal fait qu’il s’y enfonce. Réflexe conditionné, en une micro-seconde, il regarde le sol, réalise son erreur, amorce un petit saut et recule d’un pas pour se sortir de ce pétrin béton.

Il est maintenant sur la terre ferme, regarde ses chaussures noires cirées – la droite est pleine de cette matière grise visqueuse -, puis à droite et à gauche pour voir si quelqu’un l’a vu. Personne. L’air de rien, il file sur le chemin bis prévu par les ouvriers pour permettre aux habitants de rentrer chez eux le temps que la matière sèche, laissant visibles les stigmates de sa tentative de passage. La question : les ouvriers seront-ils arrivés à temps, c’est-à-dire avant que les traces de pas ne se  figent définitivement, un peu comme les mains des stars sur Hollywood Boulevard à Los Angeles ? Et si tel n’est pas le cas, combien de personnes en pilotage automatique finiront par trébucher sur ce piège artificiel ?

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Je me souviens. Lors de mon premier passage à New York, le Flatiron Building portait une jupe. Que dis-je, une robe ! On ne le voyait pas. Travaux de rénovation. C’est évidemment une bonne initiative pour des bâtiments si prestigieux que de bénéficier d’une cure de jouvence, mais c’est toujours décevant quand les ravalements ont cours lorsque l’on est là. La fête est un peu gâchée, malgré tout. On aimerait, égoïstement, que la ville, quelle qu’elle soit, ne soit pas un chantier de rajeunissement permanent. Les sites internet des centres touristiques devraient d’ailleurs tenir une liste exhaustive des monuments historiques ou symboliques en travaux et donc, partiellement visibles. Il est en effet des  voyageurs qui ne traversent l’océan que pour pouvoir flâner sur le Pont de Brooklyn en admirant la Skyline de la grosse pomme et le bleu pétrole du pont de Manhattan, quand bien même la ville a mille autres charmes. Se retrouver avec des œillères dès la moitié du Pont peut alors devenir rageant. D’ailleurs, nombreux sont les promeneurs qui rebroussent chemin en cours. Par chance, je l’ai déjà vu nu. La présence de ces parois métalliques occultantes m’offre alors l’occasion de créer ma propre image…

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Etrangement, cet arbre caduque, somme toute assez banal, a été choisi par cette horde de sombres volatiles comme quartier général. Les piafs de la même compagnie en décollent et y atterrissent par vagues successives comme à Roissy un jour de grand départ. Cette concentration, irrationnelle pour un humain n’entendant rien aux choses aviaires, serait d’ailleurs presque inquiétante. Un effet inconscient des salles obscures sûrement ! Des images de Tippi Hedren effrayée, se protégeant bon an mal an des attaques inexpliquées d’oiseaux hitchcockiens, viennent en effet rapidement se superposer à cette vision qui pourrait passer pour bucolique si le ciel était bleu, la saison, estivale et si le cinéma n’existait pas. Mais les dés sont pipés : observer ces oiseaux renvoie instantanément au film qui, à son tour, impose, totalement consciemment cette fois-ci, un traitement de l’image photographique qui soit en adéquation avec son ambiance. La désaturation des couleurs est choisie pour accroître le sentiment de malaise, et par conséquent, la référence symbolique au thriller. Ainsi, cette photo ne peut-elle plus être autre chose que l’écho d’une image pré-existante et collective.

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Le globe-trotter ramène souvent beaucoup de clichés dans ses valises… Autant d’images des paysages admirés, des villes traversées, des musées visités, des forêts arpentées, des objets collectionnés, mais aussi, des personnes croisées. Les autochtones. Les locaux. Les vrais ! Des portraits volés au téléobjectif ou au grand angle, à la va-vite. Des portraits consentis aussi. Parfois moyennant quelques pièces. Le moins glorieux pour le preneur d’image à mon sens. Mais, finalement, une démarche compréhensible de la part des photographiés, qui, d’une certaine manière, poussent le vice à son paroxysme : si les visiteurs se croient au musée ou au zoo, il est normal qu’ils s’acquittent d’un droit d’entrée, même symbolique !

Nous sommes évidemment tous l’autre de quelqu’un et c’est aussi cet exotisme, cette différence que nous allons chercher en voyageant. Et que nous avons la tentation d’enfermer dans nos boîtes à images. Cela a quelque chose d’un peu dérangeant. D’ailleurs, j’ai toujours le réflexe de tourner la tête lorsque je vois un appareil braqué sur moi. Hors de question que je sois l’exotique de service ! Car nous ne sommes « jamais » exotique chez nous, sur nos propres terres !

Pour rester cohérente, je prône donc l’éthique de réciprocité, même si, dans les faits, je ne l’applique pas toujours. Une parade consiste donc à faire de l’anti-portrait. C’est-à-dire, à prendre des photos de ces personnes tout en prenant soin de ne pas montrer leur visage. Ce qui peut s’avérer compliqué lorsqu’ils sont plusieurs à entrer dans le champ… Une tête coupée, une tête tournée, une tête cachée par une manche, une autre prise dans l’ombre… L’image continue à avoir sa vie malgré tout et surtout, à montrer la vie qui s’y trame. Ainsi, mais peut-être est-ce un leurre ?, ai-je la sensation de « plus » respecter ces autres qui défilent devant moi comme des pays sages.

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