Photo-graphies et un peu plus…

JCF11_DSC8919-72-site

A chaque fois que je me mets à ce texte, je me dis : « Allez, aujourd’hui, tu fais court ! »… Et je finis toujours par m’embarquer dans un récit au long cours… Serait-ce le grand jour ?

Je n’arrive en effet pas à me concentrer. Mon voisin du dessous s’est remis aux jeux vidéos en ligne, je l’entends grogner, crier, s’exclamer, invectiver ses amis imaginaires ou rigoler – ma grand-mère maternelle me reprenait gentiment quand j’utilisais ce mot parce qu’il faisait trop penser à la rigole, dans la rue, où l’eau s’écoule vers les égouts, et que ce n’était pas beau ; cela me plaît, aujourd’hui, d’avoir ce souvenir. Mais c’est trop facile de blâmer les autres quand tout, en réalité, dépend de soi.

Je garde un œil rivé aux infos néo-zélandaises, même si tout cela m’apparaît désormais très lointain. « We have won the battle » a annoncé la PM de Nouvelle Zélande, Jacinda Ardern, à ses compatriotes il y a quelques jours. Il n’y a plus de transmission du virus, mais la vigilance reste de mise. La Nouvelle Zélande sera ainsi l’un des derniers pays à avoir été touchés par le coronavirus – bénéficiant ainsi de l’expérience d’autres pays pour agir efficacement et éviter certains écueils – et l’un des premiers à l’éliminer – à l’inverse, allons-nous apprendre de lui pour savoir ce qu’il faut ou ne pas faire ? Et contre toute attente, je n’arrive pas à m’en réjouir totalement. Parce qu’une partie de moi – je ne sais jamais vraiment laquelle même si je l’invoque assez régulièrement, j’imagine que ça tourne – se dit que c’est une victoire à court terme, qui, d’une certaine manière, rendra l’île plus vulnérable à moyen et long terme. En tout cas, l’isolera encore plus du reste du monde.

Parce que la hantise, dès à présent, va être de voir réapparaître le virus à un point inattendu du pays, avec tout ce que cela impliquerait dans la foulée pour s’en débarrasser à nouveau. Les frontières restant fermées – sauf aux non néo-zélandais souhaitant rentrer et placés en quatorzaine stricte à leur arrivée –, le risque est limité dès lors que les personnes encore malades font preuve de bon sens et de responsabilité. Mais, dans le doute, le pays développe son appli de suivi des contacts pour retrouver plus facilement les personnes susceptibles d’avoir été exposées au COVID-19 (alors même que le virus ne circule plus donc).

L’Australie – le plus proche voisin, avec qui les relations sont naturellement très étroites, encore plus en ce moment sans doute – a déjà sauté le pas. Plus de 3,5 millions de personnes ont volontairement téléchargé COVIDsafe, appli assez proche de celle de Singapour (qui, après avoir été considéré comme l’un des pays à avoir le mieux géré la crise, subit actuellement une deuxième vague bien plus violente, touchant presque exclusivement les travailleurs migrants vivant dans des dortoirs surpeuplés). Et, selon la même logique que pour l’immunité collective, pour que cette stratégie de suivi numérique soit efficace, un maximum d’Australiens doit installer l’application. Ce qui pourrait, dans le cas contraire, faire passer son téléchargement de « volontaire » à « obligatoire ». Pour la sécurité de tous, évidemment. Sous couvert de cette sécurité donc – le mot à placer depuis septembre 2001 –, nous nous retrouvons, individuellement, à devoir accepter beaucoup.

Et tout cela est grandement facilité par notre adoption sans résistance des outils technologiques et de leurs fonctionnalités pratiques, smartphones en particulier, dont nous aurions désormais du mal à nous passer tant ils font partie de nos vies. Fin 2019, il y avait ainsi 5,1 milliards d’utilisateurs mobiles uniques dans le monde (1). L’impossibilité de se déplacer ces dernières semaines nous a d’ailleurs massivement fait basculer dans la virtualité, pour toutes nos démarches, tant professionnelles que personnelles. Certes, cela nous a aidés à conserver du lien, à en créer, à partager, à faire comme si, mais cela a produit tellement de données sur nos habitudes que c’en est vertigineux. Je repense à ce petit challenge, en apparence anodin, comme Facebook sait en créer – c’est comme la question de l’œuf et la poule d’ailleurs, ou du patient zéro pour rester dans le thème du moment, on ne sait jamais vraiment d’où sortent ces challenges qui finissent toujours par transiter par des contacts connus – qui proposait « d’inonder la toile » – c’est la formule consacrée pour capter l’attention – avec des photos de nous enfant… Voilà qui semblait bon enfant justement, sympathique et amusant, surtout en ce moment. Sauf que la médaille a son revers et que l’idée que toutes ces photos – le challenge a été massivement accepté – soient utilisées pour apprendre aux « Intelligences Artificielles » à étudier le vieillissement des visages a rapidement fait son chemin chez les plus avertis. A raison, sûrement. Rappelons-nous cette phrase qui devrait sonner comme une alerte incendie à chaque fois que nous sommes tentés : « si c’est gratuit, c’est que le produit, c’est vous ». J’écris cela tout en cédant parfois à la tentation, je l’admets.

Il y a quelques années, face à cette inquiétude à l’égard de l’essor démesuré et non probants des dispositifs de surveillance, certains répliquaient : « cela ne me dérange pas, je n’ai rien à me reprocher ! » Ont-ils changé d’avis depuis ? Encore une fois, tout dépend de l’usage réellement fait des données collectées et de la confiance de la population envers « son » gouvernement. A ce titre, la méfiance qui a entouré la sortie du générateur numérique d’attestation de déplacement dérogatoire en France est assez révélatrice de la fracture qui n’a cessé de se creuser entre le pouvoir et la population ces derniers mois… Selon un sondage BVA réalisé début avril, « s’ils étaient contaminés, 75% des Français accepteraient que l’on utilise leurs données individuelles de géolocalisation, cela afin de retrouver les personnes avec qui ils ont été en contact durant les quatorze derniers jours » (2). Chiffre (étonnant par ailleurs mais qui vient corroborer ce que j’écrivais plus haut) qui tombe à 51% dans l’éventualité d’une gestion de ces données par les pouvoirs publics…

Bref, tout cela soulève à nouveau des dizaines de questions. Et pour revenir à la situation en Nouvelle Zélande, même si la question dépasse allègrement ce cadre, qu’est-il préférable face à une menace ? La faire disparaître ou apprendre à composer avec ? A l’échelle d’un pays, je ne sais pas et ne peux simplement constater que la grande majorité des pays dans le monde n’aura pas le choix. Et devra surtout s’y adapter puisqu’éradiquer le virus, dans un temps court, n’est une solution réaliste que pour une minorité. Avec la tentation du repli sur soi déjà pointée du doigt…

Une part de mon adaptation passant par la migration, ce matin, j’ai repris, avec une certaine excitation, les recherches immobilières laissées en suspens en fin d’année 2019. Mots clés : maison (grande), terrain (grand), hameau, dépendances, potentiel (grand), Bretagne ! Allez, cap à l’ouest !

(1) https://www.lesclesdudigital.fr/un-rapport-detaille-lutilisation-du-telephone-mobile-dans-le-monde/
(2) https://www.lejdd.fr/Societe/geolocalisation-75-des-francais-favorables-a-lutilisation-de-leurs-donnees-en-cas-de-contamination-3959935?Echobox=1586068975

Share on Facebook

JC10_DSC1667-72-site

Hier soir, avant de me coucher, j’ai invité mon inconscient à retourner chercher la voiture que je n’ai pas (cette première phrase est bien moins étrange qu’il n’y paraît quand on a lu l’épisode 9). Figurez-vous que je l’ai trouvée, mais que deux nouveaux obstacles se sont intercalés entre elle et mon désir d’évasion : d’une part, la clé que j’avais ne semblait pas correspondre à la serrure et d’autre part, elle était tellement bien coincée entre deux autres voitures que je n’aurais jamais réussi à la sortir de sa place. Comme quoi, trouver ce que l’on croit chercher n’est pas forcément un gage de réussite ! J’en déduis donc qu’il me faut rester ici. Et appréhender l’attente autrement.

Savez-vous de combien de temps nous avons besoin au réveil pour savoir où, quel jour et qui nous sommes ? Certains – j’ai même des noms ! – me lanceront que cela dépend de ce que nous avons fait la veille ou pendant la nuit… Envisageons donc un comportement sans excès, une nuit simple ou une simple nuit. Je cherche la réponse depuis tout à l’heure et je ne trouve pas. Je ne trouve pas car je ne sais comment poser la question efficacement à mon moteur de recherche pour qu’il me propose autre chose que des articles sur le nombre d’heures de sommeil nécessaire pour être en forme, sur des méthodes pour me souvenir de mes rêves ou sur les troubles du sommeil… Bon, ai-je vraiment besoin d’avoir un chiffre précis pour continuer ? Non. Alors, je poursuis.

Disons qu’a priori, sauf si vous êtes sujet à des formes d’ivresse du réveil, cela se fait « rapidement ». « Rapidement », cela ne veut rien dire, c’est vrai. C’est du même acabit que lorsque le Ministre de la Culture a annoncé que les « petits » festivals pourront reprendre après le 11 mai. « Petits », c’est-à-dire ? Tout est relatif, tout est subjectif dans ce monde. D’ailleurs, je me demande pourquoi le mot « objectif » existe alors que l’objectivité n’existe pas. C’est un peu bête ce que j’écris, le dictionnaire est plein de chimères… Par exemple, le fait que Princesse Leia soit un personnage de fiction l’empêche-t-elle d’exister dans le réel ? Quid alors des personnes, réelles, qui endossent son costume pour aller voir Star Wars ou se rendre à une convention cosplay ? En les voyant, ne nous disons-nous pas : « Oh, c’est Princesse Leia ! ». Preuve qu’elle existe bel et bien… N’est-ce pas là un incroyable pouvoir de la création et de l’art ?

Bref. Sommé de préciser sa pensée, voilà ce qu’a répondu le monsieur au Sénat : « un petit festival rural, avec une scène, un musicien et 50 personnes qui sont à un mètre les unes des autres, sur des chaises, qui ont un masque et, en entrant sur le site, la possibilité de bien se laver les mains avec des produits spécifiques, on pourra tenir ces festivals-là » (1). Ah ah ah ah ah ah ah ah ah ah ! Bon. Dans le « même » esprit, j’ai lu que les ciné-parcs – chacun dans sa voiture devant l’écran, pas sur un transat avec sa petite couverture comme chaque été à La Villette à Paris – ressuscitaient dans certains pays grâce au coronavirus. Ce qui, esprit d’escalier oblige, me fait penser à l’étonnante et très belle série d’un copain photographe, Cyril Abad, sur une église drive-in en Floride aux Etats-Unis, où les fidèles, sans sortir de leur voiture, écoutent le sermon du pasteur en se calant sur la station « Les disciples du Christ » de leur autoradio, le tout, depuis la pelouse d’un ancien … cinéma en plein air (2). Nous y sommes presque !

Oups, je crois que je me suis égarée… Le réveil donc, un réveil naturel, sans réveil strident, sans cri d’enfant, sans sirène de police, un réveil en douceur donc… Partons sur quelques microsecondes, au pire quelques secondes, avant de resituer correctement la pièce et l’espace dans laquelle elle se trouve, de comprendre que la main qui s’avance naturellement de votre visage pour le frotter est bien la vôtre, d’éventuellement reconnaître la personne à vos côtés ou plutôt de reconnaître la personne éventuellement à vos côtés… C’est un peu comme la ponctuation – on mange, les enfants ! / on mange les enfants ! –, l’ordre des mots est important. Donc, certains matins, pendant ce très court laps de temps, combien sommes-nous à avoir oublié que le monde est plongé dans cette CDI (Crise à Durée Indéterminée) ? Pendant ce laps de temps où je jouis d’une liberté totale (une illusion, ce dernier point, mais faisons comme si), je me surprends à penser à la toile que je pourrai aller voir le soir venu, avec des amis, dans mon cinéma de quartier, et le repas que nous partagerons après. J’ai 4 mois de retard, sachant que les sorties ne sortent plus depuis 1,5 mois et, que, sans doute, plus rien n’est d’ailleurs tourné (ce qui me fait penser à mes amis intermittents…)… Et puis, plouf, patatras, le répit s’achève et tout revient d’un coup : la pandémie, le fil à la patte, la cacophonie, le flou. Mais voilà qu’un grand sourire et des yeux rieurs s’approchent de moi. J’en oublie alors mon oubli pour ne me souvenir que de l’essentiel…

(1) https://www.ouest-france.fr/culture/coronavirus-franck-riester-evoque-la-tenue-de-petits-festivals-le-desarroi-des-professionnels-6809882
(2) http://www.cyrilabad.com/projects/projects/the-drive-in-christian-church-in-god-we-trust/

Share on Facebook

JCF9_DSC6189-72-site

Ça y est, j’ai fait mon premier rêve de confinement. Enfin, c’est ainsi que je l’ai interprété. Je ne l’ai pas noté en me réveillant et maintenant que je cherche à m’en souvenir, les détails m’échappent comme du sable sec et chaud glissant entre mes doigts. Pas de problème respiratoire ni d’invasion d’arachnides mais je me souviens parfaitement qu’après avoir rencontré une ancienne camarade de fac – que je n’ai pas vue depuis des années mais avec qui j’ai échangé des mails sur mon voyage en Nouvelle Zélande avant de partir –, je ne retrouvais plus ma voiture – dans la réalité, je n’en ai pas. J’avais beau faire et refaire le tour du quartier où nous étions, aucun indice quant à l’endroit où je l’avais garée ne me revenait à l’esprit. A fortiori, je ne pouvais pas quitter la ville, j’étais coincée, ou retenue, dans son dédale de rues. Un rêve d’empêchement en quelque sorte. J’ai connu des songes plus mystérieux, mais celui-ci a eu le mérite de me faire sourire. Et d’être juste. En effet, cette interdiction de se déplacer librement, au-delà du kilomètre pour encore 11 jours puis, à partir du 11 ou 12 mai, au-delà de 100, est sans doute ce qui, symboliquement, intimement et toutes proportions gardées, préoccupe le plus la fourmigratrice que je suis. Et ce, même si je n’avais pas prévu de repartir à l’autre bout du monde le mois prochain ni même ailleurs – sauf, bien sûr, pour aller voir mes parents chéris et peut-être commencer à explorer des territoires d’accueil. C’est purement psychologique et cela ressemble à s’y méprendre à ce que j’évoquais au 8ejour de mon confinement à Wellington où j’avais eu une très temporaire montée de claustrophobie, alors même que j’étais plus libre de mes mouvements qu’ici finalement. Preuve que, malgré tout, c’est pas si pire, comme disent nos amis québécois. Par ailleurs, les moyens – naturels – de s’affranchir des limites et frontières de son propre corps sont nombreux.

Revenons, pour l’instant, aux rêves que nous connaissons sans doute mieux que les autres états modifiés de conscience. Il paraît que le confinement – engendrant naturellement son lot d’anxiété, de stress, de sentiment d’isolement, de perte de contrôle, de questionnements sur le devenir de notre société et sur soi, passé, présent et futur inclus – est allé s’implanter jusque dans nos rêves. Que les témoignages de rêves ou cauchemars plus étranges, plus intenses, plus nombreux que d’habitude se multiplient ces dernières semaines alors même que nos journées sont moins denses, en tout cas géographiquement et dans nos interactions physiques, matérielles, avec les autres. Quoi de plus logique si l’on admet que les rêves nous aident à traiter ce que nous vivons pendant la journée, en particulier à gérer le stress et les émotions qu’elle peut avoir produits, en plus d’inscrire certains faits dans notre mémoire à long terme. « Nos rêves étranges sont le sommet de l’iceberg psychologique. Qu’on le veuille ou non, nous prenons aujourd’hui part à une gigantesque expérience sur les effets d’un accroissement du stress associé à une réduction drastique des contacts sociaux » annonce ainsi Mary-Ellen Lynall, neuroscientifique et psychiatre de l’université de Cambridge, spécialisée dans les interactions entre le système immunitaire, le cerveau et le comportement (1).

Ceci dit, comme souvent, les scientifiques ne sont pas unanimes sur la fonction des rêves. Ainsi en est-il de l’ethnopsychiatre Toby Nathan qui pense, quant à lui, que le rêve joue un rôle essentiel de « brainstorming installé au cœur de la nuit, qui nous permet de trouver des solutions inattendues, d’inventer, de nous renouveler » (2). Et de poursuivre : « Des expériences ont montré que le rêve ne sert ni à fixer la mémoire, comme on l’a longtemps cru, ni à évacuer les tensions de la journée » mais qu’il « contribuait puissamment à la résolution de problèmes ou d’énigmes posés au rêveur avant son sommeil » (2). Là où certains voient le rêve tourné vers le passé, lui le projette dans l’avenir. En lisant cette définition, je repense à toutes les impasses mathématiques et physiques sur lesquelles je m’endormais, étudiante, qui, comme par miracle, n’en étaient plus au réveil…

Dans un registre plus calendaire, aujourd’hui, c’est le Premier Mai. La Fête du Travail. La Journée internationale des travailleurs. Un rendez-vous citoyen, syndical, collectif et surtout physique que le confinement actuel contraint à une certaine virtualité, alors même que les protestations populaires n’ont jamais été aussi nombreuses – et réprimées – dans le monde avant le début de cette année en 20. Dans mon périmètre de sécurité, à l’occasion de ma séance quotidienne d’activité physique (youhou !), j’ai pu observer la multiplication de banderoles chargées de revendications – des plus locales : « Stop au béton ! Vive les arbres ! », aux plus générales : « De l’argent pour notre hôpital, pas pour le capital », « Merci ! » – accrochées aux balcons ou fenêtres. A chaque fois que je vois les gens s’exprimer par cette voie là, à la fois permanente et non incarnée, je repense aux rues de Berkeley, en Californie, que j’ai côtoyées plusieurs semaines il y a une dizaine d’années.

La ville est connue pour sa prestigieuse université, la deuxième plus ancienne du pays après Harvard, dont le campus à lui seul donne envie d’être étudiant à vie. Génies et autres esprits libres y convergent depuis des décennies – 65 prix Nobel dans ses rangs, des Pulitzer, des Oscars… –, avant de faire rayonner leurs idées dans le reste du monde. Haut lieu historique de la contre-culture américaine, pacifiste – les premières manifestations contre la guerre du Vietnam sont nées dans ses artères –, Berkeley a vu s’épanouir, dans les révolutionnaires années 60, le Free Speech Movement, prônant notamment la liberté d’expression politique des étudiants, et, dans la foulée, a vu fleurir les hippies par milliers.

Auréolée de cette tradition libertaire et de cet esprit contestataire incarnés par la chair en mouvement, même un demi-siècle plus tard, je m’imaginais donc la ville grouillante, palpitante, active sur tous les fronts, revendicative, engagée. J’avoue avoir donc été assez surprise, en errant plusieurs jours d’affilée dans les rues adjacentes au campus, certes assez cossues, de ne croiser quasiment personne. Physiquement j’entends. Point de regroupement ni de manifestation non plus. En revanche, assez rapidement, j’avais relevé la présence de pancartes plantées dans des jardins, d’affiches glissées derrière des stores, de calendriers politiquement étiquetés placardés aux vitres, de dessins fixés aux fenêtres, de banderoles accrochées aux perrons et façades des maisons. Autant d’appels à la paix, au dépôt des armes, au vote Obama, à la tolérance… Absents des rues, les habitants de Berkeley annonçaient malgré tout la couleur. Défiler dans ses paisibles avenues devenait un festival de revendications silencieuses en tous genres.

Le contraste avec la façon dont chacun exprimait ses idées et ses convictions en France m’avait alors sauté aux yeux, et illustrait parfaitement la différence de conception entre ce qui relève des sphères publique et privée de part et d’autre de l’océan, voire d’un monde à l’autre. Car avez-vous souvent vu ce type d’expressions aux fenêtres de vos voisins ? Connaissez-vous leurs idées politiques, leurs combats, leurs engagements ? Là où, là-bas, et sans vouloir faire de généralités, on semble préférer s’exprimer individuellement, solitairement, sans se montrer, ici, on se présente collectivement, solidairement, à visage découvert pour s’exprimer avant de tout ranger et de regagner nos antres, d’où, a priori, rien ne s’échappait… Jusqu’à il y a quelques semaines, mois ou poignées d’années (j’ai en mémoire une innocente balade dans le 16e– vous me direz que je l’ai cherché – et à Montmartre aussi, avec une foule de drapeaux à la « famille parfaite » flottant au vent qui m’avait particulièrement refroidie).

Ainsi, le confinement (en plus de poser une foule de questions sur la définition même du travail, sur les façons alternatives de travailler et même sur les alternatives au travail tel que nous le concevons classiquement, avec tout d’un coup l’émergence de travailleurs dits essentiels, de première ligne – des femmes en majorité – sur qui tout repose depuis des semaines alors même qu’ils sont systématiquement dévalorisés et dénigrés en temps « normal », avec l’essor du télétravail pour certains mais aussi de questionnements quant à notre utilité sociale lorsque, finalement, nous réalisons que ce qui nous occupe 8h par jour, 5j par semaine n’apporte rien d’indispensable à la société), ce confinement qui aurait aussi pu être un musellement a incité à utiliser d’autres façons de s’exprimer et de partager ses revendications à l’instar des nombreuses caricatures, dessins, bandes dessinées, chansons qui ont circulé sur les réseaux sociaux via les amis de mes amis de mes pas amis pour résumer la situation en temps réel, des manifestations virtuelles et de carton, des concerts de casseroles, des parterres de chaussures vides… Ou encore, avec une autre dimension, les balconnades de 20h, qui, outre un merci envoyés aux travailleurs confinés, sont aussi, comme me le rappelait un très amical voisin, une façon de fusionner nos solitudes de jour et d’être ensemble quelques instants. Cela n’a certes pas le goût des pavés – pour ceux qui les arpentent habituellement – mais c’est ne pas rien !

(1) https://www.courrierinternational.com/article/sommeil-pourquoi-nos-reves-confines-sont-si-riches
(2) https://www.franceculture.fr/emissions/le-journal-des-idees/letoffe-des-reves

 

Share on Facebook