Photo-graphies et un peu plus…

On en a tous croisés, des êtres humains déguisés en statue de la liberté, en tour Eiffel, en Charlot ou autre, faisant le pied de grue, parfois sur leurs deux pattes, en des lieux de passage prisés des touristes. Même si je conçois que c’est une façon comme une autre de boucler sa journée, je ne peux m’empêcher de me demander ce qui pousse ces personnes à se figer dans des positions parfois inconfortables, dans des costumes souvent encombrants, sous des couches de maquillage assez épaisses. En somme, à se torturer volontairement des heures durant.

Ce spécimen madrilène n’échappe pas à la règle. S’il a décidé de s’assoir, et donc de se préserver quelque peu, il a aussi choisi de s’enduire de terre mouillée et de se mettre en plein soleil. Le défi : ne pas craquer, même si la terre finit par le faire pour lui sous l’effet de la chaleur, même si, minute après minute, elle lui tire la peau un peu plus. Les badauds s’arrêtent et puis repartent, finalement peu impressionnés par cette performance terrestre. Il y en a d’autres à quelques pas de là… Entre ces deux instants, de solitude et de show, le terrien n’a pas cillé. Même sérénité en sommeil sur le visage, même écart entre le pouce, l’index et le majeur de la main droite à peine posée sur le genou, même relâchement des épaules… C’en est presque effrayant. Mais qu’espère-t-il voir récompensé en fait ? Sa ténacité face à la douleur croissante (est-ce vraiment un signe de bonne santé mentale ?), son appel à l’immobilisation (dans un monde qui n’a de cesse de bouger), son imagination (je n’avais jamais vu de bonhomme de terre auparavant) ? Les questions restent en suspens…

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Lorsque nous faisons des milliers de kilomètres pour nous rendre dans des lieux prétendument remarquables (et nous savons bien qu’ils le sont puisque, au préalable, nous en avons cherché des images dans des livres, des guides, sur Internet, une curiosité maladive nous gâchant partiellement la surprise…), et par ailleurs situés en plein désert (ce qui nécessite un certain effort de la part des visiteurs), nous espérons secrètement, autant que naïvement, non pas les découvrir seul(s) – pure illusion -, mais au moins en petit comité.

Pouvoir entrer dans ce canyon aux couleurs ocres à l’heure où le soleil est au zénith sans faire la queue ; y errer librement sans que le regard ne se heurte à un autre corps découvreur ; apprécier la chute de température sur nos bras découverts, la chair de poule naissante, en passant de la lumière à l’ombre sans entendre qui que ce soit se fendre d’un « il fait froid tout d’un coup » ; suivre les particules de poussière jouant avec la gravitation révélées par les rais du soleil ayant réussi à se faufiler entre les parois rocheuses rapprochées et lissées par les flots sans sentir la pression montante d’un autre groupe en approche… En somme, inspirer et expirer avec l’espace. Dans la pratique, milliers de kilomètres et désert n’y font rien, et il faut souvent réussir à composer avec les autres. Donc, ralentir le pas, se mettre à l’écart, les laisser avancer jusqu’à ce qu’ils disparaissent définitivement et ainsi, être en mesure de capter cette fenêtre où nous serons enfin seul au cœur de la place. Le répit est de courte durée, mais, heureusement, il existe…

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A quelques jours d’achever une année complète de duos quotidiens (que se passera-t-il après ?), je réalise qu’aucun ne porte sur la Tour Eiffel. Cela ne pourrait être qu’un constat sans suite. Je n’en ai pas fait non plus sur la pyramide de Gizeh ni sur la Place Rouge à Moscou. Une raison simple à cela : mon corps ne m’y a pas encore traînée. Mais, en parisienne, même lointaine que je suis – la distance étant peut-être liée à cette urgence soudaine, de la nostalgie ? non… – je ressens le besoin, de fait, pressant, de réparer ce presque oubli. Et de consacrer un peu d’espace et de temps à cette figure symbolique dupliquée à des millions d’exemplaires sur des cartes postales, des photos de visiteurs d’un jour ou de toujours.

De mon côté, il faudrait probablement aller fouiller dans les cartons, donc, remonter quelques années en arrière, pour trouver une photo-reproduction de cette tour de fer puddlé montée en 2 ans, 2 mois et 5 jours, et qui a dû patienter 70 années avant de connaître une gloire internationale. Et ce n’est pas lui manquer de respect, il me semble, que de la faire apparaître sous un nouveau jour. En l’occurrence, nuit. Une de ces nuits irréelles et inspirées d’où émanent des images à la fois vraies – pas de post-manipulation – et fausses – ce n’est pas ce que l’on voit en regardant dans cette direction. Une passerelle Debilly désarticulée, un doublé métallique éclairé… La Tour aux 1665 marches s’évade de ce champ où elle est ancrée depuis bien longtemps déjà, traînant son double spectral comme un boulet. Faire trembler l’immuable, un beau dessein photographique, non ?

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C’est le bruit que font les chips quand elles craquent sous les dents. Difficile, en effet, de ne pas penser à Poncherello quand on débarque sur la côte ouest américaine et que l’on tombe nez à nez sur un motard de la S.F.P.D. Certainement moins connue que la N.Y.P.D, mais elle a ses fans. Le fait d’avoir pris cette photo m’étonne. Ce n’est pas un sentiment a posteriori. Sur le moment, je me suis dit : « C’est très étrange ce que tu fais ! » Je ne suis pas particulièrement attirée par les uniformes, encore moins par les représentants de l’ordre.

Mais, dans les faits, cela va au-delà de cette étiquette. Cet homme, vraisemblablement sûr de lui, est une icône, la représentation d’un mythe. Aussi ai-je fait comme la masse de touristes que l’on ne voit pas ici, j’ai déclenché. Le plus étonnant dans cet instant photographique reste la passivité du modèle. Comme s’il était payé pour être pris en photo (le matin, au central, ils tirent à pile ou face celui qui fera le modèle pour la journée sur le Pier…), comme s’il était blasé par son propre mythe, même si, ce côté froid donne l’impression qu’il cherche Sarah Connor. On s’attendrait presque à le voir sortir une arme et à tirer à vue, histoire d’empêcher la sortie d’un cinquième épisode… Mais non, rien de tout cela. La vie réelle est bien plus calme !

Quelque chose me taraude malgré tout : y a-t-il beaucoup d’endroits dans le monde (en écrivant, je pense aux très photogéniques Bobbies anglais, mais ce n’est pas tout à fait pareil) où les gens (quels qu’ils soient) se pressent pour tirer le portrait d’un policier consentant, non pas, parce qu’il est en train de commettre une bavure ou de griller un feu rouge, mais parce qu’il est policier, simplement (en écrivant, je pense aux gardes républicains que j’ai pris en photo sur leurs grands chevaux à Paris) ? Mais, ce n’est pas tout à fait pareil… Scrontch, scrontch…

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Comme je l’ai déjà évoqué dans La croisée des chemins, j’aime aborder une ville en me laissant guider par le hasard et la surprise que me réserve le bout de chaque rue ou une perspective lointaine. Avec un plan, la route est déjà toute tracée. On suit le chemin optimal pour voir tel ou tel monument connu, bâtisse remarquable, musée incontournable. Choisir l’option hasardeuse impose, soit d’avoir du temps, soit de faire l’impasse sur ce qu’il y a « vraiment à voir » dans la ville visitée si le voyage est de courte durée. Même si cette notion de « vraiment à voir » mériterait d’être discutée.

Toujours est-il que cette option hasardeuse m’a un jour conduite face à ce mastodonte énigmatique. Au détour d’une rue donc, il n’y avait plus que lui pour occuper mon champ visuel. Tout, dans ce bloc, en impose. La hauteur d’abord, la largeur ensuite, puis l’architecture. Et puis, surtout, une chose intrigue rapidement : où sont les fenêtres ? Les gros blocs sombres situés à mi-hauteur et au sommet sont vraisemblablement destinés au système d’aération intérieur… Aucune ouverture sur le flanc Est. Je fais le tour, ce qui prend un temps certain, persuadée que les ouvertures – les fenêtres essentiellement – sont toutes de l’autre côté… Mais, après avoir bien observé les quatre faces du building, je dois me rendre à l’évidence : la lumière naturelle n’entre pas dans ce bâtiment. Sauf si elle est zénithale et dans ce cas, je préférerais ne pas travailler dans les bas étages. Seule ouverture notée : une double porte de taille normale avec deux petites caméras sur les côtés. Pas un nom, pas une enseigne. Un bâtiment neutre. Pas discret étant donné sa taille, mais ne laissant rien transparaître de ce qui s’y trame. Tout ce mystère fait naître une autre question : qu’hébergent donc ces murs apparemment impénétrables ? Le bâtiment de Men in black me revient à l’esprit. De la science-fiction ! Evidemment, m’étant laissée guider par le fameux hasard, je ne sais pas où je suis. Et lorsque je me retrouve face à un plan, je réussis à me persuader que ce bâtiment n’est pas indiqué sur la carte. Cela épaissit un peu plus le mystère, ce qui me va plutôt bien…

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Malgré les beaux jours qui se font désirer, les touristes, eux, affluent déjà dans la capitale. A chaque fois, par groupes très homogènes : même langue – russe, japonais, italien… – ; même tranche d’âge : ados en voyage de fin d’année plus attentifs à la musique qui passe par leurs écouteurs qu’aux merveilles de la ville, seniors en visite culturelle avec guide ouvert à la page 32, jeunes cadres en week-end shopping avec superposition insolente de sacs Chanel, Colette et autre Dries Van Noten ; même façon de se déplacer : un groupe soudé tel les manchots sur la banquise comme s’ils devaient se préserver d’un danger imminent, une succession indéfinie d’éléments épars insupportant au plus haut point le guide fatigué d’agiter son parapluie multicolore à chaque coin de rue pour s’assurer que les derniers ont bien vu qu’il fallait tourner… Une vraie galerie pour le parisien ! Malgré tout, parfois, j’aimerais être à leur place, j’aimerais être ces yeux neufs… Simplement pour savoir ce que l’on ressent lorsque l’on découvre Paris pour la première fois, un sentiment qui m’est à jamais inaccessible et dont je n’ai même pas eu le temps d’avoir conscience.

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Regarder les gens regarder est souvent plus amusant que regarder soi-même… Car, évidemment, ces homo touristus cherchent quelque chose. Par grappes parlant (ou pas) la même langue mais assurément le même langage – celui de l’index dénonciateur – ils cherchent ce que leur guide leur dit de chercher page 32 dans l’encadré consacré à l’Université de Salamanque, l’une des plus anciennes d’Europe par ailleurs. Une grenouille posée sur une tête de mort noyée sur une façade fourmillant de petits motifs et sculptée par son dernier restaurateur. Elle symboliserait la mort suite au péché de luxure. Plus simplement, la tradition veut que celui qui la voit réussisse son année universitaire. Un soulagement pour ceux qui n’y sont pas allés ou qui sont encore trop jeunes, mais qui la cherchent avec une application toute enfantine…

Evidemment, face à ce spectacle, on se demande comment ce jeu de « où est charly ? » imposé peut-il réussir à soulever autant d’enthousiasme. Et, par extension, si, si le guide avait spécifié que la tradition était de sauter à cloche pied devant la façade, ces visiteurs d’un jour y auraient consenti avec autant d’abnégation… ou de panurgisme… « Elle est là, là, la grenouille, sur le pilastre en haut à droite ! »

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