Photo-graphies et un peu plus…

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Dans les dystopies ou films (post-)apocalyptiques, la météo est toujours exécrable. Pas là. Deux possibilités : soit tout va vite s’arranger – j’ai annoncé le contraire hier –, soit les auteurs de ces histoires ont un peu trop forcé le trait – qu’il fasse grand beau alors que le monde vacille serait pourtant particulièrement cruel, cynique et contre-intuitif. Imaginez un film comme Blade Runneren plein soleil, Rick Deckard et Roy Batty sans cette pluie continue et magnifique qui leur tombe dessus comme le poids de tous les malheurs du monde, cela ne ressemblerait strictement à rien ! Et Vangelis devrait revoir sa partition ! Ceci dit, ce que nous vivons n’est ni une dystopie ni un film hollywoodien, c’est la réalité.

Enfin, une certaine réalité. Car la réalité, c’est un peu comme les tirages en photographie, il en existe une infinité même si nous partageons le même fait (le négatif, si je poursuis la comparaison avec le médium, qui, dans le cas présent, est incarné par le virus…). Ma réalité n’a en effet rien à voir avec celle de mes voisins du premier qui doivent gérer leurs jeunes enfants et télétravailler, ou de ces familles de Seine Saint Denis qui n’ont plus de quoi se nourrir, ou encore de ces amis en Ardèche qui cultivent paisiblement leur jardin, ou de celle-ci qui a compris a posteriori qu’elle avait été infectée, ou de ces femmes victimes de violences conjugales encore plus fragilisées par le confinement, ou de cette amie coincée au Pérou alors qu’il n’y a plus d’avion, ou de cette autre amie travaillant en ehpad en province, ou de celle-ci dont le mari est plongé dans le coma depuis 30 jours, ou de cet ami à Taïwan qui n’est pas confiné, ou encore de ma sœur qui a dû fermer son tout jeune B&B en Ecosse pour une durée indéterminée avant même que la saison touristique ne commence (je vous donnerai l’adresse en temps utile si vous cherchez un petit coin de paradis pas trop loin), où de cette autre amie dont le mari, étranger et en voyage dans sa famille au moment où les frontières ont été précipitamment fermées, ne peut pas rentrer car il n’est pas français, ou encore de celle ci qui, avec son association, a cousu 8000 masques en 34 jours… Face au même événement, nous vivons tous les choses différemment. Comme d’habitude. Le même fait aura fait trembler des familles, créé des vocations, révélé des personnalités, généré l’effroi, prolongé des vacances, séparé des êtres chers, généré des drames, et parfois, il n’aura rien bousculé du tout ou si peu.

Concrètement, depuis que j’ai reposé les pieds sur le sol français, il y a un peu moins d’une semaine, j’ai l’impression d’être à Paris en plein mois d’août, allez juillet, plutôt qu’en confinement pour cause de pandémie globalisée, alors qu’il serait l’un des plus stricts au monde. Je peux même affirmer que je me sentais plus confinée à Wellington qu’ici alors que je pouvais me promener plus librement.

Les fenêtres de mon appartement sont ouvertes. Moi qui pensais être au calme jusqu’au 11 mai, j’entends la ville s’agiter comme avant, la sirène d’une voiture de police, le bus qui redémarre après avoir marqué son arrêt, le 15 tonnes qui freine au feu en couinant, les voitures qui circulent en continu, les motos qui accélèrent, le camion qui nettoie le trottoir… J’entends une scie circulaire, des coups de marteau. Un homme aussi qui tousse et se racle la gorge si fort que je me dis qu’il le fait exprès. Qu’en des temps anciens, je n’y aurais peut-être pas prêté attention. D’ailleurs, dès que j’entends une personne tousser plus d’une fois, et pas éternuer, ma pensée dérive et je m’interroge. Pourtant, je ne suis pas angoissée. Un autre crie « enc.. de ta… » – non, je ne peux même pas l’écrire, c’est trop vulgaire – probablement pour une priorité refusée ou un clignotant oublié. Enfin, un de ces trucs importants, vous voyez.

Je suis sortie chaque jour faire une heure (et quelque) de promenade, me tenant ma propre laisse pour n’aller ni trop vite ni trop loin, arpentant les rues de mon quartier comme s’il y avait quelque trésor à y découvrir. Certes, certains portent des masques et/ou des gants. Et il faut parfois faire la queue pour entrer dans certains magasins mais il y a aussi beaucoup de monde dans les rues – plus que je ne me le figurais, même si j’ai bien conscience que c’est mathématique, compte tenu de la densité de population en région parisienne – ; beaucoup d’enfants qui jouent ensemble autour du kiosque à musique ; beaucoup de personnes regroupées sans, a priori, partager la même bubble… C’est assez étonnant, un peu déconcertant aussi. Enfin, je ne m’imaginais pas le confinement ainsi. Je suis à la fois rassurée et perplexe. Il souffle quelque chose de très futile sur un moment qui me semble tout de même emprunt d’une certaine gravité.

Et puis, je commence aussi à avoir la sensation d’être un 31 décembre ou à la fin de vacances pendant lesquelles j’aurais eu un mode de vie différent. Vous savez, ces moments particuliers où nous sommes tentés de prendre de nouvelles résolutions pour la suite. Sauf qu’il ne s’agit pas de passer à 2021 avec 8 mois d’avance, mais de se projeter sur une après pandémie. Ce n’est pas comme s’il en survenait tous les ans… « Je vais sûrement démissionner », « j’ai décidé de devenir végétarien », « je veux m’occuper de mes enfants à temps plein », « j’ai décidé de prendre ma part de charge mentale », « nous allons sûrement quitter la ville pour vivre dans un lieu autogéré », « je suis prête à quitter mon métier-passion pour aller vivre à la campagne » peut-on ainsi lire dans un article récent de France Info (1). Je me reconnais dans deux moitiés de ces résolutions, que j’inscris noir sur blanc ici pour ne pas l’oublier et en faire une sorte d’engagement : « nous allons sûrement quitter la ville pour aller vivre à la campagne ». Et vous, avez-vous pensé à changer quelque chose dans votre vie prochaine ?

(1) https://www.francetvinfo.fr/sante/maladie/coronavirus/etapres-demenager-demissionner-changer-d-alimentation-vous-nous-avez-raconte-vos-envies-de-changement-apres-la-crise-du-coronavirus_3928675.html

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