Photo-graphies et un peu plus…

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Aujourd’hui, j’ai envie de nous emmener au sommet ! Au sommet du Mount Victoria, à côté duquel nous avons la chance de vivre ce confinement. Cette colline arborée aux multiples sentiers est notre respiration quotidienne. Sauf hier. Pour cause de pluie abondante, de froid et enfin de lancement – ignition three two one zero ! – de la 6e édition d’Objectif3280, que j’évoquais l’autre jour et qui a commencé sur les chapeaux de roue !

De ce fait, ce matin, après le petit-déjeuner, le soleil étant de retour, la température extérieure plus engageante, et avant de nous engouffrer, tête baissée mais bouillonnante, dans nos mondes binaires respectifs, nous sommes parties à l’assaut du lookout et de son panorama à 360°. En français, cela donne quelque chose d’ambigu : « point de vue », qui pourrait être compris comme une absence de vue, alors que c’est tout le contraire ; un paradoxe linguistique que porte aussi le mot « personne » par exemple. J’ai toujours trouvé fou que le même mot désigne à la fois l’absence et la présence…
Toujours est-il que de là-haut – pas si haut non plus, à peine 200 mètres ; mais tout de même, c’est 70 de plus que Montmartre à Paris –, l’on peut embrasser du regard la magnifique baie de Wellington, le centre-ville en contrebas, les quartiers perchés sur les autres collines, le port, l’aéroport, les chaînes de montagne alentour et parfois même, les côtes les plus septentrionales de l’île du Sud. En février, lors de notre premier passage à la capitale, l’été encore rayonnant, la vie y grouillait de partout. La promenade le long de la mer était pleine de marcheurs enjoués et de cyclistes prudents ; à la surface, naviguaient des vedettes et autres voiliers chargés de passagers tout sauf clandestins ; sur les terrasses, tintaient des cocktails colorés ; dans l’eau, barbotaient petits et grands ; sur les routes, se croisaient bus et automobiles… Même d’en haut, la rumeur de la vie d’en bas s’entendait. Tout cela faisait évidemment un bruit certain, et même un certain bruit, un bruit de fonds diffus, un ronronnement constant et continu, pas franchement agressif, mais permanent, donc agressif à la longue – ce n’est pas propre à Wellington, c’est l’une des signatures de toute ville.

Tout cela a disparu depuis le confinement. Quel réconfort pour nos oreilles sensibles ! La ville n’émet presque plus aucun son. Certes, de temps en temps, la sirène d’une ambulance ou d’une voiture de police vient fendre le silence, mais globalement, la ville ne fait plus que murmurer… De là-haut, du lookout, on a pourtant l’impression que rien n’a changé, que tout est comme avant, la ville est toujours là, au pied de la colline, le musée Te Papa, les immeubles du CBD, mais on a beau chercher, plus personne n’arpente le front de mer, plus personne ne dérive sur un bateau, plus personne ne trinque, les parkings sont vides, les routes désertes et les avions cloués au tarmac. De l’extérieur, la ville est immobile. Sa vie est suspendue. C’est aussi pour cela que les confinés montent, courent, pédalent, marchent, jusqu’au lookout, sommet triomphant, pour voir leur ville coupée dans son élan.

Inévitablement, j’ai pensé à Detroit, Michigan, où j’étais en août 2013, juste après que sa banqueroute soit prononcée (1). Bien sûr, c’est excessif, mais j’avais eu l’occasion, alors, de monter au sommet du Detroit Marriott au Renaissance Center, propriété et siège social de General Motors. De la haut, j’avais pu voir ce qui m’échappait partiellement les pieds à terre, l’étendue de cette ville abîmée, vide, silencieuse, résiliente et pourtant que j’avais trouvé sublime. Là s’arrête l’écho. Mais ce n’est pas si courant de croiser une ville à l’arrêt. C’est presque un contresens, un oxymore, d’ailleurs. C’est émouvant même… Mais ce qui l’est peut-être encore plus, c’est de pouvoir l’observer et en être témoin depuis une poche de nature, où la vie, elle, ne s’est pas arrêtée une seule seconde…

(1) Voir éventuellement le travail que j’avais réalisé à cette occasion avec « Why Detroit? » : https://issuu.com/lou_camino/docs/whydetroit_loucamino

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