Photo-graphies et un peu plus…

Tous les matins, à 9h42, assez tôt pour avoir la journée devant elle mais suffisamment tard pour éviter les bouchons matinaux, elle entre dans une des quatre grandes gares parisiennes et choisit une destination au hasard. Seule condition : qu’elle soit à 34 minutes maximum de la capitale. Ce qui offre un certain choix malgré tout. Au sud, au nord, à l’est, à l’ouest, aucune censure dans l’orientation. Dans le train, elle se met près d’une fenêtre et regarde défiler la ville… Dans ce périmètre, la nature n’est pas particulièrement reine… Arrivée à sa station du jour, elle balaye les environs et entre dans le troquet qui lui semble répondre le mieux à ce qu’elle cherche. Elle pousse la porte, répond au bonjour du serveur derrière son comptoir ou le devance dans la politesse, puis va s’installer au milieu de la salle. Commande un premier café crème, sort son sachet de fraises Tagada, puis son carnet et un stylo pour écrire. Écrire au cœur de la vie des autres qui se succèdent au fil de la journée, dans le bruit des tasses posées sur les tables après chaque lampée, des collégiens qui se retrouvent, des pieds de chaises raclant le carrelage, des bises qui claquent quand les gens se retrouvent, plats du jour récités comme la poésie culinaire, puis des couverts qui s’entrechoquent, du brouhaha qui monte progressivement midi approchant, des sonneries de téléphone portable suivies du remplaçant d’allo, des commandes scandées à la cuisine par les serveurs, de la machine à café qui crache sa caféine puis des gens qui commencent à partir, du calme qui revient, du silence qui cherche à se faire une place sans jamais y arriver véritablement… Il y a toujours une porte qui s’ouvre, une caisse qui se ferme, des « au revoir », « bon appétit ! » lancés à la volée, il y a toujours quelque chose. Cela ne s’arrête jamais. La vie d’un café fait penser à un électrocardiogramme sur lequel un médecin détecterait les symptômes d’une arythmie néanmoins régulière, avec une crise de tachycardie par là – à l’heure du déjeuner, épuisante, saoulante, lessivante -, et une de bradycardie par ci – juste après cette heure où on ne distingue plus les mots car tout se fond dans un magma verbal, porcelaine et métallique. Chaque jour, c’est le même scénario, où qu’elle aille. C’est ce rythme-là, cette chronicité qu’elle vient chercher, cette certitude que, même si les clients sont pour la plupart différents – chaque troquet a ses piliers -, rien ne viendra altérer cette succession d’actions, d’allers et venues, de bruits, d’échanges, et parfois, il est bien reposant de savoir exactement de quoi demain sera fait…

Share on Facebook

Share on Facebook

Surface plane, à peine brisée par le vent d’ouest. Personne n’a encore osé mettre le pied dans l’eau. Et pour cause : il fait froid ! Très froid même. Il n’y a qu’à regarder comment sont vêtus les spectateurs à gauche du plongeoir pour s’en persuader. Ceux qui observent la scène hors champ, légèrement incrédules, présentent les mêmes caractéristiques vestimentaires. Blouson, gants, bonnet. De fait, je, tous, nous n’avons qu’une pensée : ces deux-là sont fous ou alors se sont lancés un défi du genre on va jusqu’à la bouée ou encore, veulent se faire porter pâle lundi ! A cet instant – photographique, car depuis, de l’eau est passée sous les ponts -, le voltigeur, même s’il ne se fait pas d’illusion quant à la température du liquide dans lequel il se jette, ne peut en effet anticiper l’ampleur du choc thermique qui va l’envahir lorsque son corps va se retrouver entièrement cerné par cette eau glaciale de piscine se remplissant au gré des marées et n’étant réchauffée que par un soleil manifestement absent ce jour-là… Pourtant, je, tous, nous, saisis par l’effroi, sommes parcourus de frissons simplement à le regarder faire !

Share on Facebook

Share on Facebook

Share on Facebook

– Where are you from?
– Denver…
– No way! Are you kidding? That’s a long way… I’ve never been there. Denver is such a beautiful city.

Ah bon ? Quelques minutes plus tard, un peu plus lointain…

– Where are you from?
– London!
– No way! Are you kidding? That’s a long way… I’ve never been there. London is the most beautiful city on the world!

Evidemment ! Le lendemain matin…

– Where are you from?

C’est pas vrai, il recommence ?
– Reno!
– No way! Are you kidding? That’s a long way… I’ve never been there. Reno is such a beautiful city! I’ve never been to California…

Je pose mon carnet, me retourne et scanne les environs. Bingo ! Cette litanie sort de la bouche de ce monsieur à l’air plutôt sympathique. Appelons-le Bob, malgré sa perruque un poil mal ajustée. C’est sa façon très personnelle d’engager la conversation avec des inconnus dans ce Sunset Limited dont la mission est de nous traîner de Los Angeles à La Nouvelle Orléans en 48h chrono. Pas une minute de plus, pas une de moins. Ce qui relève de l’exploit ! A la fois pour la ponctualité sur une aussi grande distance, que sur la durée du périple sans sortir du pays (où nous conduiraient 48 heures de train depuis Lyon par exemple ?)

Bob est seul mais n’a pas l’intention de se plonger dans un livre comme le font la plupart des voyageurs qui élisent domicile dans le wagon panoramique dès le lever du jour. Non, Bob, qui se dit architecte – ce que doit probablement confirmer la présence de plusieurs stylos et crayons dans sa poche gauche de chemise, artifice d’autant plus étonnant qu’il n’a ni carnet ni cahier avec lui – veut discuter, échanger avec ses semblables. Bob est un électron libre. Il progresse cahin caha dans la voiture secouée par de légers spasmes (tout étant relatif puisque LA-NO, c’est principalement une ligne droite…), s’accrochant là où il peut, se pose sur un siège libre, qu’il fait pivoter vers sa gauche ou sa droite en fonction de ce que lui inspire son nouveau voisin. Une fois son choix fait, il le regarde de façon un peu insistante pour capter son regard et met le magnéto en marche : Where are you from? Il le dit avec un si grand sourire que personne n’ose lui tourner le dos. Tout le monde a pourtant repéré son petit manège, catégorie comique de répétition bien rôdé. Le wagon n’est pas si grand et Bob, enchaînant les prises de contact calibrées comme il mangerait des fraises Tagada, pas si discret. Et comme moi, chacun a bien conscience de la suite qu’il a prévu de donner à cette entrée en matière quelque peu artificielle et impersonnelle donnant parfois lieu à des échanges un peu plus fournis qui, s’ils ont tous la même teneur – origine géographique, destination finale, raison du voyage entrecoupés de oh, de ah et de no way! -, n’en demeurent pas moins uniques. Chacun sa façon d’occuper le temps qui s’écoule…

Share on Facebook

A cet instant, une seule question me vient à l’esprit : suis-je la seule à le voir, là, devant ce stand, à regarder négligemment de quelconques babioles antiques en toc, comme s’il n’était pas mort il y a 35 ans déjà  ? 

Share on Facebook

Une fois n’est pas coutume, je commence par le texte car ce qui suit devrait être un joyeux bazar. Tout comme le sont certains étals de vide-grenier amateur, où l’on trouve tout et souvent, n’importe quoi, parmi lesquels des objets dont nous voudrions nous-même nous débarrasser s’ils nous appartenaient. Et que nous sommes pourtant prêts à acquérir car à 1 €, le « n’importe quoi » prend du galon et peut encore faire des heureux… On se dit : « A ce prix-là, ce n’est pas grave si cela ne fonctionne pas, si cela casse dans dix jours, si je ne le mets pas, si je le perds, si on me le vole, si… Au pire, je le revends au prochain vide-grenier ! ».

Du coup, j’ai loué mon mètre linéaire car, comme avant un déménagement hâtif, j’ai besoin de faire un peu de vide dans mon dossier hebdomadaire où j’accumule les photos envisagées pour ces duos quotidiens. Il y en a quelques unes que je ne peux plus voir en peinture, certaines prennent la poussière, et de nouvelles idées s’accumulent dans les carnets avec d’autres photos… Et puis, ce sont les vacances, cette coupure tant attendue où, comme au 1er janvier de chaque année, nous tentons de prendre de bonnes résolutions (soit dit en passant, c’est simplement car nous avons enfin le temps de nous poser, de sortir la tête hors de l’eau, et donc de penser, que nous essayons de reprendre la main sur notre quotidien pour les mois à venir ; ce que nous appelons communément des résolutions donc). Bref, trêve de bavardage, il est faussement 6h du matin, l’heure de tout déballer sur mon stand et d’essayer de lier ces images, dans l’ordre où elles se présentent à moi alors qu’elles n’ont rien en commun.

C’est parti :

Il faut toujours un point de départ. Une gare aux ombres énigmatiques et un sombre passager fuyant feront amplement l’affaire…

Oublions la gare de la ville où on y danse on y danse et prenons la vedette ! Cet îlot qui, de la crête de Crater Lake, a des allures de vaisseau fantôme (comprenez, on ne le voit pas tout le temps), ressemble, depuis le niveau de l’eau, à un trou noir, une sorte de grotte inversée dans un décor de rêve…

Qui nous ferait ressortir directement dans les ruelles de Kyoto où, un peu avant la tombée de la nuit, les geishas défilent en silence et sous le crépitement des flashs de badauds les attendant au tournant…

Je me suis alors demandé où pouvaient les conduire leurs pensées à cet instant précis où elles n’étaient plus qu’un personnage au visage figé, qu’une icône aux yeux des autres dont ils voulaient rapporter une image à tout prix… Peut-être sur cette plage Quileute de La Push, de l’autre côté de l’océan Pacifique, où reposent ces trois rochers majestueux…

Et où, paradoxalement, on traverse les paysages à vive allure…

Au risque de se heurter à un mur étrangement colonisé par du lichen déshydraté… Heureusement, une manœuvre réflexe permet d’éviter le choc frontal mais elle nous projette directement à l’embouchure de ce nouvel abysse, de cette sombre porte carrée sans fond apparent.

A l’autre bout de laquelle se trouve une plage normande éclairée sporadiquement par des pétards de fête nationale. C’est là que ça se gâte, que je perds le fil et que tout s’enchaîne sans transition ni autre explication que de courtes légendes lapidaires…

Paris, Nuit Blanche… Succès démesuré. Approcher l’installation de Vincent Ganivet relève du parcours du combattant. Lassés, les gens passent à côté sans lui jeter un œil.

Sagrada Familia. La lumière, dont je force volontairement le trait, inonde ce lieu d’une beauté sans pareille provoquant un séisme émotionnel de 9 sur l’échelle de Richter…

Pour le cliché, tout simplement. Impossible de se trouver à un tel endroit sans penser à un calendrier. Cela a quelque chose d’un peu ringard et en même temps, la ringardise a parfois ses avantages…

Sous les poursuites roses, une montagne humaine se lève et fait une hola aussi difficile à saisir que magique à voir… S’ensuit une avalanche d’images non légendées, un mélange de chaud et de froid, d’ici et d’ailleurs, de réalité et de faux-semblant, de proche et de lointain… Des images qui s’enchaînent sans d’autre raison que celle imposée par leurs noms qui s’enchaînent.

Voilà, en un coup d’ailes, c’est fini. Le stand est quasi vide. Je me sens légère tout d’un coup…

Share on Facebook

Share on Facebook

Vous l’avez probablement remarqué et même personnellement expérimenté, nous avons tous une sorte de radar interne se mettant instinctivement en branle et allumant nos warning – merci à notre cerveau reptilien d’être encore actif ! – dès lors qu’une personne pénètre un périmètre que nous estimons intime sans l’être pour autant, un intime. Bien sûr, il peut y avoir des circonstances atténuantes et une tolérance en fonction de la situation dans laquelle nous nous trouvons.

Par exemple, dans le métro à l’heure de pointe ou dans une galerie commerciale un samedi après-midi où nous sommes cernés par des inconnus à l’allure parfois patibulaire, alors que nous devrions typiquement être dans la configuration d’une distance publique voire sociale (soit entre 1,20 m et plus de 7 m entre les uns et les autres), la frontière de l’intime (sous les 45 cm) est souvent franchie sans pour autant que nous nous repassions notre dernier cours de self defense en accéléré. Car si notre cerveau commence par nous avertir « Arouuuu, attention, plusieurs individus non identifiés vont entrer dans votre périmètre de sécurité (oui, mon cerveau me vouvoie, question de respect !) : contact inévitable« , il sait aussi s’adapter « Surtout, ne paniquez pas ! Et poursuivez votre chemin en faisant comme les autres ! » C’est-à-dire donner des coups d’épaule pour se faufiler dans certains pays, ou, surtout ne pas toucher l’autre dans d’autres sous peine de réanimer le dinosaure qui sommeille en lui…

Mais il arrive aussi que vous vous retrouviez avec des gens – des personnes que vous connaissez bien, avec lesquelles vous vous sentez bien, en qui vous avez confiance – ne gérant pas les distances – personnelles a priori, donc, entre 45 cm et 1m20 – de la même façon que vous. Ce qui peut donner lieu à une jolie valse dont vous êtes le/la seul/e à être conscient/e pour la simple et bonne raison que c’est vous qui menez la danse. Et si vous menez la danse, c’est tout bonnement parce que vous trouvez qu’ils sont trop proches de vous voire au seuil de votre distance intime. Gêné/e par cette proximité – qui n’est pas de la promiscuité pour autant -, vous vous sentez obligé/e de reculer d’un pas, ce qui vous replace à une distance que vous jugez désormais raisonnable. Vous pouvez alors poursuivre la conversation sans être perturbé/e par ces centimètres qui vous séparent les uns des autres. Mais voilà qu’en réaction à votre repli, les autres se rapprochent à nouveau, jusqu’à retrouver la configuration initiale. Warning en alerte, vous faites un nouveau pas en arrière en vous déportant un peu sur le côté, en espérant que cette fois-ci, cela leur montera au cerveau. Et bien non ! Car tout cela se fait de façon totalement inconsciente. Pour vous en assurer, vous rééditez même l’expérience – c’est ça, la démarche scientifique – qui se conclut effectivement de la même manière que les deux fois précédentes. Après 5 minutes de ce petit va-et-vient qui vous amuse et vous agace à la fois, vous avez bougé de 5 mètres vers le sud-ouest. Vous êtes bien le/a seul/e à l’avoir remarqué mais vous êtes aussi le/a seul/e à ne plus savoir du tout ce qui s’est dit pendant ce laps de temps, trop occupé/e que vous étiez à chercher à maîtriser l’espace…

Share on Facebook