Photo-graphies et un peu plus…

TOCPM

Il s’agit là d’un trouble obsessionnel compulsif adopté partout partout, car où que vous alliez dans le monde, vous tomberez forcément oeil à oeil avec des gens désireux d’emporter un portrait d’eux, certes devant un monument, un paysage, une statue, un chien, un glacier, une péniche, un lac, un pont, un accident, un arbre, mais surtout en sautant. Le plus haut possible. Et de préférence, en accompagnant cette élévation spontanée – qui, soit dit en passant, se solde chaque année par 23 941 entorses aux chevilles liées à une mauvaise réception sur des sols pas toujours plans – par un ample mouvement des bras. Genre : je suis extrêmement heureux-se d’être ici ! La preuve : je saute de joie ! Il est bien loin le temps où les terriens posaient extrêmement sérieusement – sûrement un peu trop – dans leurs plus beaux habits dans l’intimité feutrée du studio du photographe de famille !

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La carotte

Long et dur légume orange – ou jaune ou violet – traditionnellement prisé des lagomorphes à longues oreilles et indiqué, modulo une petite note d’humour trop rarement appréciée à sa juste valeur, pour calmer les ardeurs des êtres malheureusement acerbes… Ou bien, OAFV – objet à forme variable – exhibé de façon perverse et promis comme récompense officielle à l’issue d’un effort particulièrement remarquable. Ici, cette cascade perdue en pleine nature au pied de cette montagne que vous avez décidé de gravir pour mieux la descendre. Un peu comme les escaliers dans le métro parisien qui se jouent de vous mais en beaucoup mieux.

Cascade à propos de laquelle vous avez donc, au cours de votre marche, eu le temps d’imaginer les mille et une manières dont vous alliez pouvoir en profiter une fois que vous l’aurez atteinte : d’abord vous prélasser sur les rochers alentours en trempant vos pieds dans l’eau sûrement très froide, puis marcher dans le bassin pour vous habituer à la température jusqu’à vous mouiller entièrement, puis vous approcher du bouillon d’eau, puis profiter quelques minutes du brumisateur naturel de la chute, puis vous poster le plus près possible du rideau violent pour sentir les trombes d’eau s’écraser sur votre dos, puis passer derrière la cascade, puis nager dans le bassin, puis…

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De l'inconvénient des déhanchements

C’est bien tentant de voguer de-ci de-là sur sa planche à roulettes en toute insouciance. Encore faut-il avoir pleinement conscience du risque de dissociation voire de dislocation corporelle, certes temporaire mais tout de même, que fait peser cette activité hautement sautillante et elliptique sur tous ceux qui la pratiquent. Pour garantir leur intégrité, ces derniers se doivent également de maîtriser les différentes figures permettant de recoller les morceaux avant de se lancer officiellement ! Et dans le bon sens, de préférence…

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Les bras m'en tombent...

Après tant d’années, il y a prescription. Donc, je vous le dis. Pour arriver là, c’est-à-dire, sur cette plage de galets donnant sur un Océan Indien version 50e hurlants somme toute assez paisible, où se jette sans grand fracas la Rivière des Macaronis, du nom d’une espèce de manchots à aigrettes qui ne sont pourtant pas ceux présents à l’embouchure à cet instant précis – en l’occurrence, des papous -, nous avons feinté. Pire, nous – mes trois camarades de manip’ et moi-même – avons fait le mur pendant deux jours et demi, et, par conséquent, menti, par omission, aux autorités locales miraculeusement hors de portée de VHF.

Notre mission officielle, acceptée : réparer le toit d’une des cabanes de la Presqu’île Ronarc’h, une pure beauté minérale vierge accrochée au sud-est des Iles Kerguelen, à quelques heures de bateau de la base de Port-aux-Français. Notre mission secrète, telle que nous l’avions imaginée et préparée à la lueur de nos bougies et des étoiles plein les yeux, allant jusqu’à cacher notre matériel de bivouac dans des touques : régler cette histoire de toit aussi vite que possible puis déserter ladite cabane afin d’explorer cette majestueuse presqu’île rocheuse, tâter des souilles, des pierriers et des azorelles, jusqu’à atteindre, en particulier, cette Anse de la Caverne énigmatique et magnétique car au bout du bout du monde.

Or, le bout du monde, c’est un peu comme la bouée : lorsqu’il est à ce point à portée de bottes, impossible à l’âme aventureuse d’y résister. Car c’est un appel du vide – après ce piton rocheux et ces falaises, il faut attendre l’Antarctique pour reposer le pied à « terre », ce qui est assez vertigineux quand on vient du continent. Et c’est également un rappel du tout – la Terre est sphérique : par définition, elle n’a donc pas de bout, puisqu’elle ne forme qu’un tout. Et il est parfois bon de s’en souvenir.

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Le dégradé était presque parfait...

… mais une maison, que dis-je, un manoir, enfin, une forteresse s’est mise en travers de mon champ… C’est assurément ce qu’elle a fait de mieux, ce soir là, en plus d’ouvrir grands ses beaux yeux dépareillés !

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Raymond m'appelle

Raymond, je ne l’attendais pas vraiment en fait. Je l’ai trouvée là (oui, oui, vous avez bien lu), sur le bord de la route, la one O one, entre South Bend et Willapa. Au milieu de nulle part. Vraiment. Nulle part. Malheureusement, il y a parfois des « nulle part », qui relient des « part » subjuguants, où l’on est malgré tout obligé de s’arrêter – des escales techniques dans le jargon – car ils sont eux-mêmes cernés d’autres « nulle part ». Et qu’entre un « nulle part » et un autre « nulle part », ma foi, cela reste un « nulle part »… Et généralement, à l’instar de Sheldon qui, d’après Harry, est parfait pour dévitaliser une dent, d’un « nulle part », l’on n’attend absolument rien. De fait, m’arrêter à Raymond pour la nuit, dont le nom déjà, même énoncé à l’américaine, « reillemonde », annonçait la couleur, n’aurait dû me laisser aucun souvenir…

Si je suis là ce soir à vous en causer, c’est que, justement, je me souviens de Raymond. De ses rues désertes, oui ; de son motel resté dans son jus depuis des décennies et refuge d’une faune pas totalement rassurante, un peu aussi ; de son unique dinner ouvert après 7 pm, de l’autre côté de l’autoroute, oui, parfaitement. Car c’est ici qu’est né le souvenir de Raymond. Bien sûr, je ne le sais pas encore en poussant la porte de ce restaurant typique de burger qui incarne la quintessence de l’american way of life, avec ses néons étincelants, ses tables en formica cintrées d’un tour de zinc reluisant et ses chaises en moleskine, son faux plafond et ses ventilos qui brassent l’air chaud… Please wait to be seated. Obéissance même s’il y a l’embarras du choix. Là, ok, sur la banquette. La serveuse, une jeune fille fringante, apporte la carte avec un grand sourire. Elle, pas la carte. Puis s’éloigne. Du français sort de ma bouche. Son oreille se tend. Elle disparaît dans la cuisine, derrière les portes saloon, au fond à gauche sur la photo. Puis revient, prête à prendre la commande, et surtout à poser mille questions :

– Where are you from?

– Paris. In France. In Europe. (En trois temps s’il vous plaît. Parce qu’après plusieurs mois en Amérique du Nord, vous avez adopté cette habitude d’accoler l’Etat à la ville dont vous parliez, comme si, en France, on disait : « J’habite Marseille, PACA. ». La précision est d’autant plus nécessaire ici – mais inutile en réalité, mon accent m’ayant déjà trahie – qu’il y a un Paris en Arkansas, Idaho, Californie, Illinois, Indiana, Iowa, au Kentucky, dans le Maine, le Michigan, le Mississippi, le Missouri, dans l’Etat de New York, en Ohio, Oregon, Pennsylvanie, Tennessee, Virginie et bien sûr, merci Wim, au Texas !

Are you in Raymond for vacation?

– (Là, il s’agit quand même d’être diplomate et de ne pas tenter de traduire cette histoire de « nulle part » qui pourrait vexer la personne en charge de mon dîner) No, no, I am on my way to Seattle.

There’s nothing to do here anyway…

J’invente peut-être cette ultime réponse, mais la mienne l’a, semble-t-il, rassurée quant à ma capacité à discerner le insane du boring. Bref, je vous épargne les 998 autres questions. La donzelle repart vers la cuisine, et tout d’un coup, patratas, un immense cri aigu traverse la porte saloon qui bat encore de l’aile, puis la salle et arrive jusqu’à moi – il est exactement là le souvenir de Raymond, dans ce cri primal totalement inattendu dans l’état actuel des choses et irrésistiblement drôle qui dit : « They’re from Pariiiiiissssssss! »

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L'aspiration

Chemin faisant, ils ont atteint le bord de l’eau, glaciale, et, plutôt que de faire demi-tour au pied de ce mastodonte basaltique, sans prononcer le moindre mot, sans s’échanger un quelconque regard, ils se sont enfoncés plus encore dans cette dense fumée de mer jusqu’à disparaître entièrement…

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S'envoyer en l'air

Le saut de nuage est une nouvelle discipline poético-sportive fraîchement homologuée par le CIDISMS (Comité Intersidéral Des Idées Saugrenues Mais Salvatrices) créée par un groupuscule de rêveurs en réponse à l’absurdité croissante du monde. Il se pratique en plein air, et idéalement par beau temps mais pas trop, l’idée principale étant de réussir, par tous les moyens existants à ce jour et ceux à venir qui nous sont donc encore inconnus, à sauter au-dessus d’un nuage, sans le faire tomber évidemment, tout en déclamant des vers de Baudelaire.

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L'énigme vitale

Parfois, pensées picorées ici et là, au gré de lectures, de conversations, de projections, de visites plus ou moins éloignées dans le temps se connectent miraculeusement les unes aux autres pour nourrir des territoires de réflexion encore confidentiels… Ainsi, si l’on reprend le fil de la chronologie, il y a plusieurs mois, j’ai lu que nous nous souvenions de 80% de ce que nous faisions et voyions, et seulement de 20% de ce que nous lisions. Vous savez comme moi que toute information extérieure reçue est passée au crible de nos perceptions, de nos a priori, de nos certitudes. En cela, l’objectivité n’existe pas ou si peu, et nous serons toujours tentés d’interpréter ladite information en fonction de la résonance qu’elle a en nous et, en particulier, de sa façon de nous conforter dans nos propres pensées. Ce « biais de confirmation » est un biais cognitif bien connu… De fait, personnellement, cette répartition statistique du souvenir – ou plutôt de ce qui reste le plus longtemps présent en mémoire – renforce cette idée qu’il faut vivre et voir un maximum de choses, a fortiori, qu’il ne faut pas s’arrêter de voyager, de découvrir le monde et les autres, d’une part pour être à la hauteur de cette chance d’être en vie sur une planète qui ne se résume pas à un simple point, d’autre part, pour essayer de les comprendre. Cette subjectivité est totalement assumée, et laisse même entendre que l’important, dans la vie, est de ne pas oublier. Il faut encore que j’y réfléchisse.

Continuons. Il y a quelques semaines, j’ai noté dans mon carnet du moment cette phrase extraite du dernier livre de Jérôme Ferrari, Le principe : « On essaye de comprendre les choses à partir de sa propre expérience parce que c’est tout ce dont on dispose et c’est, bien sûr, très insuffisant ». Il parle là de physique, le principe du titre étant le principe d’incertitude, ou d’indétermination, énoncé par Werner Heisenberg en 1927, qui stipule qu’il est impossible de connaître simultanément la position et la vitesse exactes d’une particule (quantique). Une vraie révolution scientifique par ailleurs. Mais, là encore, ce que je retiens de cette phrase sortie de son contexte tout à la fois fictionnel et épistémologique, est que pour être en mesure de comprendre les choses, il faut les vivre. Ce qui nous ramène aux statistiques ci-dessus et à ma première conclusion. CQFD. Je pourrais m’arrêter là et acheter mon prochain billet d’avion, de train, ou ma bicyclette, ou de bonnes chaussures de marche pour aller vivre, donc comprendre, puis me souvenir.

Mais peu de temps après, je découvre la belle série d’entretiens de personnalités ou d’anonymes publiée dans Le Monde cet été sur la question, obsessionnelle à bien des égards, du temps. L’exergue-titre de celui du philosophe Patrick Viveret, un nom prédestiné, fait l’office d’une petite bombe à fragmentation (image purement spéculative si l’on relit bien la phrase de Ferrari : d’ailleurs, dans la réalité, bien loin des images littéraires, je ne voudrais pas connaître cette sensation !) : « Il faut accepter de ne pas tout vivre ». Il y a bien sûr un avant et un après à cette phrase, une nouvelle fois tirée de son contexte, comme si elle venait logiquement s’insérer à la suite de celle du Principe, qui elle-même répondait aux statistiques. Alors que tout s’accélère, que nous avons chaque jour l’illusion de pouvoir en faire de plus en plus grâce à des artifices technologiques, que parfois, alors même que nous nous plaignons du temps qui passe, nous nous pensons toujours un peu immortel et donc avec la vie, infinie, devant nous, cette phrase de Viveret est un brutal retour à la réalité. Car elle nous dit tout simplement, même si cela se complique ensuite : il faut faire des choix. Or, faire des choix, c’est accepter de mourir. Et donc, de vivre…

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Tête en l'air

On peut affirmer, sans faire ombrage à mes illusions, que je suis une femme de ciel en général, et de nuages en particulier. Comme avec les parfums de glace, en matière de nuages, certes vaporeuse et insaisissable, j’ai mes préférences voire certains chouchous. Et, s’ils ne sont pas au sommet de ma playlist ouatée, ces petits cumulus – enfin, vus d’en bas – n’en sont pas très éloignés. A bien y réfléchir, ce n’est pas tant le cumulus pris individuellement – une tâche blanche aux contours indéterminés en navigation libre dans le ciel – que l’ensemble formé par une multitude de cumulus qui me procure une grande joie et une paix intérieures, comme si l’ordre des choses était rétabli et qu’avec une telle voûte au-dessus de ma tête, rien de grave ne pouvait vraiment arriver (ce qui est très naïf au demeurant, les pires horreurs étant aussi perpétrées par beau temps)…

Je crois avoir compris la raison de cette sereine sensation il y a peu. Ces nuages-là, avec leur forme si singulière et plurielle à la fois qu’elle semble avoir été designée par les meilleurs artistes locaux, et à la répartition si équilibrée qu’on jurerait qu’elle a fait l’objet d’un plan « caelumistique » – l’urbanisme du ciel – de haute voltige, sont ceux de notre enfance, quelle qu’en soit l’époque. Et plus précisément, ceux de nos dessins d’enfant – si, si, regardez sur votre frigo, dans vos placards, sur vos murs, dans vos tiroirs voire au fond de vos poubelles (ne culpabilisez pas, personne ne vous en voudra : vous ne pouvez pas tout garder !) – alors que nous posons encore un regard enchanté, pur et simple sur le monde qui nous entoure, et que les nuages ne sont jamais menaçants, mais juste une jolie décoration dans un ciel bleu. Il y a un je-ne-sais-quoi d’artificiellement parfait dans ces panoramas, qui, passée l’enfance, sans en être nostalgique pour autant, s’apparente à un refuge intimiste.

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