Photo-graphies et un peu plus…

L'injustice visuelle

L’autre jour, une étrange pensée m’a traversé l’esprit : sauf pathologie ophtalmique particulière, les êtres humains ont tous – modulo quelques degrés – le même champ visuel horizontal. 180 degrés au maximum en vision binoculaire. Presque rien ne devrait nous échapper… Enfin, si, tout ce qui se passe derrière… Bref, à cet égard, ce champ de vision fait donc partie des constantes intrinsèques du corps humain, avec, dans le meilleur des cas, deux bras, deux jambes, une tête, deux yeux, deux oreilles, un nez, une bouche… vous voyez le topo !

Une autre pensée étrange est alors venue s’immiscer dans mon fil interrogatif : pourquoi le champ visuel ne serait-il pas corrélé à l’ouverture d’esprit des gens ? Cela pose évidemment une troisième question : comment se mesure objectivement l’ouverture d’esprit de quelqu’un ? Car, en l’espèce, il n’y a pas réellement de référentiel universel. Nous naviguons dans le subjectif, à comparer des ODE relativement à la nôtre ou à celles de personnes que nous connaissons, et que nous avons de toute manière tendance à comparer à la nôtre. Mais, mettons cette question d’échelle d’objectivité de côté pour le moment. Elle n’empêche en effet pas de continuer à s’interroger théoriquement. Aussi, si je vais au bout de l’idée sous-jacente de cette deuxième question, pourquoi donc une personne étroite d’esprit voit-elle à 180 degrés alors que, manifestement, cela ne lui sert pas à grand chose ? Pourquoi n’a-t-elle pas physiquement un champ visuel restreint, l’obligeant à tourner la tête pour embrasser le reste du panorama ? Parce qu’il y a toujours de l’espoir ? Parce qu’un champ visuel réduit la conforterait assurément dans sa vision partielle du monde (ce qui est finalement assez logique) ? Ou tout simplement parce que le cahier des charges était déjà suffisamment complexe pour, en plus, introduire ce genre de paramètres ? Evidemment, aucune réponse sensée à ces questions spéculatives… Quoiqu’il en soit, cela reste toujours moins désagréable et moins frustrant de ne pas avoir de réponses à des questions qui n’ont pas à se poser !

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Quel que soit l’endroit dans le monde – ici, Tokyo où tout semble parfois optimisé, parfois jusqu’à l’absurde -, il semblerait que ce soit toujours la même chose : pour une personne qui travaille réellement, il y en a 5, 6, 7 autres qui font les inspecteurs des travaux en cours et l’observent faire, tout en maintenant bien les bras croisés dans le dos. Il ne faudrait pas donner l’impression que leurs mains puissent être utiles…

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The corner café

Typiquement, une nouvelle illustration de cet insoluble équation de la poule et de l’oeuf, bien qu’ici, il suffirait de compulser le cadastre de la ville pour en avoir le coeur net ! En l’état, ce café porte extrêmement bien son nom – The corner cafe – même s’il n’est pas d’une extravagante originalité – 339 000 occurrences en moins d’une seconde pour le mooteur de recherche quand même, ce qui ne signifie pas qu’il en existe autant mais cela donne une idée, que l’on est d’ailleurs en droit de relativiser dès lors que l’on découvre que « Le cheval blanc » par exemple – patronyme qui s’exporte difficilement hors des frontières de l’hexagone contrairement au Corner Café – dépasse le million de résultats, ramené à 200 000 si l’on ajoute un filtre… café…

Mais revenons à Londres. La position, centrale, quasiment insulaire, de ce bloc interroge – comme tout pitch digne de ce nom –  le quidam de passage pour qui n’existe que le présent. Ce presque cube esseulé l’a-t-il toujours été ou est-il le reliquat miraculeux d’une destruction périphérique ? Interrogation parallèle (et en réalité la première), ce café porte-t-il ce nom depuis toujours ou est-ce contextuel ? Dans le premier cas, au-delà de l’étrangeté urbanistique, le café occupe néanmoins deux coins et mérite donc bien son nom. Dans le second cas, on peut imaginer qu’une autre maison ou un autre immeuble était accolé(e) à la façade droite : le café perd un coin mais il lui en reste un. Et Corner Café lui sied toujours. Bref, si la question est légitime – je me promène, je suis là pour m’étonner de ce que je vois, en somme, pour m’interroger, ce qui comprend les détails insignifiants -, finalement, la réponse n’a pas beaucoup d’intérêt… Cela arrive, parfois.

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La ville se couche

Il faut presque côtoyer les nuages pour pouvoir être témoin de cet étrange spectacle où les géants de verre des cités modernes, plutôt discrets par nature malgré leur taille, tirent leur révérence, troquent la verticalité pour l’horizontalité et se détendent de tout leur long quelques heures durant avant de se remettre au garde à vous…

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Cela peut arriver n’importe où, n’importe quand, et même à n’importe qui… Tout d’un coup, alors que vous êtes tranquillement en train de dérouler un récit palpitant à votre camarade de marche, c’est le trou noir complet. Le blanc total. Vous ne savez plus ce que vous deviez dire, vous ne savez plus où vous vouliez en venir, vous avez beau chercher, vous avez perdu le fil de votre pensée. A fortiori, de la discussion. Petit aparté : il est assez paradoxal, quand on y réfléchit un tant soi peu, que l’absence momentanée – celle de l’oubli – soit à la fois associée au noir et au blanc, que l’on a plus souvent tendance à opposer.

Savez-vous ce qui se passe en réalité dans ces moments-là ? Vos pensées sont en fait attrapées au vol par ces reflets lumineux jaillissants des fenêtres – ces fameux « blancs » – qui donnent cette étrange sensation que les immeubles nous envoient des clins d’oeil. L’amnésie est diversement longue ou courte, et ne dépend d’ailleurs pas de vous, mais du soleil. S’il est présent ou absent. Et, telle une porte magique, dès que le reflet se referme sur lui-même, – parce qu’il n’y a plus de rayons par exemple – les idées en suspens s’extirpent du grand blanc et regagnent idéalement ceux qui les ont émises s’ils sont encore dans les environs. A défaut, elles viennent alors traverser l’esprit de personnes passant par là et qui ne comprennent pas, pourquoi, tout d’un coup, elles se mettent à penser au Jardin des Tarots de Nikki de Saint Phalle en Toscane alors même qu’elles n’en ont jamais entendu parler !

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L'image latente

Le photographe est un chasseur-cueilleur pacifique. Nomade, il commence par sillonner un territoire en quête d’un site où trouver de quoi nourrir son inspiration. Il choisit alors de se poster à un endroit spécifique qu’il définit comme stratégique afin de capter et de capturer sa cible. Et il patiente. Il patiente même parfois très longtemps, sans ciller ni désarmer, car il ne sait pas toujours ce qui peut traverser son viseur ni si cela se reproduira. Ce dont il a parfaitement conscience en revanche, c’est que ce moment sera certainement fugace et qu’à ce titre, il requiert agilité et promptitude. A l’affût il est, donc. Fort heureusement, de temps en temps, son endurance est généreusement récompensée. Ce qu’il espérait s’infiltre subrepticement dans son champ visuel et le voilà qui se fait cueilleur…

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C'est la jungle !

 Si la très grande majorité des personnes se rendent au Victoria Peak et en descendent en empruntant l’un des plus vieux funiculaires au monde, et, en tout cas, le plus raide, il est aussi possible, modulo un peu de temps, de souplesse et de sens de l’orientation de retrouver le niveau de la mer en empruntant un dédale de ruelles, lequel s’engouffre, après un moment, dans une forêt tropicale. Là, au détour de lianes, de feuilles de palmier et d’une végétation luxuriante, une fenêtre s’ouvre sur la jungle urbaine dans une juxtaposition si étrange qu’on la penserait irréelle… Et pourtant…

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Cette photo est visible en papier et en encres à l’édition 2018 de Photo Doc., la foire de la photographie documentaire, qui se tient du 4 au 6 mai à la Halle des Blancs Manteaux à Paris et à laquelle je participe avec mon collectif Les 4 Saisons. Il s’agit d’une expo-vente, au cours de laquelle je proposerai également des livrets sur Hong Kong, sur Hoï An, sur Hiroshima et sur Jiufen à Taiwan.

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Le cauchemar éveillé

L’autre nuit, je me suis réveillée en sueur et sursaut ! Un cauchemar ! C’est rare pourtant ! Vous allez rire mais j’étais piégée dans un centre commercial. Le paradis pour certains. Je déteste les centres commerciaux. En fait, j’étais même coincée dans un centre commercial de Hong Kong. Donc grand. Et de luxe. C’était en fin de journée, il faisait nuit, mais on ne pouvait pas vraiment le savoir car il n’y avait évidemment aucune fenêtre ou baie vers l’extérieur, tout baignant dans une lumière artificielle blanche et froide en permanence destinée à plonger le consommateur dans une bulle hors du temps. J’avais naïvement pensé que traverser le Mall plutôt que le contourner me ferait gagner du temps. Toutes les boutiques étaient fermées (ce qui n’est pas la raison pour laquelle je qualifie cette expérience de cauchemar), il n’y avait quasiment plus personne, hormis ceux qui filaient prendre le métro dans les sous-sols, et cela faisait bien une demi-heure que je tournais en rond dans les allées, passant jusqu’à trois fois devant les mêmes mannequins narquois, dédaigneux et propres sur eux, à chercher une sortie piétonne pour m’extraire de ce monde factice. Je n’arrêtais pas de me répéter : « mais bon sang, ce n’est pas possible qu’il n’aient pas prévu de simple sortie vers l’extérieur dans ce fichu centre ! » C’est une phrase longue à ressasser, c’est vrai, et à un moment, elle s’est résumée à la répétition d’un gros mot commençant par p et se terminant par n. Flûte flûte flûte ! Voilà, c’est ça… Je commençais à avoir des sueurs froides, je m’imaginais forcer une sortie de secours et déclencher une foule d’alarmes tonitruantes, je cherchais par où j’étais entrée mais ne trouvais plus mon chemin, je pestais contre le capitalisme, le consumérisme à outrance, l’aveuglement collectif, j’accélérais le pas, je tentais de repérer une signalétique compatissante, j’avais de plus en plus chaud, je me suis réveillée en nage ! J’y suis retournée tout de suite ! Il était hors de question que je finisse mon cauchemar enfermée dans un centre commercial ! Je me suis mise en quête du parking, pensant, à juste titre,  qu’ils avaient forcément prévu une sortie pour les voitures ! Qu’ils ne pensent pas aux piétons, c’est une chose, mais aux voitures, impossible ! Et en effet, après un bain forcé et prolongé dans le monoxyde de carbone et quelques pas hasardeux entre des Tesla, et donc 45′ d’errances inutiles, j’ai enfin réussi à me faufiler hors de ce temple maudit (mais sans les gâteaux secs)… Le plus drôle a posteriori dans cette histoire ? Le cauchemar était éveillé puisque tout cela est vrai ! Méfiez-vous des centres commerciaux si vous allez à Hong Kong, eux seuls ont réussi à me faire sortir de mes « gongs » !

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Hong Kong Vertigo

En cherchant et choisissant ce titre, je pense soudainement à Stephen Hawking, décédé aujourd’hui, et dont La brève histoire du temps – d’abord le livre puis le documentaire – a marqué ma fin d’adolescence et les années qui ont suivi, mais aussi contribué à mon rêve d’alors de devenir astrophysicienne. Ce dernier n’a, d’un commun accord, pas survécu au monde réel, ce qui, fort heureusement, ne m’a jamais empêché d’avoir la tête dans les étoiles. Je me souviens en particulier être ressortie de cette salle de cinéma sur les Champs Elysées avec une question en tête, posée dans le film : qui de l’oeuf ou de la poule est arrivé en premier ? Bien des années après, j’ai d’ailleurs pu illustrer photographiquement et fortuitement cette question légitime et sans réponse en descendant les marches d’un escalier de Portland, Oregon.

Mais ceci n’est qu’une digression. Pas encore du détournement d’attention car je n’ai rien à vous vendre ni à vous cacher. Ceci dit, cette digression a de la suite dans les idées et le titre du best-seller du physicien lui fait curieusement écho. J’allais en effet écrire une énième fois que le temps passe vite, et que là, quoi que l’on en dise, était manifestement sa nature. J’en veux pour preuve scientifique que personne n’a jamais entendu quelqu’un lancer : « Par les temps qui marchent » ou encore « Par les temps qui traînent ». En revanche, « par les temps qui courent » est passé dans le langage… courant… Nous sommes bien d’accord ! Ce qui nous conduit à cette image, que je perçois aujourd’hui comme un étrange paradoxe. Voyez plutôt : ne trouvez-vous pas étonnant que pour montrer que le temps passe vite, en somme qu’il file comme l’éclair, il faille justement prendre son temps et faire une pose longue ?

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Le crochet hongkongais

L’île de Hong Kong a un côté pile – la mégapole vibrionnante archi saturée que l’on imagine sans effort – et un côté face – un littoral globalement paisible avec des plages de sable blond très prisées le week-end, des promenades longeant l’eau, des pieds-à-terre avec vue sur mer et même un bout de montagne verte que l’urbanisation galopante et trébuchante effacera assurément d’ici quelques années. Il faut imaginer ici d’autres immeubles de 25 étages de part et d’autre de ceux-là, auxquels s’ajoutent des maisons accrochées aux collines… Dans cette espèce de non-sens architectural auto-destructeur – aveuglés, les promoteurs réduisent progressivement à néant ce qui faisait l’intérêt de ce côté face : la nature y était reine – et d’irrespect apparent à l’égard de la terre, surgit une étrangeté. Un trou. Une béance volontaire au coeur de l’un de ces géants de béton armé. Car, sans ce trou, figurez-vous que le dragon vivant pacifiquement dans la montagne ne peut plus aller se jeter à l’eau pour se rafraîchir ; sans ce trou, l’énergie vitale ne peut plus circuler entre les hauteurs et l’océan. Cet espace vide incarne à lui seul ce paradoxe incroyable, et difficilement assimilable, entre la persistance de cet art millénaire noble à l’approche holistique visant l’harmonie – les principes du Feng Shui – et cette propension contemporaine à vouloir dominer son environnement par la force. Comme si ce bout de rien suffisait à compenser cette envie de tout…

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