Photo-graphies et un peu plus…

Il y a quelque chose d’étrangement trompeur dans cette photographie. Tout semble être irrésistiblement attiré vers le ciel par une sorte de gravitation inversée s’exerçant sur chacune de ses composantes. Une force si puissante qu’elle déforme, qu’elle étire tout, buildings, tour, sculpture, arbres… Rien n’y résiste. Tout devient élastique et malléable. On s’attendrait presque à les voir s’arracher de terre, déracinés, littéralement aspirés par cette force invisible.

Ce n’est pourtant qu’une illusion, une impression conditionnée par la forme élancée de tout ce qui se retrouve dans notre champ de vision et ce, sans qu’un quelconque élément de l’image vienne apporter de repère habituel et ainsi alerter nos sens. Cette sculpture de dos, une tête en fait, au visage parfait, c’est elle qui, dès le premier regard, jette le trouble. Du fait de ses proportions, anormalement allongées, bien sûr, mais surtout de la sérénité qui s’en dégage, sérénité que le tumulte enivrant de la ville qui ne s’arrête jamais ne parvient pas à altérer…

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Vous vous dites peut-être que je n’ai absolument rien compris à cette œuvre de Felice Varini, dont la force est de (réussir à) nous faire croire qu’une figure bidimensionnelle flotte dans l’air alors, qu’en réalité, elle est partitionnée et savamment répartie (c’est-à-dire mathématiquement) sur des volumes, la perspective se chargeant de parfaire l’illusion. Evidemment, comme tout le monde, j’ai cherché ce point, au sol mais invisible, depuis lequel tous ces morceaux épars allaient magiquement se rejoindre et ne faire qu’un, un peu comme lorsque Mars, Vénus, Saturne, Mercure et Jupiter se retrouvent exceptionnellement alignées dans le ciel (la dernière fois, c’était en 2002 et la prochaine est pour 2040).

Comme tout le monde, après l’avoir trouvé, le fameux point V, j’ai hissé ma boîte à images à la hauteur de mon œil droit et j’ai déclenché. Et, sans surprise, j’ai capté l’illusion et ai obtenu l’image que j’avais vue partout avant de venir, dans les médias, qu’ils soient réels ou virtuels. Mais aussitôt après, j’ai eu un étonnant réflexe, plus, une envie irrépressible : faire trois pas sur le côté pour (d)étendre les formes (et aussi me décoller du point où tout le monde se pressait un peu mécaniquement) et voir à quoi ressemble le monde avec un regard un poil décalé… C’est pas mal aussi !

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Le problème avec les avantages est qu’ils sont souvent accompagnés de leur corolaire, les bien-nommés inconvénients. Avant de prendre une décision aux conséquences potentiellement importantes en effet, n’avons-nous pas tendance à dresser une liste des « pour » et des « contre », des « avantages » et des « inconvénients » donc ? Et ainsi à justifier notre décision finale sur la base d’une simple opération mathématique : additionner les +, faire de même avec les – et suivre la voie du plus grand nombre. Comme ça, sans état d’âme. Le calcul peut aussi être un peu plus subtil (et de fait complexe), avec l’instauration d’un système de coefficients, un peu comme au baccalauréat. Tel avantage compterait 6 points, tel inconvénient – juste un petit, y a pas mort d’homme – 1 point etc… On aborde alors un autre point important que sont les priorités. Evidemment, si un choix ne pouvait être accompagné que d’avantages ou d’inconvénients, la vie serait bien plus facile. Il n’y aurait d’ailleurs peut-être pas de mauvais choix ! Encore que les avantages des uns sont parfois les inconvénients des autres… Toujours est-il que, dans la vie réelle, il faut souvent composer avec les deux.

Par exemple (c’est important d’illustrer ce que l’on avance avec des exemples, c’est plus parlant), par exemple donc, Paris. Paris est une ville qui cumule les avantages. Ses loyers modérés, ses habitants aimables, son climat tempéré, son bruit maîtrisé, ses cafés crème à 4€, ses automobilistes bienveillants, ses trottoirs propres, son air pur, ses espaces verts… J’arrête là sinon, tout le monde va débarquer ! L’avantage que l’on ne peut ôter à la capitale, indépendamment de toute ironie, est qu’il est impossible de s’y ennuyer. Et je parle plus spécifiquement du bouillonnement culturel qui saisit presque chaque quartier. Ce foisonnement (qui est aussi un inconvénient, il ne faut pas se leurrer : chaque soir, vous avez le choix entre 572 films, 1 745 pièces de théâtre, 839 concerts… je vous laisse statuer maintenant !), c’est ce qui retient certains parisiens pourtant prêts à quitter la ville lumière : « j’peux pas quitter Paris… le cinéma, le théâtre, les musées, ça m’manquerait trop ! » Etant entendu que parmi ceux-là, il y en a une proportion non négligeable qui ne va ni au ciné, ni au théâtre, ni au musée… mais qui aime l’idée d’avoir toute cette offre à portée de mains. Au cas où.

Pour ceux qui en profitent, la tâche n’est pas forcément plus facile. Il y a la profusion sus-mentionnée d’une part, et le succès de certaines opérations d’autre part qui transforme le plaisir fantasmé en calvaire avéré. Quelques souvenirs de Nuit Blanche, de Paris Plage, de Fête de la Musique, de Journées du Patrimoine, pour ne citer que les plus institutionnelles et récurrentes, remontent à la surface avec leurs rues congestionnées, l’attente indéterminée, les bousculades, les agacements et finalement, les reculades… C’est aussi valable pour les expositions temporaires exceptionnelles qui font faire des nuits blanches, des vraies, aux gardiens pour permettre à une foule en délire avide de culture de découvrir Nighthawks d’Edward Hopper ou L’âne pourri de Salvador Dali…

Ces derniers jours, c’est le street art qui aimante les foules avec la Tour Paris 13, immeuble promis à la démolition dont une trentaine d’appartements a été reconvertie en temple temporaire du graff par une centaine d’artistes venus des quatre ronds du monde. Une belle initiative malheureusement victime de son succès imputable à l’écho médiatique qui a entouré l’événement (« la Tour 13, la plus grande expo de street art du monde ! ») : y accéder requiert une abnégation totale. Il y a d’abord la jauge, pour questions de sécurité, qui limite à 49 le nombre de personnes présentes dans l’immeuble simultanément, invitées, par décence et pitié pour les autres, à ne rester qu’une heure à l’intérieur. Résultat : le succès + la jauge + l’heure que personne ne vérifie = des heures d’attente ! Et pas 1, ni 2 sauf pour ceux qui pointent à 6h du mat alors que les portes n’ouvrent qu’à 11h, mais, 5, 6, 7 voire 8 heures sans, parfois, la certitude de pouvoir entrer… C’est absolument inhumain !

Certains s’y sont repris à deux voire trois fois avant de passer la porte de l’immeuble ; d’autres arrivent la bouche en cœur à 18h en pensant que ça suffit et se heurtent à une petite pancarte leur annonçant qu’à ce panneau, il faut compter 4h d’attente… l’immeuble avalant ses derniers explorateurs à 19h15, vous faites le calcul, c’est raté, ce qui engendre des séances de pleurs insupportables… On capte des stratégies qui s’élaborent entre des petits groupes de personnes qui s’y sont pris trop tard comme s’ils se préparaient à partir à l’assaut du château de l’ennemi : « Moi, je suis prête à revenir demain matin à 7h s’il le faut et à attendre toute la journée ! »… Balèze Blaise ! Et puis il y a ceux qui ont décidé de rester coûte que coûte – en l’occurrence du temps -, qui finissent par sympathiser avec leurs voisins de queue – 8 h d’attente, ça rapproche -, qui ont apporté sandwich et boisson, qui croisent les doigts chaque mètre passé espérant des désistements, des évanouissements, des crises d’hystérie devant pour libérer un peu de place prématurément, et qui finissent par atteindre le palier dans un état de folie avancée, folie qu’ils immortalisent par un clic clac dispensé par les responsables sécurité couleur mandarine avant de disparaître à jamais dans les arcanes de l’art…

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Moi qui croyais presque passer inaperçue derrière mon viseur… Que d’illusions perdues ! C’est un peu comme l’autruche qui plonge sa tête dans le sable en pensant – même si imaginer qu’une autruche puisse penser peut sembler étonnant – qu’ainsi, on ne la remarquera pas. Sauf que cette idée, qui les fait par ailleurs passer pour de stupides animaux depuis Pline l’Ancien, est fausse. Si elles enfoncent bien leur tête dans la terre, c’est surtout pour aller y puiser quelques vers et autres friandises protéinées, voire se protéger des tempêtes de sable… Logique imparable !

De fait, si je cale mon œil derrière le viseur de mon appareil, ce n’est pas pour disparaître aux yeux de mes prédateurs potentiels mais bien pour prendre une photo. Parfois en tentant d’être discrète face à des inconnus, comme ici. Et en échouant, comme ici aussi. Ceci dit, cet échec-là a du bon. Car en saisissant mon intention de l’extraire de ce miroir à facettes et en me fixant ainsi avec ce regard démultiplié à la fois interrogateur et bienveillant lançant des « je t’ai vu, je t’ai vu, je t’ai vu me regarder » à l’envie, Pierre – appelons-le Pierre, il a une tête de Pierre non ? – m’a offert une composition inespérée : un ricochet d’œillades que Virginie – oui, appelons-là Virginie, elle a une tête de Virginie non ? – est venue compléter non sans une certaine méfiance, lui lançant, à lui, une salve de « je t’ai vu, je t’ai vu, je t’ai vu la regarder »… A posteriori, c’est-à-dire maintenant, j’en suis toute ébaubie !

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J’aime beaucoup ce que cette dame, profitant de sa pause pour arpenter le salon du moment installé à la Bourse du travail, a fait avant que je ne la prenne malgré tout en photo car je m’imaginais déjà écrire sur ce qu’elle avait fait, que j’avais observé avec amusement, sans pouvoir le capturer car totalement impromptu et inattendu. Heureusement, l’image peut être déconnectée du récit. Cette dame s’est arrêtée au niveau du stand de la galerie précédente, comme là, en veillant bien à rester de l’autre côté d’une frontière invisible qui marquerait son entrée, elle a jeté un regard circulaire sur ce qui était présenté sur les parois temporaires et puis, prise d’un insondable dépit, a haussé épaules et sourcils avant de poursuivre son chemin pour donner une deuxième chance à l’art contemporain… Mais nous ne sommes pas dans un film hollywoodien, où tout se finit toujours bien : aucun roulement d’épaule cette fois-ci, mais un coup d’œil rapide manifestement destiné à confirmer ce qu’elle commençait à penser : « C’est n’importe quoi ! » suivi d’un demi-tour dare-dare car c’en était déjà trop… Face aux « C’est magnifique ! » de rigueur côté visiteurs officiels et à leurs interprétations farfelues quant aux intentions probables des artistes contemporains (que je ne jette pas avec l’eau du bain), ce petit moment de vérité et de fraîcheur était un vrai délice…

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