Photo-graphies et un peu plus…

Le rocher

Dans quelles proportions les souvenirs se déforment-ils avec le temps ? Lorsque, exemple parmi d’autres, entré dans le monde adulte, nous retournons en des lieux visités ou habités ou aimés enfants, nous nous faisons souvent cette réflexion commune et quasi universelle : « c’était plus grand dans mon souvenir… ». Une simple phrase ou une phrase simple qui illustre la relativité des impressions, comme si elles étaient proportionnelles à notre taille, nous plonge dans les abîmes d’un monde à jamais envolé (au moins de façon temporelle), et nous force à douter de la réalité de tous ces autres souvenirs qui viennent, parfois, faire scintiller notre mémoire comme des lucioles éclairent la nuit.

Ainsi, en arrivant sur cette plage corse en fin de journée, face à cette mer calme habillée d’un camaïeu de bleu et à cette masse rocheuse à l’horizon, que la distance au rivage rend petite alors qu’elle est, contrairement aux souvenirs d’enfants, bien plus grande en vrai, ai-je décrêté que c’était celle vers laquelle nous nous étions élancés, avec quatre amis, un peu inconsciemment – jeunes quoi ! – quasiment 20 ans auparavant. Le soleil avait sans doute un peu trop chauffé nos têtes, pourtant raisonnablement bien cortiquées, pour que, non seulement, nous fomentions ce plan d’aller nager en pleine mer vers un îlot sans grand intérêt à quelques centaines de mètres du bord, mais surtout que nous ne nous arrêtions pas à l’idée de le faire. Car si l’atteindre semblait être l’objectif premier de ce défi que nous nous étions lancé à nous-mêmes, en revenir en était un autre que nous lancions à nos corps plus habitués aux allers-retours en piscine avec pause au pire tous les 50 mètres qu’à un long trajet sans répit possible dans des eaux dont nous ne voyions pas le fond…

Finalement, tout s’était bien passé, nous avions croisé quelques plaisanciers étonnés en chemin, nous demandant si nous avions besoin d’aide, nous avions fait plusieurs fois la planche pour nous reposer, nous nous étions agrippés tant bien que mal à une roche coupante ne se laissant pas aborder avant de refaire le chemin en sens inverse, et de débarquer sur la plage de sable blond, tels des explorateurs, pour nous allonger et faire une sieste bien méritée. Ou peut-être pas. Comme ce rocher, là, au fond, en est sans doute un autre. Mais qu’importe au final. Il sera désormais celui de nos exploits de jeunesse.

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Contrainte forte

Le panneau est on ne peut plus clair : ne peuvent monter dans ces taxis jaunes que des hommes chauves arrivant de profil à la portière. En plus d’être contraignant, c’est très sexiste et discriminatoire !

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FDM

Vous est-il déjà arrivé de penser à la fin du monde ? Statistiquement, la fin du monde – de ce monde incarné par notre planète bleue et de tout ce qui y vit – est assimilée à une catastrophe. A certains égards, c’en est effectivement une. Quant aux catastrophes, elles sont elles-mêmes associées à une iconographie purement imaginaire et conceptuelle très précise. J’insiste sur le « imaginaire ». Le contraire signifierait que la fin du monde a déjà eu lieu, que certains d’entre nous ont survécu, enfin, au moins moi qui écris ces lignes, qu’une connexion internet a miraculeusement résisté, mais que, comme Robert Neville dans I am a legend ou les héros père et fils de The Road, du roman de Cormac McCarthy, personne ne sait où sont les autres, combien ils sont et surtout, s’ils ne sont pas devenus complètement fous, barbares, zombies, cannibales, psychotiques, en résumé, totalement infréquentables.

Dans ces fins du monde là, les océans débordent, la Terre craque comme un puzzle jeté en l’air, les cieux sont plombés par de funestes nuages, des rafales de vent balayent tout sur leur passage, des murs de feu s’étendent sur des hectares, des déluges inondent les terres contaminées et s’abattent sur nous, petites choses vivantes totalement insignifiantes et désarmées face au déchaînement des 4 fantastiques – eau, terre, air, feu -, des super héros au sens propre puisque, assaisonnés d’un peu de poussières d’étoiles, ils sont à l’origine de toute vie sur Terre. Ce qui n’est pas une bagatelle, vous en conviendrez aisément ! Cette colère, nous l’avons peut-être déclenchée en nous mettant en sous-vêtement devant un volcan sacré, en épuisant les ressources naturelles de notre hôtesse, ou en étant incapable d’imaginer que tout cela – les oiseaux, les montagnes, la ligne 13 (parisian joke) – puisse vraiment avoir une fin parce que, nous avons beau passer notre temps à nous projeter dans le futur en permanence, nous vivons toujours comme si aujourd’hui était éternel…

Bref, voici donc les ingrédients classiques d’une fin du monde réussie. Je trouve cela un peu triste, banal et finalement assez prévisible. Me voilà donc à rêver d’une fin du monde ensoleillée, à déguster une boule de glace au sésame noir, en observant des coccinelles à 7 pois se poser sur des renoncules blanches. Personne ne s’y attendrait, personne n’aurait le temps d’avoir peur, la fin du monde passerait comme une lettre à la poste – ce qui n’est plus forcément une référence infaillible aujourd’hui, mais c’est un autre débat. Donc, soleil, sésame, coccinelles et renoncules. Et clap, fin du monde, ce serait fini ! Ni vu, ni connu !

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Dans la vie, il y a au moins deux postures – ce qui, en soi, est rassurant car cela signifie que nous avons le choix. La première : attendre, plus ou moins sagement, que ce que nous attendons, voire espérons, survienne. Cela ne signifie pas pour autant que nous attendions passivement. A nous, en effet, de créer les conditions d’une attente intelligente, favorisant la survenue de ce quelque chose, défini ou pas. En revanche, cette première posture requiert de s’armer, d’une part de patience car, comme le dernier souffle, impossible de savoir précisément quand cela arrivera, et, d’autre part, de son corollaire, la persévérance – certains attendent toute leur vie quelque chose qui, au final, ne se sera jamais présenté, mais pour autant auraient-ils agi autrement s’ils avaient su ? – voire l’optimisme – il faut y croire, parfois, vraiment y croire… Bien sûr, l’effort à fournir dépend de la nature du « quelque chose » espéré. Par exemple, attendre quelques minutes sur cet escalier en colimaçon à marches à pois qu’un être vivant passe pour humaniser l’ensemble et habiller l’arrière plan (et presque faire oublier la benne à ordure bleue – ah, vous ne l’aviez pas vue ? Et voilà, maintenant, vous ne verrez plus qu’elle -) n’exige pas du tout le même investissement que de vouloir être la première femme à poser le pied sur la Lune (seul Fritz Lang l’y a envoyée en 1929), si tant est qu’un tel voyage ait encore un intérêt.

Quant à la deuxième posture, d’aucuns l’estimeront plus efficace, plus rapide et plus proactive puisqu’il s’agit de provoquer les choses, ou sa chance, de se créer ses propres opportunités, d’être acteur de changement comme on dit dans le jargon policé des communicants. Patience, persévérance et optimisme sont alors moins utiles que confiance en soi, culot et inconscience. Par exemple, ne pas attendre fébrilement sur les marches à pois de cet escalier en colimaçon, un œil derrière le viseur, un autre dans le monde réel à repérer des silhouettes potentielles, à s’en déclencher une crampe à l’index et à en lasser définitivement notre nerf optique, mais descendre pour arrêter un passant plus ou moins au hasard et lui demander d’emprunter ce chemin de telle ou telle façon pour les besoins d’une très importante expérimentation artistique… Cette posture a l’avantage indéniable de laisser peu de place au doute, phagocyté avant même de prendre ses quartiers, sauf si toutes les personnes sollicitées déclinent l’étrange invitation… C’est possible mais peu probable car le spécimen de la deuxième posture est aussi très convaincant.

La question – enfin, juste une parce qu’il faut bien finir – est de savoir si tous les chemins mènent à Rome, et si, compte tenu de ce que nous sommes chacun, individuellement, nous avons vraiment le choix entre ces deux routes…

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Diversion

Ils ont bien failli m’avoir ces trois là – la fille en rose et le couple au centre pour ceux qui hésitent – avec leurs couleurs flashy et leur allure de clown ! J’ai bien cru qu’ils étaient le sujet principal de cette image, sur laquelle quasiment tout le monde – mais c’est l’endroit qui convoque ce mimétisme généralisé et irréfléchi – fait pourtant la même chose, à savoir, se prendre en photo, regarder les photos qui viennent juste d’être prises ou trouver l’endroit idéal pour se prendre en photo, avant de se prendre en photo et de regarder les photos qui viennent juste d’être prises…

Non, le sujet de cette image est bien plus discret même s’il ne déroge pas à la règle locale du selfie, et il se trouve justement entre la fille en rose et le couple central vers lequel elle semble se diriger. Pile poil au milieu, en contrebas, dans le bassin ou presque, le bras relevé, dans cette position si symptomatique de ces dernières années, en train de s’immortaliser donc, sauf que, contrairement à tous ses congénères alentour sur plusieurs centaines de m2, il ne cherche pas à faire entrer la Tour Eiffel ou le Trocadéro (partiellement caché car en travaux) dans son champ. Non, il se suffit à lui-même. Et pour limiter les risques d’intrusion intempestive de ces deux joyaux parisiens dans le cadre, mieux vaut, en effet, se mettre complètement de travers !

Et sinon, pour information, la fille en rose s’est effectivement approchée des amoureux à qui elle a proposé de les prendre en photo, plus sobrement, devant la Tour Eiffel…

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En coup de vent !

C’est là que je l’ai rencontré pour la première fois. Et la dernière aussi… Ne cherchez pas, je ne vous parlerai pas de ce glacier – Ampère pour les intimes – dont on devine les crevasses et qui, contrairement aux déserts qui avancent, recule inéluctablement sous l’effet du dérèglement climatique – réchauffement pour certains. Enfin, il fond pour le dire clairement. Et à vitesse grand V.

Non, il s’agit d’autre chose, mais cela s’est passé juste en face, dans le contre-champ si vous préférez. Au pied d’une montagne. Tout a été très vite, en pleine nuit, sans que j’y sois réellement préparée. Pour être tout à fait honnête, je ne connaissais même pas son existence avant d’y être confrontée. Il nous a tous sortis de notre sommeil en sursaut. Palpitant à 142, subite poussée d’adrénaline, regard hagard. C’était comme si l’Arbec – ce refuge de tôle dans lequel nous vivions temporairement – s’était pris la claque de sa vie. Avec nous dedans. Imaginez-vous une micro-seconde à l’intérieur d’une joue recevant une belle gifle ! Quelle déflagration !

Tel un serpent géant, il avait ainsi dévalé la montagne toute proche à toute berzingue pour s’écraser brutalement sur notre fillod, malheureusement sur sa trajectoire. Le passage du mur du son au ras des pâquerettes en quelque sorte ! Tout avait tremblé, le métal dont il était constitué, les lits, les verres, tout. Et puis, tout s’était tu d’un coup. Comme si nous nous étions tous simultanément réveillés d’un mauvais rêve commun. Qu’était-ce ? Un vent catabatique, m’ont alors répondu les plus éclairés visiblement ravis de cette rencontre avec un mythe. Un mythe décoiffant forcément, dangereux également, avec lequel mieux vaut garder ses distances assurément…

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Un jour sans fin

J’aime cette heure de la journée où les hommes, tous âges et tous genres – au sens large – confondus, mettent fin à leurs occupations et, tels des zombies contemplatifs reprogrammés, convergent prestement vers des aires dégagées ; s’y dégotent un petit coin de paradis, celui-là même où ils pourront se poser, puis, les yeux rivés au ciel, perdre paradoxalement toute notion du temps alors même qu’ils l’observent passer au fur et à mesure que s’éclipse l’étoile aux quatorze branches, destinée, chaque jour, à disparaître derrière l’horizon pour en illuminer d’autres. Alors, ils se relèvent, presque en chœur, se dispersent, nonchalamment, dans la pénombre devenant nuit, et s’oublient, les uns les autres. Jusqu’au lendemain, même heure environ, à quelques minutes près, où le même rituel magnétique se reproduit sans qu’ils s’en lassent…

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Pour vivre heureux...

Avez-vous complété cette morale en votre for intérieur ? L’avez-vous confrontée à l’impudeur sans pareil dans laquelle peut nous plonger, parfois contre notre nature même, le monde moderne, tout dévolu qu’il est à la communication instantanée, à la diffusion compulsive de l’information, de cette information qui n’informe plus, à la démonstration, au faire-savoir plus qu’au savoir-faire ? Avez-vous remarqué ce chalet sur la colline, derrière ce bois, préservé des spasmes, bien entendu modérés comparés à ceux d’une mégalopole, du village en contre-bas ? Et savez-vous que cette petite phrase, « Pour vivre heureux, vivons caché » – que nous avons, avec les années, les usages et l’amnésie, totalement déconnectée de son contexte originel – est le dernier vers d’un apologue de Jean-Pierre Claris de Florian – Le grillon – rédigé au 18e siècle, bien longtemps après l’invention de l’imprimerie et bien longtemps avant celle du numérique ? Laissez-moi vous la livrer, car, comme on le dit aujourd’hui, malgré son grand âge, elle reste d’une actualité brûlante :

« Un pauvre petit grillon
Caché dans l’herbe fleurie
Regardait un papillon
Voltigeant dans la prairie.
L’insecte ailé brillait des plus vives couleurs ;
L’azur, la pourpre et l’or éclataient sur ses ailes ;
Jeune, beau, petit maître, il court de fleurs en fleurs,
Prenant et quittant les plus belles.
Ah! disait le grillon, que son sort et le mien
Sont différents ! Dame nature
Pour lui fit tout, et pour moi rien.
je n’ai point de talent, encor moins de figure.
Nul ne prend garde à moi, l’on m’ignore ici-bas :
Autant vaudrait n’exister pas.
Comme il parlait, dans la prairie
Arrive une troupe d’enfants :
Aussitôt les voilà courants
Après ce papillon dont ils ont tous envie.
Chapeaux, mouchoirs, bonnets, servent à l’attraper ;
L’insecte vainement cherche à leur échapper,
Il devient bientôt leur conquête.
L’un le saisit par l’aile, un autre par le corps ;
Un troisième survient, et le prend par la tête :
Il ne fallait pas tant d’efforts
Pour déchirer la pauvre bête.
Oh! oh! dit le grillon, je ne suis plus fâché ;
Il en coûte trop cher pour briller dans le monde.
Combien je vais aimer ma retraite profonde !
Pour vivre heureux, vivons caché. »

J’ajouterais simplement que, contrairement à ce que suggère cette fable, même le grillon a du talent. Un talent discrètement enchanteur

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Question de point de vueGénéralement, lorsque je décide de m’appuyer à une rambarde pour discuter nonchalamment avec des amis de la dernière carpe miroir pêchée, de la production de riz aux Philippines ou encore de la rencontre étonnamment bicolore des Rio Negro et Rio Solimões au Brésil, je veille à me poster face à la vue la plus ouverte sur le monde, pour que chacun puisse librement s’y ressourcer, s’y plonger et s’y évader entre chaque question. En aucun cas, un haut mur de briques rouges, quelle que soit mon attirance avérée pour ces parallélépipèdes rectangles ocres, ne fera l’affaire.

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Il y a quelques années, j’ai eu l’occasion de passer un peu de temps à Berkeley, en Californie. La ville est connue pour sa prestigieuse université, la deuxième plus ancienne du pays après Harvard, dont le campus à lui seul donne envie d’être étudiant à vie. Génies et autres esprits libres y convergent depuis des décennies – 65 prix Nobel dans ses rangs, des Pulitzer, des Oscars… -, avant de faire rayonner leurs idées dans le reste du monde. Haut lieu historique de la contre-culture américaine, pacifiste – les premières manifestations contre la guerre du Vietnam sont nées dans ses artères -, Berkeley a vu s’épanouir, dans les révolutionnaires années 60, le Free Speech Movement, prônant notamment la liberté d’expression politique des étudiants, et, dans la foulée, fleurir les hippies par milliers.

Auréolée de cette tradition libertaire et de cet esprit contestataire incarnés par la chair en mouvement, même un demi-siècle plus tard, on imagine donc la ville grouillante, palpitante, active sur tous les fronts, revendicative, engagée. J’avoue avoir donc été assez surprise, en errant plusieurs jours d’affilée dans les rues adjacentes du campus, certes assez cossues, de ne croiser quasiment personne. Physiquement j’entends. Point de regroupement ni de manifestations non plus. En revanche, assez rapidement, j’ai rencontré des pancartes plantées dans des jardins, des affiches glissées derrière des stores, des calendriers politiquement étiquetés placardés aux vitres, des dessins fixés aux fenêtres, des banderoles accrochées aux perrons et façades des maisons. Autant d’appels à la paix, au dépôt des armes, au vote Obama (avant sa première élection : Berkeley est la ville la plus démocrate au monde…), à la tolérance… Absents des rues, les habitants de Berkeley annoncent la couleur malgré tout. Défiler dans ses paisibles avenues devient un festival de revendications silencieuses en tous genres.

Le contraste avec la façon dont chacun exprime ses idées et ses convictions en France me saute alors aux yeux, et illustre la différence de conception entre ce qui relève des sphères publique et privée de part et d’autre de l’océan, voire d’un monde à l’autre. Car avez-vous souvent vu ce type d’expressions aux fenêtres de vos voisins ? Connaissez-vous leurs idées politiques, leurs combats, leurs engagements ? Là où, là-bas, et sans vouloir faire de généralités, on semble s’exprimer individuellement, solitairement, sans se montrer, ici, nous nous montrons collectivement, solidairement pour nous exprimer avant de tout ranger et de regagner nos antres, d’où, a priori, rien ne s’échappe…

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