15 nouveaux cas hier dont 11 dans des clusters surveillés de près. Le plus important, de 92 personnes, est lié à un mariage organisé dans la ville la plus au sud de l’Ile du Sud. Autant dire, au bout du monde. C’est d’ailleurs pour cette raison que nous sommes allées à Slope Point en mars, officiellement le point le plus méridional du pays, à quelques kilomètres de Bluff, la ville en question. Je suis en effet du genre à aller jusqu’à la bouée…
Nous avions d’ailleurs cheminé jusqu’à Cap Reinga, le point le plus au nord de l’Ile du Nord en janvier. Un endroit mythique, mystique, magique très important dans la culture Māori pour laquelle ce cap, d’où l’on peut être le témoin privilégié de la rencontre entre les eaux du Pacifique et celles de la Mer de Tasman, est le lieu de passage des âmes des morts pour rejoindre l’au-delà : Hawaiki, l’île légendaire où les peuples Polynésiens vivaient avant leurs grandes migrations vers l’est, et dont on ne sait précisément où elle se trouve. Il y a, sur une pointe rocheuse du cap, un Pohutukawa de 800 ans – arbre, sacré pour les Māoris, originaire de Nouvelle Zélande dont la floraison avec de splendides petites fleurs rouges est attendue chaque été austral comme sakura au Japon. Il se dit que les âmes des Māoris se glissent dans l’eau à travers ses racines…
A Bluff, plus classiquement, le virus a transité par un invité, venant de l’étranger. Les mariés s’en souviendront sûrement très longtemps. Je doute cependant qu’ils qualifient cette fête de « plus beau jour de leur vie ». En tout cas, pas avant quelques années.
A une semaine de la fin possible du confinement ici en Nouvelle Zélande, 15 nouveaux cas, est-ce suffisamment bas ou pas pour diminuer le niveau d’alerte ? Le flux de questions – souvent les mêmes – ne s’arrête pas, même si nous savons pertinemment que les réponses ne sont pas encore disponibles. Pourtant, il y a toujours des gens – notamment sur les réseaux sociaux – qui pensent en savoir plus que d’autres. Voilà qui nourrit potentiellement des angoisses inutiles chez les personnes bousculées et fragilisées par la situation.
Quoi qu’il en soit, le gouvernement, dont l’objectif affiché est de débarrasser le territoire du covid-19, répète chaque jour qu’il ne prendra aucun risque. Dans ce souci de transparence et d’accompagnement, adopté depuis début mars avec une certaine réussite, voire même une réussite certaine, il a détaillé aujourd’hui ce à quoi ressembleraient les niveaux 3, 2, 1 d’alerte par lesquels le pays passera forcément avant de lever toutes les restrictions. Il n’a pas annoncé quand, ni combien de temps. Il faudra attendre lundi, selon l’évolution de la situation cette fin de semaine, pour savoir si le pays passera, le 22 avril, en niveau 3 ou pas, et si oui, pour combien de temps.
Dans le fond, le niveau 3, que nous espérons tous, demeure assez restrictif : les lieux collectifs (musées, bibliothèques, cinémas, salles de spectacles…) resteront fermés ; les bars, les restaurants et la plupart des magasins aussi, mais la livraison, la vente à emporter et les systèmes de « click and collect » (dont je ne trouve pas de traduction en français) seront possibles ; le télétravail reste conseillé ; les écoles rouvriront partiellement, et sur la base du volontariat, pour les élèves dès le grade 10 (des collégiens de 13-14 ans) ; nous devrons rester dans notre bubble, celle-ci pouvant être très légèrement étendue ; nous ne pourrons pas nous éclipser hors de la région où nous nous trouvons actuellement mais il sera à nouveau autorisé de nager, de surfer, de pêcher ; et enfin, les mariages – sans repas ni réceptions – et les funérailles seront autorisés sans pouvoir réunir plus de 10 personnes pour autant…
Patience, patience donc. Face à ce magma d’incertitudes, un texte que j’avais écrit il y a quelques mois, dans la foulée de mon long séjour à Taïwan, me revient à l’esprit. Je le retranscris ici, car ce qui se produit aujourd’hui dans le monde devrait rendre obsolète la fin de cette litanie (pour les questions liminaires, c’est toujours d’actualité !) et je crois que je m’en réjouis d’avance…
Comment être sûrs que nous existons vraiment ? Comment savoir que le monde qui nous entoure et dans lequel nous évoluons est réel ? Que la vie n’est pas qu’une monumentale performance ? Et que nous ne sommes pas que de simples personnages interprétant chacun nos rôles sans en avoir conscience et bien évidemment, sans en être les maîtres ? Questions récurrentes, sans réponse apparente et en tout cas, sans réponse supportable, qui vient, qui part, au gré des humeurs et des circonstances aggravantes. Par circonstances aggravantes, j’entends par exemple une extraction de son quotidien, de ses habitudes, de son train de vie, et le retour qui s’en suit plusieurs mois après. J’écris en connaissance de cause après 8 mois passés en Asie du sud-est, principalement Taïwan. Un autre monde assurément. Et si partir est un voyage en soi, revenir en est évidemment un autre.
Non qu’il soit particulièrement difficile de rentrer – même si objectivement, cela peut l’être pour de multiples raisons – simplement, ce retour aux conditions initiales, comme le mobile finalement stoppé par la résistance de l’air dans sa course faussement libératrice, est à chaque fois déconcertant. Déconcertant parce que tous les automatismes mis de côté pendant tous ces mois se réactivent instantanément ; déconcertant parce que rien, à l’échelle macroscopique bien sûr, ne semble avoir changé ; déconcertant parce que l’on re-rentre dans sa vie comme dans une bonne paire de charentaise au creux de l’hiver ; déconcertant parce que le corps se souvient parfaitement de la route à suivre et des obstacles à éviter pour atteindre telle destination ; déconcertant parce que tout le monde autour semble poursuivre exactement la même conversation que celle initiée il y a 8 mois ; déconcertant parce que tout cela semble tellement orchestré, tellement bien huilé que cela ne peut être le fruit du libre arbitre. Et de déconcertant, ce retour devient angoissant. Et voilà que l’on se dit alors, c’est vrai, je n’existe pas, rien de tout cela n’existe vraiment. Tout cela est faux. Pourtant, j’y ai cru. Tel un artefact sur un électrocardiogramme normal, le voyage au long cours est une discontinuité dans un parcours. Un électrochoc avec ses mini-révolutions intérieures, dont on perçoit avec effroi à la fois la puissance potentielle et l’incroyable fragilité car le pire ennemi du changement, on ne le sait que trop bien, c’est la force et le confort de l’habitude… Comment les faire vivre alors dans un milieu qui ne les appelle pas, telle est la question ?
Vous aurez peut-être un peu de mal à me croire mais figurez-vous que cet homme là, caché derrière des blocs de pierre en quasi tenue de camouflage si ce n’était ce T-Shirt rouge, est le premier, au monde, à utiliser un péricamérascope. Cet appareil ultra-moderne et relativement discret permet de prendre une photographie, à distance, sans être vu et surtout – et c’est là que réside la grande nouveauté par rapport au banal zoom – à un angle de vue compris entre 45° et 90° (le tout se règle avec une petite molette à côté du déclencheur). Ainsi, tel que vous le voyez cadrer, il est en réalité en train de prendre une photographie des quatre-cinq personnes en bord de mer (en effet, il y a une légère incertitude sur le nombre, l’une d’entre elles étant dans le parfait prolongement de l’autre). D’ailleurs, le petit gars en vert a l’air de se douter de quelque chose, ce qui pourrait laisser entendre qu’il y a encore quelques améliorations à apporter à cette belle innovation…
Traverser une caldeira à pied se transforme rapidement en une fascinante leçon de vie et d’espoir. Car, là où la terre a tremblé, là où la lave a coulé et tout ravagé sur son passage, la vie trouve toujours une faille pour se développer, se multiplier et reprendre sa place… Quitte à ce qu’elle soit différente.
Il y en a une au Chili, dans le désert d’Atacama ; une autre en Argentine, dans le parc d’Ischigualasto ; une en Jordanie, aussi nommée Wadi Rum ; mais aussi en Bolivie, près de La Paz ; et là encore, juste là, ci-dessus, en Namibie, près de Swakopmund… En fait, les Vallées de la Lune ne se comptent plus sur Terre.
Leur nom – hérité de leur aridité manifeste, de leur inhospitalité reconnue, de leur rocaille sèche, des traits de caractère aisément observables sur notre satellite avec une bonne lunette astronomique et qui sont sensées faire fuir toute personne sensée – est d’ailleurs un paradoxe. Car, depuis la Terre, la Lune, gibbeuse, pleine ou en croissant, réfléchissant un peu, beaucoup ou passionnément, n’est que poésie. Pouvoir errer dans ses Vallées comme ici, c’est flirter avec des rimes embrassées.
Du fond du lit de la rivière asséchée, on s’élève, le pas léger, vers ses sombres sommets acérés pour découvrir un filon de roches noires taillées au couteau, des dolérites affleurant depuis 120 millions d’années, droite parfaite scindant la Terre en deux et s’ouvrant sur un paysage infini irréel, enchanteur, d’une blancheur diffuse et poussiéreuse où le regard se perd en quête des derniers émois du Soleil.
Dans quelles proportions les souvenirs se déforment-ils avec le temps ? Lorsque, exemple parmi d’autres, entré dans le monde adulte, nous retournons en des lieux visités ou habités ou aimés enfants, nous nous faisons souvent cette réflexion commune et quasi universelle : « c’était plus grand dans mon souvenir… ». Une simple phrase ou une phrase simple qui illustre la relativité des impressions, comme si elles étaient proportionnelles à notre taille, nous plonge dans les abîmes d’un monde à jamais envolé (au moins de façon temporelle), et nous force à douter de la réalité de tous ces autres souvenirs qui viennent, parfois, faire scintiller notre mémoire comme des lucioles éclairent la nuit.
Ainsi, en arrivant sur cette plage corse en fin de journée, face à cette mer calme habillée d’un camaïeu de bleu et à cette masse rocheuse à l’horizon, que la distance au rivage rend petite alors qu’elle est, contrairement aux souvenirs d’enfants, bien plus grande en vrai, ai-je décrêté que c’était celle vers laquelle nous nous étions élancés, avec quatre amis, un peu inconsciemment – jeunes quoi ! – quasiment 20 ans auparavant. Le soleil avait sans doute un peu trop chauffé nos têtes, pourtant raisonnablement bien cortiquées, pour que, non seulement, nous fomentions ce plan d’aller nager en pleine mer vers un îlot sans grand intérêt à quelques centaines de mètres du bord, mais surtout que nous ne nous arrêtions pas à l’idée de le faire. Car si l’atteindre semblait être l’objectif premier de ce défi que nous nous étions lancé à nous-mêmes, en revenir en était un autre que nous lancions à nos corps plus habitués aux allers-retours en piscine avec pause au pire tous les 50 mètres qu’à un long trajet sans répit possible dans des eaux dont nous ne voyions pas le fond…
Finalement, tout s’était bien passé, nous avions croisé quelques plaisanciers étonnés en chemin, nous demandant si nous avions besoin d’aide, nous avions fait plusieurs fois la planche pour nous reposer, nous nous étions agrippés tant bien que mal à une roche coupante ne se laissant pas aborder avant de refaire le chemin en sens inverse, et de débarquer sur la plage de sable blond, tels des explorateurs, pour nous allonger et faire une sieste bien méritée. Ou peut-être pas. Comme ce rocher, là, au fond, en est sans doute un autre. Mais qu’importe au final. Il sera désormais celui de nos exploits de jeunesse.
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Share on FacebookSe hisser au sommet de l’Empire State Building à l’heure du goûter – c’est mon côté régressif -. Penser aux nuits blanches de Sam Baldwin et d’Annie Reed – c’est mon côté fleur bleue -. Se pencher vers le monde d’en bas – c’est mon côté casse-cou – dont l’écho s’arrête heureusement en chemin – […]
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