Dès les premiers éclats et éclairs de couleurs lointains, ils ont commencé à arriver de tous les côtés, seuls, à deux ou par petites grappes recueillies. Ils se sont postés ici et surtout là où le spectacle du ciel était le plus observable, même partiellement, et n’ont plus osé en bouger jusqu’à l’extinction des boules de feux. Les agoraphobes aiment aussi les feux d’artifice. Mais pas à n’importe quel prix…
Le problème avec les avantages est qu’ils sont souvent accompagnés de leur corolaire, les bien-nommés inconvénients. Avant de prendre une décision aux conséquences potentiellement importantes en effet, n’avons-nous pas tendance à dresser une liste des « pour » et des « contre », des « avantages » et des « inconvénients » donc ? Et ainsi à justifier notre décision finale sur la base d’une simple opération mathématique : additionner les +, faire de même avec les – et suivre la voie du plus grand nombre. Comme ça, sans état d’âme. Le calcul peut aussi être un peu plus subtil (et de fait complexe), avec l’instauration d’un système de coefficients, un peu comme au baccalauréat. Tel avantage compterait 6 points, tel inconvénient – juste un petit, y a pas mort d’homme – 1 point etc… On aborde alors un autre point important que sont les priorités. Evidemment, si un choix ne pouvait être accompagné que d’avantages ou d’inconvénients, la vie serait bien plus facile. Il n’y aurait d’ailleurs peut-être pas de mauvais choix ! Encore que les avantages des uns sont parfois les inconvénients des autres… Toujours est-il que, dans la vie réelle, il faut souvent composer avec les deux.
Par exemple (c’est important d’illustrer ce que l’on avance avec des exemples, c’est plus parlant), par exemple donc, Paris. Paris est une ville qui cumule les avantages. Ses loyers modérés, ses habitants aimables, son climat tempéré, son bruit maîtrisé, ses cafés crème à 4€, ses automobilistes bienveillants, ses trottoirs propres, son air pur, ses espaces verts… J’arrête là sinon, tout le monde va débarquer ! L’avantage que l’on ne peut ôter à la capitale, indépendamment de toute ironie, est qu’il est impossible de s’y ennuyer. Et je parle plus spécifiquement du bouillonnement culturel qui saisit presque chaque quartier. Ce foisonnement (qui est aussi un inconvénient, il ne faut pas se leurrer : chaque soir, vous avez le choix entre 572 films, 1 745 pièces de théâtre, 839 concerts… je vous laisse statuer maintenant !), c’est ce qui retient certains parisiens pourtant prêts à quitter la ville lumière : « j’peux pas quitter Paris… le cinéma, le théâtre, les musées, ça m’manquerait trop ! » Etant entendu que parmi ceux-là, il y en a une proportion non négligeable qui ne va ni au ciné, ni au théâtre, ni au musée… mais qui aime l’idée d’avoir toute cette offre à portée de mains. Au cas où.
Pour ceux qui en profitent, la tâche n’est pas forcément plus facile. Il y a la profusion sus-mentionnée d’une part, et le succès de certaines opérations d’autre part qui transforme le plaisir fantasmé en calvaire avéré. Quelques souvenirs de Nuit Blanche, de Paris Plage, de Fête de la Musique, de Journées du Patrimoine, pour ne citer que les plus institutionnelles et récurrentes, remontent à la surface avec leurs rues congestionnées, l’attente indéterminée, les bousculades, les agacements et finalement, les reculades… C’est aussi valable pour les expositions temporaires exceptionnelles qui font faire des nuits blanches, des vraies, aux gardiens pour permettre à une foule en délire avide de culture de découvrir Nighthawks d’Edward Hopper ou L’âne pourri de Salvador Dali…
Ces derniers jours, c’est le street art qui aimante les foules avec la Tour Paris 13, immeuble promis à la démolition dont une trentaine d’appartements a été reconvertie en temple temporaire du graff par une centaine d’artistes venus des quatre ronds du monde. Une belle initiative malheureusement victime de son succès imputable à l’écho médiatique qui a entouré l’événement (« la Tour 13, la plus grande expo de street art du monde ! ») : y accéder requiert une abnégation totale. Il y a d’abord la jauge, pour questions de sécurité, qui limite à 49 le nombre de personnes présentes dans l’immeuble simultanément, invitées, par décence et pitié pour les autres, à ne rester qu’une heure à l’intérieur. Résultat : le succès + la jauge + l’heure que personne ne vérifie = des heures d’attente ! Et pas 1, ni 2 sauf pour ceux qui pointent à 6h du mat alors que les portes n’ouvrent qu’à 11h, mais, 5, 6, 7 voire 8 heures sans, parfois, la certitude de pouvoir entrer… C’est absolument inhumain !
Certains s’y sont repris à deux voire trois fois avant de passer la porte de l’immeuble ; d’autres arrivent la bouche en cœur à 18h en pensant que ça suffit et se heurtent à une petite pancarte leur annonçant qu’à ce panneau, il faut compter 4h d’attente… l’immeuble avalant ses derniers explorateurs à 19h15, vous faites le calcul, c’est raté, ce qui engendre des séances de pleurs insupportables… On capte des stratégies qui s’élaborent entre des petits groupes de personnes qui s’y sont pris trop tard comme s’ils se préparaient à partir à l’assaut du château de l’ennemi : « Moi, je suis prête à revenir demain matin à 7h s’il le faut et à attendre toute la journée ! »… Balèze Blaise ! Et puis il y a ceux qui ont décidé de rester coûte que coûte – en l’occurrence du temps -, qui finissent par sympathiser avec leurs voisins de queue – 8 h d’attente, ça rapproche -, qui ont apporté sandwich et boisson, qui croisent les doigts chaque mètre passé espérant des désistements, des évanouissements, des crises d’hystérie devant pour libérer un peu de place prématurément, et qui finissent par atteindre le palier dans un état de folie avancée, folie qu’ils immortalisent par un clic clac dispensé par les responsables sécurité couleur mandarine avant de disparaître à jamais dans les arcanes de l’art…
La démocratisation du voyage, que la diversification des modes de transport, leur efficacité (assimilée à leur rapidité pour notre époque) et la baisse des prix de l’aérien ont favorisé, a du bon : nous sommes plus nombreux à pouvoir découvrir des ailleurs, qu’ils soient proches ou lointains, et c’est une véritable chance car ces sorties hors de nos frontières habituelles nous enrichissent et les souvenirs accumulés au fil de ces évasions sont sans conteste ceux que nous emporterons avec nous, plus que la commode en marbre. La démocratisation de la photographie, à laquelle l’apparition du numérique et la métamorphose des téléphones portables en boîte à images hyper-perfectionnées ont massivement contribué, est aussi une bonne chose : nous sommes plus nombreux à déployer nos talents créatifs, quels qu’ils soient, et c’est toujours un moment agréable que de pouvoir partager ses impressions avec d’autres ou se de replonger dans ses errances passées, images à l’appui.
La combinaison des deux – il y a de plus en plus de voyageurs, ou touristes, et ils prennent de plus en plus de photos – n’est pas une très bonne nouvelle pour autant car elle a fait naître une tendance voire un besoin assez déconcertant : celui de toucher, tâter, palper ce que l’on est venu voir et immortaliser cet instant avec autant de fierté que si l’on avait été le premier homme à marcher sur la Lune. De telle sorte que la ville, le monument, la sculpture ou le parc pour lequel nous avons fait tous ces kilomètres en espérant pouvoir profiter de chacun dans de bonnes conditions, c’est-à-dire, un peu naïvement, dans l’intimité d’une relation à deux, disparaît progressivement et inéluctablement derrière des essaims d’humains se remplaçant les uns les autres dans un cycle continu ne s’interrompant qu’à la nuit tombée et encore… Essaims qui s’agglutinent donc à nos souvenirs et à nos cartes mémoire comme des éléments constitutifs, inattendus et un brin incongrus du voyage.
Si le voyageur peut accepter, sous certaines conditions, d’être taxé de touriste – ce qu’il est quoi qu’il en pense et malgré la connotation négative que peut recouvrir ce terme -, il est nettement moins flexible et compréhensif lorsque d’autres voudraient voir en lui un simple mouton de Panurge suivant le flux sans réfléchir. Ou les conseils de son guide de voyage dont il a indéniablement besoin tout en ressentant une petite gêne d’avoir recours à cet appendice pour appréhender l’inconnu. Dans ce contexte nimbé d’illusions, ce que le voyageur aime par dessus tout est donc cette sensation de ne pas être un touriste comme les autres.
Imaginez donc sa fierté lorsqu’un autochtone avec qui il a sympathisé partage ses plans préférés, ceux-là même qui ne se trouvent pas dans les anti-sèches du migrant temporaire qu’il est et qui sont à peine indiquées sur les cartes. « Là, sur cette route, entre telle ville et telle autre, une piste partira à la perpendiculaire, il ne faudra pas la rater car il n’y a aucune indication, vous bifurquerez là et ensuite vous devrez rouler une bonne dizaine de minutes avant d’atteindre cette petite plage magnifique et isolée que seuls les gens du coin connaissent… » Bien évidemment, le voyageur ne verra la fameuse piste que seulement après l’avoir dépassée, il pestera le temps de son demi-tour à la hussarde tout en souriant légèrement, conscient de n’avoir jamais été aussi près d’un endroit « spécial ». Chaque virage sera une aventure en soi et lorsque, pour la première fois, il apercevra ladite plage au loin, effectivement perdue au milieu de nulle part et peu fréquentée, il garera sa voiture sur le bas-côté pour immortaliser cet instant avant d’achever son trajet et de foncer tête baissée dans une eau qu’il ne pouvait imaginer si translucide et turquoise. Et là, tel un poisson dans l’eau, il pensera que, définitivement, il n’est pas un mouton.
C’est à Antsirabe, au cœur de Madagascar, que j’ai passé mon baptême. De pousse-pousse. Mon baptême de pousse-pousse, oui. Ne riez pas, je suis sérieuse, c’est très intimidant, même si j’en conviens, ce n’est pas aussi terrifiant qu’un premier saut en parachute, même accompagné, ou qu’une plongée à 30 mètres, ce que ne fait jamais un néophyte… Cela remonte à une petite quinzaine d’années mais je me souviens parfaitement avoir longuement hésité avant de solliciter un des nombreux tireurs de ces petites charrettes bigarrées qui patientaient sur le bord des routes. Ce qui me freinait ? Le fait d’être portée et déplacée par un être humain à la seule force de ses bras et de ses jambes.
Dans mon imaginaire, le pousse-pousse renvoyait en effet à la période de la colonisation – toujours palpable par moments – et à une certaine forme d’exploitation de l’homme par l’homme, et, malgré ma curiosité de voyageuse avide de découvertes et d’authenticité, je n’avais pas envie de m’inscrire dans cet a priori. C’est le fait de voir des Malgaches user eux-mêmes de ce mode de transport dans la capitale officielle du pousse-pousse que j’ai fini par changer d’avis et resituer les éléments dans leur contexte d’alors. En somme, un petit métier comme tant d’autres…
Le plus étonnant, même si c’est finalement complètement en phase avec cette tentative de développer des moyens de transport plus verts en Occident pour les courts trajets, qu’ils soient liés au tourisme ou aux livraisons, a été de voir émerger, ces dernières années, des cyclo-pousses ou rickshaw et autres tuk-tuk (une moto ou un scooter à la place du vélo ou des pieds) sous nos latitudes tempérées. Déclinaisons du premier que j’ai d’ailleurs testées par la suite sans – et cela me semble logique – rencontrer cette gêne qui m’avaient saisie à Madagascar. En revanche, ici, même au 21e siècle, aucun pousse-pousse traditionnel dans le paysage – charrié par l’homme – pour autant. Est-ce par souci d’efficacité, de rentabilité à une époque où tout doit aller très vite et où c’est déjà un exploit d’adopter ce rythme plus lent, ou un résidu de cette perception qui m’avait bloquée par le passé ?
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