Photo-graphies et un peu plus…

Le photographe est un chasseur. Et comme tout chasseur en période faste – de chasse donc -, il est à l’affût. Il progresse à pas feutrés dans un environnement qu’il ne connaît pas toujours, en scannant de gauche à droite le monde qui l’entoure sans omettre de projeter son regard au loin pour repérer, le plus tôt possible, tout événement susceptible d’être harponné. Même si les conditions sont propices à une bonne chasse, le photographe sait rarement sur quel animal il va tomber et, même, s’il va en croiser un. Ce que l’on appelle communément « rentrer bredouille ». Heureusement, il arrive aussi que la chance lui sourie, en revêtant une forme totalement inattendue…

Un attroupement sur un ponton alors que les autres sont vides : un indice fort. Il se passe peut-être quelque chose là-bas, au loin donc. Chercher. Là, juste sous les yeux des badauds. Sur les galets londoniens. De drôles de silhouettes encore indéfinies à cette distance, mais vraisemblablement colorées et peut-être nues, ou en maillot. En tout cas, pas en tenue réglementaire. Il se passe quelque chose. C’est sûr. Le photographe, que la non exclusivité du trophée ne dérange pas, arrête de scruter autour de lui. Il a trouvé sa cible, avance d’un pas bien plus rapide maintenant, sans jamais quitter son objectif des yeux. Prêt à dégainer au cas où les événements se précipiteraient… Ils bougent, s’approchent de la rive. Le chasseur prend son élan et rejoint la meute perplexe. Il y a de quoi : une grappe d’humains nus comme des vers, peinturlurés des pieds à la tête, et coiffés de couronnes de feuilles vertes font les clowns sur les rives de la Tamise à marée basse. Déclencher. Même approximativement. Réfléchir aux différentes hypothèses ensuite pour affiner le tir.

Le fait ne doit pas être courant. Autrement, les gens ne s’arrêteraient pas. Cela ne semble pas être un défi non plus, un gage stupide d’enterrement de vie de garçon (mixte), ou une séance photo un peu originale comme pourrait pourtant en témoigner la deuxième photo… Tout cela paraît, au contraire, étrangement sérieux. Le chasseur respire enfin, se pose pour mieux viser. Sa prise est déjà plus composée. Elle a le fond et la forme des images que l’on met de côté. La fille se défile. Elle vient de s’apercevoir qu’ils n’étaient plus seuls et qu’une cinquantaine d’yeux étaient tournés vers eux, à la fois rieurs, dubitatifs, mais aussi dans l’expectative : qui sont-ils et que vont-ils faire maintenant ? Une ronde, bien sûr ! Avec d’autres fidèles bigarrés mais frileux. Autour d’un barbecue… Une offrande peut-être à un Dieu amateur d’art et de folie… Au chasseur, c’est sûr, qui n’en espérait pas tant !

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Je me souviens parfaitement de ma réaction en débarquant sur cette plage de Waikiki : une étrange sensation d’être entrée dans une affiche publicitaire sans m’en rendre compte… Vous savez, de celles qui, en hiver voire aux prémices d’un été nommé désir, vous narguent dans les couloirs parfois suintants et glauques du métro parisien, tel un idéal inaccessible.

Tout relève tellement du cliché – les cocotiers et leurs ombres marbrant le sable blanc et fin, l’eau turquoise où l’on s’imagine déjà voir jusqu’à ses orteils posés sur un sol vierge, le ciel bleu ponctué de nuages dessinés au pinceau, les touristes nonchalants sur leurs transats, les parasols aux couleurs vives, la blanche colombe posée sur le rocher au premier plan… – que la supercherie paraît inéluctable. Où est le directeur de la photographie, la cantine des figurants, où sont les spots lumineux, les décorateurs et filtres de couleurs ? Où est la preuve que tout ce décorum n’a été créé qu’à des fins mercantiles ? Pour vendre des bikinis, des alcools forts ou des vacances de rêve… Nulle part. Aussi artificiel qu’elle semble l’être, cette image n’est que le fruit d’une lointaine réalité. Je suis dans le rêve de quelqu’un d’autre. Et je le saurai bien assez vite…

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… « en utilisant ses jambes était efficace jusqu’à un certain point. Au-delà, curieusement, on stagnait. Et enfin, son intuition réclamait de lui qu’il ne bouge pas de là. Qu’il s’applique »*… en utilisant ses jambes était efficace jusqu’à un certain point. Au-delà, curieusement, on stagnait. Et enfin, son intuition réclamait de lui qu’il ne bouge pas de là. Qu’il s’applique uniquement à observer ce qui défi… en utilisant ses jambes était efficace efficace jusqu’à un certain point. Au-delà, curieusement, on stagnait. Et enfin, son intuition réclamait de lui qu’il ne bouge pas de là. de là. de là. Qu’il s’applique uniquement à observer ce qui défilait devant ses yeux… efficace jusqu’à un certain point. Au-delà, curieusement, on … Et enfin, son intuition réclamait … qu’il ne bouge pas … Qu’il s’applique uniquement à observer ce qui défilait devant ses yeux… ses yeux… ses yeux… ce qui défilait devant ses yeux, sans perdre son sang-froid, et qu’il ne laisse rien échapper. Sa vieille intui…

Voilà, vous avez sombré. Morphée a gagné. « Je vais lire quelques pages avant de m’endormir… » Vous vous le dites tous les soirs. Vous vous couchez, ouvrez votre livre à la page 273 alors même que vous luttez déjà contre la fermeture automatique des paupières. Cela va faire venir le sommeil. Vous vous le dites, même si, visiblement, un stimulant n’est pas nécessaire. Alors, vous commencez à lire. Une phrase, puis deux, et enfin trois… Au bout de la quatrième, vous réalisez que vous n’avez pas tout à fait compris ce que l’auteur voulait dire… La phrase est simple pourtant. Alors, vous relisez, une fois, deux fois… Les yeux se ferment. Puis s’ouvrent à nouveau. Comme un éclair. Vous la relisez une troisième fois mais vous n’y comprenez toujours rien. Là, vous vous ressaisissez, vous n’allez quand même pas abandonner si vite ! La lecture reprend, les pupilles dilatées, le cerveau en sourdine. La lumière pique, la fatigue persiste… Vous avez avancé de deux lignes depuis le début… Et encore, vous n’êtes toujours pas sûr d’avoir réellement saisi le propos. Enfin, les mots, vous les comprenez, mais leur enchaînement vous semble abscons. Tout devient légèrement flou, puis très flou, sombre… Vous basculez de l’autre côté… Vous êtes déjà au pays des songes, sur une plage où dansent des sylphides allongées… Vos muscles se détendent, ce que vous ne sentez pas jusqu’à ce que votre livre vous tombe brutalement sur le visage… Là, une petite voix vous susurre de rester sur la plage, tandis qu’une autre, bretonne sûrement, vous incite à persister, à maintenir les yeux ouverts, quitte à utiliser des forceps, et à lire, lire, lir… Au moins aller au bout de la page, là. Quand même, ce n’est pas bien compliqué. Il n’y a que six lignes. Six lignes… Vous les lisez pour vous donner bonne conscience et posez votre livre sur votre table de nuit. Extinction des feux. Le lendemain soir, comme après une bonne cuite imaginaire, vous ne vous souvenez plus de rien. Des bribes seulement, quelques mots par ci par là, pas de quoi en faire un roman… Alors vous reprenez la lecture, non pas là où vous vous étiez arrêté, car vous ne savez strictement pas où se trouve cet endroit, mais bien avant. Et sans vous en rendre réellement compte, voilà que vous absorbez pour la troisième fois consécutive les mêmes mots, les mêmes phrases, les mê… On est où ? Que se passe-t-il ? Je crois que je me suis assoupie !

* La première phrase de ce billet est extraite de 1Q84, Livre 3, de Haruki Murakami

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Je ne les retrouvais plus, ces photographies. Enfin, pas celles-ci justement, ou alors, en partie seulement. C’était à une autre époque… Celle où l’argentique était roi, avec ses pellicules et ses délais de livraison. Pas de nostalgie dans ces mots. Simplement, je resitue le contexte. Aujourd’hui, avec le numérique, la notion de pellicule, au-delà de l’objet lui-même, de cette petite bobine à film noir avançant au fur et à mesure que l’on déclenche, est devenue totalement obsolète. Encore que nous pourrions la comparer à la carte photo, dont la capacité est bien plus impressionnante ! Aujourd’hui, si l’on veut faire une photo à 125 ISO et la suivante à 400 ISO avant de revenir à 125 voire passer à 800, il suffit d’aller dans le menu et de choisir sa sensibilité… Simple comme bonjour !

Dans le temps, pas si lointain, ce changement était un peu plus complexe… Il fallait rembobiner la pellicule, laisser la languette dépasser un peu pour pouvoir la réutiliser, bien noter à quelle vue on s’était arrêté sur le métal lui-même, puis installer une autre pellicule dans la boîte à images, faire ses photos et éventuellement, revenir à la première bobine. Cette dernière opération n’était pas sans risque : en réinsérant la pellicule partiellement utilisée dans son habitacle, il fallait en effet tenter de la caler comme la première fois, ne pas oublier de mettre le cache sur l’objectif, veiller à bien compter le nombre de vues déjà faites pour éviter les catastrophes, c’est-à-dire les superpositions indésirables, et déclencher éventuellement une ou deux fois supplémentaire pour plus de sécurité. Malgré toutes les précautions prises et les calculs faits, une surprise était toujours possible…

Il était ainsi tout à fait envisageable que le chiffre noté sur la pellicule, vous indiquant d’une part, qu’elle a déjà été impressionnée, et d’autre part, à quelle vue reprendre, s’efface. La petite bobine en question, pleine d’un passé capturé, retrouvait alors en quelque sorte sa virginité et se fondait dans la masse des pellicules non utilisées. A ce stade, vous ne vous doutiez de rien, même si vous aviez en mémoire ces images prises, que, bizarrement, vous ne retrouviez nulle part. Vous aviez bien ce vague souvenir d’avoir changé de pellicule en cours, mais la bête marquée au bic rouge demeurait introuvable. Peut-être perdue. Fâcheux mais envisageable. Comme il était tout à fait envisageable, à nouveau, que votre main, plongée dans le panier à pellicules en attente de rencontres photoniques, finisse par la saisir et la placer dans cette petite boîte noire convoitée… Un geste totalement innocent, presque naïf. Sauf que les images que vous découvriez n’étaient pas celles que vous espériez. Enfin, d’une certaine manière, si, mais pas de cette façon. La voilà, la pellicule perdue. Les voilà, ces images qui se pressaient à votre mémoire, persuadées d’avoir existé sans pour autant être réellement. Ainsi inextricablement liées à d’autres images, elles n’existeront d’ailleurs jamais pour elles-mêmes. Pour autant, le fruit de cette superposition totalement fortuite d’un ici et d’un ailleurs, est d’une beauté confondante voire troublante… On se perd dans deux univers artificiellement collés l’un à l’autre, prenant vie l’un dans l’autre, créant ainsi une espèce de monde chimérique envoûtant. Comme cette rue pavée, qui, au contact de ce jardin africain, se transforme en muret qu’elle n’est pas. Comme cette main délicatement posée sur un rideau qui se mue pourtant en pelleteuse inquiétante. Comme cette ruelle parisienne qui vient fendre en deux cette bâtisse couleur crème. Comme, enfin, cette silhouette solaire qui semble se reposer sur le feuillage d’un grand arbre poussant horizontalement… Ces images-là, et les autres, je n’aurais jamais pu les imaginer. C’est le hasard qui l’a fait pour moi. Et au final, n’est-ce pas lui, le créateur ?

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Dans certaines circonstances, il serait opportun de pouvoir exporter les outils bienfaiteurs des logiciels de retouche d’images dans le monde réel. Première étape et loin d’être la plus facile : vous sélectionner. Un petit coup de baguette magique, avec une tolérance élevée histoire de ne pas vous séparer d’un bout de bras ou de tête. Deuxième étape : choisir l’outil susceptible de répondre à votre besoin du moment. Le couper/coller servirait par exemple à concrétiser tout rêve de téléportation : vous marchez péniblement sous une pluie verglaçante, vous êtes fatigué car cela dure depuis six jours ; qu’à cela ne tienne, un couper/coller et vous voilà en tenue d’hiver sur une plage de sable fin aux antipodes ! Bien entendu, il ne faut pas oublier de vous coller, sans cela, vous risquez de vous retrouver dans un univers parallèle avec risque de disparition irrévocable, et ce n’est pas ce que vous souhaitez.

Le copier/coller serait très utile pour échapper aux réunions sans fin et soporifiques : avant d’entrer dans la salle de torture, un petit copier/coller derrière la porte et vous envoyez votre copie en réunion, pendant que vous allez faire un tour ailleurs. Attention, là aussi, le danger existe : ne pas trop abuser des copies pour ne pas avoir à vous demander si vous n’en êtes pas une vous-même. N’hésitez donc pas à renommer et tatouer votre/vos double/s correctement : copie de moi 1, copie de moi 2, copie de moi 3… Un recadrage ? Parfait pour sortir de votre champ les parasites un peu trop insistants ! Ne pas trop serrer malgré tout, vous vous sentiriez rapidement à l’étroit. Enfin, il y a la gomme. Ah, la gomme… C’est l’outil que j’aurais volontiers utilisé en arrivant en cet endroit magnifique, totalement saboté par ce parking immonde, un pléonasme. Car, non, contrairement aux apparences, il ne s’agit pas d’un montage de mauvais goût… Quelle mouche les a piqués lorsqu’ils se sont penchés sur le plan d’urbanisme de cette énigmatique petite station balnéaire ? « Tiens, on va mettre un parking devant le rocher ! Comme ça, si les gens marchent le long de la plage sur des kilomètres, ils sauront toujours où est garée leur voiture ! Pratique, non ? » Je ne vois que ça…

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