Photo-graphies et un peu plus…

Et voilà, elle fait marche arrière… A dire vrai, c’est la suite logique des onze bonnes minutes qui viennent de s’écouler. Certainement, plusieurs éternités pour la demoiselle perchée au sommet de cette « petite » falaise amorçant sa remontée en des terres plus fermes. Il y a onze minutes, c’est à cinq qu’ils ont débarqué au même endroit pour narguer les eaux chaudes mais mouvementées du Pacifique. A coup sûr, le défi du coin : se jeter à l’eau du haut de cette paroi rocheuse d’une huitaine de mètres !

On imagine bien les tractations préliminaires du groupe de copains de vacances : « Allez, chiche, on va tous sauter de la falaise ! » A ce moment-là, le club des cinq y croit, chacun se croit capable de sauter dans le vide et veut faire croire aux autres qu’il peut braver sa peur, peur qu’il se garde d’ailleurs bien de montrer. Alors, ça flambe au sommet, ça gesticule, ça s’approche du bord. Nerveux. Un coup d’œil aux compères et plouf, à l’eau ! Les quatre autres se précipitent pour vérifier que le téméraire est bien remonté à la surface. La demoiselle y croit, elle veut passer en deuxième, s’avance, hésite puis laisse sa place. Derrière, on ne se fait pas prier et on s’envole, pour vite rejoindre le premier. Ils sont maintenant deux à regarder en l’air. Et d’autres personnes commencent à arriver pour le grand sacrifice. La demoiselle y croit toujours, elle veut passer en troisième, s’avance, hésite puis laisse sa place. Derrière, le quatrième larron tente de la rassurer, lui montre les deux survivants à l’eau, qui eux-mêmes lui font de grands signes sensés lui prouver qu’il n’y a aucun danger… Mais bon, quand on a peur, on a peur… Alors, il saute. Reste quelques secondes sous l’eau puis va retrouver les deux autres, pour leur cours de sur-place scrutateur. La demoiselle y croit vraiment, elle veut passer en quatrième, s’avance, s’avance, encore un peu, un peu plus bas, pour gagner quelques centimètres… Elle voit la tête de ses amis hors de l’eau, elle voit l’eau frapper la falaise et se retirer dans des creux dont elle ne maîtrise pas la hauteur…

Mais elle s’imagine surtout plein de choses horribles : qu’elle ne va pas réussir à dépasser le bout de rocher en contrebas et s’écraser dessus, qu’elle va toucher le fond de l’eau et se briser les deux jambes, qu’elle va se faire emporter par une vague et projeter contre la roche… Elle lutte contre ces films qu’elle se fait en se disant que les autres s’en sont très bien sortis. Elle se retourne, découvre que la liste des postulants au saut de l’ange s’allonge. Sent monter la pression et doute encore plus. C’est alors que le cinquième du groupe, ayant épuisé tous ses arguments, prend son élan pour fendre l’air et, une demie-seconde plus tard, la surface de l’eau.

Elle est désormais seule sur le rocher, seule avec ce défi stupide qui fait vaciller ses jambes, tambouriner son cœur et tourner sa tête. Ceux qui attendaient à trois mètres s’approchent d’elle. Ils ont aussi un défi en cours et voir quelqu’un hésiter n’est jamais bon pour l’inconscience. Et sur la plage, nous sommes plusieurs à avoir stoppé notre promenade au ras de l’eau pour l’encourager intérieurement. Mais les onze minutes sont passées. Peut-être moins en fait. Et la demoiselle a enfin pris sa décision, finalement assez courageuse : celle de rebrousser chemin et d’accepter de courir le risque d’être la cible des moqueries de ses quatre camarades pendant un certain temps…

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