Photo-graphies et un peu plus…

Vancouver me fait parfois penser à un enfant ou un animal (de compagnie) – non, je ne mets pas les deux au même niveau – qui ferait une bêtise digne de mériter une sévère punition, qui en serait conscient et qui, suffisamment intelligent, saurait aussi, d’une élégante pirouette – une moue adorable, une parole incongrue, un câlin irrésistible – renvoyer toute tentative d’autorité du dit adulte ou maître aux oubliettes.

Mais quelle bêtise a bien pu faire Vancouver ? La ville a volé la pluie des autres, convoqué un gigantesque pow-wow de nuages de tous horizons au dessus de sa tête, et leur a intimé l’ordre de se presser un peu. Alors que certains paradent sous 30°C depuis des mois pour le meilleur (le plein de vitamine D pour des années) et pour le pire (la sécheresse fatale aux agriculteurs) invoquant les faiseurs de pluie les plus reconnus, projetant d’utiliser quelques pétards pour donner une telle frousse aux cumulonimbus qu’ils en fassent pluie-pluie, nous devons supporter les abus de pouvoir de cette ville.

Elle sait que quiconque en foule le sol en tombe littéralement amoureux, que la pluie – un peu trop récurrente – fait douter ses habitants quant à leur capacité à la supporter à long terme, alors, quand, elle nous sert un crachin dès le petit déjeuner ou, des trombes d’eau au dessert agrémenté d’une sauce de grêle pendant deux bonnes heures, elle sait qu’il suffit de quelques rayons de soleil bien sentis pour réconcilier tout le monde et provoquer une amnésie générale.

Evidemment, le tort, en ces circonstances chaleureuses, serait de croire que la chose est acquise. Que c’en est fini de la pluie pour la journée. Et c’est d’ailleurs sur l’un de ces troncs bancs disséminés régulièrement sur les plages que j’ai écrit les mots qui précèdent. Et pourtant, après deux heures de répit, des gros nuages gris sont venus assombrir le ciel, et le doute s’est à nouveau emparé des esprits. Cela a commencé gentiment par de grosses gouttes de pluie entre lesquelles il était possible de passer, et puis, petit à petit, le rythme s’est accéléré, la taille des gouttes s’est réduite et la pluie a mouillé tous ceux qui étaient sortis pour profiter du soleil. Et à nouveau, Vancouver s’en sort à merveille : le spectacle de ces gouttes jouant au tam tam sur la surface de l’eau, de la montagne disparaissant dans le grain, de ces rayons de soleil réussissant à percer et de ces amateurs de paddle surpris par l’assaut aqueux est magnifique… Et la ville, en pleine forme, pousse même le vice jusqu’à tenter quelques notes d’humour : sur le chemin du séchoir, alors que je dégouline de partout, je tombe nez à nez sur une affiche de concert : des places à vendre pour Supertramp !! Et, pour parfaire le tableau, je n’ai plus de batterie et ne peux donc capturer ce qui aurait pu être l’image de fin. Et hop, une « petite » PPF… Allez, Vancouver est vraiment une ville très très agréable à vivre !

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– Dis, tu ne l’avais pas celle-là ?

– Quoi « celle-là » ?

– Et bien, cette ride-là ?

– Où, une ride ?

– Là. Sous l’œil gauche. Bien marquée.

Tout le monde se marre

Il n’y a pourtant rien de drôle à découvrir une nouvelle ride chez quelqu’un. C’est beau, une ride. Et il faut bien que le temps qui passe et ce qui s’est passé pendant qu’il passait laisse sa trace d’une manière ou d’une autre. Comme un miroir déformant de nos vies, autant de stigmates de nos bonheurs, de nos douleurs, de nos tics, de nos frustrations, de nos fous rires, de notre enfermement, de nos éclats, de notre folie, et aussi, au fur et à mesure, de la somme de tout cela. Rides montantes ou descendantes, profondes ou légères, symétriques ou pas, on les interprète en croisant leurs porteurs comme si on était un devin à rebours. En fait, ce qui faire sourire, c’est de réaliser que l’autre vieillit aussi, comme si le temps pouvait nous oublier. « Oups, tiens, je suis passé à côté de celui-là ! Allez, hop, je lui mets tout d’un coup ! Y a pas de raison ! » Effroi au réveil ! Parce que le temps, on le voit plus passer sur les autres que sur soi.

– J’ai compris !

– Tu as compris quoi ?

– J’ai compris d’où venait cette ride.

– D’où ?

– Quand tu fermes l’œil gauche en prenant une photo…

Je la baptise « la ride du photographe », asymétrique donc. Une ride prestigieuse, en fin de compte, qui va continuer à creuser son sillon, et faire rire les voyeurs, pour mieux marquer les leurs…

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Réveil matinal.

– Super, je vais enfin pouvoir avancer sur mes projets ! (vraie motivation là !)

– Ok, mais d’abord, je fais des pancakes ! (ça commence comme ça…)

Autour des pancakes…

– Tu pourrais créer une bibliothèque là, et puis enlever ce canapé qui ne sert à rien, ça ferait de l’air… Ah oui, et des poufs ! Il te faut des poufs ! (mais de quoi tu te mêles ?)

Plusieurs poignées de minutes plus tard…

– Bon, il serait temps de s’y mettre ! (c’est ça, on y croit…)

Sur la liste, pour me donner bonne conscience, je raye quelques lignes.

– ça, c’est fait ; ça, c’est fait ; ça, c’est fait ! (pas trop quand même, ce ne sera pas crédible)

Zut, le téléphone sonne.

– Bla bla bla, bla bla bla, oh c’est super !, bla bla bla, bla bla bla, j’attends de voir les photos ! Bon, allez, j’ai des choses à faire… (ah ah ah ah… elle est drôle !)

Hop, on s’y remet…

– Mais, j’y pense, je ne me suis pas encore douchée ! Bon, allez, vite fait, une douche de 5 minutes top chrono et j’y retourne. J’ai encore le temps de boucler ça avant la fin de la matinée… (l’espoir fait vivre !)

Propre et prête. Ouverture des fichiers. On y est presque…

Et rezut, le téléphone sonne. Ils se sont donnés le mot oubien ?

– Et voilà, maintenant, c’est l’heure de préparer le déjeuner. Les carottes, c’est long à cuire ! (la bonne excuse ! personne ne t’oblige à les regarder non plus !)

Bon, cette fois-ci, plus de distraction.

– C’est fou cette météo ici quand même, un jour il fait beau, le lendemain il pleut… (et c’est reparti !)

Un nombre non négligeable de fichiers ouverts.

Et Internet. Damned.

– Oh, elle est pas mal cette conférence… C’est quand ? Demain, 13h… Hum, qu’est-ce que je fais demain à 13h ? Bon, il faudrait que j’avance sur cette histoire, mais je pourrai le faire plus tard… et puis, je vais apprendre plein de choses ! Ok, let’s go. (plus tard, plus tard, paroles, paroles, paroles…)

Les carottes sont cuites.

– Allez, traduction. Ah oui, et j’y vais ou pas, ce soir à cette expo d’étudiants ? Je ne sais pas… C’est pas sérieux… (si encore, il n’y avait que ça…)

Quelques pieds et mains de minutes plus tard.

– Traduction finie ! Corrections aussi ! Deux bonnes choses de faites. Bon, maintenant, quoi ? Voyons la liste… Hum, non, ça je ne vais pas avoir le temps (il n’est que 17h…) et puis, il faut que j’aille faire des courses. Ce serait bien de marcher un peu quand même…

A la croisée des chemins…

– L’expo ? Je ne sais pas… C’est loin, et puis le ciel est bien gris (n’importe quoi !). Ah, je sais, je vais aller voir pourquoi ils ont installé cette immense tente dans le parc !

Je ne sais toujours pas.

La mer est calme. Les kayakistes en profitent. Il se ruent par dizaines dans l’eau. La ville est enveloppée dans un silence de soir de match de hockey. Elle tourne au ralenti. Elle aussi.

– Mais pourquoi ce pain est-il aussi cher ? Bon, je vais ailleurs ! Il est quelle heure ?

– Il fait déjà nuit ? Je n’ai pas vu passer la journée ! Pfff, et puis, je n’ai pas eu le temps d’avancer sur cette histoire de liens ! Bon, demain, sans faute !

Je procrastine, tu procrastines, nous procrastinons… Ou l’art de remettre au lendemain, ou pire, au surlendemain, ce que l’on peut faire le jour même. Procrastination. 8 870 000 occurrences, un groupe de recherche au département Psychologie de l’université Carleton à Ottawa (leurs recherches n’avancent pas très vite… ah ah ah), 11 étapes qui conduisent à entrer dans ce cercle vicieux extrêmement énervant, quelques raisons probables pour l’expliquer (dont des processus biologiques, ce qui ôte toute responsabilité face à cette non-action ; la peur du succès, de l’échec…), et même une journée mondiale (bon, il y en aussi une pour l’ingénierie de l’avenir et les écrivains en prison !)… C’est rassurant de se dire que tout le monde, un jour,

– Ah tiens, il faudrait que je réponde à ce mail et que je pense à mon duo du jour…

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Vous êtes là. Il fait chaud. Une chaleur inhabituelle même si annoncée. 48°C peut-être. La clim’ est éteinte, les fenêtres sont ouvertes. Juste un conseil, presque un ordre en fait, comme ça, donné à l’entrée de la Vallée. Vallée de la mort, c’est son nom. Tout est dit, ou presque, dans ce nom. Il faut la traverser. Il faut traverser ce no man’s land. Il faut traverser ce vide qui n’en est pas un. Vous roulez, vous n’en pouvez plus de cette chaleur suffocante, de cet air brûlant qui entre et sort de la voiture sans vous rafraîchir. Vous parlez, vous commentez, vous parlez du rien. De ce rien immense qui s’étend  et que vous êtes en train de traverser, l’air de rien. Et puis, vous ralentissez jusqu’à vous arrêter complètement. Vous stoppez le moteur. Sortez de la voiture. Vous vous avancez au milieu de la route. De cette route à sens unique qui semble elle-même déclarer forfait avant la fin. Vous patientez là, quelques secondes, sans rien faire, si ce n’est scruter l’horizon. Et tout d’un coup, vous réalisez. Vous réalisez que vous n’entendez rien. Strictement rien. Pas un craquement de sel, pas un brin de vent, pas un moteur lointain, pas un cri d’oiseau, pas un souffle de vie. Le silence. Le vrai. Celui que, la plupart du temps, vous ne pouvez qu’imaginer, nos vies étant tellement bercées par le bruit. Cela détonne, le silence. Ce silence-là dans cet espace-là. Qui donne à la fois l’impression d’être seul au monde et en même temps, d’être enfin en communion avec lui. Une sensation à la fois réconfortante et inquiétante. Soudain, l’ambiguïté vous bouscule. Vous commencez par bouger un pied. Un mouvement qui fait crisser quelques cailloux sous votre semelle. Vous l’avez entendu. Vous êtes rassuré. Vous vous sentez mieux. Vous n’avez pas encore ouvert la bouche pour parler, mais vous savez déjà que la première chose que vous allez dire, juste avant de remonter dans votre voiture et de faire vrombir le moteur, est : « c’est fou ce silence quand même ! ».

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category: Actus
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« Le temps passe trop vite », « les journées sont trop courtes », « comment ? j’ai déjà 42 ans ! »… De courtes phrases qui sonnent comme l’écho au fond du Fish River Canyon namibien (c’est le 2e plus profond au monde ; simplement pour préciser qu’il y a encore de la marge). J’en connais des gens qui accepteraient de manifester contre ce temps qui file, brandissant des pancartes appelant à la grève pour une durée indéterminée tant que celui-ci n’aurait pas ralenti son rythme ! D’autres vendraient même leur âme à l’horloge parlante pour quelques heures de plus par jour…

Une petite heure, comme ça, ce ne serait pas une grande révolution pour le gouvernetemps, inflexible depuis des millénaires malgré les remaniements ministellaires. Pourtant, génération après génération, jamais il n’a plié. Car le temps… Ah, ah… Bref. Enfin, c’est ce que je croyais jusqu’à ce que je ne tombe œil à objectif sur cette vitrine. Il semblerait qu’il y ait des privilégiés à certains endroits de la planète et qu’ils ne soient pas pressés de le faire savoir ! Fermeture de la boutique à 25h le vendredi et le samedi ! Oui, oui, vous avez bien lu. J’hésite à divulguer où se trouve ce paradis de l’insatisfait chronique de peur de voir, moi-même, débarquer une faune que la ville n’est pas encore prête à accueillir. Encore trois journées classiques à attendre avant de vivre cette 25e heure. J’ai hâte ! J’espère que ça va passer vite ! Mais que vais-je bien pouvoir en faire, de cette heure supplémentaire ? Et surtout, à quel moment de la journée est-elle ajoutée, cette heure ?

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Pendant quelques secondes, j’ai bien cru qu’un seul et unique architecte était à l’origine de cet immeuble hybride où se côtoient cariatides et colonnades faussement anciennes et balcons bétonnés flanqués de quelques traces de patriotisme réellement récents. Heureusement  – car l’ensemble ne me semble pas très heureux -, il s’agit de deux bâtiments différents, même si l’on a l’étrange impression que le clair s’est intercalé entre la route, son arrêt d’autobus et la barre, comme une enveloppe glissée dans une boîte aux lettres.

Ceci dit, le soulagement est de bien courte durée : qui a bien pu autoriser cette juxtaposition et proximité entre ces deux édifices aux styles si opposés ? Opposés vraiment ? L’un comme l’autre fonctionne en effet par la symétrie et la répétition d’un même motif : un triptyque balcon, fenêtre et porte-fenêtre pour le plus récent, un triptyque de fenêtres intercalées de sculptures ou de colonnes pour le plus ancien. Et entre ces motifs, des montants de pierre lisse découpant les façades en parties égales.  Ainsi, même si emprunts d’époques différentes dotées de ses propres codes, ces deux-là sont bien plus proches que l’on voudrait le croire au premier regard… Ce n’est pas une raison suffisante pour en faire des voisins. Mais est un exemple parmi tant d’autres dans cette ville de Winnipeg, centre géographique du Canada, où les belles constructions érigées en des temps plus prospères sont tristement abandonnées aux caprices du temps et doivent coexister avec une architecture plus modeste…

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Certains se cachent, des heures durant, derrière des buissons en espérant qu’un cerf traverse majestueusement la plaine verdoyante arrosée par le soleil. Et souvent, au moment où ils renoncent et plient bagage, alors même qu’ils ont démonté leur matériel, le cerf apparaît et les toise, comme s’il avait lui-même patienté derrière un buisson jusqu’à ce que ses pacifiques observateurs ne se lassent… Il est des endroits où, à quelque heure de la journée que ce soit, le spectacle se joue devant nous, sans facétie. Comme là, à la sortie des arrivées d’un aéroport !

Côté extérieur, il y a ceux qui viennent avec un bouquet de fleurs, une fleur unique ou une grappe de ballons colorés ; il y a les fébriles, près des barrières, qui lancent leur regard le plus loin possible dans le couloir pour apercevoir les leurs un peu plus tôt, ; il y a ceux qui tapotent leur téléphone toutes les 10 secondes en espérant un signe de vie avant le signe de vue ; il y a ceux qui ne connaissent pas ceux qu’ils vont chercher et qui brandissent une petite affiche devant eux ; il y a ceux qui  ne peuvent attendre dans le silence et s’interrogent sur la tenue, les bagages, l’humeur de ceux qu’ils vont accueillir ; il y a ceux qui vont d’une sortie à l’autre et qui se disent qu’ils auraient dû se donner un rendez-vous plus précis… Côté intérieur, il y a ceux qui n’espèrent personne et qui filent droit sans jeter un œil à toutes ces âmes en attente ; et puis il y a ceux qui se savent attendus et qui cherchent, dans le magma humain impatient, un visage amical, amoureux, familial…

Le plus beau est évidemment quand les regards se croisent enfin, que les sourires illuminent les visages, que les petits sautent de joie et se mettent à courir en direction de leur père, mère, oncle, tante, que les bras se tendent et s’ouvrent à l’autre, que des petits cris de bonheur s’échappent de certains, que les premiers baisers et/ou mots s’échangent, que quelques larmes perlent sur les joues… Un bonheur simple, euphorisant et universel d’une forte intensité qui dure de quelques secondes à quelques minutes. Le petit groupe, discrètement observé par ceux qui attendent leur tour, abandonne alors la scène pour des échanges moins publics. Et à peine sorti du champ, il est remplacé par d’autres accolades, instillant à nouveau dans l’assemblée une telle plénitude que cela devrait être prescrit à tout être qui bat de l’aile…

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A priori, l’œil extérieur est d’abord attiré par les deux silhouettes fantomatiques errant sur le quai du métro, à la fois présentes et déjà dans un après lui-même enregistré. C’est un leurre. L’objet même de cette photographie se trouve ailleurs. Au niveau de ces simples sièges piqués dans le marbre. Juste au-dessus. D’autres formes apparaissent. Elles-mêmes vaguement humaines. Un tronc, une tête. A peu près. La somme de toutes les personnes qui se sont posées là, 30 secondes, 1 minute ou 5 minutes, qui se sont adossées au mur, et, peut-être, ont légèrement bougé. En tout cas, suffisamment pour que les mouvements répétés de ces masses plus ou moins identiques laissent une trace obscure sur cette paroi programmée pour être résistante et imperméable au changement. Un peu comme ces marches d’escaliers en granite qui finissent pas s’affaisser, s’éroder, ou fondre sur les bords, d’avoir trop été foulées. Telle une victoire collective des hommes patiemment remportée sur la dureté de la matière.

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