Photo-graphies et un peu plus…

Le club

Ne trouvez-vous pas étonnant que l’on puisse être réveillé par un tout petit bruit ridicule s’excusant presque d’exister et que l’on soit capable, à l’opposé, de s’endormir dans une boîte de nuit où le volume sonore atteint les 110 dB et les murs vibrent à l’unisson tout en étant la même personne ?

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Un ange passe

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L’inexpérience et l’ignorance ont parfois leurs bons côtés… Ainsi, en préparant ce week-end de randonnée en raquette par -20°C (moins en fait, mais je ne voudrais pas vous faire peur), on avait pensé à beaucoup de choses – affaires de change, duvet, nourriture, bougie, eau, couverture de survie, chocolat, appareil photo, chargeur, allumette (ce n’est pas tout de penser à la bougie !)… -, je m’étais aussi beaucoup projetée sur ce que notre petit groupe allait pouvoir découvrir dans ce parc québécois à quelques encablures de Montréal – le froid le vrai, celui qui vous fige les poils de vos narines ; la marche en raquette, un vrai hobby de canadien ; des paysages féeriques où la neige serait souveraine, que nous traverserions dans un silence quasi religieux ; des animaux qui apparaîtraient, comme par enchantement, derrière des arbres, nous lanceraient un regard curieux avant de poursuivre leur chemin…

Mais j’avais omis un point extrêmement important qui, dès nos premiers pas, a envoyé ces images d’Epinal sur la très lointaine Ile aux rêves de profanes : marcher dans la neige n’est pas marcher sur le sable, bien que l’on s’y enfonce tout autant. Marcher dans la neige fait du bruit (dans le sable aussi, mais moins). « Fait du bruit », pas « émet un son », c’est différent, même si, dans le fond, c’est du pareil au même. Vous savez, c’est comme avec le lait que l’on a trop laissé refroidir : ceux qui n’aiment pas se plaignent de la « peau » qui recouvre sa surface et donne des hauts-le-cœur, et ceux qui aiment parlent de « crème » qu’ils se dépêchent de recueillir à la petite cuiller… Bon, et bien, dans certaines circonstances, la neige émet un son absolument magique lorsqu’on la foule. Dans d’autres, elle fait du bruit. En l’occurrence, un groupe, même petit, se muant avec de tels appendices aux pieds sur de la neige fraîche, produit à peu près le même résultat qu’une recherche, amplifiée bien entendu, d’une station radio en plein milieu du désert : cccrrrrrrr, ccrrrrr, ccrrrrr, tu dis ? cccrrrrrr…

Parce qu’évidemment, avec un tel vacarme autour de soi, impossible de s’entendre non plus, sauf si tout le monde s’arrête en même temps ! ccrrrrr, ccrrrrr, stttooooppppp lance l’un ; tout le monde s’arrête ; c’est beau, hein ? ; ouais, ouais… ; ccrrrrr, ccrrrr, ccrrrr ; maccrrr qucrrrr faccrrrr brccccrrr ; kestudi ? ; stttooooppppp !!! ; tout le monde s’arrête de marcher : je dis, oui, mais qu’est ce que ça fait du bruit !! Oubliée la communion silencieuse avec la nature, oubliées les sorties inattendues d’animaux de la forêt (on nous entend à 3 km !)… La rando en raquette, si elle est un ravissement pour les yeux, est un véritable calvaire pour les oreilles !

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Vous êtes là. Il fait chaud. Une chaleur inhabituelle même si annoncée. 48°C peut-être. La clim’ est éteinte, les fenêtres sont ouvertes. Juste un conseil, presque un ordre en fait, comme ça, donné à l’entrée de la Vallée. Vallée de la mort, c’est son nom. Tout est dit, ou presque, dans ce nom. Il faut la traverser. Il faut traverser ce no man’s land. Il faut traverser ce vide qui n’en est pas un. Vous roulez, vous n’en pouvez plus de cette chaleur suffocante, de cet air brûlant qui entre et sort de la voiture sans vous rafraîchir. Vous parlez, vous commentez, vous parlez du rien. De ce rien immense qui s’étend  et que vous êtes en train de traverser, l’air de rien. Et puis, vous ralentissez jusqu’à vous arrêter complètement. Vous stoppez le moteur. Sortez de la voiture. Vous vous avancez au milieu de la route. De cette route à sens unique qui semble elle-même déclarer forfait avant la fin. Vous patientez là, quelques secondes, sans rien faire, si ce n’est scruter l’horizon. Et tout d’un coup, vous réalisez. Vous réalisez que vous n’entendez rien. Strictement rien. Pas un craquement de sel, pas un brin de vent, pas un moteur lointain, pas un cri d’oiseau, pas un souffle de vie. Le silence. Le vrai. Celui que, la plupart du temps, vous ne pouvez qu’imaginer, nos vies étant tellement bercées par le bruit. Cela détonne, le silence. Ce silence-là dans cet espace-là. Qui donne à la fois l’impression d’être seul au monde et en même temps, d’être enfin en communion avec lui. Une sensation à la fois réconfortante et inquiétante. Soudain, l’ambiguïté vous bouscule. Vous commencez par bouger un pied. Un mouvement qui fait crisser quelques cailloux sous votre semelle. Vous l’avez entendu. Vous êtes rassuré. Vous vous sentez mieux. Vous n’avez pas encore ouvert la bouche pour parler, mais vous savez déjà que la première chose que vous allez dire, juste avant de remonter dans votre voiture et de faire vrombir le moteur, est : « c’est fou ce silence quand même ! ».

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Avez-vous déjà fait l’expérience d’écouter du brouhaha ? Il est vrai, que d’une manière générale, le brouhaha, on ne fait que l’entendre. On ne peut d’ailleurs faire que ça… Sans gêne, il s’incruste au restaurant, dans les salles de spectacle, les stades, les manifestations, les classes, les cours de récréation. Une sorte de rumeur à laquelle chacun participe inexorablement par le seul fait d’ouvrir la bouche et d’émettre un son.  Ce qu’il y a de fascinant lorsque l’on écoute le brouhaha – et donc, que l’on se plonge soi-même dans un silence d’or -, c’est que, comme dans un épais brouillard, les phrases, les mots, les syllabes, les lettres perdent totalement leur identité, leur relief. Et dans la foulée, leur sens. Tout se fond en un magma indistinct de sons et de bruits, constituant, bizarrement, une ambiance sonore uniforme. Seul un éclat de rire, un tintement de couverts sur une assiette, deux verres qui s’entrechoquent, un larsen viennent rompre la monotonie bruyante de cette espèce de langage que personne ne serait en mesure de parler seul, bien que le maîtrisant parfaitement en groupe. Car, dans cette langue légèrement surréaliste, chaque phrase est le fruit de mots prononcés par plusieurs personnes et n’a de sens pour aucun d’entre eux.

Mais est-ce vraiment le plus étonnant ? Que vous soyez à Paris, à New York ou à Rome, cette langue semble résonner de la même manière. Quelle que soit la langue parlée, le brouhaha la dépouille de ses intonations, ses accents, sa musique qui en font son unicité. Quelles que soient les différences, celles-ci sont gommées par la superposition. Superposition, c’est ce mot qui m’est venu à l’esprit lorsque je me suis demandé comment transposer cette expérience sonore en photographie. Superposition d’images donc, n’ayant rien à voir les unes avec les autres, comme les conversations télescopées de différentes tables, donnant un ensemble indéterminé, indéfini, incohérent, improbable, irréel dont on peut, malgré tout, reconnaître certains éléments, des taureaux, des lumières, des arbres, des parasols, des lettres, du ciel, de la terre. Et si l’on continuait à multiplier les couches sur cette esquisse, si l’on réitérait l’expérience avec une autre série d’images, le résultat serait probablement tout aussi universel qu’avec les sons. Ces parties encore discernées s’effaceraient pour se transformer, petit à petit, en des traits puis, des points. Et, alors que les sons continueraient à s’imposer, oppressants, l’image, elle, décomposée, disparaîtrait.

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