Photo-graphies et un peu plus…

Dans la labyrinthique et mythique médina de Marrakech. A errer de ruelles en venelles. Entre les murs ocres et la terre rouge. Le regard s’égare. Il scanne. Se heurte à des murs, des détours, des contours. Cherche le ciel. Bleu. La sortie. Des repères là où tout le monde semble savoir exactement où il est. Où la vie va piano. Là, peut-être. A l’Est de cet étal de fruits et légumes d’un marché improvisé. De l’autre côté de cette porte ouverte. Comme un œil au milieu du visage. Eclairé de l’intérieur. Une lumière vive. Blanche. Empoussiérée. Mystérieuse. Extra-ordinaire, voire extra-terrestre, dans cette ambiance étroite et haute. L’appel du fond. Comme un aimant.  Cinq notes sur un piano aux touches colorées. Une folle envie d’aller voir ce qui lui vaut cet éclat. Le chemin vers la sortie, la délivrance ? Comme dans un cliché. Un leurre, plutôt. Un patio, certes enveloppé de lueur, mais ne donnant que sur lui-même. Un clin d’œil du soleil zénithal, au passage, avant d’aller attraper d’autres regards fuyants…

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Si loin, et pourtant si proches ainsi juxtaposés, comme ils l’étaient déjà, superposés, dans Paradoxe auditif…. Abysse de glace bleue turquoise dont le fond, insondable, nous appelle tel un champ gravitationnel neptunien. A l’aplomb, juste avant la crevasse, une épaisse couche de neige nous sauve de la dégringolade fatale. Elle craque sous les pas, nous prévient. Dans cette atmosphère bleue et blanche qui amortit les sons et donne à chacun l’impression d’être dans une chambre sourde ou un monde déserté par la vie, on n’entend que cela, ce bruit inimitable du crissement des flocons délicatement posés les uns sur les autres, cet air glacial coincé entre les cristaux expulsé brutalement par la pression. Le chant des glaces…

Dans l’autre hémisphère, celui où l’on a la tête en haut, dans le sable, le sans fin, c’est à la fois une autre histoire et la même ritournelle. Il n’est d’ailleurs pas si lointain le temps où l’on m’a appris la nouvelle. Les dunes chantent. A leur manière. Un mythe comme pourrait l’être le tintement induit par l’éclatement de gouttes de rosée à l’heure bleue ? Non, une réalité. Des sons graves, vibrants, d’une puissance assourdissante pouvant atteindre 100 dB selon la taille des grains, provoqués par de grandes avalanches de sable et ressemblant, par moments, à un vol de bourdons. Un pas un peu appuyé sur le rebord d’une dune bien choisie. Elle se fissure. Lentement, la dune se met en branle. Roulement de tambours. Le grondement monte. Tout, autour, s’emplit d’un profond silence, tout s’éteint. Puis les étoiles s’allument, scintillant comme des cristaux de glace. Ce soir, c’est concert à ciel ouvert ! Ou comment le plus insignifiant des grains de sable peut être à l’origine d’un moment dune indicible volupté…

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La météo et la politique sont deux sujets que l’on peut sortir de son bonnet lorsque le blanc s’installe dans une conversation à plusieurs, à tel point qu’il en devient gênant. Plus rien à se dire. Chacun se tortille intérieurement pour trouver le sujet qui relancera l’échange, tout en essayant de repousser au maximum le joker météo (on le garde en dernier recours, car il marche à tous les coups). La thématique politique est tout aussi efficace, encore plus lorsque les avis des personnes en présence divergent. Dans un tel cas, votre soirée, que vous pensiez ratée, est sauvée, mais pas forcément l’amitié qui vous unissait à vos voisins de table ! De fait, la météo est bien plus consensuelle. Evidemment, l’on pourrait aussi imaginer quelque chose du genre :

A : Ah non, je ne suis absolument pas d’accord avec toi ! Cette pluie était totalement malvenue !

B : Mais tu racontes n’importe quoi, une fois de plus. Si tu voyais un peu plus loin que ta petite personne, tu verrais, que comme nous tous autour de cette table, cette pluie est, en vérité, la meilleure solution pour tous dans la situation désastreuse dans laquelle nous nous trouvons !

C : Euh, moi, je ne pense pas ça non plus…

B : Comment ? T’es avec lui alors ? Vous êtes vraiment tous des égoïstes ! Vous n’avez rien compris ! Donc, encore une fois, ça devient lassant à la fin, je vous explique…

C : Bah non, je ne pense pas comme lui non plus !

B : Et ben voyons ! Alors, quel est ton avis sur cette pluie ?

C : Je n’en ai pas. Je m’en moque totalement de cette pluie ! J’ai autre chose à penser dans ma vie !

B : Je n’y crois pas ! Il y a des hommes et des femmes qui se sont battus des années pour que nous ayons le droit de dire ce que nous pensons sur la pluie, et toi, comme ça, tu t’en moques totalement ? Pfff… Je ne sais pas ce que je fais là, vraiment…

Bon, ce serait amusant… Du coup, je me sens obligée de parler météo. Non parce que je n’ai rien à écrire (loin de là), ni pour lancer une nouvelle polémique, mais parce que c’est de circonstance. Il neige. Sans discontinu depuis plusieurs heures. Des flocons magnifiques qui brillent comme des diamants que je ne convoite pas ; qui, propulsés par le vent, scintillent comme des étoiles filantes. Montréal essuie, en ce moment même, sa première petite tempête de neige. C’est-à-dire qu’il n’y a que 50 cm de neige dans les rues. Dans un tel pays, la discussion météo a probablement un vrai rôle social. Dans un pays où à 00h34, des voisins raclent la neige sur leur terrasse, elle n’est sûrement pas un sujet pour combler la neige, euh, les blancs, mais un sujet en soi, de partage d’un rendez-vous annuel à la fois magique et sûrement éprouvant aussi ! Enfin, nous verrons de quoi nous parlerons demain…

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Le premier panneau que l’on lit si d’aventure on lève la tête en arrivant face à ce beau rideau bleu baissé, c’est forcément le rouge. C’est lui qui attire le plus l’œil, en tout cas, le mien. Ce « Fermeture pour divorce » nous fait décocher un sourire franc, car il est inattendu. Evidemment, d’un certain point de vue, c’est une triste nouvelle que lâche ainsi Monsieur Silvera sur la place publique, et on est en droit de se demander s’il s’agit d’une note d’humour ou d’une véritable annonce. Le fait qu’il ait choisi la couleur rouge pour ce message, celle de l’amour mais aussi de la colère, fait tendre vers la seconde option. Puis penser que c’est sa femme qui a demandé le divorce. Sinon, il serait toujours ouvert. Car il impute la fermeture de sa boutique à ce changement de situation maritale, qui, on le déduit, l’a plongé dans un tel état second, pour ne pas dire dépression, qu’il n’a plus été en mesure de tenir son commerce.

Mais l’analyse de trottoir se corse à la lecture des deux autres panneaux, le jaune, puis le blanc. Surtout le blanc en fait, qui vient tout chambouler. En petit, il est précisé que l’entreprise Silvera ferme définitivement pour « Retraite et maladie ». Teint pâle. Faut-il comprendre que si Monsieur Silvera n’avait pas été pas malade, il aurait continué à travailler, même en ayant atteint l’âge de la retraite ? Ou alors que la retraite est une maladie ? Et pourquoi ne s’est-il pas arrêté à « Retraite » ? Et comment, à la lecture de ces nouveaux éléments, comprendre le panneau rouge ? Est-ce une métaphore ? Le divorce est-il incarné par la retraite et la maladie ? Un divorce avec une époque heureuse où le rideau bleu était levé ?

En fait, à sa façon, Monsieur Silvera est un homme très moderne. Il a créé son propre mur – vocabulaire facebookien pour les non membres ou les résistants – réel, bleu et reconnaissable grâce à son logo étoilé. Un mur public qui plus est, sur lequel il a posté des informations personnelles, à la manière d’un fil d’actualité, livré ses états d’âme du moment de façon un peu sèche, ambiguë et parfois contradictoire, mais il a laissé un contact au cas où quelqu’un voudrait en avoir le cœur Net, ce qui nous permet d’apprendre que son fils s’appelle Bernard et qu’il perpétue dignement la tradition familiale. Manquerait plus qu’un passant dessine un pouce levé à côté d’un des messages !

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Je peux l’avouer aujourd’hui, j’étais dans l’avion rebelle du Couloir aérien, celui qui s’était offert une petite virée spatiale, comme ça, sur un coup de tête, un matin comme il en existe où l’on se sent pousser des ailes, où l’on se dit que tout est possible. Juste avant d’amorcer son ascension, l’avion, qui avait pris les commandes de lui-même (une option négligée du pilotage automatique), a diffusé un message dans la cabine, expliquant tout ce qui allait se passer. Pirate de l’air, certes, mais soucieux du confort de ses passagers, et c’est tout à son honneur. Incrédulité dans les rangs jusqu’à ce qu’il ne commence sérieusement à s’incliner, alors transformée en panique totale. Mais, une panique étrangement silencieuse. A couper le souffle, pour ainsi dire.

De toute manière, il n’y avait rien à faire : l’avion en position verticale, impossible de se lever de son siège pour remonter le courant. Il n’y a que dans Titanic que les héros sont capables de défier la gravitation à ce point ! De la fiction ! Là, on est de l’autre côté. Dans la réalité. Evidemment, les masques à oxygène sont tombés et nous les avons mis dare dare sur nos visages, prenant de grandes inspirations comme si elles allaient nous réveiller d’un mauvais rêve. A bien y réfléchir, ce calme surréaliste était peut-être dû à la musique qu’avait mise l’avion, vraisemblablement très cinéphile. L’ouverture de Ainsi parlait Zarathoustra de Richard Strauss puis, dans la foulée, Le beau Danube bleu de Johann Strauss II, homonymie fortuite car sans lien de parenté. En quelques minutes, porté par la valse autrichienne, tout le monde était dans un état second. Comme perché. Contemplatif. A l’extérieur, palier de décompression après palier de décompression, le bleu ciel devenait nuit. Les petites télés, branchées sur ce que l’on voyait du cockpit, faisaient défiler des images d’un infini, sombre, et en même temps, parsemé de petites billes de lumière et de sphères gazeuses, que l’on devinait à travers les hublots. L’inconnu fantasmé, le rêve incarné. Une parenthèse étoilée sur laquelle est venue, pendant une micro-seconde, flotter l’image de la cité que nous venions de quitter, tel un au-revoir sublimé.

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Je me suis toujours demandé qui établissait la programmation de ces séances gratuites de panneaux publicitaires déroulant, tant les enchaînements proposés sont parfois audacieux. Ainsi en est-il de celui-ci, monté façon express pour être quasi subliminal (donc fatiguant) et rendre encore plus évident le sarcasme des presses et papiers. Même typologie d’image. Une silhouette sur fond uni : blanc versus noir. Même gestuelle : bras écartés,  en l’air versus à terre. Même message en bandeau avec un jeu de question-réponse qui paraît étrangement calculé. Même conclusion : l’un comme l’autre ont franchi la frontière violemment, de façon non naturelle, celle dont on nous dit, nous répète, qu’elle est la seule dont on ne peut revenir. La mort.

Nous allons peut-être devoir revoir nos classiques à la lumière de tout ce qui a été entrepris depuis la disparition de MJ pour que la flamme (les billets verts) reste toujours allumée (continuent à couler à flot) chez les fans (dans les poches de tous ceux qui en ont des bien placées). Ainsi s’annonce donc la 4e tournée de Mike, Bambi, le Roi de la pop : « The immortal world tour ». Qui est, il faut le dire, un titre hautement cynique ! Qu’est-ce que c’est que ce cirque, vous direz-vous (peut-être) ? Et bien, justement, c’est le Cirque du Soleil, connu pour ses shows magnifiques mais doté d’un contrôle qualité un peu trop pointilleux à mon goût, qui est à l’origine de ce projet humaniste et philanthropique. Enfin, qui a « uni ses forces avec la succession de Michael Jackson » pour créer ce spectacle, dont un premier tour de piste aura lieu en Amérique du Nord en 2011 et 2012. A peine un an et demi qu’il est décédé, et il ne se passe pas un jour sans qu’on ne le sorte de sa tombe. Si ce n’est une chanson inédite exhumée par ce héros récurrent, cet-ami-qui-lui-veut-du-bien-enfin-pas-à-lui, c’est un concours pour trouver « le nouveau Michael Jackson », puis un album posthume (dont la voix n’est potentiellement pas la sienne), des coffrets, un jeu vidéo, et donc ce spectacle. Bientôt, un clip en hologramme 3D j’imagine pour « matérialiser » un peu ces duos pré-enregistrés… Tout cela me renvoie à quatre phrases prononcées par l’artiste expérimentale Laurie Anderson lors de son spectacle « Le délire » donné à la Cité de la Musique (grand écart culturel, oui) et qui disaient, en substance : on meurt trois fois ; la première, quand on s’éteint ; la deuxième, quand on nous enterre ; la troisième, quand notre nom est prononcé pour la dernière fois. Finalement, le titre choisi par le cirque n’est peut-être pas si douteux. Car, il n’est pas encore né le jour où le nom de Michael Jackson ne sera plus émis (ah, ah, ah, ah, ah, ah, ah, ah, aaaahh…) !

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Je sais, on ne joue pas avec la nourriture. Et pourtant, il suffit parfois d’une tête de fruits comme celle-ci pour qu’une assiette de prime abord repoussée soit vidée avec joyeuseté… « Allez, on mange quoi maintenant, l’œil ou le nez ? » « La bouche ! », en chœur ! Bref. Ainsi, le « repas gastronomique français » a-t-il été inscrit au patrimoine immatériel de l’humanité. Mon ignorance et moi-même ne connaissions pas l’existence de cette notion de « patrimoine immatériel », par opposition au patrimoine matériel donc. Sa valorisation et sa sauvegarde sont le fruit d’une convention signée il y a 7 ans par plus d’une centaine de pays. Cette initiative, qui a sa liste d’urgences, doit permettre de « mettre en valeur quelque chose en situation de fragilité extrême » face à la mondialisation et à la circulation de l’information notamment. Des traditions, des arts du spectacle, des pratiques sociales comme le chant croate Ojkanje, la technique des cloisons étanches des jonques japonaises, les tours humaines espagnoles ou encore l’art traditionnel du tissage du tapis azerbaïdjanais, sans oublier la moxibustion de la médecine traditionnelle chinoise. Et donc, depuis peu, le repas gastronomique français. Une première pour une gastronomie ! Mais, est-ce vraiment une bonne nouvelle dans la mesure où cela signifie que ce fameux repas gastronomique français, « pratique sociale coutumière destinée à célébrer les moments les plus importants de la vie des individus et des groupes » et poussant « à l’amitié entre les peuples », est en voie de disparition ? Potentiellement phagocyté par cette mondialisation gloutonne qui impose ses goûts, ses couleurs, ses odeurs et ses sons.

Transition, servie sur un plateau, avec une autre information culino-conservato-sensorielle de premier ordre, qui, reliée à cette distinction humanitaire, pourrait faire l’effet de l’explosion de petites gousses de mandarine fraîches sur nos papilles sensibles. Il semblerait – mais est-ce vraiment étonnant ? – que le fond sonore ait une influence sur la perception des aliments que nous sommes en train d’ingérer. En particulier, les sons puissants « rendraient » plus doux voire fades des plats épicés, tandis que le silence, ou du moins, les sons agréables (ce qui est totalement subjectif), intensifieraient le croquant des ingrédients et mettraient en exergue les saveurs sucrées et salées.

D’ici quelques années, lorsque ces conclusions auront été validées et approfondies, quand nous – ou plutôt nos enfants, au sens large, pour lesquels ce patrimoine a été créé, oui, vous savez, ces jeunes « qui ne prennent pas le temps d’apprendre », trop occupés qu’ils sont à flâner sur des supports immatériels – nous rendrons au (super)marché, nous pourrons scanner notre caddie et une voix de synthèse nous indiquera la BOR (pour Bande originale de repas) idéale en fonction des ingrédients présentés et du style d’ambiance que nous voudrons insuffler à notre repas (que nos invités partent vite ou qu’ils se sentent chez eux). Nous n’aurons plus qu’à la confirmer à la caisse, en payant le reste. Elle sera alors immédiatement transférée sur la boîte de dépôt public de notre ordinateur personnel auquel le magasin aura accès grâce à la puce de pandore intégrée à notre poignet droit à la naissance. Pour un peu que nous prévoyions de la cuisine française et que nous invitions nos amis toutes origines confondues, nous aurons ainsi la garantie d’un dîner réellement parfait !

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Cette impression de pluie s’abattant sur les promeneurs nocturnes montréalais est l’une des 18 photos proposées au concours annoncé hier. J’en remets une couche. A tel point que cette image-là n’est d’ailleurs pas tout à fait celle que j’ai envoyée. Mais l’objectif n’est pas de parler de ces photos, mais plutôt de la façon dont Facebook vampirise tout progressivement.

Seuls ceux qui possèdent un compte dans cette nouvelle banque de données mondiales (mais il ne faut pas s’inquiéter, ce ne sont que des amis qui vous veulent du bien…) peuvent en effet dire qu’ils aiment telle ou telle image, voire la commenter. On me rétorquera qu’ils sont quand même 500 millions, ce qui est un public potentiel inespéré pour les 66 627 personnes qui ont déposé, à elles seules, 342 960 photos… Reste que 500 millions d’amis (sûrement plus depuis la sortie du film de David Fincher), c’est beaucoup, mais ce n’est pas tout le monde ! 5 197 254 041 sont mis à l’écart pour d’obscures raisons.

Il est dommage qu’un concours ouvert à tous au départ soit finalement réservé à une frange de la population. Et combien de personnes finissent par s’inscrire, après avoir pourtant résisté à ce nouvel objet de pression sociale (« quoi, tu n’es pas sur Facebook ! mais, comment fais-tu pour communiquer avec le reste du monde ? », quelques années après « quoi, tu n’as pas de portable ! mais comment fais-tu pour vivre ? »), pour pouvoir faire leur devoir artistivique et voter ? Quel argument recevable peut justifier une telle exclusion ? On ne peut être amateur de photo que si l’on est sur Facebook ? Un visiteur avec un carnet d’adresses plein est sans doute plus intéressant qu’un internaute lambda-sans-ami-le-pauvre… Et cet exemple anodin, qui en dit long sur la puissance de cette nouvelle élite de masse, n’est que la partie émergée du Zuckerberg !

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Pendant que le cinéma projette son feu d’artifice sur le macadam noir pétrole, un drame se joue. La fin d’un leurre. Que dis-je ? D’un mythe. Une légèreté. L’échange débute, autour d’un café et d’un croissant, par une question toute simple. « Il y a une école de musique à Brooklyn ? » On s’imagine tout de suite la ville, ses immeubles en briques, un peu décrépis… La musique étant souvent associée à la danse, une autre image se dessine rapidement. Un film en fait. Flashdance d’Adrian Lyne. Un classique (désopilant) des années 80, avec des coupes de cheveux ahurissantes, des tenues déconcertantes, mais une bande originale décoiffante (Maniac ou What a feeling, pour l’essentiel sur lesquelles on a toutes essayé, bien cachées dans nos chambres, d’agiter nos gambettes comme Alex) et des scènes de danse bluffantes. Le film qui a lancé Jennifer Beals.

On a tous en tête – mais si, n’ayez pas peur – cette scène finale où son personnage en met plein la vue à un jury d’abord ennuyé avant d’être emporté par le rythme de la soudeuse-danseuse. Du coup, deuxième question café-croissant : « ce n’est pas à Brooklyn qu’a été tourné ce film ? » L’antisèche universelle nous apprend en 0,3 s que non, c’est à Pittsburgh. Et en lisant un article consacré au 3e plus gros succès cinéma de l’année 1983 aux USA (moi, je m’en souviens plutôt comme de l’année de la victoire de Yannick Noah à Roland Garros, émue en direct…), je tombe dessus : Jennifer Beals était doublée pour  les scènes de danse. Premier choc ! Je croyais naïvement que c’était pour ses qualités de danseuse qu’elle avait été choisie… Deuxième choc : elle n’a pas été doublée par une mais par trois personnes : deux femmes (Marine Jahan, Sharon Shapiro), un homme (Crazy Legs, nom de scène a priori). Et dans cette fameuse scène finale au montage stroboscopique, quatre personnes sont en fait sur scène. La tête de Jennifer Beals, le corps de Marine Jahan, celui de Sharon Shapiro pour le saut de gymnaste et celui de Crazy Legs pour le passage de breakdance. Dans ce contexte, s’agit-il encore de cinéma ou de cuisine cinématographique ? Allez, pour parfaire le tableau, le nom de Marine Jahan n’était pas au générique. D’où la troisième question café-croissant : « Mais qu’a donc fait Jennifer Beals dans ce film ? » L’histoire ne dit pas si elle était aussi doublée quand son personnage faisait de la soudure. Elle portait un masque !

En revanche, ce qu’elle dit, c’est que la Paramount a proposé à David Cronenberg de réaliser ce film… Une proposition sûrement surréaliste pour celui qui vient de commettre le film d’horreur Scanners et qui, cette même année 1983, propose Videodrome et The Dead Zone. Alors, Flashdance dirigé par David Cronenberg, cela aurait donné quoi ? D’abord, Alex n’aurait pas été soudeuse, mais conceptrice de jeux vidéos très organiques. Chaque soir, une dangereuse corporation aurait pris le contrôle de son cerveau pour lui faire interpréter des danses mécaniques, accompagnée de dizaines d’hommes déguisés en mouche… A la fin, un membre du jury, sorti de plusieurs années de coma avec des pouvoirs divinatoires, lui aurait lâché qu’il était inutile qu’elle danse car elle allait rater la scène de breakdance. Alex, furieuse, quitterait les lieux en courant, grimpant dans sa voiture décapotable pour aller se planter dans un mur de béton, avant de s’envoyer en l’air avec son petit ami entièrement recouvert de tatouages et infiltré dans la mafia russe. Définitivement, cela n’aurait pas du tout été le même film. Et sinon, oui. Oui, il y a une école de musique à Brooklyn. On y enseigne aussi la danse d’ailleurs…

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A peine perceptible, dans cet entre-deux où les couleurs ont disparu, le spectre d’une jeunesse inconsciente, mais courageuse, se jetant dans le vide juste avant que la vague ne vienne se casser dans un fracas assourdissant sur la digue abrupte et menaçante. Et ainsi être certaine, à peu de choses près, d’avoir un minimum de fond sous les pieds lorsque ceux-ci, puis tout ce qui suit, viendront heurter l’eau. Le cœur tambourinant, silencieuse par la peur qui, malgré tout, est là, elle mesure à peine le risque qu’elle court en courant de la sorte… Derrière, dans l’ombre, hors champ, la jeunesse accompagnatrice vocifère, encourage, crie à la poule mouillée, quand, tétanisés, ceux qui l’ont déjà quittée depuis quelques années se demandent ce qui peut bien lui passer par la tête, tout en étant bien incapable de ne pas la regarder faire ces sauts de lange…

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