Photo-graphies et un peu plus…

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Ce soir, j’avais envie de me reposer sur un cliché. Ces photographies déjà vues mille fois sur le net, qui se ressemblent toutes plus ou moins, plus plus que moins, et qui ont peut-être même été à l’origine de votre voyage. Cette photo là, j’avais envie de la prendre moi aussi. De fait, en arrivant à Manarola, l’un des cinq villages du parc national des Cinque Terre, enfer estival autant que paradis hivernal (celui que j’avais choisi), j’étais tout de suite partie à sa recherche : la croix au sol indiquant où se mettre pour prendre ledit cliché. Et à vrai dire, la mission n’avait pas été si complexe : un attroupement signalait sa présence d’assez loin.

J’avais juste attendu que le soleil ne se couche, puis dore les falaises et les maisons colorées de ce village escarpé, et qu’un petit bateau sorte du port pour déclencher. D’ailleurs, même cette image-là, on la trouve par dizaines… Peu importe, le cliché, on ne se met pas de pression en le prenant, on n’a même pas à l’imaginer – d’autres l’ont fait avant soi -, on n’a pas non plus à courir bêtement derrière un monsieur sur une plage enveloppée dans la brume en croisant les doigts pour ne pas le perdre de vue ni rater la photographie que l’on vient de prévisualiser où tout est évidemment parfaitement à sa place… Ce n’est pas que l’on n’attende rien d’un cliché non plus, bien au contraire : le cliché est une respiration. Essayez donc de ne pas respirer et vous verrez que vous ne tiendrez pas longtemps…

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En attendant Matsu

Haut en couleurs, tonitruant, festif, mystique et spirituel, le Pèlerinage de Matsu (ou Mazu) qui vient de commencer est l’événement le plus emblématique et populaire de la vie culturelle et religieuse taïwanaise. Inscrit au « patrimoine culturel immatériel » de l’Unesco depuis 2009, la procession taoïste suivant un ensemble très précis de rituels est l’un des événements religieux les plus importants au monde. Pendant 8 jours et 7 nuits, des dizaines de milliers de pèlerins vouant un culte sans limite à la Déesse de la Mer escortent son parcours de temple en temple sur plus de 340 km.

Les heures précédant sa sortie du Temple Jenn Lann à Dajia où elle est reconduite à l’issue du pèlerinage, ainsi que la première nuit de marche en sont des moments paroxystiques. Toute la journée, les fidèles prient Matsu dans le Temple enrobé d’une douce odeur d’encens, lui apportent moult offrandes tandis que, dans la cour, se joue une autre scène, beaucoup plus festive et folklorique mais néanmoins emprunte d’une réelle dévotion avant que la foule, un peu avant minuit, ne se mette en marche pour Shalu, fin de la première étape.

Pour voir le reportage, c’est en cliquant ici.

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Humberstone - KNO3 - E252

Je dois avouer un tropisme fort partiellement inexpliqué pour les villes fantômes, témoins évanescents d’une vie révolue, souvent menée dans des conditions extrêmement difficiles tout en étant chargée d’un fol espoir, celui d’une certaine richesse, promesse d’une existence plus douce.

Cette fascination m’a conduite à Port Jeanne-d’Arc à Kerguelen, Bodie en Californie, Kolmanskop en Namibie, et récemment à Humberstone au Chili, dans l’aride désert d’Atacama. Humberstone a été la plus grande mine d’extraction de salpêtre au monde, sortie de la poussière en 1872 pour s’éteindre définitivement au mitan du 20e siècle et entrer au patrimoine mondial de l’Unesco en 2005.

Ces cités abandonnées au temps qui passe posent souvent la délicate question de leur conservation à l’heure où elles se dégradent naturellement et deviennent aussi une destination touristique presque comme une autre. Question à laquelle je ne cherche pas à répondre mais dont je me fais l’écho, à ma manière, avec la série Humberstone – KNO3 – E252.

KNO3, ou nitrate de potassium, est en effet le nom chimique du salpêtre. Incolore et inodore, utilisé pour envoyer les fusées dans l’espace ou, plus terre à terre, dans les pâtes dentaires, il est aussi bien connu de l’industrie agroalimentaire qui l’exploite comme additif, le controversé E252. Celui-là même qui donne sa couleur rose à la charcuterie et permet de la conserver plus longtemps. De là à appliquer littéralement cette recette à l’envoûtante Humberstone, il n’y a qu’un pas chromatique que je me permets allègrement de franchir…

Pour découvrir toutes les photos de cette série, c’est ici, sur mon espace Hans Lucas.

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Etre au bon endroit est une chose plutôt positive et agréable qui fait éprouver un doux sentiment de satisfaction à celui qui s’y trouve. Y être au bon moment s’avère encore mieux ! Envolons-nous vers le nord-ouest de Kyoto et larguons les amarres à l’entrée du Ryoan-ji. Ce nom ne vous dit peut-être rien mais ce temple abrite le plus célèbre jardin zen au monde et, à ce titre, est inscrit au Patrimoine mondial de l’Unesco. Voilà pour l’introduction touristique. En revanche, vous en avez sûrement vu des images car c’est un fond d’écran très prisé, justement pour la paix et la sérénité qu’il dégage, essentielles lorsque l’on s’apprête à travailler : quinze rochers entourés de mousse verte soigneusement dispersés sur un tapis de petits cailloux strié minutieusement au râteau. Métaphore en minuscule de la Nature : vagues, îles, montagnes… Il faut en effet un peu de calme et de solitude pour pouvoir apprécier toute la puissance de cette installation moderne vieille de plus d’un demi-millénaire, être capable d’entrer dans une phase de méditation et ainsi atteindre un état d’éveil !

Malheureusement, calme et solitude ne sont pas toujours au rendez-vous même si tout le monde a laissé ses chaussures à l’entrée. Réussir à apercevoir lesdits rochers (ils sont 15 en fait) derrière la barrière humaine photographique relève déjà d’un patient exercice de zénitude… Il faut attendre qu’une personne cède sa place pour pouvoir avancer et enfin les découvrir. Ce n’est que la première étape d’un long cheminement. Les trois petites marches qui surplombent le jardin, telles des gradins, sont noires de gens faisant semblant de méditer. L’intention de départ est bonne mais j’ai du mal à croire que cela soit possible dans ces conditions peu propices à l’introspection… Là encore, exercice de patience : les places assises sur les marches se libèrent une à une. Mais que peut-il bien se passer une fois que l’on a réussi à se loger entre deux candidats à l’éveil ? Beaucoup se contentent de prendre des photos (peut-être pour personnaliser leur fond d’écran !), certains se jettent dans leur guide ou fascicule pour en savoir plus, d’autres regardent laborieusement la composition en se disant qu’ils sont bien au bon endroit mais absolument pas au bon moment.  Une tradition veut que, quel que soit le point de vue, l’on ne puisse voir que 14 pierres à la fois (effet collatéral : tout le monde les compte pour vérifier : 1, 2, 3, 4… 14 et réalise, qu’effectivement, il en manque une, sauf que ce n’est jamais la même…). Vraisemblablement, le nombre 15 symboliserait l’achèvement, un état connu pour être inatteignable… Les dés étaient donc pipés dès le départ par les facétieux créateurs du Ryoan-ji !

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Je sais, on ne joue pas avec la nourriture. Et pourtant, il suffit parfois d’une tête de fruits comme celle-ci pour qu’une assiette de prime abord repoussée soit vidée avec joyeuseté… « Allez, on mange quoi maintenant, l’œil ou le nez ? » « La bouche ! », en chœur ! Bref. Ainsi, le « repas gastronomique français » a-t-il été inscrit au patrimoine immatériel de l’humanité. Mon ignorance et moi-même ne connaissions pas l’existence de cette notion de « patrimoine immatériel », par opposition au patrimoine matériel donc. Sa valorisation et sa sauvegarde sont le fruit d’une convention signée il y a 7 ans par plus d’une centaine de pays. Cette initiative, qui a sa liste d’urgences, doit permettre de « mettre en valeur quelque chose en situation de fragilité extrême » face à la mondialisation et à la circulation de l’information notamment. Des traditions, des arts du spectacle, des pratiques sociales comme le chant croate Ojkanje, la technique des cloisons étanches des jonques japonaises, les tours humaines espagnoles ou encore l’art traditionnel du tissage du tapis azerbaïdjanais, sans oublier la moxibustion de la médecine traditionnelle chinoise. Et donc, depuis peu, le repas gastronomique français. Une première pour une gastronomie ! Mais, est-ce vraiment une bonne nouvelle dans la mesure où cela signifie que ce fameux repas gastronomique français, « pratique sociale coutumière destinée à célébrer les moments les plus importants de la vie des individus et des groupes » et poussant « à l’amitié entre les peuples », est en voie de disparition ? Potentiellement phagocyté par cette mondialisation gloutonne qui impose ses goûts, ses couleurs, ses odeurs et ses sons.

Transition, servie sur un plateau, avec une autre information culino-conservato-sensorielle de premier ordre, qui, reliée à cette distinction humanitaire, pourrait faire l’effet de l’explosion de petites gousses de mandarine fraîches sur nos papilles sensibles. Il semblerait – mais est-ce vraiment étonnant ? – que le fond sonore ait une influence sur la perception des aliments que nous sommes en train d’ingérer. En particulier, les sons puissants « rendraient » plus doux voire fades des plats épicés, tandis que le silence, ou du moins, les sons agréables (ce qui est totalement subjectif), intensifieraient le croquant des ingrédients et mettraient en exergue les saveurs sucrées et salées.

D’ici quelques années, lorsque ces conclusions auront été validées et approfondies, quand nous – ou plutôt nos enfants, au sens large, pour lesquels ce patrimoine a été créé, oui, vous savez, ces jeunes « qui ne prennent pas le temps d’apprendre », trop occupés qu’ils sont à flâner sur des supports immatériels – nous rendrons au (super)marché, nous pourrons scanner notre caddie et une voix de synthèse nous indiquera la BOR (pour Bande originale de repas) idéale en fonction des ingrédients présentés et du style d’ambiance que nous voudrons insuffler à notre repas (que nos invités partent vite ou qu’ils se sentent chez eux). Nous n’aurons plus qu’à la confirmer à la caisse, en payant le reste. Elle sera alors immédiatement transférée sur la boîte de dépôt public de notre ordinateur personnel auquel le magasin aura accès grâce à la puce de pandore intégrée à notre poignet droit à la naissance. Pour un peu que nous prévoyions de la cuisine française et que nous invitions nos amis toutes origines confondues, nous aurons ainsi la garantie d’un dîner réellement parfait !

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