Photo-graphies et un peu plus…

Bien, après cette trêve verbale, reprenons le chemin tracé par les mots… A l’étranger, ce sur quoi nous nous arrêtons en premier sont les différences flagrantes avec nos propres us et coutumes. Manger dehors comme on dit, au restaurant donc, fait ainsi partie de ces premiers moments révélateurs des tendances locales… Laissons-nous donc aller à un petit compar-hâtif France/USA-Canada/Japon et asseyons-nous à une table d’un restaurant « classique », c’est-à-dire ni trop bon marché, ni trop cher, extrêmes qui pourraient avoir une incidence sur l’attitude des serveurs(euses). Car c’est de celle-ci dont il va s’agir à partir de maintenant. Lorsqu’un Français s’installe à une table nord-américaine, il ne peut être qu’heureusement étonné de la gentillesse avec laquelle on s’occupe de lui. Etonné car il a généralement des a priori négatifs sur les A-mé-ri-cains. Que celui-ci soit en mesure de s’étonner laisse aussi supposer que, chez lui, cela ne se passe pas exactement comme ça… Là où le (la) serveur(euse) nord-américain(e) vient lui demander toutes les 7’32 » si tout se passe bien (sans envisager pour autant qu’il puisse lui répondre négativement), ou lui remplir son verre d’eau glacée dès qu’il a bu une gorgée (un principe de base : toujours avoir la coupe pleine), le français (parisien pour ne pas faire trop de généralités) mettra un certain temps à l’accueillir sur le pas de la porte, puis à lui apporter le menu… Il faudra savoir capter son regard malgré ses œillères naturelles et le regarder plusieurs fois de façon insistante pour qu’il vienne lui prendre sa commande. Parfois, il se trompera dans l’attribution des plats à la tablée et il oubliera certainement d’apporter une nouvelle carafe d’eau même après la troisième sollicitation… Pour justifier cette approche un peu rustre, l’on se dira que le service – fixe – est compris dans le prix en hexagone. Ce qui n’est pas le cas outre-atlantique où, selon le service rendu, le client peut laisser entre 10 et 25% de la note au serveur (ou serveuse, mais vous avez compris). Somme qui constitue par ailleurs la majeure partie de leur salaire. Autant dire que la gentillesse et la prévenance – même si elles sont très agréables – ne sont ni gratuites ni désintéressés. D’où, parfois, le sentiment d’une certaine fausseté ou hypocrisie face à tant de sollicitude. Dernière remarque – vous savez bien, cette façon de réussir à tout critiquer et à se méfier de tout – typiquement française à mon sens donc, à prendre avec des pincettes.

Changement de continent. Changement de mœurs. D’abord, quand vous vous approchez d’un restaurant japonais – pas celui qui fait des brochettes à côté de votre ciné préféré, un vrai restaurant japonais au Japon – on vous remercie une première fois tout en vous souhaitant la bienvenue. En chœur, ça sonne mieux. Pour l’entrée discrète, c’est raté. Ensuite, on vous remercie d’avoir attendu à peine deux minutes que l’on vous place, puis à nouveau lorsque l’on vous donne ces serviettes chaudes et humides pour enlever toutes ces petites bactéries et microbes qui ont colonisé vos mains depuis la dernière fois où vous les avez plongées sous l’eau… Courbette comprise, on vous remercie ensuite quand on vous donne le menu, et quand on vous prend la commande, et quand on vous rapporte vos plats, et quand on vous amène du thé… Evidemment, lorsque vous vous levez pour aller payer, ceux qui ne vous ont pas servis, vous remercient aussi. Ainsi que la personne à qui vous réglez l’addition, qui est parfois celle qui vous raccompagne à la porte, vous l’ouvre et vous lance, à tue-tête et avec un enthousiasme sincère qui donnerait 30 minutes d’énergie pure à tout neurasthénique : arigato gozaimashita !

Vous imaginez un garçon de café parisien ou une serveuse vous ouvrir la porte et vous lancer « Merci beaucoup d’être venu ! » ? Tout le monde se retournerait, se disant, au mieux qu’il en fait un peu trop, au pire, qu’il est probablement un peu simplet et que c’est une bonne action qu’a faite le gérant en l’embauchant… Enfin, on n’y croirait pas une seconde ! Ce qui est bien dommage… La question que je lis sur toutes les lèvres que je ne vois pas à travers cet écran ? Et le service alors, compris ou pas ? Et bien, rien, nichts, nada, zéro. Non seulement le service est compris dans la note, pas majorée pour autant, mais en plus, on ne doit pas laisser de pourboire au Japon, même au sens où nous l’entendons en France. On vous sert avec déférence et respect car c’est ainsi que cela se passe et pas autrement. C’est étonnant et aussi intimidant il faut l’avouer… Que faire, en effet, de tous ces remerciements ? Cette extrême politesse cache forcément quelque chose, non ?

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Qu’ont en commun ces quatre photos hormis leur auteur ? Une même dénomination barbare, un même numéro matricule dont les propriétaires d’une certaine marque nippone (ce qui n’est pas un vrai indice compte tenu de leur nombre) identifieront facilement l’origine : DSC_0299. DSC_0299 une fois, DSC_0299 deux fois, DSC_0299 trois fois, DSC_0299 quatre fois. Adjugé, vendu ! Coup de marteau sec sur la table en bois de charme ! Vous là-bas, au fond, elles sont à vous ! Quatre photos différentes faites en des temps non simultanés et en des lieux distants de milliers de kilomètres.

Avec certains appareils, l’incrémentation semble possible à l’infini : le compteur avance sans réfléchir ni fléchir, ne rencontrant aucune limite sur son chemin. De fait, le preneur d’images sait exactement combien de photos il a faites, si tant est que cette information numérique ait à la fois un sens et un intérêt. Partons du principe que c’est le cas. Ma boîte à images, de seconde main, n’est pas de ces machines-là : elle a une frontière ultime au-delà de laquelle tout recommence… 9 999. Je peux en effet prendre 9 999 photographies avant que la boucle ne reparte, non pas à zéro mais à un… Logique, au fond, et même en surface, le zéro incarnant le vide alors qu’il s’agit justement d’un premier acte de naissance voire de métempsycose iconographique. Ainsi cette numérotation cyclique, à l’image d’un calendrier, délivre-t-elle aussi quelques informations temporelles, que, telles des crevettes roses, je me sens d’humeur à décortiquer.

Première donnée : disposer de quatre photos homonymiques signifie qu’entre la première et la dernière, j’ai pris 9 999 + 9 999 + 9 999 photos, soit, au total, 29 997 photos. J’en conviens, c’est absolument indécent et prouve – ce que j’avais déjà saisi – que j’ai totalement été aspirée par le gouffre du numérique, véritable invitation à la démesure. Car, évidemment, sur ces 29 997 photos, je n’aurai pas la prétention d’affirmer qu’elles ont toutes un intérêt. Ce qui soulève une question de poids : une photographie doit-elle avoir un intérêt ? Et si oui, pour qui ? Celui qui la prend, celui qui la regarde ? Quoiqu’il en soit, beaucoup de ces photos n’ont eu qu’une durée de vie très courte, ne faisant qu’un subliminal séjour dans la mémoire de ma boîte à images, heureusement – ou malheureusement en cas de mauvaise manipulation – amnésique. Nouvel examen de passage pour les rescapées suite au transfert sur ordinateur… Un face-à-face, qui gagnerait à être plus impitoyable, mais en entraîne néanmoins une nouvelle fournée à la poubelle virtuelle. Bref, si j’ai bel et bien déclenché 29 997 fois, un contre-maître recenserait bien moins d’images au final.

Deuxième donnée : la première DSC_0299 date du 21 mai 2010, la deuxième du 7 avril 2011, la troisième du 24 juillet 2011 et enfin la dernière, du 24 mars 2012. Un savant calcul mathématique – certainement faux – nous apprend donc qu’il s’est écoulé 321 jours entre les deux premières DSC_0299, 108 jours entre les deux du milieu, et 244 jours entre les deux dernières… C’est là que thermomètres, métronomes, baromètres et autres podomètres s’affolent ! 9 999 photos en 108 jours ! Certes, les circonstances étaient très particulières – année à vagabonder hors de mes frontières habituelles à découvrir, presque chaque jour, de nouvelles cachettes terrestres -, le constat n’en est pas moins inattendu. 9 999 images en 108 jours, c’est une moyenne de 92,58 images par jour, soit – si l’on considère que la fenêtre moyenne de prise de vue sur une journée est de 12 heures – fait 7,71 photos par heure. Admettons maintenant qu’il faut en moyenne 2 minutes pour prendre une photo – incluant le choix du cadrage, de l’angle, la mise au point, les réglages – cela signifie que, pendant ces circonstances très particulières, je passais près de 16 minutes par heure ouvrable à prendre des images. Autant dire que je vivais en parfaite symbiose avec elles. D’aucuns pensent sûrement que s’octroyer autant de temps pour capturer le présent empêche de vivre au présent. Puisque cette frénésie photographique me plaçait dans l’anticipation d’un futur où j’aurais souhaité revisiter un passé qui, pour l’heure, n’était encore que du présent. Ceux-là ont en partie raison, même si je veux croire le contraire. Car je me souviens clairement de tout ce qui entoure ces quatre images.

Errance solitaire – un piège car aucune autocensure consécutive à la présence d’une autre personne ne vient rompre la dynamique photographique – dans les rues de Sliema, en face de La Valette à Malte. L’omniprésence du catholicisme s’impose à tous ceux qui n’y sont pas habitués. Un instant, à force de lire ce « in god we trust » que je n’avais vu qu’outre-atlantique, je crois à une colonisation américaine de l’île méditerranéenne… Icônes à chaque coin de rue, églises démultipliées, pratiquants proclamés, jusqu’à ces invitations de porche là où, sous nos latitudes, nous nous contentons d’un laconique « pas de publicité »… Direction Vancouver pour ce cerisier japonais en fleurs. Cela ne fait que quelques jours que je suis dans cette ville envoûtante où je vais séjourner un trimestre. La ville est parsemée de ces arbres magnifiques dont les fleurs éclosent début avril. Les jours précédents, j’ai observé les bourgeons gonfler, s’épanouir, puis s’ouvrir jusqu’à atteindre cette incroyable, mais naturelle, explosion vitale. Quelques jours après, leurs pétales, aidés par la bise, sont tombés par grappes, tapissant l’herbe verte d’une neige qui ne fond pas, et de jeunes feuilles les ont progressivement remplacés. 24 juillet, Crater Lake. Reflet quasi parfait de cette caldera préservée sur les eaux à la pureté unique au monde où a poussé une petite île, s’évanouissant parfois dans la brume ou l’éclat solaire. On en fait le tour, l’observant de haut, de loin, avant de se frayer un chemin vers cette surface pacifique que l’on a presque honte de déranger… Enfin, là, très récemment, l’une des installations de Yann Kersalé, mon J-1 du 24 mars, transposition miniature et sèche d’une expérience artistique dans un bassin breton rempli d’algues géantes pour l’occasion. Vision qui me replonge quelques années en arrière, dans les eaux glaciales d’une baie située au delà des quarantièmes rugissants, frigorifiée dans une combinaison trop grande pour moi mais subjuguée par cette valse de laminaires entre lesquels se faufilent les rais du soleil. A l’époque, faute d’appareil insubmersible, je n’avais pas pris de photo. A l’époque, j’utilisais un argentique. Mais les circonstances étaient aussi très particulières…

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Il est des gens qui voyagent seuls par choix (pour être l’unique maître à bord, par exemple, et ne pas avoir à tenir compte des désidératas des uns et des autres) ou par absence de choix aussi (un célibat temporaire, une solitude non assumée, des dates de vacances incompatibles…). Voyager seul a ses avantages (liberté, flexibilité, blablabla) et ses limites : personne à côté de soi, d’intime, de proche, avec qui partager ses sensations, ses émotions ; personne à regarder, l’air entendu – celui qui sait la chance qu’il a -, face à un paysage à couper le souffle ou une situation totalement inédite ; personne, des années après, pour que cette phrase : « Tu te souviens comme c’était beau quand on était… » remporte un quelconque écho… Telle est la frustration la plus facilement exprimée, et partagée, par les vagabonds solitaires.

Ceci dit, voyager à deux n’est pas toujours la panacée ni la garantie de vivre des instants de félicité. Et il arrive parfois que le partenaire d’errance, cet être cher, ne soit pas celui que l’on imagine spontanément. Comme là. Face à cet océan tumultueux, à cette côte nimbée d’une fine couche d’embruns venant flirter avec la forêt toute proche. Ce n’est pas avec son mari, pourtant assis juste à côté, que madame s’extasie devant les éléments mais avec son chien, qui a la bienveillance de regarder dans la direction que lui indique sa maîtresse. Et voilà qu’elle lui parle, tout en lui montrant les vagues cassant sur la plage, les mouettes prises dans le vent… La femme n’en finit pas de murmurer à l’oreille de ce chien, qu’elle tient tout contre elle et à qui elle offre la totalité de sa tendresse disponible, laissant sa moitié officielle sur le ban des oubliés, derrière. Accorder plus d’attention à un animal qu’à un être humain, qui plus est présent, fera toujours naître en moi une sensation étrange, mélange d’incrédulité, d’incompréhension et d’effroi…

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A l’heure où les températures décroissent et les rhumes se multiplient, cette bizarrerie de fonctionnement du corps humain n’a pas pu vous échapper : en plus d’un brutal mouvement de recul dû à la vitesse du phénomène en question, éternuer s’accompagne quasi systématiquement voire obligatoirement d’une fermeture soudaine des yeux, en fait des paupières même si on dit « ferme tes yeux ! » et non pas « ferme tes paupières ! ». C’est incontrôlable, inné, un geste réflexe en quelque sorte. Vous pouvez essayer de les maintenir ouverts – on le fait forcément lorsque l’on prend conscience de ce pouvoir du corps sur notre volonté -, c’est extrêmement difficile, d’autant que l’éternuement nous prend généralement par surprise, qu’il ne dure qu’une fraction de seconde, et qu’il est donc compliqué de le contrer au moment où il survient.

Reste que pendant un laps de temps infinitésimal, nous fermons les yeux. Quoi que l’on fasse, où que l’on soit : au volant, au milieu de la route, en plein opéra, en salle de cours, à vélo, en forêt, à la piscine, en lisant, au supermarché, dans le bus, à la chasse, au lit, sous la douche, au restaurant, en courant, au sommet d’une montagne, au milieu d’une partie d’échec, en plein cambriolage, en ne faisant rien, en cuisinant, au creux d’un canyon… Pendant ce laps de temps non dénué de danger où l’on ne voit ni n’entend plus rien, où, d’une certaine manière, on est coupé de tout, tout peut radicalement basculer. A un point que l’on ne peut pas imaginer. La première fois que cela vous arrive, vous prenez peur. Je m’en souviens comme si c’était hier : je marchais tranquillement dans une rue parisienne quand j’ai éternué – un serveur m’était passé sous le nez avec une immense poivrière qu’il agitait comme si c’était des maracas – et en rouvrant les yeux, j’étais face à la mer, sur la plage de galets d’Etretat. Je n’ai jamais su comment j’étais arrivée là-bas. Toujours est-il que j’ai pris un train dare dare pour rentrer. Au bout du troisième, quatrième voyage d’éternuement intempestif, tous dans un rayon de 200 km par rapport à l’endroit où le black out se produisait, j’en ai profité pour visiter un peu les environs. Evidemment, ce n’est pas toujours évident de justifier le fait d’être en pyjama au milieu d’une basse-cour, mais, avec l’expérience, on finit par trouver des explications convaincantes. Et puis, j’ai réalisé que j’atterrissais toujours à des endroits où j’avais finalement eu envie d’aller. Là se trouve peut-être l’origine de l’expression : à vos souhaits !

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Se replonger dans les textes que l’on s’est laissé aller à écrire des années auparavant peut faire naître de drôles de sensations. La première, un sentiment d’effroi à la relecture, quand on réalise à quel point le style est gauche, le propos, vide, l’intérêt, nul ou presque (oui, oui, j’exagère). La deuxième, de légère nostalgie : les souvenirs remontent à la surface en redécouvrant ce qu’ils ont été au moment où ils n’en étaient pas encore, à l’heure où ils n’étaient que le reflet du temps présent. La troisième, de surprise : rien n’a changé, on pourrait ré-écrire ces lignes lues au mot près voire à peu de choses près. Selon leur teneur, cette conclusion peut être désarmante, désespérante mais aussi, amusante.

« Etats d’âme sur le macadam » est un ensemble de textes griffonnés, à l’aube du XXIe siècle, sur des carnets au cours d’innombrables trajets de métro ou de train dans une configuration similaire à celle d’aujourd’hui. En voici la première page. Il était probablement un peu plus tard dans la saison. L’écho est révélateur.

Et me revoilà dans cet univers impitoyable qu’est la capitale. Impitoyable, vraiment ? Quatorze mois d’absence et aucune déstabilisation. La voiture a été conduite  avec l’aisance habituelle à la Gare de Lyon et s’est très bien accommodée des embouteillages, des non-respects de priorité, des clignotants oubliés, des feux rouges grillés… Aucune panique ressentie…

C’était presque comme s’il n’y avait pas eu de départ. Etonnant… Idem pour le train. Quatorze mois, est-ce encore trop peu pour se sentir déconnecté d’un monde ? « On n’oublie pas vingt trois ans de vie citadine en une année passée sur une île déserte » m’a-t-on plusieurs fois rappelé, comme pour me rassurer. Effectivement. Tout est là, au frais, dans ma mémoire. Les automatismes, les réflexes d’autrefois ont refait surface. En fait, rien n’a changé et ce n’est même pas décevant. Il s’est écoulé plus d’un an. Temps pendant lequel chacun a poursuivi sa route.

Aujourd’hui, les chemins se croisent à nouveau. Tout va peut-être même reprendre comme auparavant. Malgré tout, j’ai l’impression de vivre Paris différemment. L’asservissement du train et autre transport en commun qui m’horripilait, m’amuse aujourd’hui.

Je suis actuellement dans une petite chenille grise, en direction de la Gare Saint-Lazare. Jubilation intérieure. Des dizaines de personnes m’entourent et racontent leur vie… Cet anonymat m’a manqué. Combien de fois ai-je rêvé de rencontrer un(e) inconnu(e) sur mon île déserte ? Ile où, naturellement, chaque membre de la maigre population connaît l’autre. Là, le train, l’inconnu. J’entends des bribes de vie, un léger murmure provenant de plus loin. Je vois des mains s’agiter. Tout est pareil… Le même spectacle s’offre à mon regard depuis des années. Je ne veux plus décrire ce monde des transports en commun, où chacun entre et sort à un moment. Pourquoi ? Car tout est cyclique. Tout est différent chaque jour, mais, dans le fond, c’est strictement le même scénario. J’espère quelque chose de neuf. Un fait divers… Une aventure distrayante… Un sourire. Je peux rire, seule, en réponse à mes propres pensées ou blagues. C’est réconfortant, et à la fois, un peu triste. Tout stimule le regard dans cette ville, mais rien ne l’arrête vraiment. Nous ne faisons que passer, et ce qui se passe – en surface – ne satisfait pas les attentes. Les pavés demeurent froids, le bitume noir, les bruits de marteau, de camion, de bus résonnent toujours dans l’atmosphère sèche, des chiens aboient toujours et défèquent autant sur les trottoirs, le monde enfile toujours son manteau gris ; on se bouscule toujours devant les Galeries Lafayette, le Sri Lankais du coin vend toujours ses marrons cuits sur un fût percé retourné, les pigeons sont toujours à l’affût de croûtons de pain apportés chaque semaine par la même mamie, les téléphones cellulaires sonnent toujours au mauvais moment… et la Terre poursuit sa révolution sans ciller. Un petit vent frais balaye les idées en suspens ou les hésitations. Seul le bleu du ciel donne un peu de couleur à cette grisaille.

Paradoxalement, j’ai la sensation qu’il me serait impossible de m’éloigner trop longtemps de cette vie grouillante. Et, en même temps, que cet exil m’a permis de mieux appréhender et apprécier cette soi-disant folie. Je ressens mon expérience, je sens qu’elle m’a rendue autre. Je me sens plus riche. Légère. Je peux me dire : « J’ai vu et vécu autre chose. »

Les strapontins se lèvent avec le même claquement. Il y a ceux plongés dans leur livre ou leur journal, ceux au regard perdu, les passifs attendant leur station. Il y a aussi la fan de mots croisés, la rêveuse, les bavardes, le pensif, l’enfant babillant ses premiers mots et la femme d’un certain âge habilement maquillée et droite sur son siège. Mais pourquoi tout cela aurait-il disparu ? C’est une vie de masse. La vie est telle qu’elle était il y a quatorze mois. D’autres personnes sont actrices, mais ce sont les mêmes rituels, même si, évidemment, dans le wagon, il y sûrement quelques Monsieur X ou Madame Y dont la vie a radicalement changé.

Est-ce rassurant de se retrouver dans un univers familier ? Sûrement un peu. Pour combien de temps ? Quel délai avant d’être de nouveau agacée par ce rythme décrié par tous les provinciaux rencontrés ? Mais, j’aime Paris : son train, son métro, sa population, ses couples qui « se bécotent sur les bancs publics », comme ses habitants qui ne s’adressent pas un regard…

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« Si l’homme avait dû voler, il aurait des ailes ! » Voilà, en substance, ce qu’a dit Bob, appelons-le Bob mais ce n’est pas son vrai nom, pour justifier le fait qu’il n’ait jamais pris l’avion malgré ses probables plus de 50 printemps. Et il ne le prendra jamais, d’ailleurs. Bob, rencontré à une table d’un wagon restaurant où l’on demande aussi aux serveurs d’être équilibristes et jongleurs, dans un train donc, qu’il n’aime pas trop non plus, n’est jamais sorti des Etats-Unis. Le pays est grand, cela reste concevable. Né au New Jersey, il vit aujourd’hui en Géorgie. New Jersey – Géorgie, c’est la distance la plus longue qu’il ait parcourue dans sa vie. Et, pendant toutes ces années au New Jersey, il n’a jamais mis les pieds à New York. Il répète. Il n’a jamais mis les pieds à New York. Cela ne l’intéressait pas. Le rêve de tant de personnes ne lui disait rien. Soit. Même pas par curiosité.

Il lâche cela spontanément, avec un petit sourire, content de l’étonnement produit sur son maigre auditoire migrateur. Bob, il a des yeux bleus, clairs, perçants, qui font penser à des portraits d’Avedon, mais en couleurs. Ses rides sourient constamment. Bob est heureux avec sa liberté – il a toujours été indépendant -, sa pêche, son golf et son auto. Il n’a pas besoin d’autre chose, Bob, et on le croit, sincèrement, tout en l’enviant un peu, mais juste un peu. Non, pas le golf ou la pêche, mais d’être satisfait. C’est rare de trouver une personne qui soit satisfaite de son présent, de ce qu’elle a. Sans faire de généralités, nous sommes globalement tous des pros du conditionnel et des mises en bouteille. Mais Bob, ça va. Même s’il a peur de l’avion et qu’il ne veut pas l’avouer. Car, comme il pourrait le dire lui-même, « si l’homme avait dû rouler, il aurait des roues ! ». Il n’en a pas, ce qui n’empêche pas Bob d’adorer conduire des heures durant sans s’arrêter entre le New Jersey et la Géorgie !

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Si, si, le voyageur peut avoir la pression ! En particulier, lorsqu’il sait qu’a priori – après, dans l’absolu tout est possible – il n’ira qu’une seule fois dans sa vie – concept totalement différent du CAFAMUFODAVI – à l’endroit qu’il s’apprête à découvrir. Une fois, c’est déjà une grande chance parfois, mais cela reste peu malgré tout. Cette hypothèse est souvent liée à la distance qui sépare ladite destination de son lieu de résidence. Car, qui dit loin, dit généralement coûteux. Au moins pour le transport.

Certes, le voyageur peut aussi être riche, auquel cas, la pression ressentie sera toute autre, peut-être au moment de choisir entre un massage californien et un massage suédois… Insupportable dilemme à la solution évidente : les deux bien sûr ! Non, je parle du voyageur lambda, celui qui a travaillé toute l’année, qui a éventuellement économisé sur ses sorties, ses cigarettes, ses tenues pour s’offrir une aventure au bout du monde (le bout du monde étant une notion toute relative).

Ce voyageur-là, au moment même où il pose les pieds sur le tarmac, le quai, le trottoir, au moment où il respire l’air de ce nouveau pays pour la première fois, il sait que le temps est désormais compté. Conscient de l’unicité du moment, une partie de lui cherchera donc à voir un maximum de choses dans le temps imparti, de quelques jours à quelques semaines au mieux pour un séjour classique. Une gageure évidemment, le « vite fait bien fait » ayant ses limites, notamment en voyage. Mais la pression – celle de ne rien manquer – est trop forte… Et à l’issue de son tour bien organisé, il en aura probablement plus vu que les locaux eux-mêmes pensant avoir le temps de visiter leur propre pays ou ville puisqu’ils y vivent. Cela ne l’empêchera pas de ressentir une légère frustration en remontant dans l’avion, le train, la voiture car, forcément, il n’aura pas « tout » vu ou n’aura pas pu faire « tout » ce qu’il aurait voulu faire… Il arrive aussi parfois que la raison l’emporte sur ce désir d’exhaustivité et de consommation d’ailleurs : le voyageur décide volontairement de réduire ses ambitions, indépendamment d’événements naturels tels qu’une coulée de lave susceptible de lui bloquer  irrévocablement la route, acceptant ainsi d’en voir moins mais de le faire mieux. Sans doute est-ce dans de tels moments qu’il gagne en maturité et en sagesse…

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Je profite de ne pas être en vacances avec des amis pour écrire quelques mots sur les vacances entre amis. Ainsi, personne ne se sentira visé ! Donc, les vacances entre amis peuvent être pleines de surprises, de bonnes comme de mauvaises. En théorie, tout est super. Vous savez que vous vous entendez bien puisque vous êtes amis, et puis vous avez choisi la destination ensemble, éventuellement la maison ou le gîte, enfin le toit qui vous couvrira pendant cette période festive. En pratique, c’est un peu plus complexe. Car, par définition, vos amis, vous ne vivez pas avec eux.

De fait, même si vous vous connaissez depuis de nombreuses années, vous ne savez pas tout d’eux (la réciproque n’est pas forcément vraie non plus ceci dit, mais ça aide…) et ces périodes de relaxe peuvent s’apparenter à de vrais révélateurs de personnalités. Même si vous êtes amis, vous pouvez, par exemple, avoir des conceptions totalement différentes des vacances : les uns préféreront l’option farniente – c’est les vacances, je me re-po-se ! -,  quand les autres voudront parcourir la région élue en long en large et en travers – donc, ce matin, en se levant à 6h, on peut voir le lever du soleil depuis le sommet de la montagne, descendre au village pour le marché et aller visiter le musée de la marmotte… ah, et je crois qu’il y a une randonnée qui en part et qui va jusqu’au lac, tu sais, celui des cartes postales… – ; les uns seront matinaux – t’as entendu le coq ce matin ? – quand les autres auront tendance à émerger en début d’après-midi en claironnant – bon, qu’est-ce qu’on fait aujourd’hui ? ; les uns voudront tout faire ensemble – on est partis entre amis quand même ! -, quand les autres seront partisans du chacun fait ce qu’il veut – ce n’est pas parce qu’on est partis ensemble que l’on doit tout faire ensemble ! -, les uns auront des enfants – 2, 3, 5, 6 et 12 ans – quand les autres n’en auront pas  – je ne comprends pas pourquoi on doit demander à Léo si on peut aller faire du canoë cet après-midi ! – tu comprends, il faut qu’ils s’amusent un peu aussi ; les uns préféreront faire la cuisine – c’est quand même plus sympa, entre amis, allez, un atelier maki ! -, quand les autres ne voudront pas s’embêter avec ça et préféreront aller au resto – quand bien même leurs amis leur ont avoué plus tôt être un peu serrés financièrement – ; les uns feront le ménage – on est 12 dans cette maison,  faut bien que quelqu’un s’en occupe -, quand les autres les regarderont faire – je me tape le ménage chez moi pendant tout l’année, je suis en vacances, je me re-po-se… j’ai déjà lu ça quelque part…  – ; les uns parleront beaucoup trop politique quand les autres n’en auront que faire ; les uns seront aussi bruyants que les autres seront calmes, surtout Pascal qui ronfle vraiment énormément et Stéphanie qui crie à travers la maison pour appeler son chat (elle a peur qu’il se perde dans cet immense jardin qu’il ne connaît pas), car oui, les uns viendront avec leurs bêtes à poils quand les autres ne supporteront pas les animaux…

Alors, au bout d’un moment, malgré la bonne volonté de chacun – ou pas d’ailleurs – toutes ces divergences entre amis pourront créer des frictions, des tensions, des remises en question… Cela n’altèrera pas forcément votre amitié, mais vous saurez à quoi vous en tenir pour la conserver : ne plus jamais partir en vacances ensemble ! Bien sûr, cela peut aussi très bien se passer. Mais, il paraît que les histoires simples, ça n’intéresse personne ! Cela donnerait : on est partis entre amis cet été en vacances ! C’était super ! On a déjà réservé pour l’année prochaine. Voilà. C’est fini. C’est quand même plus drôle quand ce n’est pas aussi rose, non ?

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