Photo-graphies et un peu plus…

Se replonger dans les textes que l’on s’est laissé aller à écrire des années auparavant peut faire naître de drôles de sensations. La première, un sentiment d’effroi à la relecture, quand on réalise à quel point le style est gauche, le propos, vide, l’intérêt, nul ou presque (oui, oui, j’exagère). La deuxième, de légère nostalgie : les souvenirs remontent à la surface en redécouvrant ce qu’ils ont été au moment où ils n’en étaient pas encore, à l’heure où ils n’étaient que le reflet du temps présent. La troisième, de surprise : rien n’a changé, on pourrait ré-écrire ces lignes lues au mot près voire à peu de choses près. Selon leur teneur, cette conclusion peut être désarmante, désespérante mais aussi, amusante.

« Etats d’âme sur le macadam » est un ensemble de textes griffonnés, à l’aube du XXIe siècle, sur des carnets au cours d’innombrables trajets de métro ou de train dans une configuration similaire à celle d’aujourd’hui. En voici la première page. Il était probablement un peu plus tard dans la saison. L’écho est révélateur.

Et me revoilà dans cet univers impitoyable qu’est la capitale. Impitoyable, vraiment ? Quatorze mois d’absence et aucune déstabilisation. La voiture a été conduite  avec l’aisance habituelle à la Gare de Lyon et s’est très bien accommodée des embouteillages, des non-respects de priorité, des clignotants oubliés, des feux rouges grillés… Aucune panique ressentie…

C’était presque comme s’il n’y avait pas eu de départ. Etonnant… Idem pour le train. Quatorze mois, est-ce encore trop peu pour se sentir déconnecté d’un monde ? « On n’oublie pas vingt trois ans de vie citadine en une année passée sur une île déserte » m’a-t-on plusieurs fois rappelé, comme pour me rassurer. Effectivement. Tout est là, au frais, dans ma mémoire. Les automatismes, les réflexes d’autrefois ont refait surface. En fait, rien n’a changé et ce n’est même pas décevant. Il s’est écoulé plus d’un an. Temps pendant lequel chacun a poursuivi sa route.

Aujourd’hui, les chemins se croisent à nouveau. Tout va peut-être même reprendre comme auparavant. Malgré tout, j’ai l’impression de vivre Paris différemment. L’asservissement du train et autre transport en commun qui m’horripilait, m’amuse aujourd’hui.

Je suis actuellement dans une petite chenille grise, en direction de la Gare Saint-Lazare. Jubilation intérieure. Des dizaines de personnes m’entourent et racontent leur vie… Cet anonymat m’a manqué. Combien de fois ai-je rêvé de rencontrer un(e) inconnu(e) sur mon île déserte ? Ile où, naturellement, chaque membre de la maigre population connaît l’autre. Là, le train, l’inconnu. J’entends des bribes de vie, un léger murmure provenant de plus loin. Je vois des mains s’agiter. Tout est pareil… Le même spectacle s’offre à mon regard depuis des années. Je ne veux plus décrire ce monde des transports en commun, où chacun entre et sort à un moment. Pourquoi ? Car tout est cyclique. Tout est différent chaque jour, mais, dans le fond, c’est strictement le même scénario. J’espère quelque chose de neuf. Un fait divers… Une aventure distrayante… Un sourire. Je peux rire, seule, en réponse à mes propres pensées ou blagues. C’est réconfortant, et à la fois, un peu triste. Tout stimule le regard dans cette ville, mais rien ne l’arrête vraiment. Nous ne faisons que passer, et ce qui se passe – en surface – ne satisfait pas les attentes. Les pavés demeurent froids, le bitume noir, les bruits de marteau, de camion, de bus résonnent toujours dans l’atmosphère sèche, des chiens aboient toujours et défèquent autant sur les trottoirs, le monde enfile toujours son manteau gris ; on se bouscule toujours devant les Galeries Lafayette, le Sri Lankais du coin vend toujours ses marrons cuits sur un fût percé retourné, les pigeons sont toujours à l’affût de croûtons de pain apportés chaque semaine par la même mamie, les téléphones cellulaires sonnent toujours au mauvais moment… et la Terre poursuit sa révolution sans ciller. Un petit vent frais balaye les idées en suspens ou les hésitations. Seul le bleu du ciel donne un peu de couleur à cette grisaille.

Paradoxalement, j’ai la sensation qu’il me serait impossible de m’éloigner trop longtemps de cette vie grouillante. Et, en même temps, que cet exil m’a permis de mieux appréhender et apprécier cette soi-disant folie. Je ressens mon expérience, je sens qu’elle m’a rendue autre. Je me sens plus riche. Légère. Je peux me dire : « J’ai vu et vécu autre chose. »

Les strapontins se lèvent avec le même claquement. Il y a ceux plongés dans leur livre ou leur journal, ceux au regard perdu, les passifs attendant leur station. Il y a aussi la fan de mots croisés, la rêveuse, les bavardes, le pensif, l’enfant babillant ses premiers mots et la femme d’un certain âge habilement maquillée et droite sur son siège. Mais pourquoi tout cela aurait-il disparu ? C’est une vie de masse. La vie est telle qu’elle était il y a quatorze mois. D’autres personnes sont actrices, mais ce sont les mêmes rituels, même si, évidemment, dans le wagon, il y sûrement quelques Monsieur X ou Madame Y dont la vie a radicalement changé.

Est-ce rassurant de se retrouver dans un univers familier ? Sûrement un peu. Pour combien de temps ? Quel délai avant d’être de nouveau agacée par ce rythme décrié par tous les provinciaux rencontrés ? Mais, j’aime Paris : son train, son métro, sa population, ses couples qui « se bécotent sur les bancs publics », comme ses habitants qui ne s’adressent pas un regard…

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A quelques jours d’achever une année complète de duos quotidiens (que se passera-t-il après ?), je réalise qu’aucun ne porte sur la Tour Eiffel. Cela ne pourrait être qu’un constat sans suite. Je n’en ai pas fait non plus sur la pyramide de Gizeh ni sur la Place Rouge à Moscou. Une raison simple à cela : mon corps ne m’y a pas encore traînée. Mais, en parisienne, même lointaine que je suis – la distance étant peut-être liée à cette urgence soudaine, de la nostalgie ? non… – je ressens le besoin, de fait, pressant, de réparer ce presque oubli. Et de consacrer un peu d’espace et de temps à cette figure symbolique dupliquée à des millions d’exemplaires sur des cartes postales, des photos de visiteurs d’un jour ou de toujours.

De mon côté, il faudrait probablement aller fouiller dans les cartons, donc, remonter quelques années en arrière, pour trouver une photo-reproduction de cette tour de fer puddlé montée en 2 ans, 2 mois et 5 jours, et qui a dû patienter 70 années avant de connaître une gloire internationale. Et ce n’est pas lui manquer de respect, il me semble, que de la faire apparaître sous un nouveau jour. En l’occurrence, nuit. Une de ces nuits irréelles et inspirées d’où émanent des images à la fois vraies – pas de post-manipulation – et fausses – ce n’est pas ce que l’on voit en regardant dans cette direction. Une passerelle Debilly désarticulée, un doublé métallique éclairé… La Tour aux 1665 marches s’évade de ce champ où elle est ancrée depuis bien longtemps déjà, traînant son double spectral comme un boulet. Faire trembler l’immuable, un beau dessein photographique, non ?

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Plusieurs éléments me font converger vers cet inoubliable pola aujourd’hui. L’événement déclencheur ? La lettre d’information d’un laboratoire photographique bien connu du 10ème arrondissement de Paris, jouant avec les plus et les moins, ou plutôt les négatifs. Annonce en fanfare : « C’est le moment de ressortir votre vieux pola ! » écrit dans une police un peu vieillotte, histoire de titiller notre œil sensible. Car le laboratoire a, à nouveau, un stock de films monochromes à écouler… Passons sur le fait qu’en général, ce que l’on aime dans un pola, ce sont les couleurs un peu passées, délavées, et donc, qu’un film monochrome ne nous aidera pas totalement à exhumer la fameuse madeleine. On se voit malgré tout se diriger vers l’étagère sur laquelle on a religieusement posé notre vieux-pola-donc, à l’image d’une pièce de musée, en attendant des jours meilleurs. On s’imagine déjà placer la cartouche dans l’appareil et chercher du regard ce que l’on va pouvoir prendre en photo pour cette résurrection. Pas n’importe quoi hein ! Car à 22 euros les dix vues, il faut réfléchir un minimum avant de déclencher… Un moment attendu pour la petite musique qui l’accompagne. Une sorte de roulement de tambour bref s’achevant sur un petit clac. L’image pensée est déjà là, entre nos mains, on la voit apparaître lentement mais sûrement ; on sait qu’agiter le tirage ne fera pas arriver l’image plus vite, alors on le pose sur la table verte du salon et on se poste juste au dessus pour scruter la révélation de chaque portion de l’image. Comme un tour de magie en direct !

Evidemment, les amateurs de ce rituel de la boîte noire n’ont pas attendu la réédition hypothétique de pellicules pour continuer à vivre. Et surtout, pour continuer à faire vivre le mythe créé par Polaroïd qui s’est éteint en deux temps, une fois en 2007 quand ils ont stoppé la production des appareils, la seconde un an plus tard lorsque les usines fabriquant les films ont mis, à leur tour, la clé sous la porte. Extermination causée par la concurrence déloyale du numérique, qui a raflé tout l’argent(ique) sur son passage. Le grain, les couleurs absorbées, les empreintes de doigts, les coins assombris… Souvenir, souvenir. Dès lors, deux choix se présentaient aux heureux propriétaires de Pola : l’étagère sus-citée ou la quête effrénée de cartouches outre atlantique, jusqu’à ce qu’il n’y en ait plus.

Une troisième option s’est imposée, par l’entremise du tueur même, le numérique. Un effet, numérique donc, recréant, à l’identique, les effets adorés du Polaroïd. C’est sur le réseau social aux plus de 500 millions d’abonnés que j’ai commencé à avoir des doutes, il y a quelques semaines, quelques mois au plus. Quelqu’un postait des polas. Comme ça, l’air de rien. Ayant un peu de mal à croire qu’il s’agissait de vrais (du fait de la pénurie évoquée ci-dessus), j’ai lancé une recherche sur l’antisèche universelle qui a assez rapidement débouché sur le projet Poladroïd, né de la volonté de Paul Ladroid, qui, en plus d’être doué en informatique, n’est donc pas dénué  d’un certain d’humour. Tout y est : le roulement de tambour, l’apparition progressive de l’image, ses défauts… La copie est à ce point conforme que lorsque vous avez transformé dix de vos classiques photos en de parfaites madeleinedroids, vous devez relancer le logiciel. Et oui, cartouche vide ! L’outil, gratuit (mais les donations sont acceptées, surtout les grosses), a été téléchargé 3 141 946 fois depuis le 17 octobre 2008. Le succès aidant, Paul Ladroid a repris son vrai nom : Dominik Fusina. Nombreux sont sûrement ceux qui le remercient mille fois. Parmi eux, peut-être ceux qui ont créé le groupe 1 pola/jour sur le fameux réseau, invitant chacun à télécharger ledit logiciel et à partager ses vrais faux polas. En somme, sa nostalgie de l’imparfait et de ce qui n’est plus dans un monde qui cherche parfois à faire table rase du passé sous prétexte qu’il sent un peu la naphtaline. Pourquoi vouloir du vieux quand on peut avoir du neuf  ressemblant à du vieux ? Ainsi, dans la vie, c’est un peu comme en chimie, rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme !

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