Photo-graphies et un peu plus…

Les sons d'antan

Tout a commencé là. Enfin, pas vraiment là au sens propre, sur cette esplanade d’Osaka, mais là, avec des talons. Ou plutôt, avec la musique qu’ils émettent en se déplaçant. Ce martèlement régulier et sec sur le bitume qui fait d’abord penser à celui des sabots d’un cheval avançant au trot sur des pavés en grès. C’est d’ailleurs cette image-là que j’ai lorsque ce son si caractéristique arrive à mon oreille droite alors que je rentre paisiblement chez moi, sans attente particulière. Et curieusement, pourtant bien consciente de vivre à la fois au 21e siècle et dans une grande ville peu connue pour être le théâtre de chevauchées fantastiques, hormis dans les salles d’art et d’essai du Quartier Latin peut-être, je pense : « Il y a des chevaux dans le coin ? » avant de conclure à l’anachronisme de la question et de chercher plutôt une femme haut perchée. Puis de me laisser happer par la pente glissante des associations d’idées, ou, de l’esprit d’escalier.

Je me projette alors au 19e siècle, enfin, dans l’idée très approximative et parcellaire que je me fais du 19e siècle – l’ignorance n’a jamais empêché qui que ce soit de parler – et j’imagine alors créer des balades sonores des temps révolus qui accompagneraient nos errances citadines contemporaines. Nous marcherions dans le quartier des Halles par exemple et, en lieu et place du soulèvement des machines, non Cameronien rassurez-vous, chargées d’ériger une canopée artificielle d’ici la fin de l’année, nous percevrions la vie grouillante de feu le ventre de Paris. Nos yeux, notre corps sentiraient le présent, nos oreilles vivraient le passé. Instantanément, l’idée me paraît géniale – si, si, n’ayons pas peur des mots – mais elle se heurte aussi rapidement à une interrogation décisive : ces sons-là, des Halles centrales comme du reste, existent-ils quelque part ? Ont-ils traversé les décennies ?

Car, si aujourd’hui, nous enregistrons absolument tout de façon quasi obsessionnelle de nos petites ou grandes vies, du plus insignifiant événement aux plus importants objectivement, de telle sorte que nous – l’humanité – avons une trace – de multiples en réalité – de ce qui se déroule sur cette planète, ça n’était pas le cas avant que Joseph Nicéphore Niepce crée la première photographie en 1826, que Thomas Edison invente son phonographe en 1877, premier appareil à pouvoir enregistrer et restituer les sons, et qu’Edison, encore lui, associé à William Dickson captent les premiers films en 1891. Autrement dit, hier à l’échelle de notre histoire, même jeune.

N’est-il pas troublant de réaliser que nous n’entendrons jamais de sons antérieurs à ces dates, que nous ne saurons jamais avec certitude comment résonnait la vie, dans le désordre, au Moyen Age, à l’Antiquité ou la Renaissance alors même que nos descendants ne sauront que faire de nos enregistrements compulsifs, tendance qui ne devrait pas faiblir dans le futur ? Dans ce contexte, j’en déduis que les textes deviennent alors l’une des principales portes d’entrée vers ces sons disparus, grâce aux descriptions qu’ont pu en faire leurs auteurs sans pour autant penser à léguer des indices à la postérité devant nous aider à reconstituer leur environnement sonore, donc sans être aussi méticuleux dans leurs exposés qu’ils ne l’auraient été en connaissant cette mission venue du futur. Un exercice assurément complexe – allez décrire le son d’un modem 1re génération par exemple, juste avec des mots – pour une hypothèse solide : un projet de l’Université Simon Fraser consiste justement à recenser, dans la littérature, les passages faisant référence à des sons, et remonte ainsi à la préhistoire… Qui sait, l’un d’entre eux évoque peut-être le son des talons, apparus, semble-t-il, dès l’Egypte antique. Et la boucle serait bouclée…

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Il y a quelques années, j’ai eu l’occasion de passer un peu de temps à Berkeley, en Californie. La ville est connue pour sa prestigieuse université, la deuxième plus ancienne du pays après Harvard, dont le campus à lui seul donne envie d’être étudiant à vie. Génies et autres esprits libres y convergent depuis des décennies – 65 prix Nobel dans ses rangs, des Pulitzer, des Oscars… -, avant de faire rayonner leurs idées dans le reste du monde. Haut lieu historique de la contre-culture américaine, pacifiste – les premières manifestations contre la guerre du Vietnam sont nées dans ses artères -, Berkeley a vu s’épanouir, dans les révolutionnaires années 60, le Free Speech Movement, prônant notamment la liberté d’expression politique des étudiants, et, dans la foulée, fleurir les hippies par milliers.

Auréolée de cette tradition libertaire et de cet esprit contestataire incarnés par la chair en mouvement, même un demi-siècle plus tard, on imagine donc la ville grouillante, palpitante, active sur tous les fronts, revendicative, engagée. J’avoue avoir donc été assez surprise, en errant plusieurs jours d’affilée dans les rues adjacentes du campus, certes assez cossues, de ne croiser quasiment personne. Physiquement j’entends. Point de regroupement ni de manifestations non plus. En revanche, assez rapidement, j’ai rencontré des pancartes plantées dans des jardins, des affiches glissées derrière des stores, des calendriers politiquement étiquetés placardés aux vitres, des dessins fixés aux fenêtres, des banderoles accrochées aux perrons et façades des maisons. Autant d’appels à la paix, au dépôt des armes, au vote Obama (avant sa première élection : Berkeley est la ville la plus démocrate au monde…), à la tolérance… Absents des rues, les habitants de Berkeley annoncent la couleur malgré tout. Défiler dans ses paisibles avenues devient un festival de revendications silencieuses en tous genres.

Le contraste avec la façon dont chacun exprime ses idées et ses convictions en France me saute alors aux yeux, et illustre la différence de conception entre ce qui relève des sphères publique et privée de part et d’autre de l’océan, voire d’un monde à l’autre. Car avez-vous souvent vu ce type d’expressions aux fenêtres de vos voisins ? Connaissez-vous leurs idées politiques, leurs combats, leurs engagements ? Là où, là-bas, et sans vouloir faire de généralités, on semble s’exprimer individuellement, solitairement, sans se montrer, ici, nous nous montrons collectivement, solidairement pour nous exprimer avant de tout ranger et de regagner nos antres, d’où, a priori, rien ne s’échappe…

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E6 en C41

Les initiés comprendront instantanément, les autres penseront un moment à une étrange partie de bataille navale… Pour ceux-là, direction 1999. Faisons comme si une époque était aussi un lieu. Une partie de la population mondiale – ok, juste moi – découvre Compay Segundo, Eliades Ochoa, Ry Cooder, Ibrahim Ferrer, Omara Portuondo et quelques autres grâce au documentaire de Wim Wenders, Buena Vista Social Club, du nom du groupe de musiciens post-soixantenaires pré-cités qu’il suit, en réalité d’une mythique boîte de nuit près de La Havane fermée après la révolution cubaine. Je suis quasiment certaine que la simple lecture de cette dernière phrase a fait remonter des profondeurs de votre mémoire les premières notes de Chan Chan, de Silencio ou de Dos Gardenias, que vous êtes peut-être même en train de vous dandiner tout en partant en quête du compact disc que vous aviez acheté à l’époque pour l’écouter à nouveau avec une pointe de bonheur et une once de nostalgie de ce temps où vous étiez encore plein d’insouciance… La bande originale du film nous a en effet accompagnés et fait danser des mois durant, sans relâche et sans sensation de saturation. Ce petit miracle a récemment été reproduit avec Sugar Man de Malik Bendjelloul, qui retrace avec malice et un art certain de la manipulation, la vie de Sixto Rodriguez.

Si, comme tout le monde, j’ai évidemment été transportée par la musique en découvrant le film de Wenders, ce sont surtout les couleurs qui m’ont sauté aux yeux. Vives, contrastées, légèrement passées. Je suis immédiatement tombée amoureuse de cette manière de montrer et de rehausser la vie, quand bien même, en contrepartie, elle en effaçait les détails. Une question m’a alors taraudée pendant tout le film : est-il possible d’obtenir ces teintes en photographie ? En sortant de la salle les yeux pétillants, c’est la première que je pose aux spécialistes qui m’accompagnent. Elle résonne alors comme une question bête, triviale. Heureusement, la réponse est toujours plus importante que le ridicule, temporaire. « Oui, en faisant de l’E6 en C41 ! » Je n’y comprends strictement rien mais mon visage s’éclaire. Moi aussi, je veux faire de l’E6 en C41. Ou traitement croisé pour être moins barbare et encore. En somme, cela consiste à traiter une pellicule diapositive dans les bains chimiques d’un film négatif. Un autre monde assurément. L’adoption du procédé se traduit par trois recommandations : la scène à photographier doit déjà être contrastée, idéalement bien éclairée et colorée. Ainsi cette photo, qui vient donc de loin (pas dans l’espace, mais le temps), fait-elle partie de mes premiers essais en la matière… Aujourd’hui, il suffit de choisir le filtre adéquat sur son appli photo préférée pour obtenir le même résultat. C’est assurément très pratique d’avoir tout à portée d’index, mais, et je ne me sens pas rétrograde en pensant cela, je préfère de loin la magie de la découverte à l’ancienne… Sans elle, cette histoire n’aurait tout simplement pas existé.

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Quel cinéma !

A l’heure où les tapis rouges du Festival de Cannes sont remisés au placard – 60 mètres quand même -, où les polémiques post-palmarès fleurissent – ce serait trop simple d’accepter le verdict d’un jury de 9 personnes -, où il va donc bientôt pleuvoir sur le court central prochainement recouvert de Roland Garros – comme chaque année depuis toujours malgré le dérèglement climatique -, j’avais envie, non pas de m’attarder sur ces vies qui défilent sur les toiles, mais plutôt sur les lieux au sein desquels ces toiles se dévoilent. Les cinémas donc. Dans la grande majorité des cas, les salles se ressemblent toutes : des sièges – souvent rouges -, tournés vers un écran – plus ou moins grand -, dans un écrin sombre – et volontiers feutré. Parfois, mais c’est de fait extrêmement rare, elles ne ressemblent à rien d’autre qu’à elles-mêmes. Ainsi en est-il du Tuschinski, à Amsterdam, considéré comme l’un des plus beaux au monde.

Avant d’aller plus loin, répondons déjà à ces deux questions qui vous brûlent les lèvres :

– C’est vrai ça, pourquoi les sièges de cinéma sont-ils toujours rouges ?

– Tout simplement parce qu’à l’origine du cinéma, qui n’est pas si vieux, les films étaient diffusés dans des salles de théâtre réaménagées où les sièges étaient déjà rouges, le bleu étant la couleur royale par excellence, et le vert, au même titre que les lapins sur les bateaux, étant proscrit pour au moins une raison – la toxicité de la teinture verte des costumes aurait eu la peau de plusieurs comédiens, et peut-être même de celle de Molière. (Message personnel : le fait que de nombreux films à effets spéciaux soient tournés aujourd’hui devant des écrans verts en est d’autant plus cocasse.)

– J’avais une autre question !

– J’en étais sûre…

– Où se trouve le plus beau cinéma au monde si ce n’est pas celui-ci ?

– Indépendamment du fait que c’est totalement subjectif, je n’en sais fichtre rien ! Mais les top 10, top 15, top 27 se trouvent en 0,34 s via un classique moteur de recherche, et mélangent allègrement des cinémas à l’architecture pérenne remarquable – dont celui-ci – à des aménagements exceptionnels temporaires – voir L’Odyssée de Pi dans une barque dans une piscine…

Retour au Tuschinski, du nom de son créateur, Abraham Tuschinski. Ce Juif Polonais arrivé à Rotterdam au début du 20e siècle, tailleur autodidacte en partance pour les Amériques stoppé net sur le Vieux Continent, était si féru de cinéma qu’il en a ouvert quatre à Rotterdam avant de se lancer dans le projet pharaonique Amsteldamois. Fin tragique pour ce rêveur et sa famille déportés puis assassinés au camp de concentration d’Auschwitz en 1942. Dans l’intervalle, son cinéma avait été rebaptisé Tivoli et servait à diffuser des films de propagande nazie… Mais cela, je l’apprends en même temps que vous. Car c’est évidemment la singularité architecturale du lieu à la façade remarquable qui m’a fait pousser ses portes et rendue béate d’admiration dès que mon corps s’est retrouvé dans le hall d’accueil. Le Tuschinski, qui fêtera son siècle d’existence dans 6 ans, est en effet une merveille architecturale mêlant subtilement Art Nouveau, Art Déco et Ecole d’Amsterdam. Balcons, dorures, vitraux, lustres, peintures, marqueteries, éclairages tamisés, tapis tissés à la main, marbres… tout, absolument tout, accroche le regard, fascine, subjugue ! Et qu’importe s’il a fallu aller voir un film adapté d’un roman français justement sur cette funeste période tourné en anglais et allemand, sous-titré en néerlandais avec des comédiens anglais, américains, français et belges (Je suis, je suis ??) pour pouvoir l’approcher de près, fût-ce dans le noir. Qu’importe également s’il a fallu passer une partie du film les jambes en l’air suite à un cri strident de ma voisine de gauche persuadée d’avoir été effleurée par un rat ou une souris ou je ne sais quoi d’autre de totalement inoffensif puisqu’elle parlait en néerlandais… Rien de tout cela ne m’a empêchée d’être totalement retournée et sidérée par l’incroyable beauté de ce monde à part et sublimement hors du temps…

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Les non-dits

Une photographie peut s’appréhender comme une énigme à résoudre, ou plus simplement une enquête à mener. Une photographie sème des indices partout dans l’image pour nous aider à déterminer qui, à savoir quand, à deviner où, à se figurer quoi… Avec un peu d’imagination, même un petit bout de ciel bleu peut en dire long, en particulier sur son universalité. Que dire alors de celle-ci, aux allures de nature morte, chargée d’une multitude de signes ? Dans un premier temps, ce qui s’impose. Une maison où le bois est a priori prépondérant. Une maison d’un certain âge aussi, ce que confirme la facture de la fenêtre. Fenêtre dont les vitres embuées suggèrent, d’une part une mauvaise isolation, et d’autre part, une grande amplitude thermique entre l’intérieur et l’extérieur. Extérieur où l’on devine une autre bâtisse, ce qui laisse penser que cette maison n’est pas totalement isolée. Rapprochons-nous un peu plus. Si la figure humaine est absente de l’image, tout ce qu’elle présente témoigne pourtant de sa présence. De la vaisselle – mode cantine de notre enfance – et des couverts retournés, qui pourraient être en train de sécher, donc lavée à la main faute de lave-vaisselle ; des oeufs dans un bol, un couteau près d’un pain, des coquetiers, un filtre à café… Tout semble indiquer que cette image a été prise après un petit-déjeuner, petit-déjeuner qui a potentiellement réuni six personnes… Des amis en vacances dans une vieille maison familiale et rustique située dans un petit hameau ?

Pourquoi pas ? C’est, en tout cas, ce que semble dire l’image. Heureusement, comme c’est le cas pour nous, une image ne se résume pas à ce qu’elle énonce. Et ce qu’elle ne dit pas précisément, notamment, c’est le où. Là se crée la légende. Celle que conte l’auteur. Et cette scène qui, par certains côtés, semble venir d’un autre temps vient surtout d’un autre monde. A des milliers de kilomètres d’ici – information bien relative quand on ne sait pas à quoi fait référence la notion d' »ici ». Ceci dit, dans ce cas précis, où que soit cet « ici », ce « là » en reste à des milliers de kilomètres. Cette photographie vient donc d’un endroit extrêmement isolé dans le monde. Ce ne peut être qu’une île. Kerguelen, la bien nommée. Et cette bâtisse, loin d’être une maison familiale, n’est autre qu’une des rares maisons préservées de l’ancienne station baleinière de Port Jeanne-d’Arc créée au tout début du 20e siècle par les frères Boissière du Havre avec l’aide d’ouvriers norvégiens qui s’y connaissaient en cétacés et en huile de baleine, utilisée à l’époque pour l’éclairage. La colonie l’a abandonnée à son triste sort au début des années 20, et depuis quelques décennies, les hivernants s’y installent pour des missions de terrain de quelques jours entourés de fantômes de machineries rouillées couinant par grand vent… Des missions parfois assez surréalistes comme de compter les chats vivants encore dans les environs. Des chats eux-mêmes introduits au temps des baleiniers et qui, au fil du temps, se sont adaptés aux dures conditions de vie de cette île où les petits-déjeuners ne sont donc jamais anodins…

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La boîte de PandoreAvant d’aller plus loin, je dois vous avouer quelque chose : j’ai failli appeler ce duo « La boîte de Pandore ». Par acquis de conscience, j’ai malgré tout vérifié que je ne me faisais pas d’illusions à son sujet. Bien m’en a pris ! Comme cela arrive parfois avec ces expressions que l’on répète en perdant de vue leur sens originel, j’avais une idée fausse de ce à quoi renvoyait réellement, enfin « mythiquement », cette fameuse boîte de Pandore (en fait, une jarre, mais il est vrai que « la jarre de Pandore » sonne nettement moins bien). Et pas totalement fausse non plus, plutôt édulcorée… Ainsi, pour que les choses soient claires pour tout le monde, je rappelle qu’en ouvrant la boîte-jarre, Pandore, première femme terrestre déjà bien trop curieuse, libéra tous les maux de l’humanité – maladie, vieillesse, guerre, vice, folie, passion (un mal ??)… -, l’espérance, un peu plus lente, ne réussissant à s’échapper que dans un second temps (ou pas, selon certains). L’ouvrir, c’est donc s’exposer aux pires catastrophes…Dans mon esprit naïf, il ne s’agissait que de surprises, qui peuvent être bonnes ou mauvaises par ailleurs.

Alors, partiellement ignorante, ce duo devait donc commencer ainsi : « Avant que je ne la taxe de boîte de Pandore, elle n’était qu’une simple boîte ». Compte tenu de ce qui précède, je me vois dans l’obligation de tout changer. Voilà ce que je propose, pour que nous puissions passer rapidement à l’objet de ce duo : Avant que je ne la taxe de boîte de Pandore par erreur, elle n’était qu’une simple boîte. En carton. Avec un contenu. Un scanner en l’occurrence. Le révélateur de notre passé en négatif ou positif. Je parle de films. Argentiques donc. Vous souvenez-vous ? Déjà de l’archéologie pour les digital natives de la Génération Z ! Nul ne sait réellement à quoi il s’expose lorsqu’il entreprend de scanner ses archives. Une fois la méthodologie arrêtée – choisir la face par laquelle aborder cette montagne de négatifs et de diapositives ? -, le voyage peut débuter. Un voyage dans le temps en premier lieu qui illustre parfaitement l’un des multiples rôles de la photographie : celui d’être un support d’un présent destiné à devenir passé, et parfois, à être oublié. La photo souvenir… C’est le but même de cette manœuvre chronophage : avoir, au même endroit, à savoir la quasi infaillible mémoire d’un ordinateur, le récit lumineux de ces années révolues à côté de celui en cours d’écriture. Se donner ainsi l’occasion d’avoir sa vie devant soi.

Jour après jour, car l’activité devient vite une drogue, on replonge dans son passé, et subséquemment, dans sa propre vie, dans celles de ceux qui ont gravité autour – parfois encore, parfois plus depuis bien longtemps -, on voit le temps marquer les visages, on retrouve ceux qui ne sont plus, on revisite les contrées traversées, on revoit le chemin parcouru, on revit les moments forts immortalisés à bon escient même si cela reste parfois un peu flou… Il y a quelque chose d’étrange à se repasser ainsi les films de sa vie en accéléré : logiquement, on ne s’y voit pas – hormis quelques autoportraits au miroir ou autres surfaces réfléchissantes -, même si tout ce que l’on re-voit l’a été par nos yeux. Comme si tout cela, finalement, n’était qu’un rêve, qu’une construction, une expérience extra-corporelle. Autant dire que c’est plutôt décontenançant.

Et puis, il y a autre chose que révèle en filigrane cet exercice compulsif de réanimation du passé, et qui s’avère tout aussi passionnant avec le recul : l’évolution d’une pratique photographique – qui ne s’envisage pas forcément comme telle au départ – avec ses hésitations, ses maladresses de débutant mais aussi de belles surprises avec des images que l’on ne renierait pas aujourd’hui et que l’on regarde désormais avec une vraie tendresse doublée d’une certaine nostalgie – suis-je encore capable de cela ?… Parallèlement à cela, cette méta-photographie fait office de révélateur et met en évidence des tendances, des thèmes clés, voire fondateurs ou directeurs, devenant progressivement conscients donc travaillés. Elle trace ainsi la formation d’un regard, son affirmation également. En résumé, de l’auto-poïétique par excellence !

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Le temps de sourire

Dans la vie (oui, c’est un peu pompeux de commencer ainsi, je vous l’accorde, d’autant que cela crée une attente de pensées très profondes pour la suite…)… Donc, dans la vie, il nous arrive d’apprendre des choses qui nous sont utiles au quotidien – je vous laisse dresser votre propre liste – et d’autres qui ne servent strictement à rien, mais qui nous enchantent sur le moment. En tout cas, moi. Un exemple, un exemple ! Plantez-vous devant une vitrine d’horloger ou de joaillier, ou bien, plus simple encore, ouvrez un magazine et trouvez une publicité pour une montre, puis une autre, puis une autre… Ne remarquez-vous rien ? Très souvent, même si la rébellion a bel et bien commencé, ces donneuses de temps – à aiguilles, je précise, sinon, ça n’a absolument aucun intérêt – affichent toute la même heure : 10h10. Comme si, derrière ces double-vitrages ou sur ces pages glacées de magazine, le temps s’était arrêté en plein milieu de la matinée – à l’heure salutaire du café – ou de fin de journée – à l’heure où l’on commence enfin à souffler -, et que cette minute, 10h10, durait éternellement.

Evidemment, c’est un leurre ! Le temps ne s’arrête pas. Mais cette osmose entre ses gardiennes d’ici et d’ailleurs n’en est pas moins poétique. Et une convention des horlogers de part le monde qui ont presque inventé le smiley. Car, à 10h10, quelle que soit l’heure de la journée, la montre que vous regardez vous crie V comme victoire, et surtout, vous sourit ! Ne craignons pas l’anthropomorphisme ! Or un sourire sera toujours plus agréable que la moue désabusée de 8h20, à l’heure du rush matinal entre la tartine tombée sur le parquet côté confiture (c’est mathématique), le petit à déposer fissa fissa à l’école, et le métro déjà bondé qui vous met d’emblée dans l’ambiance… ou alors, de 20h20, de retour du bureau épuisé, pas encore nourri, puant et absolument pas envie de faire d’effort… Avec 10h10, harmonie et esthétique sont donc au rendez-vous. Et puis, à 10h10, le nom de la marque est souvent visible entièrement. Bonus marketing !

En réalité, les DA des agences de publicité n’auraient rien à voir là-dedans… Et il faudrait remonter à 1884 pour trouver l’origine de cette habitude quasi indéboulonnable. Direction Washington où se tient la conférence internationale… de Washington. Depuis le Vieux Continent, il faut compter une bonne semaine en paquebot transatlantique à voile et à vapeur pour atteindre le Nouveau Monde. Allez, venez, je vous ferai un mot pour votre employeur ! 25 pays participent à cette réunion où il se décide quelque chose d’assez incroyable et de si intégré aujourd’hui que l’on croirait qu’il en a toujours été ainsi : la planète va être divisée en 24 fuseaux horaires (bien plus pratique pour les horaires de trains !) et le méridien zéro, de référence donc, va être élu. Trois sont en compétition : le méridien de l’Observatoire de Paris, le méridien situé sur l’Ile de Fer aux Canaries et le méridien de Greenwich. Inutile de faire durer le suspens plus longtemps puisque vous êtes un lecteur du futur : au terme de trois semaines de débats houleux et argumentés, c’est le méridien de Greenwich qui a remporté le plus de suffrage, devenant ainsi le méridien d’origine, celui du « temps universel », de l’heure GMT. Et ce, au grand dam des Français, of course, qui se sont d’ailleurs abstenus de voter (comme quoi, ça ne date pas d’aujourd’hui !). Et bien, figurez vous que ces braves gens auraient conclu cet accord le 22 octobre exactement à 10h10. Et il se dit donc que les horlogers lui rendraient hommage depuis lors !

Je mets au conditionnel, car, un peu comme pour l’origine du nom de la marque à la pomme, les hypothèses sont multiples. Je crains d’ailleurs que cette dernière, pourtant assez massivement relayée (ce qui n’est pas un gage de véracité), soit fausse à en croire les minutes de ladite Conférence : elles stipulent que, ce fameux 22 octobre 1884, la réunion a débuté à 13h dans le Hall diplomatique du Département d’Etat pour s’achever à 15h30 le même jour. Pas de 10h10 dans cet intervalle… Oups ! Ce n’est pas grave ! Et confirme une douce pensée : en creusant une information qui ne sert a priori à rien, on finit toujours par s’instruire !

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La flèche du temps

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Une fenêtre vers le passé

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Maillage historique

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