Photo-graphies et un peu plus…

Admettons...

Admettons que nous gardions une trace de tout ce que nous avons vécu depuis notre naissance (voire avant), un peu comme un film en caméra subjective (notre paire d’yeux) bien planqué dans les arcanes de notre mémoire. Admettons encore qu’il existe un moyen de se « rendre » directement à une séquence ou un jour précis, un peu comme avec notre souris dans nos fichiers informatiques, sans avoir pour autant à se repasser le film de notre vie (ce qui peut prendre un certain temps en effet si le système n’est pas doté d’une fonction « avance rapide », donc réduire considérablement la partie de vie à ne pas revivre le passé, et par conséquent, obliger à s’interroger sur la pertinence à vouloir le faire malgré tout). Admettons toujours que nous puissions entrer dans une séquence particulière, non pas par le souvenir qu’elle en a laissé, mais bien en étant en mesure de l’expérimenter à nouveau, un peu comme si notre corps pouvait se dédoubler, ou se retourner, pour revivre réellement (mais intérieurement) la séquence. Et bien, aujourd’hui, assommée par cette chaleur inattendue, je serais volontiers retournée là, sur les bords de Crater Lake, car, quelques secondes après lui, je me suis également jetée dans cette eau bleu intense et surtout très fraîche et revigorante !

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Matière vivante

Depuis ma plus tendre enfance – presque depuis la nuit des temps donc – j’ai appris à aimer les chantiers, les échafaudages, les montagnes de gravats, les superpositions de BA13, les empilements d’IPN, les roulements de tambour des bétonnières ; à décrypter les panneaux listant entreprises et corps de métiers impliqués ; à apprécier cette humidité et ce froid si caractéristiques ressentis en longeant les immeubles évidés et plongés dans l’obscurité ; à admirer la valse des tombereaux entrant et sortant de ces espaces en mutation, les râles des excavatrices et la danse syncopée des bulldozers.

Assez naturellement, j’en suis venue à vénérer les grues (ne riez pas, c’est sérieux). Les grues mobiles, les grues statiques, les grues à bras articulé, celles à flèche unique ou encore à bras télescopique. Leur finesse (on dirait de la dentelle), leur taille (dont la disproportion comparativement aux éléments environnants diminue au fil du chantier), leur fausse fragilité (regardez la Tour Eiffel !), leur force (certaines peuvent hisser jusqu’à 1200 tonnes, soit l’équivalent de six baleines bleues…), mais également le ballet qu’ensemble, animées par des grutiers chorégraphes et géomètres, elles proposent à ceux qui les regardent évoluer. Pourtant, paradoxalement, ce spectacle de grues que j’applaudis plutôt deux fois qu’une, s’achève par une montée de rideau, qui, aussi prestigieuse soit-elle, n’est pas vraiment pour me plaire puisqu’elle nous bouche l’horizon, et par conséquent, toute tentative d’évasion… Pourquoi faut-il que l’homme déteste le vide à ce point ?

 

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A l'attaque !

– Mademoiselle !

– Mademoiselle ?

Cette question m’a l’air destinée. Je détache mon œil droit de mon viseur. Baisse mon appareil. Puis me tourne vers la voix. Une dame me regarde.

– Vous n’avez pas l’intention de prendre les enfants en photo j’espère ? me lance-t-elle, déterminée.

Soubresaut intérieur imperceptible de l’extérieur. Je n’ai presque pas encore réfléchi à ce qu’elle a bien pu imaginer que je ferais avec ces potentielles images qui ne m’ont pas traversé l’esprit ne serait-ce qu’une nanoseconde, mais je lui réponds, du tac au tac :

– Non, juste le « Défense d’éléphant » !

Logique, même si je vois du monde passer devant sans même le remarquer.

– Ah, très bien.

Et elle disparaît instantanément de mon champ de vision.

Quel brusque retour à la réalité alors que je savoure encore le fait que mes pas m’aient à nouveau conduite face à cette géniale métamorphose verbale à tendance exotique et humoristique découverte, fortuitement, deux nuits auparavant, sur les murs d’une école, donc ! En un clin d’œil, au lieu de converger vers mes fabuleux souvenirs de troupeaux d’éléphants évoluant librement en pleine savane africaine, mes pensées filent à Vancouver, un jour de forte pluie au printemps 2011. Je suis inscrite à la visite guidée d’un quartier universitaire. Le temps en a découragé la majorité. Aux imperméables aux aléas météorologiques, le guide tend une petite feuille résumant les consignes du parfait visiteur. L’une m’intrigue : elle stipule qu’au cours de cette errance architecturale, il est strictement interdit de prendre des enfants en photo sans l’accord écrit de leurs parents. C’est la première fois que je lis ce genre de recommandations, que je mets sur le compte de leur paranoïa, tout en me satisfaisant qu’en France, nous n’en soyons pas encore là. Mais les nord-américains ont toujours un peu d’avance sur tout. La preuve… A moins que je n’aie absolument pas conscience des dangers qui guettent les enfants à la sortie de l’école et qui les laisseraient littéralement sans défense.

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Avec circonspection

Ils s’y voyaient déjà ! A barboter dans ce trou d’eau douce au fond invisible (donc angoissant), perdu en plein désert (enfin, ils l’ont quand même trouvé) et dont on leur avait tant vanté l’hospitalité. Pourtant, pas une ridule ne vient zébrer la surface de l’eau. Et pour cause, s’ils s’en sont approchés, parfois de très près, s’ils ont hésité, parfois longtemps, ils s’en sont tous éloignés, après mûre réflexion…

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Petite cuisine interne

Alimenter quotidiennement un site comme je le fais ici depuis plus de 5 ans requiert d’instaurer une sorte de régime iconographique équilibré. L’idée, ou plutôt l’espoir, est en effet d’éviter l’overdose ou l’indigestion de certains ingrédients – trop de photos de chats, trop de photos de fleurs par exemple (!) -, ou la répétition maladive, qui conduit inexorablement à l’ennui. Le mien en premier lieu – désolée pour cette impolitesse -, le vôtre aussi bien sûr, que vous soyez 10 ou 1 000. Car, il n’y a rien de plus terrible à mes yeux que l’ennui, quoiqu’en disent certains philosophes qui le vénèrent.

De fait, même s’il y a bien évidemment des images, des thématiques récurrentes et clés dans ces pages – quoi de plus normal puisque toute photographie n’est ni plus ni moins que la matérialisation d’un intérêt personnel et, à ce titre, elle participe à l’écriture d’une autobiographie -, j’essaye, autant que faire ce peut de varier régulièrement les plaisirs. Ainsi passé-je en revue la dizaine de duos précédents pour, à l’issue du tour d’horizon, et comme s’il s’agissait d’une salade à composer, lâcher très trivialement des sentences comme : « Tiens, cela fait longtemps que nous ne sommes pas allés en Namibie » ou « Il n’y a pas du tout de rouge sur cette page… » ou « Où sont les hommes ? » ou encore « Bon, la mer, l’océan, on a compris, tu aimes l’eau et les grandes étendues, mais ça suffit… » ou « Cela manque de verdure quand même ces temps-ci »…

Ce soir, je me suis donc dit : « C’est le moment de retourner en ville avec une photo très urbaine ». Un peu froide donc, mais pas nécessairement désincarnée. Direction Los Angeles, la cité des anges autant que des clichés. Comme ceux sur lesquels je tombe en m’extrayant du Bradbury, ce splendide immeuble rénové au « cœur » de la ville – si tant est que cette mégalopole puisse en avoir un – où ont été tournées les premières scènes de Blade Runner : les voitures dans un banal petit parking privé, celle de la police que l’on imagine déjà hurlante à pourchasser tel ou tel brigand, la folie des grandeurs avec cette gigantesque fresque murale d’Eloy Torrez représentant l’une des légendes d’Hollywood, Anthony Quinn, en icône christique – autre leitmotiv étasunien – sur un fond qui fait justement écho à l’aménagement du rez-de-chaussée du Bradbury, comme si l’un menait forcément à l’autre et réciproquement. Comme s’il était impossible d’échapper à la fiction en errant dans les rues de Los Angeles…

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Je vous parle d'un temps...

A l’étranger, user des transports locaux est une façon parmi d’autres d’être au contact de la population, d’en savoir un peu plus sur ses us et coutumes, de partager un même rythme et des conditions de vie similaires. Savoir comment les gens se déplacent et se déplacer avec eux me semble en effet essentiel pour appréhender humblement un pays et en avoir une approche relativement authentique. C’est donc avec une réelle tristesse, un brin d’incrédulité et un peu de colère également, que j’ai récemment appris qu’étrangers et péruviens ne pouvaient plus partager les mêmes wagons – voire trains – pour se rendre à la station proche du Macchu Picchu… Comme si un voyage n’était qu’une succession de rencontres avec des lieux et non pas avec des personnes.

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E6 en C41

Les initiés comprendront instantanément, les autres penseront un moment à une étrange partie de bataille navale… Pour ceux-là, direction 1999. Faisons comme si une époque était aussi un lieu. Une partie de la population mondiale – ok, juste moi – découvre Compay Segundo, Eliades Ochoa, Ry Cooder, Ibrahim Ferrer, Omara Portuondo et quelques autres grâce au documentaire de Wim Wenders, Buena Vista Social Club, du nom du groupe de musiciens post-soixantenaires pré-cités qu’il suit, en réalité d’une mythique boîte de nuit près de La Havane fermée après la révolution cubaine. Je suis quasiment certaine que la simple lecture de cette dernière phrase a fait remonter des profondeurs de votre mémoire les premières notes de Chan Chan, de Silencio ou de Dos Gardenias, que vous êtes peut-être même en train de vous dandiner tout en partant en quête du compact disc que vous aviez acheté à l’époque pour l’écouter à nouveau avec une pointe de bonheur et une once de nostalgie de ce temps où vous étiez encore plein d’insouciance… La bande originale du film nous a en effet accompagnés et fait danser des mois durant, sans relâche et sans sensation de saturation. Ce petit miracle a récemment été reproduit avec Sugar Man de Malik Bendjelloul, qui retrace avec malice et un art certain de la manipulation, la vie de Sixto Rodriguez.

Si, comme tout le monde, j’ai évidemment été transportée par la musique en découvrant le film de Wenders, ce sont surtout les couleurs qui m’ont sauté aux yeux. Vives, contrastées, légèrement passées. Je suis immédiatement tombée amoureuse de cette manière de montrer et de rehausser la vie, quand bien même, en contrepartie, elle en effaçait les détails. Une question m’a alors taraudée pendant tout le film : est-il possible d’obtenir ces teintes en photographie ? En sortant de la salle les yeux pétillants, c’est la première que je pose aux spécialistes qui m’accompagnent. Elle résonne alors comme une question bête, triviale. Heureusement, la réponse est toujours plus importante que le ridicule, temporaire. « Oui, en faisant de l’E6 en C41 ! » Je n’y comprends strictement rien mais mon visage s’éclaire. Moi aussi, je veux faire de l’E6 en C41. Ou traitement croisé pour être moins barbare et encore. En somme, cela consiste à traiter une pellicule diapositive dans les bains chimiques d’un film négatif. Un autre monde assurément. L’adoption du procédé se traduit par trois recommandations : la scène à photographier doit déjà être contrastée, idéalement bien éclairée et colorée. Ainsi cette photo, qui vient donc de loin (pas dans l’espace, mais le temps), fait-elle partie de mes premiers essais en la matière… Aujourd’hui, il suffit de choisir le filtre adéquat sur son appli photo préférée pour obtenir le même résultat. C’est assurément très pratique d’avoir tout à portée d’index, mais, et je ne me sens pas rétrograde en pensant cela, je préfère de loin la magie de la découverte à l’ancienne… Sans elle, cette histoire n’aurait tout simplement pas existé.

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Des hauts débats

C’est un peu comme avec les blockbusters américains qui égrènent, les uns après les autres, tous les clichés des films de ce genre – au hasard, le pouvoir de l’amour, le mythe de la seconde chance, le sacrifice d’un couple de personnes âgées, la renaissance après les épreuves, la bravoure, le patriotisme, le dépassement de soi, la bannière étoilée sous toutes les coutures… – , comme si un assistant avait sa liste pré-établie et veillait à ce que toutes les lignes soient rayées à l’issue du tournage : parfois, c’est amusant d’en faire des tonnes ! Comme ici, avec ces nuages, un peu plus discrets dans le monde réel….

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Myopie passagère

Inutile de vous frotter les yeux, cela ne vient pas de vous, même si vous n’êtes peut-être pas encore complètement réveillé ou si vous n’avez toujours pas chaussé votre paire de lunettes. Cela m’arrive parfois… De faire volontairement des photos floues – ce qui est différent que de savoir qu’une photo va être floue avant même de la faire comme j’ai pu l’exposer récemment dans Précis d’imprécision. Ces flous voulus, je ne les double pas systématiquement de leur version nette. Pourtant, rien de plus simple aujourd’hui avec les logiciels de retouche que de le faire a posteriori. Il s’agit donc là d’un vrai choix. Une simple illustration, à mes yeux, de la vie de myope non équipé (avant 1440 donc) et de la distorsion avec laquelle il perçoit alors son environnement.

Pourtant, cette fois-là, j’aurais peut-être mieux fait de céder à la netteté. J’aurais certainement fait des heureux… Quelques minutes après avoir pris la photo de cette jolie famille en train d’être photographiée, certainement après ce que l’on imagine sans peine être un mariage, tardif par ailleurs, un homme s’est en effet approché lentement mais sûrement du photographe officiel. Ils ont parlementé quelques minutes à l’issue desquelles j’ai vu le photographe, dépité, se pencher vers son boîtier pour effacer une à une toutes les photos qu’il venait de prendre, sans autorisation manifestement, devant le très populaire Musée de la Motown où l’on ne badine pas avec le droit d’auteur…

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Quel cinéma !

A l’heure où les tapis rouges du Festival de Cannes sont remisés au placard – 60 mètres quand même -, où les polémiques post-palmarès fleurissent – ce serait trop simple d’accepter le verdict d’un jury de 9 personnes -, où il va donc bientôt pleuvoir sur le court central prochainement recouvert de Roland Garros – comme chaque année depuis toujours malgré le dérèglement climatique -, j’avais envie, non pas de m’attarder sur ces vies qui défilent sur les toiles, mais plutôt sur les lieux au sein desquels ces toiles se dévoilent. Les cinémas donc. Dans la grande majorité des cas, les salles se ressemblent toutes : des sièges – souvent rouges -, tournés vers un écran – plus ou moins grand -, dans un écrin sombre – et volontiers feutré. Parfois, mais c’est de fait extrêmement rare, elles ne ressemblent à rien d’autre qu’à elles-mêmes. Ainsi en est-il du Tuschinski, à Amsterdam, considéré comme l’un des plus beaux au monde.

Avant d’aller plus loin, répondons déjà à ces deux questions qui vous brûlent les lèvres :

– C’est vrai ça, pourquoi les sièges de cinéma sont-ils toujours rouges ?

– Tout simplement parce qu’à l’origine du cinéma, qui n’est pas si vieux, les films étaient diffusés dans des salles de théâtre réaménagées où les sièges étaient déjà rouges, le bleu étant la couleur royale par excellence, et le vert, au même titre que les lapins sur les bateaux, étant proscrit pour au moins une raison – la toxicité de la teinture verte des costumes aurait eu la peau de plusieurs comédiens, et peut-être même de celle de Molière. (Message personnel : le fait que de nombreux films à effets spéciaux soient tournés aujourd’hui devant des écrans verts en est d’autant plus cocasse.)

– J’avais une autre question !

– J’en étais sûre…

– Où se trouve le plus beau cinéma au monde si ce n’est pas celui-ci ?

– Indépendamment du fait que c’est totalement subjectif, je n’en sais fichtre rien ! Mais les top 10, top 15, top 27 se trouvent en 0,34 s via un classique moteur de recherche, et mélangent allègrement des cinémas à l’architecture pérenne remarquable – dont celui-ci – à des aménagements exceptionnels temporaires – voir L’Odyssée de Pi dans une barque dans une piscine…

Retour au Tuschinski, du nom de son créateur, Abraham Tuschinski. Ce Juif Polonais arrivé à Rotterdam au début du 20e siècle, tailleur autodidacte en partance pour les Amériques stoppé net sur le Vieux Continent, était si féru de cinéma qu’il en a ouvert quatre à Rotterdam avant de se lancer dans le projet pharaonique Amsteldamois. Fin tragique pour ce rêveur et sa famille déportés puis assassinés au camp de concentration d’Auschwitz en 1942. Dans l’intervalle, son cinéma avait été rebaptisé Tivoli et servait à diffuser des films de propagande nazie… Mais cela, je l’apprends en même temps que vous. Car c’est évidemment la singularité architecturale du lieu à la façade remarquable qui m’a fait pousser ses portes et rendue béate d’admiration dès que mon corps s’est retrouvé dans le hall d’accueil. Le Tuschinski, qui fêtera son siècle d’existence dans 6 ans, est en effet une merveille architecturale mêlant subtilement Art Nouveau, Art Déco et Ecole d’Amsterdam. Balcons, dorures, vitraux, lustres, peintures, marqueteries, éclairages tamisés, tapis tissés à la main, marbres… tout, absolument tout, accroche le regard, fascine, subjugue ! Et qu’importe s’il a fallu aller voir un film adapté d’un roman français justement sur cette funeste période tourné en anglais et allemand, sous-titré en néerlandais avec des comédiens anglais, américains, français et belges (Je suis, je suis ??) pour pouvoir l’approcher de près, fût-ce dans le noir. Qu’importe également s’il a fallu passer une partie du film les jambes en l’air suite à un cri strident de ma voisine de gauche persuadée d’avoir été effleurée par un rat ou une souris ou je ne sais quoi d’autre de totalement inoffensif puisqu’elle parlait en néerlandais… Rien de tout cela ne m’a empêchée d’être totalement retournée et sidérée par l’incroyable beauté de ce monde à part et sublimement hors du temps…

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