La première fois que je suis passée devant ces étranges maisons sur pilotis dispersées le long de la Kuhio Hwy, côté océan, au bout du bout du monde sur l’île hawaïenne de Kauai, j’ai tout de suite imaginé le pire : les tsunamis ! Planter sa maison à quelques mètres au-dessus de la mer ne pouvait être qu’une parade à ces vagues géantes, qui s’étaient montrées dévastatrices de l’autre côté du Pacifique… Après discussion avec un autochtone, ma gentille naïveté – pléonasme ? – a pris un nouveau coup. Je n’y étais pas tout. Si les propriétaires de ces jolies bâtisses les avaient hissées vingt pieds sur terre, c’était tout simplement et de façon très pragmatique pour qu’elles soient plus élevées que celles qui se trouvaient entre elles et la vue sur l’océan… Je suis tombée de haut !
Chacun son truc, mais il y a de fortes chances que ce monsieur soit en train de réaliser un vieux rêve… Vous savez, ces petites choses que l’on imagine de temps à autres tout en sachant qu’elles n’arriveront probablement jamais : « si un jour, j’ai la chance de marcher sur la Lune, et bien, je croquerai dans un croissant ! ». Ce monsieur-là au crâne dégarni avait, visiblement, des envies plus terre à terre – voire mer à mer. Un principe de réalisme tout à fait salutaire car plus à même d’éviter la frustration consécutive à la non réalisation d’un rêve fou ou inaccessible, ce qui peut, par ailleurs, être le propre d’un rêve. Voilà donc ce à quoi il avait pensé, un soir comme un autre de l’hiver 95 – très rigoureux – où il n’arrivait pas à se réchauffer malgré les bûches qui flambaient dans la cheminée depuis le début de l’après-midi et l’épais pull bariolé en laine de lama qu’une amie lui avait ramené d’un voyage au Pérou quelques années auparavant : « là, si je pouvais être quelque part, n’importe où, ce serait au milieu de l’océan pacifique, à Hawaii, en train d’admirer le coucher du soleil, une cigarette au bec et un café à la main ! ça, ce serait le vrai bonheur ! » Voilà, c’est chose faite – ce qui n’était pas si compliqué finalement – : notre homme peut désormais barrer cette ligne sur sa liste CAFAMUFODAVI…
Avez-vous déjà été cette personne normale, marchant calmement dans la rue, furetant l’air de rien dans un centre commercial, buvant sereinement un café en bonne compagnie, soudainement perturbée par la sonnerie d’un téléphone ? Portable, dans ces circonstances. Une sonnerie qui serait identique à celle de Bastien, Caroline ou Rémy, voire, pire, à la vôtre. Enfin, à celle de votre téléphone. Car, vous, être humain de chair et de sang, ne sonnez pas. Punition : répétez 7 fois « Je ne suis pas une machine. » Je ne suis pas une machine. Je ne suis pas une machine. Je ne suis pas une machine. Je ne suis pas une machine. Je ne suis pas une machine. Je ne suis pas une machine. Je ne suis pas une machine.
Bon, je reprends. Avez-vous remarqué la rapidité à laquelle s’enchaînent les secondes suivantes ? Vous vous redressez en balayant l’espace du regard, à la recherche de Bastien, Caroline ou Rémy. Ou posez précipitamment la main sur la poche dans laquelle vous avez laissé votre téléphone, ni trop loin, ni trop proche de vous, pour le sentir vibrer. Ou pas. Le téléphone. Fausse alerte. Vous ne vibrez pas. Zut. Punition : répétez 7 fois « Je ne suis pas une machine. » Je ne suis pas une machine. Je ne suis pas une machine. Je ne suis pas une machine. Je ne suis pas une machine. Je ne suis pas une machine. Je ne suis pas une machine. Je ne suis pas une machine. Certes, ce n’est pas vous qui vibrez. Par contre, là, c’est bien votre téléphone qui sonne. Cette dépendance à un simple son n’est-elle pas embarrassante ? C’est comme si nous avions suivi un programme d’hypnose à notre insu : « Quand vous entendrrrrez cette sonnerrrrieee, ce serrra le déclic. Vous arrrrêteerrez tout ce que vous êtes en trrrrain de fairrre, feerrrrez un tourrr sur vous-même et toucherrrrez votre téléphone porrrrtable. Aprrrès seulement, votrrrre vie repreeeendrra son courrrs norrrmal ! »
Certaines sonneries de téléphone, fixe cette fois-ci, peuvent avoir le même effet. Vous voilà donc tranquillement à la caisse de votre supermarché, à égrener la cueillette du jour sur le tapis noir en imaginant déjà ce que vous allez vous mitonner en rentrant, quand un téléphone sonne. Ce n’est pas un portable, vous en êtes certain, vous ne touchez pas votre poche, vous ne tournez pas la tête pour retrouver Bastien, Caroline ou Rémy. Mais tout aussi instinctivement, mentalement, vous ne pouvez vous empêcher de lâcher un « Cabinet du Docteur Leborgne, j’écoute… » !
Un déménagement est le moment idéal pour réellement faire un tri dans ses affaires. Plier, emballer, encartonner, ranger, empiler… Personne n’aime vraiment ça. Car, après plusieurs années de vie entre les mêmes murs, ce nouveau départ vous fait réaliser à quel point vous avez pu entasser d’inutiles petits objets. Vous savez, ces revues que vous n’avez pas eu le temps de lire au moment où vous les avez reçues, que vous avez soigneusement posées sur une table basse en reportant leur découverte à un moment ultérieur, quoique indéfini. Petit apparté : en réalité, ce moment de répit n’arrive jamais. Il serait donc objectivement plus judicieux d’envoyer ces feuilles de chou au recyclage, au moins serviraient-elles à quelque chose. Sauf, qu’évidemment, en s’en séparant sans les avoir compulsées, vous avez la désagréable sensation de jeter votre argent par la fenêtre, de perdre le combat contre l’horloge infatigable et de manquer quelque chose : il y avait quand même des articles intéressants dans ces numéros.
Cette indécision argumentée vous pousse à les placer dans un coin, puis, finalement, à les oublier… jusqu’à ce qu’un déménagement vous conduise donc à faire réapparaître tout ce que vous avez voulu cacher et à vous reposer la question de leur destinée… Même type de raisonnement avec les vêtements que vous avez accumulés année après année en vous disant que la mode était cyclique et qu’un jour, votre pantalon à petits carreaux serait autour de toutes les jambes ; ou des bibelots dont vous avez couvert vos étagères à une époque où vous étiez adepte du plein et de ces objets attrape-poussières, alors qu’aujourd’hui, vous préférez nettement le vide, notamment car vous n’avez plus le temps de faire la poussière. Bref, les exemples ne manquent pas et chacun a ses petits tas dans un coin de chez lui.
Malheureusement, nombreux sont les déménagements qui s’organisent au dernier moment, même s’il est difficile de parler « d’organisation » dans ce cas. Dans l’urgence, vous n’avez alors plus le temps de trier et vous vous retrouvez à tout empaqueter par défaut, en sachant que ces petites choses mises à l’écart seront tout autant abandonnées à leur triste sort dans votre nouveau chez-vous. Voilà comment, faute de trancher impitoyablement à un moment précis, vous vous chargez de l’inutile à vie.
C’est un peu comme avec ces duos. Je constitue des dossiers hebdomadaires dans lesquels je glisse les photos sur lesquelles j’aimerais m’étendre. Le jour dit, en fonction de l’humeur, je pioche dans la masse ou pars en quête d’une autre image à raconter. En fin de semaine, je bascule alors toutes les photos non utilisées dans le dossier de la semaine à venir. Certaines photos n’y transitent que quelques heures, quelques jours ; d’autres y restent des semaines voire des mois. Or, dans le dossier du 21 novembre, nombreuses sont les photographies à migrer ainsi en attendant des jours meilleurs pour elles, autrement dit, une certaine inspiration. Et comme avec les monticules de revues faussement rangées sous les meubles, arrive parfois l’heure où l’on se lasse de voir chaque jour la même chose, le même bazar… Moment décisif à saisir et à transformer en acte concret. Bref, il est grand temps de déménager ! Ces images, collées les unes aux autres dans un joyeux n’importe-quoi décontextualisé, sont donc les orphelines du 21 novembre. A voir comme des instantanés auxquels j’ai tenté de donner un écho à un moment et qui ont fini par en trouver un à quelques encablures de l’instant ultime : l’oubli.
Pardonnez le tremblement et le cadrage approximatif, mais il fallait être rapide sur ce coup-là… En voyant monsieur faire un long plan serré sur cette télévision, montrant une coulée de lave grignotant mètre après mètre la pente du volcan hawaiien Mauna Loa, je me suis demandée s’il allait tenter de faire croire aux siens, en rentrant chez lui et en organisant une séance photo-vidéo pour leur montrer ce qu’il avait vu et surtout vécu pendant ses fabuleuses vacances aux îles, qu’il avait été témoin de cette éruption et avait bravé tous les dangers pour pouvoir recueillir ces images héroïques, en réalité capturées dans le visitor center du site… C’est étrange, ce que les gens filment ou prennent en photo, parfois.
En pratique, toutes les photos figurant sur ce site sont en vente. N'hésitez pas à me contacter pour plus de renseignements !
Un tour du Soleil en duos : 6e année en cours
Pour (re)découvrir en un clin d’œil et sur une seule page les micro-histoires photographiques publiées en ces lieux virtuels :
- entre le 22/02/2010 et le 22/02/2011, voici Un tour du Soleil en duos…